La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans/La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans/Les Deux Cinquantennaires

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Les Deux Cinquantenaires



Hélas ! quand on a passé l’âge d’être aimable, l’amour n’est plus un plaisir, c’est un tourment. Temps heureux de ma jeunesse où mon âme ouverte à l’espoir trouvait un charme jusque dans ses peines ! Tu n’es plus ! L’automne a succédé, je n’ai plus en perspective que le triste hiver. Un voile sombre se répand sur la nature et me cache son aimable sourire ; je ne la vois plus que tombante comme moi. Si quelque chose me console, c’est le souvenir de mes anciens plaisirs ; lui seul, par une aimable magie, me reporte à mon printemps et m’en rend l’ivresse. Jeunes gens ! retenez bien cette vérité ! On ne jouit, dans l’âge mûr, que des plaisirs honnêtes qu’on a goûtés dans la jeunesse, surtout de ceux de l’amour ; ils sont les seuls qui tiennent à l’âme ; mais il faut que l’amour, et non le vice, les ait procurés. Avec quel délicieux sentiment ne me rappelé-je pas encore aujourd’hui cet objet qui toucha si vivement mon cœur !… Zéphire[1], la plus adorable et la plus tendre des filles ! De douces larmes coulent, quand je me retrace les traits généreux qui embellissent ta vie ; elles deviennent voluptueuses, quand je songe aux délices que tu me donnas en les partageant ; je frémis, je frissonne, je pleure, je m’écrie quand je me rappelle ta mort ! « Ange céleste ! Créature divine, ton père et le mien te donnèrent la beauté d’une immortelle et la durée d’une rose ! Tu es morte sur mon sein !… » « Et vous, charmante Elise, vous dans qui trois lustres augmentés de trois ans, épanouissent toutes les fleurs de la jeunesse, aimable et touchante amie, qui avez entrepris de consoler mon automne et d’égayer mon hiver, lisez, je vous prie, l’histoire d’une autre Elise et de l’infortuné Parlis.

Parlis avait quarante-trois ans. À cet âge, il se crut prêt à respirer, les malheurs qui le poursuivaient dès sa jeunesse, semblaient vaincus par la constance ; il sortait de la fange, où l’envie, la malice noire, l’insultant mépris, se plaisaient à le retenir ; il avait terrassé le monstre qui empoisonne tous les détails de la vie ; libre comme l’air, il vivait seul, et ne dépendait que de Dieu. Il vécut ainsi deux années, les plus heureuses qu’il eût encore passées. « Que mon automne est belle ! » disait-il un jour avec complaisance. Il s’occupait ; il travaillait avec plaisir et sans peine, comme l’homme innocent au jardin de délices. Il allait partout vantant son bonheur ; il le rendait plus grand, en le faisant envier ; il le doublait encore en le savourant ; car il en connaissait le prix : on sent vivement le plaisir quand on a été malheureux !… Hélas, il détruisit lui-même son bonheur…

Redevenu malheureux, par son ignorance, sa santé s’affaiblit. Il languissait, lorsqu’il trouva un sort heureux, s il avait su en profiter ! Depuis que Parlis s’était rendu malheureux, il vivait plus isolé que jamais. Personne dans son quartier ne le connaissait, et un homme qui demeurait vis-à-vis de ses fenêtres, avait promis une récompense à un facteur de la petite poste[2], s’il découvrait son adresse. Il passait devant les personnes de la maison, on leur faisant un salut muet ; deux jolies voisines qui vinrent demeurer sur son carré, n’en obtinrent pas une parole, quoiqu’elles l’eussent tenté, en lui demandant de l’eau, du feu ou de la lumière. Parlis ouvrait à leur voix, donnait en s’inclinant, et ne disait mot. Ce fut cet homme qui fit la conquête d’une nouvelle Hipparchia.

La maison où logeait Parlis, était tenue par une belle femme, qui avait pour fille une jeune et jolie personne ; l’aimable Élise, en entendant parler de son voisin, s’intéressa vivement à lui ; elle chercha l’occasion de le voir, la trouva, et lui marqua cette confiance innocente et naïve, qu’inspire à la jeunesse une réputation de mérite et de probité. Parlis, naturellement sensible, fut touché jusqu’au fond du cœur de l’impression qu’il faisait sur la séduisante Élise. Sans avoir de but fixe, il mit son étude à la fortifier, et il y réussit : il loua la jeune Elise ; il flatta son cœur, neuf encore, par un sentiment sérieux de tendresse : jusqu’à ce moment, l’amitié n’avait été qu’un jeu pour elle, et si l’amour lui-même s’était fait entrevoir à la dérobée, c’était comme un enfant qui cherche à badiner avec une enfant comme lui. Mais il ne faut pas connaître l’amour pour l’inspirer : Parlis l’éprouva ; sans qu’il s’en défiât, son cœur se trouva pris. Il faut l’avouer, cet homme raisonnable fut effrayé de la naissance d’une passion, qui avait déjà fait le malheur de sa vie. Il voulut éviter son jeune vainqueur. Mais comment faire ? il vivait dans la même maison ; pour rentrer chez lui le passage était une salle, où Élise assise auprès de sa mère, était sans cesse. Elles étaient étrangères ; le père d’Élise, homme sans conduite, était absent et Parlis pouvait être utile ; ce fut ce qui l’attacha davantage : à tout moment, il avait Élise sous les yeux, toujours plus aimable, toujours plus charmante : sa taille légère, son teint de rose et de lis ; le son intéressant de sa voix, son chant, le choix des airs, son sourire aimable ; le charme peut-être plus fort d’un sérieux de dignité qu’elle savait prendre, malgré sa jeunesse, tout augmentait l’attachement de Parlis, et lui faisait trouver du plaisir dans son tourment. Il ne vit qu’un moyen d’échapper ; et voici comme il l’employa.

Parlis avait pour ami particulier, un homme d’esprit, honnête et jouissant d’une fortune assez considérable, nommé M. de Blémont : un jour ils eurent ensemble un entretien, où cet ami ouvrit son âme à Parlis. « Mon cœur est mort, lui dit-il, depuis quatre ans, et je me trouve plongé dans une langueur désespérante : je voudrais trouver un objet, qui me causât une de ces violentes secousses, qui donnent du ressort à l’âme ; comme je ne suis plus de la première jeunesse, je lui servirais de père, j’en ferais ma compagne, mon amie ; elle ferait la douceur de mes jours ; et moi, je deviendrais son guide, son appui !… » Parlis soupira ; puis regardant son ami, d’un air rayonnant de joie, il lui annonça qu’il connaissait le remède à sa situation. Il lui nomma la jeune hôtesse ; le croyant plus propre que lui-même à faire le bonheur d’Élise, il résolut de la lui donner. Il lui parla de cette jolie personne avec enthousiasme, et le portrait avantageux qu’il en fit excita la curiosité : on convint des moyens de la satisfaire. M. de Blémont vint, chez la mère d’Élise, demander Parlis : il vit la demoiselle ; Élise lui plut, et d’après cette première

Les petits présents entretiennent l’amitié
(D’après une lithographie}. (Musée Carnavalet.)


impression, il désira vivement une seconde entrevue. Parlis la lui procura aisément : l’âme déchirée par le sacrifice qu’il faisait à l’intérêt de la jeune amie, il se portait avec une inconcevable ardeur à ce qui devait la séparer de lui pour jamais. Non content d’avoir enflammé l’imagination de M. de Blémont, il avait parlé de lui à la jeune Élise, avant la seconde entrevue : il le lui avait peint comme un homme qui ne désirait de la toucher et de s’unir à elle, que pour être le protecteur de sa jeunesse, pour la préserver de tous les périls auxquels une jolie personne dont la fortune est médiocre, peut être exposée à Paris. Élise écouta Parlis comme un père ; l’éloge qu’il faisait de son ami, lui parut d’autant plus vrai, qu’il en disait ce qu’il était lui-même, et ce qu’il aurait été, s’il avait eu plus de fortune et de santé. Elle promit de recevoir M. de Blémont avec les égards qu’il méritait. Il vint enfin.

Suivant que cet ami de Parlis avait paru le désirer, ce dernier avait engagé la mère et la fille à faire une partie de promenade. M. de Blémont arriva comme on allait partir ; on l’en mit tout naturellement. Parlis, qui voulait le favoriser, s’empara de la mère d’Élise, et comme la dame était prévenue en gros, que la jeune personne était parfaitement instruite, M. de Blémont lui donna la main lorsqu’on fut descendu de voiture ; et il eut avec elle un long entretien. Élise, favorablement prévenue, prit avec lui un air de confiance, parce qu’elle en ressentait. Elle lui donna le bras, quand il parut le désirer ; ils causèrent. Parlis sentit alors au fond de son cœur les mouvements les plus douloureux ; mais il sut charmer son ennui, par une conversation animée avec la mère d’Élise. Pour s’occuper, distraire l’attention de cette dame, et laisser à M. de Blémont tout le temps de sonder le cœur de celle qu’il voulait connaitre, car il avait fort insisté, vu son âge, sur la nécessité d’être convaincu qu’Élise n’aurait pas de répugnance pour lui ; et en cela, il paraissait fort sage. Parlis tâchait d’être amusant, et il l’était. Cependant Élise s’arrêtait souvent, pour attendre sa mère ; plus souvent elle se retournait en souriant du côté de Parlis, qui en conclut qu’elle était satisfaite des vues que lui exposait M. de Blémont ; son cœur en était douloureusement flatté ; mais enfin, cette liaison était son ouvrage, et la raison l’emportait sur le sentiment.

Au retour, Élise garda le silence au sujet de M. de Blémont, à cause de sa mère. Mais le lendemain, ayant trouvé le moment de causer avec Parlis sans témoins, elle ne lui déguisa rien. « Êtes-vous contente de mon ami ? » lui dit-il. Élise répondit par un sourire des lèvres, qui marque si bien qu’on a été trompé dans son espérance. Mais Parlis était trop loin de soupçonner la vérité, pour y rien comprendre. Il estimait son ami ; il lui croyait une âme sensible autant qu’honnête ; il présuma toute autre chose que ce qu’Élise voulait lui faire entendre. Il continua de l’interroger, d’après son erreur. « Peu d’hommes vous ressemblent, lui répondit la jeune personne avec une sorte d’attendrissement, il en est peu qui sachent faire oublier la distance des âges, par la générosité des sentiments, et cette tendresse paternelle que vous m’avez témoignée. — C’est que j’ai le cœur jeune, lui répondit Parlis en souriant ; mon âme est la même qu’à vingt ans, et plus tendre encore, car à cet âge, égal en agréments à celle qui m’inspirait de la tendresse, je ne croyais pas que le retour de sa part fût une grâce ; au lieu qu’aujourd’hui, belle Élise, si une jeune beauté venait à marquer de l’indulgence pour mon empressement, je croirai lui devoir infiniment de reconnaissance ; elle serait pour moi une divinité bienfaisante, qui me ranimerait et me rendrait les plaisirs de ma jeunesse : plaisirs ravissants, dont j’ai perdu l’espoir ! — Quoi ! je ferais ce miracle ! reprit Élise en souriant. — Vous pourriez le faire : mais avec des conditions difficiles, si ce terme convient ; car on ne doit pas nommer difficile, ce qui ne dépend ni de la volonté, ni de la vertu. Il est de belles actions qui sont difficiles : mais on peut les faire, à force de sacrifices, de courage ; au lieu que le goût, l’amour, le penchant nécessaires pour rendre heureux un homme délicat, cela est au-dessus de toute vertu ; les efforts de la volonté n’y peuvent rien ; il faut que cela vienne tout seul. — Je crois en effet, monsieur, que seule, et d’elle-même, une jeune personne ne peut se donner le goût, l’amour, le penchant ; mais je pense aussi, qu’un homme de mérite peut faire naître ces trois choses, en s’y prenant d’une certaine manière. — Ah ! mademoiselle, vous vous abusez ! — Je pourrais vous assurer que je ne m’abuse pas. — Peut-être mon ami vous en aura-t-il donné la preuve ? — Notre connaissance est trop nouvelle pour cela ; mais, s’il faut parler sincèrement, il m’a prouvé tout le contraire… Vous êtes son ami, je crois que c’est à vous que je dois m’ouvrir à son sujet : M. de Blémont est un homme étrange ! Il répète jusqu’au rabâchage les choses qu’il ne faudrait que laisser entrevoir, encore sous un voile à demi levé. Après quelques minutes d’entretien, il m’a demandé crûment si j’avais de la répugnance pour lui ? Je n’ai su que répondre à un pareil langage, qu’on pourrait appeler grossier. J’ai cependant tâché d’être polie. Mais il a répété tant de fois la même question, qu’il m’a ennuyée. — C’est qu’il vous parlait d’un malheur qu’il redoutait beaucoup ! — Il ne s’en est pas tenu là : il m’a fait très longuement l’insipide histoire d’une femme au-dessous de lui, qui l’a bassement trompé ; il ne m’a pas fait grâce du plus petit détail. Ceci m’a révoltée, et j’aurais quitté la partie, si différentes considérations ne m’avaient retenue, c’est se donner à soi-même un rôle… assez sot, que de se présenter comme dupe ; surtout, lorsque par un aveu sincère de sa conduite, on montre aux autres qu’on a mérité de l’être. — Je conviens avec vous, mademoiselle, que c’est une imprudence de vous avoir tenu ce langage. Mais cela ne marque toujours que la crainte de vous déplaire. — Cette crainte-là ne doit pas s’exprimer ainsi. D’ailleurs à une première visite, il y avait mille autres choses à me dire ! Que ne me tenait-il, par exemple, la même conversation que vous avez eue ensemble à mon sujet et que vous m’avez rendue, le même soir, d’une manière si capable d’intéresser ! C’était ce langage honnête et touchant, que j’espérais ; c’était ce qui m’avait fait accepter son bras, sans répugnance, et même avec plaisir. — Peut-être était-il troublé, mademoiselle ? Avec ce minois si propre à tourner la tête d’un sage, on n’est pas toujours rassis. — Ah ! monsieur Parlis ! je ne vous dis pas tout ! et si la tête a tourné à votre ami, comme vous le dites, c’est dans ce qui me reste à vous confier. Non content de me parler avec… imprudence, et d’une manière fatigante, il a été plus loin encore… et il m’a dit des choses… que je rougirais de vous répéter. — Peut-être aussi, mademoiselle, vous faites-vous des monstres d’un rien, et que votre défaut d’expérience vous rend trop susceptible ? — Je vais tâcher de me faire entendre par un trait, le plus modeste de ceux qu’il a hasardés. J’ai une tabatière, quoique je prenne peu de tabac. Dans un moment d’ennui, ne voyant rien de mieux à faire, je l’ai tirée… — Ah ! vous prenez du tabac ! m’a-t-il dit, que je suis heureux !… » Surprise de cette exclamation, je lui ai bonnement demandé quel bonheur si grand il voyait à cela ? Il m’a répondu, qu’ordinairement les personnes qui ne faisaient pas usage de cette poudre, avaient du dégoût pour celles qui en prenaient, et qu’il se félicitait autant de ce petit défaut, que j’avais de commun avec lui, que s’il avait été une qualité ajoutée à celles qu’il me connaissait déjà. Ce propos ne m’a pas scandalisée ; il n’y avait rien là qu’on ne put dire. Mais il a voulu que j’entendisse, de la manière la plus complète, ce qu’il avait dans l’esprit… Je ne vous donnerai pas le dégoût qu’il m’a causé, par les idées peu décentes qu’il a osé me présenter. J’en étais révoltée, et j’ai intérieurement repassé ma conduite et mes discours avec lui, pour voir si, par quelque indiscrétion, j’avais donné lieu à de tels propos. Je me suis bientôt aperçue qu’il saisissait avidement l’occasion de me mettre sous les yeux des images qui n’y avaient encore jamais été, je vous assure ! et qu’on doit, je pense, toujours éviter de présenter, même à sa femme.

À cette confidence, assez claire, Parlis ne sut que répondre : il ne pouvait douter de la véracité d’Élise ; mais il ne doutait pas non plus de l’honnêteté de son ami ; et comme son cœur ne lui fournissait aucune comparaison, pour juger, d’après la sienne, la conduite de M. de Blémont. Parlis suspendit son jugement. Il avait cependant le cœur ulcéré contre son imprudent ami : mais dévoué, comme il l’était, à ceux qui avaient une fois gagné son estime, il regardait les torts de celui-ci comme un effet de l’humaine faiblesse. Il attendit, pour le juger, l’entrevue qu’il devait bientôt avoir avec lui.

Dans l’intervalle, il tâcha de remettre Élise, en l’assurant que tous les hommes ressemblaient à M. de Blémont, et que chercher un amant, un époux comme ceux des romans, c’était courir après une introuvable chimère. « Mais, lui répondit la jeune personne, je croyais qu’il serait comme vous ; et vous êtes un être bien réel ? — Il est vrai ; mais peut-être avec une meilleure santé, plus de jeunesse, plus de fortune, ne vaudrais-je pas mieux que les autres, et que les autres me valent bien ; leurs défauts viennent des causes extérieures, et leur cœur vaut le mien. » Élise sans doute ne trouva pas ces raisons excellentes ; mais enfin elle ne répliqua pas, et Parlis, comparé aux autres hommes, ne lui en fut que plus cher : elle aurait préféré auprès de lui la fonction pénible de garde-malade, aux fêtes et aux bals avec un autre.

Le lendemain. M. de Blémont écrivit à Parlis, et lui marqua, au sujet d’Élise, des choses qui prouvèrent à ce dernier, que sa jeune amie ne s’était pas trompée. Il fut révolté de sa lettre. Elle lui donna du chagrin ; il avait résolu de n’y pas répondre ; il se mit au lit dans cette pensée ; mais, au milieu de la nuit, il lui vint des idées qu’il crut heureuses ; il ne voulait pas les perdre ; il les coucha sur le papier ; il y faisait des remontrances à son ami sur ses écarts ; il y prenait la défense de la vertu des femmes, et il lui faisait une observation très juste et très sensée ; c’est que les conteurs français, comme La Fontaine, et quelques autres, qui ont copié les auteurs italiens, se sont lourdement trompés au sujet de leurs belles compatriotes, pour le physique de l’amour. Ils les ont représentées sous des couleurs qui ne conviennent qu’aux femmes des pays chauds, et qui ne sont vraies, en France, que pour le demi-tiers des femmes au plus. Si l’on en trouve quelques-unes dans les grandes villes, qui ressemblent aux Italiennes, ce n’est qu’en apparence, et par un dérèglement de l’imagination, plutôt que par un effet de la vivacité de leurs sens. La tendresse est le sûr moyen de gagner une Française honnête, une Anglaise, une Allemande, une Polonaise, etc… Il faut une autre conduite avec les Africaines, et même avec les Espagnoles, quoique ces dernières se piquent de sentiment. Il lui présentait encore cette maxime, vraie jusqu’à un certain point dans sa première partie, mais qui l’est toujours dans la seconde : Dans la jeunesse, on va au cœur d’une femme par les sens ; dans l’âge mûr, on va aux sens par le cœur.

Le matin, Parlis trouvant ce papier tout écrit, il le cacheta, et renvoya à M. de Blémont, sans y rien changer. Mais ce fut peine inutile : le caractère de cet homme, relativement aux femmes, était absolument inconnu à son ami, qui ne se doutait pas même, qu’il fût possible de considérer si peu un sexe, auquel seul nous devons notre bonheur réel. Né en province, où les femmes ne sont pas adulées, mais considérées solidement, il ignorait apparemment, que dans les grandes villes, on leur marque trop de considération, on leur laisse un empire trop absolu, pour que cela soit sincère de la part des hommes ; on les amuse de respects, comme des enfants de joujoux, et au fond on méprise l’idole ; on regarde les femmes comme des folles qu’on ne veut pas contrarier, qu’on laisse se croire reines, souveraines, mais que dans la réalité, on traite comme de viles esclaves, jusque dans la chose où la nature et notre climat avaient établi qu’elles commanderaient. C’est ainsi que l’équilibre se rétablit, en dépit de la mode et des ridicules, idées qu’accréditent journellement les célibataires, pour se faire admettre auprès des belles qu’ils veulent séduire. M. de Blémont vint chez Élise, et sans égard pour ce que lui avait marqué Parlis, le regardant comme un bonhomme qui ne connaissait pas les femmes, il le prit, avec la jeune personne, sur un ton encore plus leste. Mais Élise qui avait résolu de le réprimer efficacement, sans néanmoins réconduire tout à fait, après l’avoir écouté, prit un air froid et sérieux, qui le glaça. Elle garda ce ton avec lui durant tout l’entretien, pour lui prouver que le sien n’était pas ce qu’il fallait avec toutes les femmes. M. de Blémont fut d’abord interdit. Mais bientôt honteux de sa timidité avec une enfant, il reprit ses avantages, et poussa même les choses plus loin que la première fois. Élise rompit brusquement le tête-à-tête, et revint auprès de sa mère, avec laquelle causait Parlis. Son air animé, la sévérité qu’exprimait son regard, quelques mots entrecoupés mirent au fait l’ami de M. de Blemont. Il comprit que ce dernier, loin de s’être corrigé, avait redoublé ses offenses. Il fit en sorte de se procurer avec lui, sans affectation, un entretien particulier.

« Votre belle voisine a le cœur dur et froid, lui dit M. de Blémont. — Sur quoi le jugez-vous ? — Sur la manière dont elle répond à ma tendresse. — À vos désirs peut-être ? — C’est la même chose. — Au Maroc, sans contredit, mais à Paris, non. — Mon cher, je connais un peu mieux les femmes que vous : la lettre que vous m’avez écrite ne contient à ce sujet que des choses vagues. — J’en suis fâché ; je croyais m’y être exprimé clairement et fortement. — Laissez-moi conduire cette affaire ; peut-être paraitrai-je aller moins droit au but qu’un doucereux ; mais les succès que j’obtiendrai seront plus solides. Je me souviens qu’à trente-quatre ans, je fus aimé d’une femme… — À trente-quatre ans, je le crois ; mais à cinquante-cinq, il y faut un peu plus de précautions ; les petits-maîtres échouent, à notre âge, où l’homme sensé réussit. Dans la jeunesse, il arrive au contraire, qu’assez souvent le sage garçon échoue, où le petit maître a du succès ; mais ce n’est jamais qu’auprès des folles. J’ai été jeune comme un autre. J’ai, comme un autre, eu le choix des moyens ; j’avais un mérite personnel, capable de séduire, et qui souvent a eu cet effet ; mais loin de m’en targuer, je n’ai jamais voulu employer que la tendresse avec la femme la moins estimable, et que je ne pouvais respecter, je me respectais moi-même, et je n’avilissais pas la compagne de mes plaisirs : je voulais qu’elle fût reine où elle doit l’être ; je la traitais, non en esclave qu’on soumet à sa passion, mais en souveraine, qui me dispensait le bonheur et la suprême volupté. J’ai toujours ainsi eu le secret de trouver des délices, où d’autres ne rencontraient que du dégoût. Si j’avais été assez malheureux, pour aller chez, une prostituée, j’aurais voulu l’élever jusqu’à moi, au lieu de descendre, jusqu’à elle ; ou je n’aurais pas hasardé une caresse, ou j’aurais voulu que celle à qui je l’aurais faite, m’eût paru disposée à devenir honnête. Tout homme qui dégrade la femme qu’il veut engager à l’écouter, se dégrade lui-même. Celui qui chercherait à corrompre celle dont il prétend faire sa compagne ; qui salirait son imagination, qui lui montrerait de cyniques désirs grassement exprimés, est un homme vil, s’il ne réussit pas ; un infâme corrupteur, s’il parvient à son but. — Voilà de bien grands mots ! voilà des expressions bien fortes, répondit M. de Blémont, pour deux ou trois gaudrioles hasardées avec une fille, que je croyais assez innocente pour ne pas les entendre ! Mais j’en rabats ! Elle a l’oreille alerte ! la conception très prompte, et cela ne s’accorde pas merveilleusement avec une innocence inattaquée ! Il me faut une épreuve rigoureuse, pour revenir sur son compte. Elle ma plu ; elle est charmante ; mais je la crois plus intéressée, que disposée à devenir sensible. Il y aurait eu mille choses à répondre à ce discours ; mais l’amitié ferma la bouche à Parlis. Cependant, lorsqu’il fut seul, il mit ses réflexions par écrit.

M. de Blémont trouve que je dis de grands mots, il aurait dû dire de grandes vérités. Il est vrai que mes expressions paraissent fortes, mais elles sont encore plus vraies. Des gaudrioles hasardées. Quoi ! monsieur de Blémont, vous hasardez des gaudrioles avec une fille dont vous voulez faire votre amie, votre compagne, la consolation et la douceur de vos jours ? Vous commencez par lui salir l’imagination et par lui dire des polissonneries ! Vous vous disposez donc à vivre avec elle en polisson ; mais ne disputons pas sur de vains mots : Si vous étiez seul avec elle dans le monde, peut-être cela serait-il indifférent dans vos principes, mais si vous, homme de cinquante-cinq ans, vous vous montrez en polisson avec une fille de dix-huit à dix-neuf ans, vous vous fermez un cœur dans lequel on ne peut entrer à notre âge que par deux portes, et peut être que par une seule, l’estime. Parvinssiez-vous à corrompre assez rapidement son cœur, pour la mettre en peu de jours à votre unisson, elle vous mépriserait toujours. Elle se souviendrait du temps où elle n’était pas corrompue et elle dirait en vous regardant : « Voilà mon corrupteur… » Ô monsieur de Blémont ! pour un homme d’esprit, vous venez de vous conduire en franche bête, en véritable insensé. Rendez grâce à l’amitié ; plus encore à ma façon d’aimer qui me fait supporter avec longanimité les défauts, les vices mêmes de ceux que j’ai une fois aimé, sans cela je vous abhorrerais ; j’ai besoin de toute la force de mon attachement pour vous en cette occasion, afin de m’empêcher de vous mépriser, de vous haïr. Vous croyiez Élise innocente, forte apparemment : une fille élevée à Paris, qui a été au couvent, qui a vécu avec de nombreuses compagnes de tous les caractères, de toutes les mœurs peut-être, connaît la signification de tous les termes de la langue française, sans en avoir le cœur moins innocent. Elle a entendu vos gaudrioles, parce qu’elle ne pouvait manquer de les comprendre ; d’ailleurs, je sais, par vos propres expressions, que vous avez eu soin de les rendre fort claires. Vous concluez de l’intelligence que vous avez donnée vous-même, qu’on l’avait auparavant, vous faites comme un homme qui, voyant un arbre avec une belle tige dans un jardin, la casse et le fait ensuite arracher parce que la tige est cassée. C’est vous seul qui avez fait connaître les choses dont on connaissait à peine les signes. Il vous faut une épreuve… C’est ce qu’on verra ; car avec une épreuve à votre façon, vous mettriez la jeune personne dans le cas d’être, ou telle que vous l’accusez, ou de vous fuir comme le plus dangereux et le plus vil des hommes. Vous la croyez intéressée ; il est à souhaiter pour vous qu’elle le soit, si vous prétendez à son cœur, et que le motif de la reconnaissance puisse vous le donner un jour, à défaut de l’estime, que vous ne méritez plus. C’est le second moyen, pour les hommes de notre âge, de gagner un jeune cœur, je vous ai indiqué le premier ; mais n’y prétendez plus. Peut-être aurez-vous la folie de lui faire un crime d’être intéressée, c’est-à-dire prudente, prévoyante, en un mot, d’avoir, fille, les qualités qui font la prospérité d’une maison et le bonheur d’un mari dans une épouse. Vous m’accoutumez à vos conséquences et j’y réponds, très persuadé que vous les avez. Eh, dites-moi, plus que cinquantenaire, quel motif voulez-vous donc qui vous attache une fille, si ce n’est la raison (surtout après, qu’en vieux libertin vous avez fermé son cœur à l’estime). Le goût ? Mais le goût naturel est impossible pour un homme de notre âge ; il en faut un factice qui ait pour principe l’amabilité, l’estime ou l’intérêt, peut-être tous les trois ensemble. Voudriez-vous, homme déraisonnable, qu’en vraie folle elle se jetât à votre tête et vous accordât, fille, la dernière faveur ? Mais s’il fallait cela pour vous plaire, ce serait très tant pis pour vous, car vous ne pourriez avoir aucune assurance, aucune confiance dans une pareille folle. Pauvre insensé qui prétendez encore être heureux, et qui voulez des chimères impossibles à réaliser, que je vous plains !… Si Élise est intéressée, elle est raisonnable ; profitez de cette passion pour la déterminer en votre faveur, gagnez son cœur par là ; toutes les autres passions sont le véhicule de celle de l’amour ; employez-les, satisfaites-les, et parvenez au but de vous faire aimer. Abandonnez vos ridicules chimères, vos épreuves extravagantes qui n’auront d’autre effet que de vous rendre malheureux ou de vous couvrir de confusion. Craignez surtout, craignez mon mépris ; il est à votre égard comme un torrent dont les eaux amoncelées sont encore retenues par une forte digue ; mon amitié le contient. Mais ma raison révoltée en légitime et en ramasse les causes.

C’était ainsi, qu’en particulier, Parlis s’occupait de ce qu’il aurait pu dire à son ami ; tandis que d’un autre côté, il lui rendait auprès d’Élise tous les services qu’il pouvait. Ce qui l’y engageait plus fortement encore, c’est qu’à l’instant où il avait cru que son ami pouvait gagner le cœur de la jeune personne, il avait éprouvé un mouvement pénible qui ressemblait beaucoup à de la jalousie ; ce sentiment douloureux s’était comme éteint, lorsqu’il avait vu Élise indisposée contre M. de Blémont : il avait alors repris les vues d’utilité qui l’avaient d’abord déterminé à désirer un établissement avantageux pour elle et une compagne aimable, douce, capable de le rendre heureux à un ami qui lui était cher. Plus l’idée que M. de Blémont ne pouvait plus être aimé se réalisait dans son esprit, plus il désirait de l’unir avec Élise, mouvement naturel d’un cœur qui fait un sacrifice pénible lorsqu’il ne le voit que dans le lointain.

Cependant M. de Blémont rendit une nouvelle visite, sans doute pour réaliser la grande épreuve. Il en dit un mot à Parlis qui ne put l’en dissuader. La mère de la jeune personne, à qui M. de Blémont avait été annoncé comme un parti assuré, laissait aux entretiens de cet homme avec sa fille, toute la liberté qu’il pouvait désirer. Arrivé chez sa maitresse, il lui demanda un tête-à-tête. Élise était tentée de le refuser : mais Parlis lui avait tant dit de bien de M. de Blémont, qu’elle cherchait à se persuader à elle-même, qu’elle s’était trompée et qu’un autre entretien la ferait revenir sur le compte d’un homme, qu’elle désirait d’estimer. Lorsqu’ils furent seuls, la grande épreuve de M. de Blémont parut être d’abord du côté de l’intérêt. Il sonda les dispositions d’Élise à ce sujet. Naturellement franche, la jeune personne avoua, que le premier motif qui l’avait déterminée était la fortune. Elle désirait de se voir un sort assuré, dans le cas où elle viendrait à perdre sa mère. « C’est donc là votre motif ? — Oui, monsieur. — Le goût, l’inclination n’y entrent pour rien ? — Je ne dis pas cela, monsieur ; mais, je suis raisonnable ; mon goût et mon inclination naîtront toujours pour l’homme, dans lequel je verrai le protecteur de ma jeunesse, comme M. Parlis me l’a fait espérer, et l’appui de toute ma vie. — Sans ce motif, vous ne m’épouseriez pas ? — Je ne sais, monsieur, quel autre motif vous désireriez qu’eût une femme en épousant un homme. — Vous êtes fort savante sur ces matières, mademoiselle ! — J’ignore si j’y suis savante, mais pour penser comme je le fais, il ne faut que de la raison. Jeune et sans fortune, si je prenais un homme qui n’en eût pas plus que moi, je serais une charge pour lui, j’augmenterais gratuitement les inconvénients de ma pauvreté ; me faites-vous un crime d’être sensée ? — Je reconnais-là, mademoiselle, les raisonnements de M. Parlis ! — Ce sont les miens, et s’ils ressemblent à ceux de votre ami, j’en suis flattée, car je l’estime beaucoup ; il a un fond de raison qui m’a frappée déjà plus d’une fois. — Quoi qu’il en soit, mademoiselle, je sens que je vous chérirai, si vous le voulez ; vous êtes aimable, charmante… Mais plus vous l’êtes, plus je crains de vous causer de la répugnance. — Je vous le dirais, monsieur, avant de prendre aucun engagement avec vous. — Fort bien ! mais je me défie de votre raison ; elle est si formée, si prudente, si consommée en quelque sorte, que je la crois capable de vous faire aller jusqu’à la dissimulation. Une fois à moi, vous aurez toute ma confiance, mais permettez qu’auparavant je travaille à surmonter tous mes doutes. Vous n’avez pas de répugnance pour moi ? — Le mot seul, monsieur, est fatigant ! — Soit, mais prouvez-moi un autre sentiment qu’exprime un mot plus agréable, dites que vous prendriez du goût pour moi ? — Pour faire naître le goût et le penchant, monsieur, il me semble qu’il est des moyens que vous n’avez pas encore pris. — Ah ! vous allez me les indiquer ? — Mais (reprit Élise en riant) j’aurais l’air d’un pédagogue et M. Parlis dit, que cet air ne va point du tout aux femmes. — Vous aimez bien la doctrine de M. Parlis ! — C’est qu’elle me parait appuyée sur la nature. — Quand on a une si haute opinion des sentiments d’un homme, on n’est pas loin de lui donner son cœur, si on ne l’a pas fait déjà ! — M. Parlis n’est ni plus jeune, ni plus beau que vous ; il manque, même à mes yeux, de certains avantages que vous avez ; s’il sait, malgré tout cela, gagner un cœur par ses sentiments, que n’employez-vous le même moyen ? — Ah ! je suis charmé de cette réponse adroite, ma belle ! et vous voilà pédagogue ? — Vous m’y avez engagée… je ne sais comment. — Si je pouvais aussi, je ne sais comment, engager votre petit cœur, je me trouverais le plus heureux des hommes. — Je me souviens, monsieur, que M. Parlis, en me parlant de vous, après votre première visite, me rendit quelque chose de votre entretien, entre autres ceci : — Qu’elle me rende amoureux, dût-ce être jusqu’à la folie ; je me livrerai moi-même, je lui suggérerai les moyens de me subjuguer, oui, je lui abandonne mon cœur… — Eh bien ! où voulez-vous en venir ? — Mais, d’après la haute idée qu’on m’a donnée de vous, et qui subsiste encore un peu, je ne serais pas fâchée… que vous vous fissiez aimer. — Je vous en ai demandé les moyens ? — Je les ignore peut-être… mais je crois déjà vous en avoir donné un : celui de me faire goûter vos sentiments et pour cela, de ne m’en montrer que de ceux que je puis approuver. — Je vous aime tendrement. — Celui-là ne me… déplaira pas ; je le trouve flatteur. — Je désire ardemment le bonheur d être à vous… que vous soyez toute à moi… de vous posséder… » (Ici, M. de Blémont joignit les actions aux paroles. Élise le repoussa vivement.) « Non, reprit-il, vous ne m’aimerez jamais ! — Je ne vous l’ai pas dit, je ne l’ai pas même pensé. — Mais vos actions le prouvent… Écoutez, mademoiselle, si j’étais de votre âge, peut-être n’aurais-je pas la fantaisie que vous allez entendre ; sûr d’obtenir un jour naturellement votre cœur, je risquerais le mariage, en me proposant d’en bien agir avec vous, mais à mon âge, je ne saurais me flatter à ce point ; cependant, je ne puis être heureux si je ne suis aimé ; si je ne le suis désintéressement, c’est-à-dire indépendamment de ma fortune et même des engagements que je me propose de prendre avec vous… Si votre cœur est incapable d’éprouver ce sentiment nécessaire à mon bonheur, au moins faites-moi une illusion complète en me persuadant que je vous l’ai inspiré… Pour cela, ma belle, je voudrais vous voir prendre en moi une confiance entière, et m’abandonner votre personne, votre intérêt, votre… honneur… oui, jusqu’à votre honneur ? Parlez, belle Élise ? — Je crois, monsieur, que je ne risquerais rien, de confier mon honneur à l’homme qui veut s’unir à moi par les liens les plus forts et les plus doux ; je suis disposée à vous donner cette marque de confiance que vous désirez… Cependant, je voudrais que nous nous fussions vus un peu plus longtemps. — Vous consentez à ce que je désire, je suis content, charmante fille, je ne vous presserai pas davantage aujourd’hui de m’accorder ce que je vous demande, mais j’en désire la promesse pour la première fois ? — Vos discours aujourd’hui, monsieur, m’inspirent déjà cette confiance que vous désirez ; je vous en donnerai toujours des marques plus fortes, à mesure que je vous connaîtrai davantage ; non, je n’hésite pas à vous faire la promesse que vous exigez. »

M. de Blémont qui donnait à cette demande un sens beaucoup plus étendu qu’Élise ne l’entendait, fut enchanté de cette promesse et peut-être regarda-t-elle son triomphe comme absolument décidé. En quittant Élise, il vit Parlis et il lui parla d’elle comme d’une jeunesse absolument à lui. Il devait revenir le surlendemain. Élise eut un jour d’intervalle pour faire ses réflexions sur ce que lui avait dit M. de Blémont ; elle y entrevit quelque mystère et, dans l’après-midi du lendemain, elle consulta Parlis. Cet homme était trop éclairé, pour ne pas découvrir le but de son ami ; tout ce qui suspendit son jugement c’est qu’il l’estimait trop pour en croire ses propres lumières. Cependant, il donna quelques avis sages à Élise sur la conduite qu’il serait à propos qu’elle tint avec son amant. « Tout ce que vous me dites est d’accord avec mes sentiments, lui répondit-elle. Ah ! que n’êtes-vous l’homme que vous m’avez proposé ! — Vous voyez mes entraves, lui dit Parlis avec attendrissement, vous et moi, mademoiselle, nous sommes soumis à l’impérieuse loi de la nécessité. M. de Blemont est libre ; peut-être ce qui vous choque en lui est-il l’effet d’une manière de voir qui ne nous est pas assez connue ? Nous en jugerons mieux après l’entretien de demain. »

On s’en tint à ce parti. Mais Parlis gagnait à ce manège tout ce que perdait M. de Blémont. C’était le premier qui avait la confiance, à qui l’on demandait des conseils ; dont les avis dirigeaient, et toutes ces choses sont aussi essentielles au bonheur d’un mari, que la fidélité conjugale ; la femme qui en prive sans cause un époux qui les mérite, est déjà une adultère ; elle lui ôte une propriété flatteuse et la plus importante peut-être.

La visite attendue avec une égale impatience par trois personnes, car Parlis avait la sienne, eut lieu dès le matin. M. de Blémont accourait à un plaisir assuré, d’après l’idée qu’il s’était tacitement formée d’Élise. Mais dès l’abord, il eut lieu de rabattre les espérances qu’il avait si follement conçues. La jeune personne, éclairée à demi par les conseils de Parlis, en apercevait assez pour se tenir sur ses gardes. Elle reçut M. de Blémont avec une froideur glaçante. Il ne se déconcerta pas et n’en demanda même qu’avec plus d’empressement l’entretien particulier, qu’on lui accorda enfin. Dès son début, sans examiner à qui son discours s’adressait, il employa ces expressions sensuelles qui feraient fuir l’amour s’il était né, mais qui révoltent mille fois davantage une jeune fille, lorsqu’elles sortent de la bouche d’un homme mûr. Élise sentit qu’il n’y avait plus de péril pour elle ; son parti fut pris dès ce moment et, comme elle était sensée, elle comprit tout d’un coup néanmoins, que ce qui était révoltant dans un amant, pouvait être fort supportable dans un mari. Elle arrangea les réponses en conséquence et, sans faire à M. de Blémont des reproches qu’il n’aurait pas sentis d’après les idées sur les femmes, elle le tint sur la réserve sans se fâcher. Elle entendit du mariage ce qu’il entendait des faveurs : elle parut flattée du premier et lorsque M. de Blémont voulut en venir aux secondes, elle ne mit aucune dureté dans sa défense. Ce fut alors que cet homme, cru digne d’estime auparavant par un ami vertueux, exposa nettement son projet. Il déclara sans détour qu’il voulait des faveurs avant le mariage, pour se prouver à lui-même, qu’on le prenait sans répugnance et qu’il serait aimé. Soit qu’Élise n’entendit pas sa demande dans toute son étendue, soit qu’elle voulut encore le ménager dans l’espoir d’un établissement honnête, elle laissa prendre un baiser. M. de Blémont, en véritable écolier, mais un million de fois moins excusable, crut qu’il tournait la tête à une fille de dix-huit ans, qu’il venait d’émouvoir ses sens, ce qui est beaucoup plus difficile pour un homme de son âge que de toucher le cœur ; il hasarda une liberté insultante. Élise ne put alors se tromper à son but ; elle le repoussa et lui fit des reproches de sa témérité. « Sans cela, ma belle, il n’y a rien à faire entre nous, je risquerais trop à mon âge. — Il est vrai, monsieur, que si vous vous proposez de ne jamais employer avec moi des moyens honnêtes, il est inutile d’y penser. Êtes-vous donc incapable d’un bon procédé ? — Comment ! mademoiselle ? — Quoi ! vous ne savez pas vous faire estimer ; exciter la confiance de celle dont vous vouliez faire votre compagne ?… Allez, monsieur, s’il en est ainsi, votre bonheur est impossible et c’est une folie à moi d’entreprendre de le faire ; j’y renonce. Quel homme vous êtes ! Je ne vous aurais jamais parlé de votre âge, parce qu’il n’est pas un défaut à mes yeux ; mais votre conduite m’oblige à vous dire que pour un homme de votre âge, elle est celle d’un fou ? — Voilà d’étranges douceurs, ma belle ! — Elles répondent à vos procédés. Quelle différence de M. Parlis à vous ! Il ne sera jamais vieux, parce qu’il n’aura jamais les prétentions d’un jeune homme. Encore un jeune homme se ferait-il détester, en employant vos moyens. Vous me découvrez la raison du mépris que m’inspira l’amour de Mithridate, lorsque je vis la tragédie de Racine ; le vieux roi s’exprimait comme vous, et si Racine ne l’avait pas rendu ridicule exprès dans cette occasion, je le regarderais comme un sot avec ses beaux vers. Vous n’avez pris que le haïssable et les ridicules des personnages que j’ai vus jouer. De quel triste rôle vous vous êtes chargé là ! — Douce personne, je vous écoute avec admiration ! Quelle sublime raisonneuse ! C’est apparemment M. Parlis qui vous a inculqué toutes ces belles idées-là ? — Non, elles me sont naturelles, j’ai le sens commun, il ne faut que cela pour vous apprécier. Apprenez, d’une fille de mon âge, monsieur, une vérité que vous paraissez ignorer : c’est qu’un homme du vôtre doit employer de tout autres moyens que ceux d’un jeune homme ; ils n’en sont peut-être pas moins assurés quand ses vues ont pour objet une fille raisonnable, mais ils sont essentiellement différents ; un jeune homme plait sans y penser, sans le désirer, sans le vouloir, il plaît par le vœu de la nature ; mais un homme de cinquante ans n’a plus ce vœu pour lui. S’il veut plaire, il n’a que le moyen des procédés, des vertus ; par ceux-là et par celles-ci, l’homme de cinquante ans substitue aux agréments naturels qu’il n’a plus, les agréments factices de la société, les douceurs de la vie, les complaisances, la sûreté de son commerce ; il bannit dans une femme la crainte de l’inconstance d’être un jour négligée, abandonnée ; elle espère, au contraire, d’être fêtée, chérie, traitée presque en enfant gâté, en même temps qu’elle se propose, lorsqu’elle pense bien, d’être une fille tendre, sensible. Quant à l’amour, un homme de votre âge qui compte en inspirer, s’abuse absolument, M. Parlis me l’a plusieurs fois assuré. Mais, en même temps, il m’a prouvé qu’il est facile à un cinquantenaire d’obtenir un sentiment aussi flatteur, s’il ne l’est davantage, exclusif comme l’amour, plus tendre, aussi dévoué ; c’est l’entière confiance unie à la reconnaissance et au devoir. C’est ce dernier qui aurait parlé pour vous à mon cœur et qui aurait fait la douceur de ma vie, quelque acception qu’aient donnée à ce terme certains auteurs doucereux, prétendus philosophes du siècle de Louis XIV. — Voilà, je le répète, mademoiselle, voilà bien du Parlis que vous me débitez-là et nous aurions quelque chose de mieux à dire, surtout à faire ? — Ce mot que vous dites-là, monsieur, qui n’est rien en lui-même, me fait mieux connaître votre caractère que tout le reste. Je vous quitte et retourne auprès de ma mère. Je ne refuse pas votre main, mais je me propose de n’avoir plus d’entretien avec vous que le jour du mariage, s’il a lieu. »

En achevant ces mots, elle courut à la porte, l’ouvrit et laissa M. de Blémont seul. Il la suivit un instant après ; fort irrité d’être trompé dans les folles espérances qu’il avait conçues, il était en colère surtout contre Parlis qu’il soupçonnait de diriger la conduite d’Élise. Au fond, il ne se trompait que dans l’intention qu’il supposait à son ami Parlis, qui voyant que M. de Blémont, avec ses sentiments, ne trouverait jamais le bonheur qu’il cherchait, avait tâché de le forcer à devenir heureux. Il avait en vue son intérêt, autant qu’il avait à cœur celui d’Elise, et il s’était généreusement sacrifié à tous les deux. L’injuste de Blémont n’en eut pas cette idée, que tout parut confirmer dans la suite. Mais ce jour-là, en quittant la mère d’Elise, il joignit Parlis, ils sortirent ensemble et M. de Blémont lui détailla ses griefs. Non seulement, il accusa Élise d’intérêt, de froideur, de savoir beaucoup, mais, interprétant l’indulgence de cette jeune personne à son désavantage, il osa l’accuser de facilité, il en cita des preuves à son ami. Parlis lui fit observer qu’il y avait contradiction et qu’il n’inspirait donc pas de répugnance si l’on avait marqué tant d’indulgence pour des procédés qui n’en méritaient aucune ? Comme il n’avait pas encore parlé à Elise et qu’il ignorait ses nouvelles dispositions, il ménagea M. de Blémont et ne voulut pas avoir à se reprocher d’avoir occasionné une rupture par des reproches trop durs et peut-être déplacés. Il était, cependant, blessé jusqu’au vif des confidences que lui faisait son ami et il réfléchissait au rôle indigne dont on le chargeait gratuitement. Il ne pouvait s’empêcher de penser : mais quelle opinion a-t-il donc de moi ?… » Ce qui redoublait ses doutes, c’est qu’à tout moment il s’apercevait que M. de Blémont avait des idées fausses. En rendant compte de sa conversation avec Elise et de la défense de cette jeune personne. Élise lui avait dit, lorsque les vues avaient été absolument claires : « Mais, si je me rendais aussi légèrement à vos demandes, que penseriez-vous de moi ? — Ce langage, ajouta M. de Blémont, ne marque pas une fille honnête ; elle se rendrait sans le Qu’en dira-t-on ? » Parlis plia ses épaules à une conséquence aussi ridicule, appuyée par un exemple que cita son ami, du temps qu’il avait trente-quatre ans. Une coquette l’avait alors trouvé à son gré. Elle l’avait invité à venir chez elle ; suivant M. de Blémont, une femme ne peut désirer la visite d’un homme que pour lui accorder la dernière faveur (ce qui peut être vrai en Italie, en Espagne, surtout à Maroc, même en Provence). Il arriva donc persuadé qu’il allait être heureux. Il s’en expliqua sur ce ton de la manière la plus leste, et on lui opposa le choquant : « Mais que penseriez-vous de moi si je me rendais à une première visite ? » Il avait répondu avec toute l’impertinence que Crébillon prête aux Français et il avait réussi, dit-il. Mais dabord il y avait ici de grandes différences ! Il avait trente-quatre ans ; il avait affaire à une coquette, à une femme à laquelle il avait plu, qui l’avait invité ; tout était fait et rien n’était fait avec Élise honnête, à laquelle il n’avait pas plu, et aux yeux de laquelle il paraissait un cinquantenaire ridiculement exigeant. Quant au propos qui l’avait choqué, c’est un langage honnête, convenable. Pour refuser une demande prématurée de la part d’un homme dont on voudrait faire un mari, une fille ne peut guère répondre autre chose ; ce qu’on lui demande est un acte légitime dans le mariage, le lui demander avant, c’est lui proposer une chose illicite ; elle peut donc répondre : « Que penseriez-vous de moi si je me rendais ? » Une jeune personne surtout a d’abord cette idée, qui est raisonnable, fondée sur la nature ; la facilité à nous accorder diminuant toujours la confiance de celui auquel on accorde, à moins que ce ne fût le plus présomptueux des hommes. Cette fausseté dans les idées de M. de Blémont, inspira la plus grande défiance à Parlis et de ce moment, il n’osa plus compter sur l’amitié d’un pareil homme. Mais il devait bientôt n’avoir plus de doutes à son sujet.

Parlis regardait Élise comme sa fille ; la manière dont il en avait toujours agi avec elle, avait excité la confiance de cette jeune personne, elle n’avait plus rien de caché pour lui. Elle attendait avec impatience le moment de le revoir pour lui faire part de son entretien avec M. de Blémont, et lui déclarer nettement ses sentiments. Ils étaient dictés par la raison. Élise, toujours la même, se serait encore donnée, persuadée qu’un mari libertin ne l’est plus avec sa femme, mais elle désespérait de pouvoir amener M. de Blémont à conclure, sans un préalable aussi criminel que dangereux. Car, même en cédant, elle n’aurait pas eu l’assurance qu’un tel homme se fut engagé. Quel fond peut-on faire sur celui qui ne respecte rien ; qui, non content de s’élever au-dessus du préjugé, croit ne pas aller assez loin, s’il ne brave aussi les lois les plus nécessaires et s’il ne va jusqu’à outrager la nature ? Un tel homme ne mérite aucune confiance, et si quelquefois il a montré des vertus, elles font l’effet ou de vues intéressées ou d’un caprice du moment ou de la vanité, etc. « Ne comptez plus sur M. de Blémont pour moi, dit Élise à Parlis, s’il n’était pas votre ami, s’il n’avait pas votre estime, je le regarderais comme un lâche suborneur qui aurait cherché à profiter de votre confiance et de ma crédulité pour me deshonorer et me rendre mille fois plus à plaindre que je ne le suis. » Et voyant que Parlis marquait de l’étonnement, elle lui détailla, sans presque rien omettre, tout ce qui s’était passé. Elle n’oublia pas la singulière preuve de non répugnance que M. de Blémont avait voulu exiger, les propos plus que libres qu’il lui avait tenus à cette occasion, jusqu’à lui faire entendre qu’il fuirait une femme dont les détails n’auraient pas certain assaisonnement de volupté qu’il désirait.

Ce coup était le dernier qui pouvait être porté aux sentiments de Parlis pour M. de Blémont. Il ouvrit les yeux ; il vit dans son ami un homme qui avait méprisé sa pauvreté, qui l’avait cru capable de s’avilir, qui peut-être lui avait supposé des vues intéressées. Son imagination ardente s’embrasa ; il frémit de colère, et dans un premier mouvement, il jura le mépris à l’homme qui le traitait en méprisable courrier. Mais il résolut de garder le silence et de se contenter de le fuir à jamais. Parlis vit alors qu’il n’avait pas su jusqu’à ce moment, apprécier les hommes avec sagacité ; en rentrant dans son cœur pour les connaître, il conçut que le plus grand nombre de ceux que renferment les villes a l’âme rompue sans peut-être s’en douter, il se compara ensuite à tous ceux qu’il avait connus et un sentiments de joie abreuva sa douleur. « Combien je vaux mieux que ces hommes ! s’écria-t-il. O Parlis, qu’un noble orgueil te console de tes malheurs, des maux cruels que tu endures et de ta pauvreté ! Qu’ont-ils tous ceux que tu connais, que tu leur doives envier ? » Cette réflexion consolante lui fit supporter avec résignation un des plus grands malheurs de la vie, la perte de l’estime qu’on avait pour un ami.

Mais le sort d’Elise ne l’en inquiéta que davantage. Il fut obligé de renoncer à l’espoir séduisant de faire son bonheur par les hommes d’un âge mûr ; il sentit que c’était mal à propos qu’il avait jugé, d’après son propre cœur, qu’un homme de quarante-cinq ans doit se trouver trop heureux d’obtenir d’une jeune personne un sentiment de préférence, à quelque titre que ce soit. « Je m’étais donc trompé, pensait-il avec douleur, en me figurant que tous les hommes avaient l’esprit assez juste pour penser qu’ils ne peuvent être heureux que par les femmes ! Cette manière si naturelle, dont tous les êtres vivants donnent un exemple à l’homme, n’est sentie qu’imparfaitement, je le vois, parce que la plupart des hommes attendent des femmes autre chose que ce qu’elles doivent leur donner : les uns, comme de Blémont et Charles XII, ne les considèrent que comme des êtres faits pour donner un plaisir matériel, qui n’affecte que les sens et n’intéresse pas le cœur ; les autres, comme la plupart de nos seigneurs qui ont des filles entretenues, les regardent comme des espèces de singes qui les amusent par leurs malices ; ils les agacent, les excitent à mal faire et rient des disparates les plus choquantes, comme de choses merveilleuses ; ils dénaturent ainsi le cœur et le caractère de ces pauvres créatures ; ils en font des espèces de monstres qui paraissent tels à tout le monde, dès qu’elles ont trente ans. Telles ces jeunes chattes, dont les tours et les malices amusent mais qui, devenues vieilles, n’ont plus que le désagréable de leur traîtreux caractère. Cléopàtre, gâtée par Antoine, faisait dissoudre une perle dans du vinaigre et l’avalait, quoique sans suc et sans saveur, par un bizarre caprice de prodigalité ; nous voyons de même tous les jours des courtisanes prodiguer par fantaisie le fruit de leurs charmes et de leur jeunesse, parce que les hommes se sont amusés de leurs caprices, de leurs colères, de leur folie, comme on s’amuse de la fureur de deux coqs que l’on fait battre. N’ai-je pas vu un jour, une de ces infortunées, à qui un amant titré avait donné une maison de campagne, faire mettre en un jour pour mille écus de fleurs dans son jardin et s’amuser, le lendemain, à les fouler aux pieds. Elle sautait sur les tulipes les plus rares quand son amant arrivait. « Monsieur le D…, lui dit-elle, j’ai fait mettre hier ces fleurs dans mon parterre ; mais ce matin, je me suis aperçue que les insolentes voulaient me le disputer en éclat et en fraîcheur, elles avaient fait cette nuit la plus belle toilette, pour briller, à mon préjudice, par leurs belles couleurs et vous rendre infidèle ; moi, je leur fais voir qu’on n’est pas impunément ma rivale : si jamais vous m’en donniez une de mon espèce, je la traiterais comme ces roses, ces tulipes, ces œillets, je vous en avertis, et pis encore. » Le D… se mit à rire. Il trouva cette folie charmante. Il y applaudit et rendit au double la dépense à sa maîtresse… O fous ! qui empoisonnez la source de votre bonheur et qui vous étonnez après d’être malheureux ! ne sentirez-vous jamais qu’elle n’existe que dans les femmes et qu’il faut l’épurer, cette source divine, si vous voulez goûter de vrais plaisirs[3]… Mais comment faire pour Élise ? Elle me rendrait heureux. Et moi, que puis-je pour son bonheur ?… Rien, rien absolument… à moins qu’elle ne voulût s’assujettir au travail le plus continu… Mais alors, pourquoi attacher son sort à celui d’un presque vieillard ? N’aurait-elle pas mille fois plus d’avantages à prendre un jeune homme d’une condition médiocre, fort au-dessous de la sienne, mais laborieux, économe ?… Oui, c’est à ce parti qu’il faut s’arrêter. Ne songeons plus ni à M. de Blémont ni à ses pareils. Je vais le remercier au nom d’Elise et de son contentement. »

Il alla sur-le-champ exposer à la jeune personne ses nouvelles vues, qu’il lui détailla, sans omettre ses réflexions sur lui-même. « Oui, lui dit Elise, remerciez M. de Blémont ; il le faut, et je vous en prie ; mais abandonnez vos autres projets à mon égard.[4] Je ne veux pas du parti que vous trouveriez pour moi ; ma mère, d’ailleurs, ne goûterait pas un établissement de ce genre, quand je serais disposée à m’y prêter. Mais il en est un autre, auquel vous paraissez ne pas faire assez d’attention et qui me plairait davantage, que j’aurais préféré même à M. de Blémont. — Eh ! quel est-il, belle Elise ? — Je vous le dirai ; ne me parlez plus de rien : dans peu, l’occasion se présentera de vous ouvrir mon cœur. Tout ce que je puis vous dire en ce moment, c’est que votre société est le seul genre de bonheur que je désire. Ne m’objectez ni votre âge, ni autre chose ; vous avez fait naître dans mon cœur des sentiments d’attachement et de confiance, que je préfère à tous les autres, quels qu’ils soient. Pourquoi admettre un tiers dans notre familiarité ? Nous pouvons nous suffire ; je travaillerai ; je me plairai à répandre quelque agrément sur vos jours ; quittez tout autre dessein. Nous sommes dans la même maison… Monsieur Parlis, vous m’avez prouvé une vérité, dont je me doutais ; c’est que les bons procédés tiennent lieu de tous les avantages, lorsqu’ils sont portés à un certain point. Je me souviens que vous le disiez un jour à maman et que la nature l’avait voulu, pour que l’être doué de raison, qui a des passions au delà du temps marqué pour les grâces, ne fût pas malheureux sans remède. Oui, monsieur Parlis, on peut être aimé à tout âge, en employant les moyens propres à cet âge ; c’est encore de vous que je le sais. Soyez mon père et mon guide ; soyez davantage ; je me contenterai de votre médiocrité ; je mettrai mon bonheur à la partager ; j’en serai glorieuse ; votre nom m’honorera ; votre mérite personnel rejaillira sur moi : mon attachement, vous le voyez, ne sera pas désintéressé. — Il n’en est pas, Élise, il n’en fut jamais : un attachement désintéressé serait un effet sans cause et il n’en exista jamais de tels dans la nature. Mais, vous, jeune et belle, du goût pour moi ! — Non seulement du goût, puisqu’il faut le dire dès aujourd’hui, mais de la tendresse. — C’est autre chose, mon Élise ; la tendresse peut naître, pour un homme de mon âge, plutôt que le goût. — Je croyais que c’était la même chose. — Pas tout à fait : le goût suppose l’amabilité physique, la tendresse ne suppose que l’amabilité morale, des qualités, du mérite, des bienfaits. — Je vous conçois : c’est donc de la tendresse que j’ai, — Charmante fille ! ce sentiment de votre part sera mon trésor le plus précieux ; mais… s’il suffit pour mon bonheur, suffira-t-il pour le vôtre ? — Oui, soyez-en sûr, et beaucoup plus que tout ce qu’auraient pu faire pour moi tous les de Blémont du monde, avec leur fortune. Remerciez-le, je vous en prie ; marquez-lui mes vrais sentiments à son égard ; je ne l’estime pas, je n’aurais jamais pu l’estimer : son caractère est vicieux, ou vicié, je ne sais lequel ; mais enfin, il n’est pas ce qu’il me faut. Quant à vous, je me donnerai volontiers, contente, je le répète, de partager votre sort tel qu’il est. »

Parlis aurait été enchanté de ce langage, s’il avait été à la place de M. de Blémont ; au lieu que dans sa situation, il n’avait


que le chagrin de ne pouvoir profiter du bonheur qu’on lui offrait. Il résolut de s’expliquer nettement là-dessus avec Élise, avant d’écrire à M. de Blémont. Ainsi, le lendemain. Élise lui ayant demandé s’il avait écrit, il la pria de lui accorder un moment d’entretien.

« Ma chère Élise, lui dit-il lorsqu’ils furent seuls, j’ai senti tout ce que vos discours d’hier renfermaient de flatteur pour moi ; mais permettez, qu’avant de remercier M. de Blémont, je vous expose la situation où je me trouve. Je vous adore ; mais le sort jaloux qui m’a toujours poursuivi, m’ôta les occasions lorsque j’avais les facultés ; il m’offre aujourd’hui ces occasions, qui eussent fait autrefois mon bonheur, lorsque les facultés n’existent plus. Je vous adore ; mais vous n’aurez en moi qu’un ami tendre ; l’amant ni l’époux ne s’y rencontreront jamais. — Quoi ! vous ne voudriez pas me faire porter votre nom ! — Si, mais je ne vous lierai pas avec un être déjà mort. — Eh ! que m’importe ? Si je suis à vous, je me trouverai heureuse ; je le suis dès à présent, si vous me le promettez, si je puis compter là-dessus ?… — Vous me séduisez, mon Élise, mais prenez garde de travailler ici contre vous-même ! — Non. non, ne craignez rien ! La nature semble m’avoir faite pour vous. Remerciez, je ne veux qu’un père tendre et je l’ai trouvé en vous. — Mais je suis votre père dès ce moment. — Je vous veux pour mari. — Il me siérait mal de me faire presser, pour ce que j’ai toujours désiré le plus au monde depuis que je vous connais. J’accepte l’honneur que vous me voulez faire ; mais, ma chère fille, songez bien que je ne remplirai à votre égard que les devoirs d’un tendre père. — Je serai aussi votre tendre fille et, pourvu que j’obtienne tout ce qui dépend de ce titre, je serai contente. Écrivez. » Parlis, déterminé, mit la main à la plume :


Lettre de Parlis à M. de Blémont

Il est inutile, monsieur, que vous rendiez une nouvelle visite à Mlle Elise : elle me charge de vous témoigner sa reconnaissance, pour l’honneur que vous avez songé à lui faire, et dont elle ne veut pas, à vos conditions. Voilà pour ce qui la regarde.

Quant à moi, Monsieur, c’est autre chose, et je ne serai pas aussi bref. Je commence aussi par des remerciements ? Je vous rends grâce d’avoir manqué le bien que j’ai voulu vous procurer, dans une fille honnête et douce, dont jamais vous ne trouverez la pareille : je vous déclare que, malgré ma situation, doublement embarrassante, je vais garder le trésor, que je ne voulais vous donner, que parce que je vous préférais à moi. Le peu de considération que vous m’avez marquée en cette occasion ne m’affecte, que par le tort qu’il vous fait à vous-même. Permettez que je vous expose mes sentiments à ce sujet.

Vous venez, monsieur de Blémont, de me donner une grande et utile leçon ! tout ce que j’y regrette, c’est qu’elle soit toute à vos dépens ! Vous m’avez appris à connaître les hommes : je les soupçonnais à peine tels que vous êtes : cependant, je ne vous regarde plus comme un monstre, idée que j’avais les premiers jours : la réflexion m’a fait changer d’avis à votre sujet… ce n’est plus vous, qui êtes un monstre, dans ma nouvelle façon de penser, c’est moi : quant à vous, mon cher de Blémont, vous ressemblez à la plupart des autres hommes. Depuis que vous m’avez éclairé, je me suis rappelé les discours mille et mille fois entendus de la part de vos pareils ; et je m’aperçois enfin que ce que je croyais un langage affecté, partait du cœur : vous vous ressemblez tous, et Crébillon[5] vous a tous peints des couleurs les plus vraies. Quand les gens au fait de la chronique scandaleuse, parlaient devant moi, des atrocités d’un D…[6], d’un L.-S…, j’avais en horreur ces monstres de luxure, de brutalité, de corruption : grâce à vous, mon cher de Blémont, j’ai changé d’avis sur leur compte ; ils ne sont plus à mes yeux que des hommes ordinaires : ils vous ont une grande obligation ! mais n’y perdez-vous rien ? Jusqu’au moment, où la jeune Elise a été pour moi la pierre de touche de votre caractère, je vous croyais conséquent dans votre logique : j’imaginais que vos idées avaient entre elles de la liaison, une sorte de connexité : mais, à mon grand étonnement, vous m’avez prouvé qu’il n’y avait rien de plus disparate, de plus incohérent que vos opinions. Vous auriez voulu réunir dans Elise tous les contraires, le froid et le chaud, la folie et la prudence, le dévergondage et la pudeur. Vous lui débitiez des obscénités qu’elle n’a pu souffrir et cela vous a fâché ; si elle les avait souffertes, vous l’auriez méprisée comme une catin : vous auriez désiré sans doute en elle une femme économe, aimant la parcimonie, connaissant le prix de l’argent ; et vous auriez voulu que votre maîtresse, éprise pour vous d’une passion folle, n’eût songé qu’aux agréments que vous eûtes jadis, mais qu’elle n’a jamais vus. Qu’auriez-vous pensé d’Elise, si elle vous avait aimé tel que vous vous êtes présenté ! Qu’elle pensait, comme la Chercheuse d’esprit[7] de notre bon ami Favart. Qu’il faut aimer tout le monde. Car, en vérité, pour vous aimer tel que vous vous êtes montré, il faudrait avoir un cœur ouvert au premier venu. Vous auriez été fort mécontent, si l’on vous avait accueilli comme vous paraissiez le désirer ; si l’on vous avait accordé tout ce que vous avez demandé ; et certainement je vous aurais regardé comme un fou, si vous aviez aimé la fille que vous avez paru chercher dans Mlle Elise. D’après votre manière d’agir en cette occasion, voici le conseil que j’ai à vous donner : fuyez toutes les femmes ; il n’en est plus aucune qui puisse vous rendre heureux. Si par malheur vous en trouviez jamais une comme vous paraissiez la chercher, ce serait une prostituée, ou tout au moins une friponne, qui chercherait à vous duper. Vous avez été malheureux et trompé jusqu’à présent ; la première fois que vous me le dîtes, je vous plaignis ; aujourd’hui j’applaudis à celles que je méprisais ; j’ai d’elles une idée presque avantageuse ; elles avaient un reste de vertu et de pudeur, puisqu’elles n’ont pu vous souffrir. Voilà de dures vérités ! mais elles sont conformes aux sentiments que vous m’avez donnés de vous depuis deux mois. Où avez-vous pris une façon de penser comme la vôtre, qui vous porte à dégrader tout ce que vous voulez vous apparier par l’amour ou par l’amitié ? Mon cher de Blémont ! j’ai eu les passions vives ; j’ai donné dans quelques écarts et j’en étais véritablement humilié ; mais, depuis que vous m’avez dessillé les yeux, mes remords sont étouffés ; j’ai agi comme un prédestiné, comparé à vous et à vos pareils. Lorsqu’il m’est arrivé, dans la fougue d’une jeunesse emportée, abreuvée de misère et de douleur, au sein de la plus accablante pauvreté, de chercher des plaisirs faciles, jamais je ne suis descendu au niveau de celle dont je voulais les obtenir : je l’élevais auparavant jusqu’à moi ; si elle n’en était pas susceptible, je me retirais : mais, lorsque j’avais trouvé ce que je cherchais, mes égards, quelques leçons, de sages avis faisaient au moins disparaître le masque affreux de la débauche ; je mettais à découvert au moins le visage de la simple nature, ne pouvant aller jusqu’à faire prendre la livrée de la vertu. Je n’ai jamais été crapuleux, même au centre de la crapule : et vous, mon cher de Blémont, vous avez paru ne pouvoir supporter l’idée de vous lier avec une femme honnête ! Dès le premier mot que vous lui avez dit, vous avez jeté sur son âme pure, le souffle ternissant de la corruption. J’enviais votre sort autrefois ; il me paraissait heureux ; je ne vous envie plus rien ; vos mets sont souillés par les harpies ; toutes vos jouissances sont empoisonnées ; vous êtes le plus malheureux des hommes. J’ai mille fois trouvé le bonheur et la volupté, où ils ne devaient pas être ; je savais les y faire germer : vous les chassez, vous, de l’endroit où ils vous attendent et vous vous plaignez ensuite ne pas les avoir rencontrés ! Le vice et la corruption vous précèdent comme une armée de sauterelles, qui ne laissent ni fleurs, ni fruits, ni verdure ; vous les suivez, malheureux de Blémont, dans un désert dévasté, naguère un pays fertile.

Voilà mes vrais sentiments : mais comme il ne suffit pas de vous faire des reproches et qu’il faut au moins récompenser la peine que vous prenez de me lire ; en vous suggérant quelques vues utiles, permettez à un homme fort au-dessous de vous pour les lumières, la connaissance du monde et des hommes en général, de vous donner cependant quelques instructions sur la manière dont un cinquantenaire, qui sent encore le besoin d’aimer, doit s’y prendre, pour gagner un cœur.

Certainement ni vous, ni moi, nous ne plairons à personne du beau sexe, par les agréments extérieurs ; le prétendre encore, serait une folie. Il faut avoir recours à d’autres moyens et ce sage moyen que vous paraissez ignorer, Molière l’a dit, dans son Ecole des Maris ; il est des vieillards aimables, qui peuvent attacher une jeune femme, surtout dans notre climat, fort différent de celui d’Italie ! Je ne parlerai pas de ceux indiqués par le poète-philosophe ; le but qu’avait Molière et tous les écrivains amusants du siècle de Louis XIV, était d’amener en France cette facilité de mœurs, qui n’y a fait que trop de progrès et qu’il serait utile d’arrêter aujourd’hui. Molière, lui-même, s’il vivait de nos jours, s’élèverait contre ce qu’il a prêché, pour rendre la France agréable aux étrangers, complaire à un roi galant, pour en faire en un mot, un séjour enchanté, un paradis terrestre, où les hommes des autres nations trouvassent tout ce qui n’existait pas chez eux. Car tel était le but des grands écrivains du siècle dernier, tous animés de l’esprit du monarque, et qui allaient par leurs écrits, au même but où il tendait par ses victoires, une sorte de monarchie universelle, non telle que les Espagnols, les Anglais, et l’empereur se le persuadaient, mais plus glorieuse, parce qu’elle aurait été volontaire : il ne faut pas que l’on perde cela de vue, en lisant Molière, Racine, Quinault et nos romanciers d’alors, sans quoi leurs maximes paraîtraient souvent condamnables à un esprit juste… Je disais donc que je ne parlerai pas des moyens indiqués par Molière, pour qu’un homme d’âge mûr s’attache une jeune femme : mais il en est d’autres plus efficaces, plus certains.

Un homme de notre âge, qui veut être aimé, doit se contenter d’abord d’être souffert ; il doit se montrer très désintéressé pour les sentiments et pour les faveurs, le seul des premiers qu’il doit paraître chercher à exciter, c’est la confiance ; pour la mériter, il doit ne paraître occupé que des intérêts de la jeune personne, de son bonheur, indépendamment de ce qui le concerne ; il doit paraître disposé, le dire même, à la céder à un homme plus jeune, pourvu qu’il fût aimable et qu’il sentît comme lui de quel prix est son cœur, la possession de sa personne, ses jeunes et touchants attraits : mais en même temps, il paraît désespérer de trouver jamais un homme qui lui soit aussi dévoué, qui sente autant ce qu’elle vaut, qui désire aussi passionnément de la rendre heureuse ; ce moyen, bien employé, est immanquable pour faire naître la confiance. Dès qu’on s’aperçoit qu’on l’a fait naître, il faut la soutenir par un autre sentiment, qui la fortifie de la manière la plus efficace : la reconnaissance. Tout pauvre que je suis, monsieur de Blémont, j’ai suivi cette route, et elle m’a toujours réussi. Après avoir montré la meilleure volonté, je la prouvais, par quelques présents conformes à mes facultés ; comme elles ne sont pas considérables et que je ne pouvais revenir souvent à la charge, il était important de bien connaître ce qui flattait davantage la jeune personne. Le premier présent fait à Elise, dont, quoique vous en pensiez, l’âme est belle et généreuse, a été un petit don à une amie, alors dans un cruel embarras. Vous auriez été enchanté de l’effet que cela produisit sur elle, vous qui ne croyez plus à la vertu, surtout dans les femmes ! Flatté de mon succès, je fis un second plaisir du même genre, un peu plus considérable. Ces deux actes de bienfaisance m’acquirent absolument le cœur d’Elise, comme peut l’avoir un homme de quarante-cinq ans. Ce fut alors, ô le plus ingrat des hommes, qui m’avez si cruellement blessé ! ce fut alors, que je profitai de tout mon crédit sur son esprit, de toute la confiance qu’elle m’avait donnée, pour commencer à vous louer, car je vous croyais digne de la rendre heureuse. Elle m’écouta : elle désira de vous voir, comme mon ami. Je fortifiai ce nouveau sentiment, par de nouvelles marques d’attention, qui ne sont rien, mais qui marquent combien on désire d’effectuer tout ce qui flatte une jeune personne. Un soir, elle parla d’un genre d’ornement nouvellement à la mode pour les oreilles ; je ne dis rien ; mais comme le prix était modique, le lendemain à son lever, elle l’eut, le mieux choisi qu’il me fut possible. Elise me regarda pour lors, non seulement comme un bon cœur, un homme essentiel, obligeant ; mais comme un homme galant, qui réunissait l’agréable à l’utile. Tout cela n’a pas monté fort haut et ç’aurait été moins que rien pour vous ; cependant cela produisit les plus grands effets ! On augura de ma conduite, que mon ami devait me ressembler ; on prit de vous l’opinion la plus haute et c’était précisément ce que je voulais, parce qu’alors je désirais votre bonheur à l’égal du mien.

Voilà donc Elise, à peu près aussi disposée à vous donner sa tendresse, que si vous eussiez été jeune, aimable. Vous paraissez alors. Mais quelle est votre conduite ? Vous ne montrez à cette jeune personne, dont vous espériez la douceur de vos jours, qu’un effronté cynisme ; vous ne lui dites que des choses capables de la faire rougir ; vous lui inspirez, par vos propos obscènes, cette répugnance que vous paraissiez craindre : vous lui faites savourer, avec une affectation barbare, tous les désagréments de votre âge et de votre expérience contre les femmes ; vous ne lui parlez que de celles qui vous ont trompé. En cas pareil, j’avais fait tout le contraire ; je ne lui avais parlé que du dévouement généreux qu’avaient eu pour moi celles dont j’avais su me faire aimer ; je l’ai plus d’une fois intéressée par des récits de ce genre : mais sans y trop appuyer et surtout, sans paraître prétendre encore aux mêmes avantages ; ce qui serait à présent une prétention ridicule. Vous avez été plus loin ; vous avez exigé des faveurs proscrites par l’honnêteté, sous le prétexte frivole qu’elles étaient nécessaires, pour vous prouver qu’on pouvait vous supporter à votre âge. Mais qu’avez-vous donc fait pour l’être ? À quel titre auriez-vous été aimé ? Avez-vous fait la moindre chose pour cela ? Non, monsieur de Blémont, il est fort indifférent par quel moyen on gagne un cœur, pourvu qu’il le soit réellement : c’est une vérité que vous paraissez encore ignorer. Il est indifférent que ç’ait été le goût, le penchant, la tendresse, la confiance, la reconnaissance, l’intérêt même, pourvu qu’enfin nous nous soyons attaché le cœur d’une jeune fille : en continuant de vivre avec la personne, et de la bien traiter, l’attachement s’épure et fait notre bonheur. Avez-vous vu dans les villages, les veuves se meurtrir le sein et s’arracher les cheveux sur le tombeau d’un mari, que la mort leur enlève à la fleur de ses ans, dans la vigueur de l’âge, au sort des affaires ? Elles ne croient pas déshonorer leur attachement et leur douleur, en mettant l’intérêt au rang des principaux motifs de leurs larmes et de leur désespoir : pauvres enfants ! qui vous nourrira !… Malheureuse que je suis, j’ai perdu mon soutien, mon appui, celui qui me donnait du pain et qui faisait prospérer la maison ! Que vais-je devenir ? Qui me soutiendra ? j’ai perdu mon gagne-pain. Il était si travailleur ! si ménager !… Elles disent tout cela, et le répètent plus souvent que les autres qualités morales. Elles rougiraient même de dire, je l’aimais, ou il m’aimait tant !… Vous ne connaissez pas le cœur humain, de Blémont ; non, vous ne le connaissez pas ! Vous n’avez que des idées fausses. Vous vous êtes persuadé que vous seriez trompé, si vous aviez multiplié les motifs d’attachement à votre égard de la part d’Elise ; et pour ne pas les multiplier, vous n’en avez donné aucun. Ensuite, en véritable insensé, vous avez été surpris qu’elle n’ait pas eu d’attachement pour vous ! Si elle en avait pris, de Blémont, savez-vous quelle idée je me serais formée d’elle ? C’est qu’elle aurait été viciée, corrompue, puisqu’elle ne se serait attachée à vous que par les motifs corrupteurs que vous lui présentiez. Eh ! quels motifs encore ! Dites-moi, si Elise avait eu des sens assez inflammables, pour prendre feu, comme vous le désiriez, aux propos libres d’un cinquantenaire, dans la bouche duquel ils sont et doivent toujours être repoussants, quelle assurance auriez-vous pu avoir, qu’ils n’auraient pas eu plus d’efficacité dans la bouche d’un jeune homme ? Quelle assurance auriez-vous eue de sa fidélité ? Malheureux ! Homme aveugle et déraisonnable, si jamais vous vous liez avec une femme, du caractère que vous avez paru désirer. Elise sera trop vengée, et vous lui ferez pitié, quelqu’irritée qu’elle soit contre vous ! Vous voulez des sens chauds ? Sachez qu’un cœur tendre est mille fois préférable dans tous les pays, avec les hommes de tous les âges, mais surtout pour un cinquantenaire, tel que vous. Des sens chauds ! Ah ! pauvre insensé, qui avez si bien goûté pour autre chose, la morale de Boccace et de Lafontaine, vous demandez ce qui vous mettrait bientôt au désespoir, en vous faisant recourir au calendrier des vieillards !… Que vous êtes inconséquent ! Quelle folie est la vôtre ! Vous paraissez tout ignorer. Il n’y avait qu’une chose à faire, gagner la confiance, et par elle, la tendresse : vous auriez vu alors, que toute femme a les sens chauds pour l’homme qu’elle veut rendre heureux. Vous prétendez juger une femme… Je n’ose répéter ici votre idée : mais vous trouverez toutes les femmes telles que vous craignez si fort qu’elles ne soient, après une épreuve du genre que vous la voulez faire ! Il n’en est pas, ou presque point en France, qui vous réponde d’abord comme vous le désirez ; il faut, pour cela, passer en Italie, en Espagne et jusqu’au Maroc, à moins que vous n’ayiez affaire à ces femmes expérimentées, qui se sont fait un art particulier, qui les rapproche des Africaines par la manière, quoiqu’elles en soient fort loin par le sentiment (prenant ce dernier mot au physique) !

J’aurais pu me dispenser d’en tant dire : mais je ne suis pas encore assez indifférent à votre égard, pour rompre avec vous par le silence. On aime encore celui à qui on détaille si longuement les causes d’une rupture : on cesse de voir l’homme qu’on méprise : on dit cent fois à l’homme à qui l’on tient encore : Je ne vous verrai plus…

Je suis, votre très humble serviteur,

Parlis.
« Je me donne au mérite. Il remplace à mes yeux ta fortune et
la jeunesse. »
(p. 86.) (Gravure de Binet.)

Après avoir écrit cette lettre et l’avoir lue à Elise, Parlis la cacheta et sortit pour la mettre lui-même à la petite poste. Comme il entrait dans un bureau, il aperçut M. de Blémont qui venait sans doute chez Élise : il fit en sorte de ne pas être vu de son ami, qu’il laissa passer ; mais il garda sa lettre et revint sur ses pas. Il trouva M. de Blémont avec la mère d’Élise. La jeune personne était présente : son air était enjoué, elle ne redoutait plus rien de M. de Blémont et elle était ravie de l’arrangement pris avec Parlis. Son enjouement et sa gaieté la rendaient encore plus aimable. M. de Blémont ne savait que devenir ; son goût revenait avec force, mais il ignorait si la gaieté qu’il voyait était causée par le plaisir qu’on avait de le revoir ou si elle avait un autre motif. Cependant il fut à la fin tenté de croire ce qui le flattait davantage. Elise lui disait des choses obligeantes ; c’est qu’elle ne s’intéressait plus à lui, elle n’avait plus rien à en craindre ni à en espérer, pourquoi aurait-elle tenté de le corriger ? Il demanda un entretien particulier dans la ferme persuasion que ses affaires ou ses desseins avec Élise allaient prendre une tournure favorable. La mère d’Élise y consentit. Mais la jeune personne déclara qu’elle n’avait rien à entendre qu’en présence de sa mère. M. de Blémont fut très surpris de ce langage ; il insista. « Non, monsieur, répondit Élise ; si vous aviez retardé votre visite actuelle d’un jour, de quelques heures même, vous auriez su la raison de ma conduite, mais j’espère qu’à votre retour chez vous, une lettre vous instruira. — Une lettre ! Mademoiselle ? — Oui, monsieur. — De vous ? — Non, je n’écris pas ainsi aux hommes ; elle est de M. Parlis. — De vous, mon ami ? — De moi-même, la voilà ; je vous la remets en main propre. — Ah ! voyons… si madame et mademoiselle le permettent ? » La mère d’Élise ayant fait un signe d’approbation. M. de Blémont brisa le cachet et changea de couleur dès la première ligne. Cependant il ne s’interrompit point, il continua sa lecture, qui fut très longue et pendant laquelle Parlis remonta chez lui. Après avoir lu la lettre et l’avoir méditée (car on s’apercevait qu’il recommençait plusieurs passages), il parut fort interdit. Il demanda timidement à Élise si elle savait le contenu de la lettre. « M. Parlis me l’a lue deux fois, monsieur. — Ce sont aussi vos sentiments ? — Oui, monsieur. — Et la gaieté que vous avez montrée en me voyant, vient de la peine que vous avez pensé que cette lettre me ferait ? — Non, monsieur, elle vient de la joie que je ressens d’avoir déterminé M. Parlis ; vous n’y entrez pour rien. — Vous êtes donc bien irritée contre moi ? — Pas du tout ! je vous dois un bien que je n’aurais jamais obtenu, car je suis certaine que maman sera charmée que M. Parlis devienne son gendre. » Comment ? dit la mère. « C’est, maman, que M. de Blémont ne m’ayant pas trouvée digne de lui, M. Parlis veut bien s’offrir comme un pis aller, et qu’il doit vous demander ma main dès aujourd’hui. — Ah ! j’ai toujours beaucoup estimé M. Parlis, mais ce que vous me dites de monsieur me surprend ! — Mademoiselle s’exprime d’une manière qui doit effectivement vous surprendre, madame ; la vérité est que c’est elle qui me refuse. — Oui, d’après ce qui s’est passé. Je ne comptais même plus avoir l’honneur de vous voir. — Voilà une lettre bien dure. — Je suis persuadée néanmoins qu’elle vous parait ne contenir que des choses vagues, des lieux communs, et qu’au fond, elle vous affecte peu. — Ce n’est pas un chef-d’œuvre de raisonnement. — Je le crois, pour vous, mais pour moi, je ne trouve rien d’aussi sagement pensé ; c’est un chef-d’œuvre, à mon jugement, et j’ai mauvaise opinion de vous d’être d’un autre avis. — C’est que tout ce qui vient de la part de M. Parlis vous parait excellent. — Ah ! il est vrai, même ce qui n’est rien moins que bon, j’en ai un exemple récent, et je vous ai l’obligation de m’avoir détrompée. — Comment ! voilà de l’ironie de l’espèce la plus sanglante, car elle finit par un reproche très dur ! — Ce n’est pas un reproche, c’est l’expression très simple d’une vérité. »

En cet endroit, il survint une affaire à la mère d’Élise, et cette dame passa dans une autre pièce.

« J’espère, mademoiselle, reprit M. de Blémont, que vous m’expliquerez mes torts ? — Vous venez de les lire. — Mais cela est bien vague ! — Je le trouve très précis et je n’ai rien à y ajouter. — Ainsi, vous allez épouser Parlis. — C’est ma plus chère espérance. — Il n’est pas riche. — Tant pis pour lui, mais non pour moi ; je l’aime pauvre, je l’estime, je m’honorerai de lui appartenir. Il ne m’a point avilie, il m’a toujours marqué une considération flatteuse ; il n’a pas exigé des sentiments que je lui donne volontiers. — Il est heureux ! — Oui, si son bonheur dépend de ma tendresse, il est le plus heureux des hommes. — Il a votre tendresse ? — Il a tous les sentiments flatteurs dont mon cœur soit susceptible. — Son âge n’y fait rien ? — Rien absolument. — Est-ce sa figure, sa personne, ou son mérite qui vous ont attachée ? — Ses procédés, son caractère, les sentiments obligeants, voilà ce qui lui donne mon cœur. — Cependant vous auriez consenti à vous donner à moi ? — Je croyais que vous lui ressembliez. — Vous m’auriez aimé ? — Certainement, avec les mêmes dispositions à mon égard, qu’a montrées M. Parlis. — Je m’y suis bien mal pris ? — Lisez votre lettre, elle répond à tout. — Je m’y suis pris avec vous, mademoiselle, comme doit faire tout homme qui connaît le monde et les femmes. — Si c’est là ce que produit dans vos pareils la connaissance du monde et des femmes, c’est un triste avantage ! car il n’est propre qu’à vous faire détester. — Vous n’avez apparemment pas le cœur fait comme les autres ? — Je crois que si, mais je vous crois beaucoup d’orgueil ; vous avez dédaigné un moyen suggéré par M. Parlis. Je ne crois pas que vous ayiez jamais connu de femme honnête, du moins comme inclination, votre conduite semble le prouver ; ou si par hasard, vous en avez connues, elles vous ont fort maltraité ! Vous devez en être très mécontent ! C’est pourquoi vous les craignez, vous paraissez, en abordant une femme pour la première fois, vouloir vous assurer qu’elle n’est pas de celles que vous appelez de froides bégueules, et pour cela vous tenez un langage impardonnable. Je souhaite que vous vous corrigiez de cette manie, mais je ne suis plus intéressée à votre changement que pour vous. — C’est être généreuse ! … Mais vous m’auriez aimé, agissant à la Parlis ? — Oui, monsieur, il aurait été impossible qu’il en fût autrement. — Si je pouvais le croire ! — Croyez-le, si vous voulez, qu’importe et pour vous et pour moi. — Pardonnez, il importe. Je connais Parlis… Daignez seulement m’assurer que ma conduite conforme à la sienne me ferait aimer ? — Vous changez l’état des choses ; il n’est plus question de cela. Jamais je ne vous aimerai, mais je n’avais pas d’éloignement pour vous, c’est tout ce que j’ai prétendu vous dire. »

M. de Blémont allait continuer, lorsque la mère d’Elise rentra. Madame, lui dit-il, ce qui nous avait brouillés n’est qu’un malentendu, je vais monter chez Parlis pour le prier de faire ma paix. » Il y fut en effet. L’âme de Parlis était généreuse et sans fiel ; il se sacrifia une seconde fois au bonheur d’Élise et promit de tout employer pour la ramener, à condition que son ami n’y apporterait aucun obstacle, et qu’il emploierait les moyens les plus propres à se faire aimer. M. de Blémont, changé en apparence, promit tout et quitta Parlis en lui donnant carte blanche pour les arrangements.

Ce fut alors que cet homme sensible déploya toute sa générosité ; il tâcha de fléchir Élise, de la toucher, de l’attendrir, il parla surtout à sa raison. Elle consentit enfin. Parlis se hâta d’en donner avis à M. de Blémont, qui vint sur-le-champ. Mais dans l’entretien qu’il eut avec Élise, cet homme ne put s’empêcher de retomber dans ses premiers écarts. La jeune personne les dissimula d’abord. M. de Blémont n’en devint que plus audacieux ; il poussa les choses si loin qu’il obligea sa maitresse à sortir des bornes en lui donnant un soufflet. En même temps elle s’échappa de ses mains et s’enfuit auprès de sa mère. Elle garda cependant le silence avec elle, mais elle ne déguisa rien à Parlis à qui elle protesta qu’elle renonçait pour jamais à M. de Blémont. Ce dernier ne s’était pas encore retiré. Élise et Parlis le trouvèrent auprès de la mère. L’air sévère de Parlis fit comprendre à M. de Blémont qu’Élise l’avait instruit. Mais il n’en parut pas troublé, il se croyait trop au-dessus du bonhomme Parlis pour rougir devant lui. « Je viens madame, dit le dernier, vous demander la main de Mlle Élise ; quoique pauvre, je ne manque pas de ressources et je vous en ferai voir de plus d’une espèce. — Je ne m’oppose à rien de ce qui plaît à ma fille, répondit la dame, c’est un homme honnête qui me la demande, et c’est pour elle qu’elle se marie. — Je me donne au mérite, dit alors Élise ; il remplace à mes yeux la jeunesse et la fortune, mais rien, lorsqu’il manque, ne saurait le suppléer. Adieu, monsieur de Blémont, votre exemple et celui de l’époux qui va m’honorer de son alliance, prouveront que l’homme peut être aimé à tout âge, parce que l’attachement qu’il inspire aux femmes honnêtes a des motifs différents du goût que notre sexe fait naître en vous ; une femme, sans les grâces et la beauté, est un être nul, parce que nous devons essentiellement plaire ; au lieu qu’un homme privé des agréments de la jeunesse et de la figure peut encore être tout ce qu’il faut que soit un mari, un protecteur, un guide éclairé, un chef respectable. Vous n’auriez été rien de tout cela pour moi, vous êtes indigne de moi. » En achevant ce discours, elle donna sa main à Parlis, qui la reçut avec transport. Mais leur mariage ne s’accomplit pas. M. de Blémont excité par ce qu’il venait de voir, agit si vivement auprès de son ami, que ce dernier lui céda enfin Élise. M. de Blémont l’épousa, et Parlis plus amoureux qu’il ne le croyait en est mort de douleur…

La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans

Les Deux Cinquantenaires

La Dernière Aventure d’un homme de quarante-cinq ans

  1. Maîtresse et, à en croire celui-ci, fille de Restif. Elle habitait en 1756, quand il la connut, rue Saint-Honoré, et se livrait à la prostitution. Elle avait alors dix-sept ans. « Jamais la nature ne forma rien de comparable, en beauté comme en mérite, à Zéphire… Rien au monde, dans aucun livre, d’aussi pur, d’aussi intéressant que Zéphire ; et elle était prostituée, vierge cependant, et la vertu même, quand il la rencontra, la sauva. » (C’est du moins ce qu’affirme Cubiéres-Pahnezeaux dans sa Notice sur la vie et les ouvrages de Restif de la Bretonne, placée en tête de la Bibliographie et Iconographie de tous les ouvrages de Restif de la Bretonne, par le bibliophile Jacob, p. 9.
    Restif a longuement parlé de Zéphire dans Monsieur Nicolas, t. II. pp. 183 à 316 : t. m, pp. 36, 63, 92, 139, 158, 222, 239, 236.
  2. Après un premier essai fait en 1653 par M. de Velayer, maître des requêtes, la petite poste fut définitivement organisée, de 1758 a 1760, par Piarron de Chamousset, maître des comptes. « Il sera établi dans notre ville de Paris, disait la déclaration royale du 8 juillet 1759, différents bureaux pour porter d’un quartier dans un autre, dans l’enceinte des barrières, des lettres et paquets, sur le pied de deux sols par lettre simple, le billet ou carte au-dessous d’une once, soit qu’il y ait enveloppe ou qu’il n’y en ait pas, et trois sols l’once pour les paquets : et à l’effet de prévenir les abus, le port sera payé d’avance ; les lettres et paquets seront timbrés du timbre particulier à chaque bureau dont ils seront partis ; toutes les lettres et tous les paquets seront apportés à un bureau général pour être de là distribués dans la ville. »
    Le service de la petite poste commença à fonctionner le 9 juin 1760. Il formait neuf bureaux auxquels étaient attachés cent dix-sept facteurs.
  3. Ces réflexions de Parlis étaient d’accord avec la façon de penser, juste et raisonnable à l’égard des femmes : elles rentrent dans la doctrine constamment exposée dans les Contemporaines, qui est, que les femmes doivent être également subordonnées et considérées ; qu’on doit les traiter avec de tendres égards, les respecter, comme les dépositaires de la génération future, en même temps qu’on les oblige à se tenir à la seconde place : ce n’est pas, comme le prétendent certaines pies grièches, et les célibataires, plus condamnables qu’elles, pour tyranniser le second sexe, mais pour le préserver : son imagination, toujours jeune, le porte trop facilement aux extrêmes, pour qu’on lui laisse l’empire, ni même l’égalité. Je suis l’homme du monde qui honore le plus les femmes ; je les chéris ; je les adore ; et c’est par cette raison, que je leur répète sans cesse : Soyez subordonnées.
    (R.)
  4. Le lecteur est prié d’observer ici, que le Quarantecinquantenaire représente Elise, comme il voyait Sara, dans le temps où il composait sa Nouvelle épisodique. On ne pouvait mieux réussir à peindre la force et la bonne foi de son attachement.
    (R.)
  5. Le Ménage parisien de Restif contenait de nombreuses et vives attaques contre des écrivains contemporains, et notamment contre Crébillon fils. Celui-ci fut nommé censeur de l’ouvrage et autorisa l’impression qui eut lieu en 1773. Depuis cette époque, Restif, aussi reconnaissant que son caractère le lui permettait, témoigna à Crébillon fils une admiration intermittente.
  6. Dulaurens ? Le bibliophile Jacob suppose que l’abbé Dulaurens, auteur du Compère Mathieu et de la Chandelle d’Arras, est le prototype de Gaudet d’Arras, que Restif met en scène dans Monsieur Nicolas.
  7. La Chercheuse d’esprit, opéra-comique en un acte, fut jouée pour la première fois à la Foire Saint-Germain le 20 février 1741.