La Dernière Année de Marie Dorval/09

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Librairie nouvelle (p. 51-55).


IX


À partir de ce moment je n’avais plus à m’occuper que d’une chose, c’était de tenir la promesse que j’avais faite à la morte.

Je courus chez moi ; j’ouvris tous mes tiroirs ; je réunis deux cents francs ; je retournai rue de Varennes, je les mis sur une table en disant :

— En attendant.

Puis je remontai dans mon cabriolet.

— Où diable irai-je chercher les trois ou quatre cents francs restant ?

Jusqu’au moment où Millaud a fait fortune, je n’ai jamais eu pour amis que des gueux.

Pardieu si Millaud avait été riche à cette époque, j’aurais été chez Millaud.

Mais il ne l’était pas.

Je ne connaissais aucun ministre ; je n’en passai pas moins leurs noms en revue, et je m’arrêtai à celui de M. Falloux.

Pourquoi plutôt M. Falloux qu’un autre ? Je n’en sais ma foi rien.

Je crois cependant me rappeler qu’il avait fait un assez beau discours la veille, et il me semblait qu’un homme éloquent devait être un homme bon.

Je me fis annoncer chez M. Falloux, qui me reçut à l’instant même.

Il s’avança vers moi évidemment fort étonné de ma visite : nous étions loin d’être de la même opinion, et en 1849 l’opinion était encore pour quelque chose dans les relations sociales.

— Monsieur, lui dis-je, vous m’excuserez de vous avoir choisi, par une sympathie instinctive, entre tous vos collègues pour venir vous demander un service.

M. Falloux s’inclina en homme qui dit ; J’attends.

— Madame Dorval vient de mourir, continuai-je, et dans un tel état de dénûment que c’est à ses amis et à ses admirateurs de se charger de ses funérailles. Je suis de ses amis, j’ai fait ce que j’ai pu ; vous devez être de ses admirateurs, faites ce que vous pouvez.

— Monsieur, me répondit M. Falloux, comme ministre, je ne puis rien ; mon département n’a pas de fonds pour les artistes dramatiques ; mais, comme simple particulier, permettez-moi de vous offrir ma contribution à l’œuvre pieuse.

Et tirant sa bourse de sa poche, il me remit cent francs.

Il n’y avait pas loin de la rue Bellechasse à la rue de Varennes : je remontai en cabriolet, et j’allai porter mes cent francs.

Hugo venait d’en apporter deux cents qu’il était allé prendre, je crois, au ministère de l’intérieur.

Deux cents francs encore, et les premiers frais étaient couverts, et Dorval avait une tombe provisoire de cinq ans.

Pendant ces cinq ans on aviserait.

Je demandai à Merle une lettre pour un personnage tout-puissant ; je vainquis ma répugnance, je me présentai moi-même chez lui ; j’eus toutes sortes de promesses pour ces deux misérables cents francs.

Le lendemain, je finissais par où j’eusse dû commencer : je mettais ma décoration du Nisham en gage, et je les avais.

Le 20 mai, je crois, les funérailles eurent lieu. Qui y était ? qui les a vues ? qui se les rappelle, ces funérailles si tristes, où tous les cœurs étaient si brisés que personne ne prit la parole ?

Camille Doucet seul, ne voulant pas que cette ombre triste et voilée descendît au plus profond de la mort sans un mot d’adieu, prononça quelques paroles sur la tombe.

Je n’ai vu de deuil, de silence et de tristesse pareils qu’au convoi de madame de Girardin.

On me poussa pour parler ; outre que je ne sais parler ni dans un dîner ni sur une tombe, j’ai, — dans ce dernier cas, et surtout plus je regrette sincèrement le trépassé, — j’ai l’idiotisme des larmes.

Je m’avançai, j’ouvris la bouche, mes sanglots m’étouffèrent.

Je ne pus que me baisser, briser une fleur de la couronne qui avait accompagné son cercueil et que l’on venait de jeter sur sa tombe, la porter à mes lèvres et me retirer.

Tout était dit.

La pauvre chère créature pouvait dormir là ; tranquille pendant cinq ans.