La Dernière Guerre maritime/05

La bibliothèque libre.


Nelson
Jervis et Collingwood,
Études sur la dernière guerre maritime.


I. The Dispatches and Letters of vice-admiral viscount Nelson. — Londres, 1845-1846,7 vol. in-8o.
II. The Letters of lord Nelson to lady Hamilton, 2 vol.
III. Memoirs of admiral the right hon. the Earl of Saint-Vincent. — Londres, 1844,2 vol.
IV. A Selection from the public and private Correspondence of vice-admiral lord Collingwood, interspersed with Memoirs of his life, by G. H. Newnham Collingwood ; 2 vol.
V. Précis historique de la Marine française, par M. Chassériau. — Paris, 1845.
VI. Documens inédits des archives de la marine.


CINQUIÈME PARTIE.

LES MARINES DU NORD. — LA FLOTTILLE DE BOULOGNE.



I.

Au moment où Nelson rentrait à Londres, les puissances du Nord, rassemblées par un grief commun, plaçaient sous la redoutable sauvegarde de la Russie les intérêts des neutres, profondément blessés par les prétentions du cabinet britannique, et la dignité trop long-temps méconnue des marines secondaires. La prédiction de Nelson se trouvait accomplie : « après avoir commencé cette guerre avec l’Europe entière pour alliée, l’Angleterre avait en face l’Europe entière pour ennemie. » D’un côté, l’énergie réglée de la France disposait contre la Grande-Bretagne des forces militaires de la Prusse et des ressources maritimes de l’Espagne ; de l’autre, l’agitation maladive du successeur fantasque de la grande Catherine fermait aux Anglais l’accès du continent, des rives de la Néva jusqu’à l’embouchure de l’Elbe. Si quelque chose pouvait diminuer la portée de cette dernière coalition, c’était la singulière coïncidence qui plaçait alors sur les trônes du Nord de si excentriques dépositaires du pouvoir absolu. En Danemark, Christian VII était tombé en enfance, mais là du moins le fils de l’infortunée Mathilde, sœur de George III, le prince royal, depuis Frédéric VI, avait pris d’une main ferme les rênes du gouvernement ; Gustave IV, en Suède, semblait souvent atteint d’une secrète démence, et l’empereur de Russie, par ses manies chevaleresques, par sa politique versatile et bizarre, laissait percer aussi le fou sous le despote. Quant aux forces matérielles dont disposait la ligue des neutres, les documens recueillis par l’amirauté britannique en donnaient une idée vraiment formidable. Ces documens portaient à 82 vaisseaux de ligne les forces navales de la Russie, à 23 celles du Danemark, à 18 celles de la Suède ; mais, comme toujours, il y avait de larges éliminations à opérer dans ces chiffres pour déduire de cette puissance nominale la puissance effective de ces trois marines. La Russie ne possédait réellement, en 1801, que 61 vaisseaux en état de prendre la mer, et la moitié de ces vaisseaux, réunie en ce moment dans la Méditerranée ou dans la mer Noire, formait une flotte entièrement isolée de celle de la Baltique. Cette dernière flotte, composée de 31 vaisseaux, était elle-même dispersée et retenue par les glaces dans les ports de Saint-Pétersbourg, Archangel, Cronstadt et Revel : sur ces 31 vaisseaux, elle en comptait vingt à peine qui fussent dignes d’entrer en ligne ; encore ceux-ci étaient-ils mal équipés, plus mal armés encore, et commandés par des officiers qui n’avaient aucune habitude de la navigation en escadre. Cette puissance navale qui, depuis un demi-siècle, a réalisé de si grands progrès, n’était donc, en 1801, menaçante que sur le papier. Connue seulement de l’Europe par quelques escarmouches contre les Turcs, elle n’était alors, comme la marine de ces derniers, qu’un fantôme qui devait s’évanouir sans résistance sérieuse devant des vaisseaux formés par huit années de guerre.

Il n’en était point tout-à-fait ainsi des 11 vaisseaux dont le roi de Suède pressait lui-même l’armement à Carlscrona, ni des 10 vaisseaux qui, déjà préparés à Copenhague, n’attendaient plus pour entrer en campagne que les marins qu’on se hâtait de faire venir des ports de la Norvége. Sans doute ces escadres auraient eu beaucoup à apprendre pour arriver à la précision de mouvemens, à la perfection de détails, qui distinguaient les escadres anglaises ; mais c’était une infériorité qu’elles eussent pu racheter par la meilleure composition de leurs équipages. Le commerce des neutres, ce commerce pour lequel s’armaient en ce moment les puissances du Nord, avait pris un immense développement depuis 1793, et avait dû former de nombreux matelots. Le commerce de l’Angleterre avait bien, il est vrai, suivi la même progression : il couvrait alors le globe de ses 19,000 navires ; mais, obligée de se garder sur tant de points, de faire face à de si redoutables ennemis, l’Angleterre, pour trouver dans sa population maritime de quoi suffire à sa navigation marchande et à l’armement de ses 472 bâtimens de guerre, se voyait obligée de recourir à toutes les ressources, à tous les moyens extrêmes. Non contente de recruter ses équipages à main armée dans les rues, elle jetait sur ses vaisseaux des vagabonds de tous les pays[1], et jusqu’au trop-plein de ses prisons. Elle comptait sur une discipline inflexible pour dompter ces natures rebelles et les accoutumer à la mer ; cependant il était résulté de cette confiance imprudente des révoltes difficilement comprimées, des revers inattendus et des désertions si fréquentes, que, de 1793 à 1801, elles enlevèrent à la flotte anglaise plus de 40,000 hommes.

Les équipages des escadres de Carlscrona et de Copenhague eussent donc pu facilement l’emporter par le choix des hommes sur les équipages anglais, puisque l’interruption d’un commerce très actif devait permettre à la Suède et au Danemark de puiser à pleines mains, pour recruter le personnel de leurs escadres, dans une population considérable, habituée à la plus rude navigation du monde. Ces escadres d’ailleurs, si les Anglais osaient les poursuivre jusque dans la Baltique, allaient posséder sur l’ennemi qu’elles auraient à combattre l’immense avantage de se mouvoir dans une mer dangereuse dont la navigation leur était familière, et, en admettant qu’elles parvinssent à opérer leur jonction avec la flotte russe mouillée dans le port de Revel, elles devaient présenter une réunion de 30, peut-être même de 35 vaisseaux, devant laquelle eût bien pu s’effacer le prestige qui faisait depuis long-temps la principale force de la marine anglaise. Mais le comte de Saint-Vincent, qui, à l’avénement du ministère Addington, remplaça lord Spencer à l’amirauté, avait appris à envisager de sang-froid les coalitions maritimes et à faire entrer dans ses calculs le défaut de concert qui entrave presque toujours de semblables alliances. Il résolut de ne point s’arrêter aux sinistres prédictions qui avaient accueilli le projet d’une grande expédition dans la Baltique, projet que le génie de Pitt léguait à ses successeurs, et songea à frapper la coalition avant que le printemps, en dégageant l’entrée des ports russes et suédois, encore bloqués par les glaces quand le port de Copenhague se trouve déjà libre, permît une jonction qu’il fallait à tout prix prévenir. Vers la fin du mois de février 1801, il vint occuper la place de lord Spencer à l’amirauté, et son premier acte fut d’expédier à la flotte déjà rassemblée à Yarmouth l’ordre de mettre sous voiles et de se diriger vers l’entrée du Sund.


II.

Le 17 janvier, Nelson avait arboré son pavillon de vice-amiral à bord du San-Josef, de 110 canons. Son ambition était de remplacer lord Keith dans la Méditerranée : en attendant, désireux d’échapper au trouble de sa conscience et aux tourmens domestiques qu’il s’était attirés, il s’était rangé avec empressement sous le pavillon du comte de Saint-Vincent, qui commandait alors l’escadre de la Manche ; mais, avant même que la chute du ministère Pitt appelât le comte de Saint-Vincent dans les conseils de la couronne, Nelson fut placé sous les ordres d’un autre amiral, sir Hyde Parker, qui venait d’obtenir le commandement de la mer du Nord. Lord Spencer, qui destinait déjà cette dernière escadre à entrer dans la Baltique, avait facilement compris que, de tous les amiraux anglais, Nelson était le plus capable d’assurer le succès de cette périlleuse entreprise ; néanmoins l’humeur singulière et fantasque de ce grand homme de mer avait laissé dans le conseil une trop fâcheuse impression pour qu’on n’éprouvât pas le besoin de soumettre au contrôle d’un esprit plus éclairé, d’une raison plus docile et plus mûre, cette valeur emportée et ce brillant courage dont on avait appris à redouter les caprices. Le respect qui entoure en Angleterre les anciens services atténua d’ailleurs ce qu’une pareille résolution pouvait avoir d’offensant vis-à-vis d’un homme placé déjà si haut par l’opinion publique, et Nelson, prévenu officieusement des intentions de lord Spencer, parut se prêter de bonne grace à cette combinaison. Le 12 février, il quitta le San-Josef pour le Saint-George, vaisseau de 98 canons, se rendit à Portsmouth, afin d’y presser le départ de 7 vaisseaux de ligne, et, dans les premiers jours de mars, vint mouiller avec cette division en rade de Yarmouth, où l’attendait sir Hyde Parker.

On n’eût point songé à cette époque à placer le pavillon d’un vice-amiral anglais sur un autre vaisseau qu’un vaisseau à trois ponts c’était là une de ces bienséances officielles auxquelles les Anglais ont de tout temps, et non sans raison, attaché une singulière importance. Le soin d’assurer aux officiers-généraux de la flotte des logemens convenables a donc contribué, plus que toute autre chose, à maintenir dans la marine anglaise un très grand nombre de ces lourdes et formidables machines, dont Nelson, toujours impatient, a tant de fois maudit les pesantes allures et la marche embarrassée. Sur 104 vaisseaux armés, l’Angleterre ne comptait pas moins de 18 vaisseaux à trois ponts ; mais, bien qu’il y eût alors 13 de ces vaisseaux devant Brest, l’amirauté n’en voulut admettre que 2 dans l’escadre du Nord le London, à bord duquel flottait le pavillon de l’amiral Parker, et le Saint-George, que montait le vice-amiral Nelson. Le contre-amiral Graves s’embarqua sur un vaisseau de 74, le Defiance, et, dans la prévision des difficultés qu’on pourrait éprouver à franchir avec des navires d’un trop grand tirant d’eau les bancs de la Baltique, on ajouta aux 11 vaisseaux de 74, qui firent partie de cette expédition, 5 vaisseaux de 64 et 2 vaisseaux de 50. Un corps de débarquement, composé du 49e régiment, de deux compagnies de carabiniers et d’un détachement d’artillerie, fut embarqué sur une des divisions de la flotte ; quelques frégates, des bombardes, des brûlots, ainsi que d’autres navires moins importans encore, élevèrent le nombre des bâtimens réunis sous les ordres de l’amiral Parker au chiffre total de 53 voiles.

Quinze jours avant l’appareillage de la flotte, un agent diplomatique, M. Vansittart, était parti pour Copenhague. Les instructions secrètes remises à l’amiral Parker l’informaient du but de cette mission et lui recommandaient, si les négociations entamées avaient une issue favorable, de se porter immédiatement sur la baie de Revel, à l’entrée du golfe de Finlande, d’y surprendre, par une attaque vigoureuse, l’escadre de 12 vaisseaux qu’on savait mouillée dans ce port, et de se diriger ensuite, sans perdre de temps, sur Cronstadt. Le ministère anglais regardait à juste titre la Russie comme l’ame de la coalition, et, à l’égard de cette puissance, il n’admettait aucune alternative, aucun doute sur la nécessité de recourir à des hostilités directes. Quant au Danemark et à la Suède, il espérait mieux de leur faiblesse, et, dans la confiance que la menace d’un bombardement suffirait pour détacher les Danois de la coalition, l’amirauté prescrivait à sir Hyde Parker de « disposer ses bâtimens de telle façon que la Suède, pressée de suivre l’exemple du Danemark, pût trouver dans ce déploiement de forces un motif apparent et une excuse pour souscrire à un arrangement pacifique. » Si, « comme on avait quelque raison de le supposer, » Gustave IV se décidait à renouveler, soit isolément, soit de concert avec le Danemark, ses anciens engagemens vis-à-vis de l’Angleterre, le premier devoir de l’amiral commandant dans la Baltique serait de protéger la Suède contre les attaques et le ressentiment de la Russie. Le ministère Addington, à l’époque où il rédigeait ces instructions, c’est-à-dire le 15 mars 180 1, ne mettait donc point en doute la défection des deux états secondaires ; l’envoi d’une flotte considérable dans la Baltique avait principalement pour but, dès que ce premier résultat serait obtenu, de porter un coup mortel à la marine russe et d’aller frapper cette puissance, réputée à l’abri des atteintes de l’Europe, jusqu’au cœur même de son empire : téméraire entreprise où l’Angleterre allait engager ses flottes, où la France, moins heureuse, devait engager un jour ses armées !

Pour apprécier convenablement ce nouvel effort de la marine anglaise, il est nécessaire de se faire une idée bien nette des obstacles de tout genre que la nature même du théâtre des opérations allait opposer aux desseins de l’amirauté. Trois passages, le Sund, le grand et le petit Belt, donnent entrée de la mer du Nord dans la Baltique, et mettent en communication ces deux bassins dangereux, séparés l’un de l’autre par cette contrée étroite qui, sous le nom de Jutland, s’étend au nord depuis l’embouchure de l’Elbe jusque vers le 58e degré de latitude. Pour pénétrer dans la Baltique, il faut donc, avant tout, doubler cette pointe septentrionale du Jutland en donnant dans le détroit fertile en naufrages qui porte le nom de Skagerack, descendre ensuite au sud par le Cattégat ett venir chercher, à l’endroit où les îles de Seelande et de Fionie semblent combler l’intervalle qui sépare le Jutland de la Suède, un des trois passages qui contournent ces obstacles. De ces trois passages, il en est un, pour ainsi dire, impraticable c’est le petit Belt, labyrinthe étroit et dangereux, creusé par la nature entre l’île de Fionie et la côte du Jutland. Le grand Belt, détroit sinueux qui sépare l’île de Fionie de l’île de Seelande et ne donne issue dans la Baltique qu’après un parcours d’environ cinquante lieues, présente de grandes difficultés de navigation, que les Anglais n’avaient point encore appris à braver[2]. Le troisième passage, celui du Sund, compris entre l’île de Seelande, sur laquelle est bâtie Copenhague, et l’extrémité méridionale de la Suède, est le plus facile et le plus fréquenté. Il a été regardé pendant long-temps comme la clé de la Baltique, et aujourd’hui même les droits que perçoit le Danemark sur la navigation du Sund s’élèvent, chaque année, à plus de 4 millions de francs. Sur la côte de Seelande, le château de Kronenbourg, tout à la fois palais, forteresse et prison d’état, en commande l’entrée. Ce château n’est séparé de la côte de Suède que par une distance de 4,142 mètres. La langue de terre avancée sur laquelle il est bâti et la masse imposante de ses remparts et de ses tours dérobent en partie à la vue la jolie petite ville d’Elseneur ; mais, dès qu’on a dépassé le dernier bastion de ce noble édifice, construit sur les plans de Tycho-Brahé, Elseneur apparaît avec sa rade vaste et sûre, dont l’aspect animé fait mieux ressaortir encore la solitude de la rive suédoise, où la petite ville d’Helsinborg, tristement assise au pied d’une colline et sur une plage sans abri contre les vents du nord, n’offre plus aux regards que les ruines pittoresques de son antique tour crénelée. L’île de Hueen, aux falaises blanchâtres, occupe le milieu du canal, qui s’élargit rapidement au-dessous d’Elseneur ; dans le lointain, à 22 milles du château de Kronenbourg, on voit déjà surgir les clochers élevés de la ville de Copenhague et les îles à demi noyées de Saltholm et d’Amack, la première plus rapprochée de la Suède, la seconde unie par deux larges ponts à la capitale du Danemark. Au-delà de ces deux îles, le Sund débouche dans la Baltique.

Près de l’île de Saltholm, la ville de Malmo s’élève sur la côte de. Suède en face de Copenhague. Entre ces villes, distantes l’une de l’autre d’environ 15 milles, l’île de Saitholm a formé deux détroits : l’un qui la sépare de la ville suédoise, l’autre qui se prolonge entre cette île et les plaines verdoyantes de l’île d’Amack, presque contiguë, comme nous venons de le dire, à la ville de Copenhague. Ce second détroit est lui-même divisé en deux passes distinctes par un banc de 3 milles de long, nommé Middle-Grund[3], sur le sommet duquel il ne reste que deux brasses et demie d’eau. Ce sont là les Thermopyles du Danemark. La passe de l’ouest, connue sous le nom de Passe Royale, est comprise entre le port de Copenhague, auquel elle sert de rade extérieure, et le Middel-Grund ; celle de l’est sépare ce même banc de l’île de Saltholm, et porte le nom de Grande Passe. Toutes deux se dirigent du nord au sud et sont praticables pour les plus gros navires. Malheureusement le canal qu’elles forment, en se réunissant au-delà du Middel-Grund, se trouve engorgé à son extrémité par de nombreux bancs de sable, et des vaisseaux de ligne ne sauraient s’y engager avant d’avoir réduit leur tirant d’eau ordinaire[4]. Des courans très vifs, qui suivent en général la direction du vent, contribuent à rendre la navigation de ce chenal incertain plus périlleuse et plus délicate encore. Le Sund est donc le passage le plus direct, le plus naturellement désigné pour les navires de commerce qui se rendent dans la Baltique, comme pour une flotte qui ne voudrait point dépasser Copenhague ; mais il présente aux vaisseaux qui doivent se porter au sud de cette ville un obstacle qu’ils ne sauraient franchir sans les plus laborieux efforts.

Telles étaient les difficultés qui attendaient la flotte placée sous le commandement de sir Hyde Parker. Cette flotte partit de Yarmouth le 12 mars 1801, et le 18 elle reconnut les hautes terres de la Norvége. À l’entrée du Skagerack, elle fut dispersée par un coup de vent qui mit en grand péril le vaisseau le Russell, jeta un brick à la côte, et obligea l’amiral Parker, pour rassembler ses forces, à mouiller le 21 mars à l’entrée du Sund. Ce fut là qu’il fut rallié le 23 par la frégate la Blanche, sur laquelle se trouvait, avec M. Vansittart, revenant de Copenhague, M. Drummond, le chargé d’affaires d’Angleterre à la cour de Danemark. Les propositions de M. Vansittart avaient été rejetées, et il fallait s’occuper de réduire le Danemark avant de songer à agir contre les Russes. Les préparatifs de défense rassemblés devant Copenhague avaient fait sur le diplomate anglais une impression qui parut un moment se communiquer à l’amiral Parker. D’après les rapports de M. Vansittart, la Passe Royale était devenue inabordable du côté du nord. Cette entrée était défendue par un ouvrage dit des Trois-Couronnes, construit sur pilotis, et destiné à protéger en même temps, de concert avec la citadelle, le port intérieur, dans lequel les Danois avaient abrité leur escadre. À cet ouvrage, armé de 30 canons de 24, de 38 pièces de 36 et d’une caronade de 96, s’appuyaient deux vieux vaisseaux démâtés, le Mars et l’Elephanten. Ce n’était donc que par le sud de la Passe Royale qu’on pouvait songer à menacer Copenhague, et, même de ce côté, on devait rencontrer des obstacles formidables, car les Danois avaient couvert tout le front de leur ville d’une longue ligne de pontons et de vieux vaisseaux portant 628 cartons et montés par 4,849 hommes. Cette ligne d’embossage, mouillée à environ 1,600 mètres en avant des batteries du rivage, laissait entre elle et le bord du Middel-Grund un canal d’une largeur de 500 mètres et d’une profondeur moyenne de cinq ou six brasses. Si l’on faisait tomber ces premières défenses, la menace d’un bombardement suffirait probablement pour triompher de la résistance du Danemark, mais il fallait d’abord, et c’était là la plus grande difficulté, arriver dans la Passe Royale.

Tous ces préparatifs ne rassuraient point cependant les habitans de Copenhague depuis qu’ils avaient appris l’arrivée de l’amiral Parker à l’entrée du Sund et la présence de Nelson dans l’escadre anglaise. Niebuhr, le célèbre historien, témoin oculaire et spectateur ému de ces importans événemens, nous a transmis dans sa correspondance intime le témoignage non équivoque de la puissance morale qui s’attachait déjà au seul nom de Nelson : « Nous nous attendons, écrivait-il le 24 mars à Mme Hensler, à voir notre ligne de défense exposée à de furieux assauts, car Nelson est dans l’escadre ennemie, et il déploiera probablement en cette occasion l’énergie dont il a donné tant de preuves en d’autres circonstances. » Toutefois l’inquiétude des Danois n’était pas du découragement. Ils savaient que l’escadre suédoise, promise pour le 2 avril, arriverait trop tard pour leur être d’aucun secours, que la flotte de Revel ne pouvait se débarrasser des glaces qui encombraient encore le golfe de Finlande, et, résolus à ne point trahir malgré cet abandon la cause de la coalition, ils se promettaient de défendre vigoureusement les abords de leur capitale. Le jour où l’on apprit l’apparition de la flotte anglaise dans le Cattégat, il y eut à Copenhague plus de mille enrôlemens volontaires. Dans toutes les classes de la société, on vit éclater le même dévouement et le même patriotisme. L’université seule fournit un corps de 1,200 jeunes gens, l’élite du Danemark, et, pendant quelques jours, Copenhague présenta l’admirable spectacle d’un peuple confondu dans une seule pensée et groupé autour de son prince pour repousser l’invasion étrangère.

En Angleterre, où M. Vansittart avait déjà fait connaître le mauvais accueil fait à ses premières ouvertures, on attendait avec anxiété des nouvelles de la flotte. « Je suis bien sûr de Nelson, disait lord Saint-Vincent à son secrétaire, et je serais sans inquiétude si son rang eût permis de lui donner le commandement en chef de cette escadre ; mais j’ai moins de confiance dans sir Hyde Parker, qui n’a point encore été éprouvé. » Pour placer le vainqueur du Nil en sous-ordre, l’amirauté avait eu des motifs moins futiles que le scrupule hiérarchique allégué par le comte de Saint-Vincent ; mais, du jour où le temps de négocier était passé et où il fallait combattre, Nelson allait s’élancer de lui-même au premier rang. Par un heureux don de son énergique nature, il était complétement étranger à cette agitation nerveuse qui grandit l’apparence du danger, et qu’éprouvait quelquefois, écrivait-il de Yarmouth au comte de Saint-Vincent, « leur ami Parker à la pensée des sombres nuits et des champs de glace de la Baltique. » Depuis long-temps, il regrettait les délais inutiles qui avaient permis aux Danois de mettre leur capitale en état de défense. Souvent à Portsmouth, quand il pressait l’armement de ses vaisseaux, il répétait à ses amis avec impatience : « Le temps ! voilà notre meilleur allié. — Conservons précieusement celui-là, puisque les autres nous abandonnent. Quoi qu’on en puisse dire, ajoutait-il, c’est de lui que tout dépend à la guerre. — Cinq minutes font la différence entre une victoire et un revers. » Arrivé à l’entrée du Sund et consulté par l’amiral Parker, il insistait plus vivement encore sur la nécessité de prendre promptement un parti. La saison n’avait pas été rigoureuse cette année, et, si les vaisseaux mouillés à Revel parvenaient à prendre la mer, on pouvait se trouver obligé d’agir contre Copenhague, en présence d’une escadre d’observation de 15 ou 20 vaisseaux qui auraient beau jeu contre une flotte à moitié désemparée. Quant aux plans proposés pour entrer dans la Baltique, Nelson les regardait tous comme également praticables. Il trouvait à passer par le grand Belt l’avantage de pouvoir détacher immédiatement une partie de la flotte contre l’escadre russe ; mais il recommandait surtout qu’on ne perdît point une minute, et qu’on profitât du premier vent favorable pour commencer les opérations. Jamais Nelson n’avait été plus grand que dans ces circonstances difficiles. Le vaisseau l’Invincible, expédié d’Angleterre avec le contre-amiral Totty pour renforcer la flotte de la Baltique, venait de se jeter sur un des bancs de la mer du Nord[5], et cet affreux événement, qui coûta la vie à plus de 400 hommes, avait éveillé dans l’escadre de fâcheux pressentimens. Les pilotes qu’on avait amenés d’Angleterre, effrayés d’avoir à conduire des vaisseaux de ligne dans des parages qu’ils n’avaient explorés que sur des navires de commerce, ne cessaient de signaler à chaque pas de nouveaux périls et des obstacles insurmontables. Nelson avait réponse à tout, et, plein de confiance en sa fortune, il conservait, au milieu de ces alarmes, le même calme et la même sérénité.

Le 26 mars, l’amiral Parker se décida enfin à appareiller. Il se dirigea sur le grand Belt ; mais, après avoir fait quelques lieues le long de la côte septentrionale de l’île de Seelande, il céda aux observations de son chef d’état-major, le capitaine Otway, et revint à l’idée de donner dans le Sund. Avant le coucher du soleil, la flotte eut repris son premier mouillage. L’amiral Parker cependant, encore indécis, fit demander le lendemain, au gouverneur du château de Kronenbourg, s’il avait l’ordre de s’opposer au passage de la flotte anglaise. La réponse de cet officier fut telle que l’amiral Parker devait s’y attendre. « Il n’avait point, disait-il, en sa qualité de soldat, à se mêler de politique ; mais il ne lui était point permis de laisser une flotte dont les projets lui étaient inconnus passer impunément sous les canons de sa forteresse. »

L’escadre anglaise dut donc se préparer à forcer l’entrée du Sund. Le 30 mars, au point du jour, elle profita d’une belle brise de nord-nord-ouest pour mettre sous voiles et se former en ligne de bataille. Nelson avait quitté son lourd vaisseau à trois ponts et avait arboré son pavillon à bord du vaisseau l’Éléphant de 74. Il commandait l’avant-garde. L’amiral Parker était au centre, le contre-amiral Graves à l’arrière-garde. Dès la veille, le capitaine Murray, sur le vaisseau l’Edgar, avait pris poste avec la flottille de bombardes et de canonnières dans le nord du château de Kronenbourg, et au premier boulet tiré par les Danois, les bombardes ouvrirent leur feu sur cette place. Si les deux rives du détroit eussent été également bien défendues, également armées de canons de gros calibre, il est certain qu’obligés de passer à 2,000 mètres environ des batteries ennemies, les vaisseaux anglais eussent éprouvé de graves avaries ; mais ils n’auraient pu être arrêtés, car on a forcé avec des escadres bien inférieures à celle de l’amiral Parker les passages plus difficiles que le Sund[6]. Pas un boulet, d’ailleurs, ne partit de la côte suédoise. On n’apercevait même sur le rivage aucune apparence de batterie. La flotte anglaise inclina doncc sa route vers ce côté du détroit et évita ainsi complétement le feu du château de Kronenbourg, auquel elle cessa bientôt de répondre. Les boulets lancés par cette forteresse tombaient à plus de 200 mètres des vaisseaux anglais, qui, serrant impunément la côte de Suède, vinrent mouiller à midi près de l’île de Hueen, à 15 milles au-dessus de Copenhague. La division du capitaine Murray, après avoir lancé de très loin un grand nombre de bombes sur la ville d’Elseneur et le château de Kronenbourg, appareilla à son tour ; elle franchit le détroit à la suite de la flotte et hors de la portée du canon ennemi. Les Anglais n’eurent à regretter dans cette journée que la perte de quelques matelots atteints par les éclats d’une pièce de 24 qui creva à bord de l’Isis. Du côté des Danois, 2 hommes furent tués et 15 assez dangereusement blessés par les bombes qu’avait lancées la flottille ; mais le canon de Kronenbourg avertissait Copenhague de se préparer à de nouveaux sacrifices.


III.

Dès que la flotte eut jeté l’ancre, l’amiral Parker s’embarqua avec lord Nelson et le contre-amiral Graves sur un de ses plus légers avisos, et se dirigea vers la ville afin d’en apprécier par lui-même les moyens de défense. Cette reconnaissance lui apprit que les rapports de M. Vansittart n’étaient en rien exagérés, et, le soir même, un conseil de guerre s’assembla à bord du London. Il était difficile de concevoir un plan d’attaque qui n’exposât point aux plus grands dangers les bâtimens chargés de l’exécuter. Nelson mit un terme à toutes les hésitations en déclarant qu’il était prêt à tenter l’entreprise avec dix vaisseaux. L’amiral Parker, qui montra dans toute cette campagne la plus noble abnégation personnelle, ne craignit point d’accepter l’offre de son lieutenant, et, de son propre mouvement, il ajouta 2 vaisseaux de 50 canons à l’escadre que Nelson avait demandée. L’impossibilité d’attaquer Copenhague par le nord de la Passe Royale étant suffisamment démontrée, il fut convenu que Nelson, avec ses 12 vaisseaux, 5 frégates et toute la flottille, composée de bombardes, de canonnières et de brûlots, descendrait la Grande Passe jusqu’à la hauteur de l’île d’Amack, et attendrait dans cette position que les vents, en soufflant du sud, lui permissent de remonter dans la Passe Royale. L’amiral Parker devait de son côté, avec les 8 vaisseaux qu’il conservait sous ses ordres, venir mouiller au nord de cette passe, afin de prendre à revers la batterie des Trois-Couronnes, afin surtout de se mettre à portée de couvrir ceux des bâtimens de Nelson que leurs avaries obligeraient à sortir de la ligne. La nécessité pour ces bâtimens de passer, en se retirant du feu, sous les batteries qui défendaient de ce côté l’entrée de la rade de Copenhague, constituait en effet le plus grand danger de cette entreprise.

Pendant la nuit qui précéda son audacieuse tentative, Nelson s’occupa de baliser lui-même les abords du Middel-Grund, opération que les Danois, par un défaut de surveillance impardonnable, n’essayèrent point de troubler. Le lendemain, à une heure de l’après-midi, son escadre, précédée par la frégate l’Amazone, que commandait le brave capitaine Riou, donnait dans la Grande Passe et ne jetait l’ancre qu’à huit heures du soir, après avoir doublé, à l’aide d’un dernier souffle de brise, l’extrémité de ce banc dangereux, dont le nom est resté célèbre dans les fastes maritimes de l’Angleterre. De ce mouillage, la division anglaise ne se trouvait plus qu’à 2 milles des navires danois, et elle était en position de se porter directement sur la ligne ennemie dès que le vent viendrait à changer. Cette nuit fut employée, comme la précédente, à sonder ces passes dont on avait alors une connaissance si imparfaite. Le capitaine Hardy, qui devait recevoir à Trafalgar les derniers embrassemens de Nelson, avait quitté le Saint-George pour suivre l’amiral, auquel il était tendrement attaché. Il voulut se charger lui-même de cette exploration. Se servant d’une longue perche pour mesurer la profondeur de l’eau, afin de n’éveiller par aucun bruit l’attention de l’ennemi, il put arriver jusqu’au premier vaisseau danois et s’assurer que l’escadre ne rencontrerait aucun obstacle sur son passage. Quant à Nelson, il ne put fermer l’œil de la nuit. Il en passa une partie à dicter ses ordres, car le vent venait de changer et promettait de favoriser le lendemain ses projets. La ligne danoise, composée de 18 navires, occupait un espace d’environ 1 mille et demi, et couvrait, de la batterie des Trois-Couronnes jusqu’à l’île d’Amack, le front de Copenhague. La manœuvre des vaisseaux anglais devait consister à prolonger cette ligne et à s’arrêter, en laissant tomber une ancre de l’arrière, au poste qui leur était assigné à l’avance par le travers d’un bâtiment ennemi. Les frégates devaient agir sur les deux extrémités de la ligne.

À neuf heures du matin, l’escadre anglaise mit sous voiles, et le vaisseau l’Edgar donna le premier dans la passe. L’Agamemnon eut dû le suivre, mais le courant violent qui portait alors vers le nord ne lui permit point de doubler l’extrémité du Middel-Grund, et, bien qu’il essayât de se touer avec des ancres à jet, il ne put jamais parvenir à s’élever au vent de ce banc. Le Polyphemus prit sa place et s’avança suivi de l’Isis. Le cinquième vaisseau, la Bellone, serra de trop près le Middel-Grund, et s’échoua à environ 450 mètres de I’arrière-garde danoise. Le Russell, qui venait après lui, fut entraîné par son exemple dans la même faute et s’échoua à son tour. Ce double accident pouvait causer la perte de l’escadre anglaise, car, les pilotes n’ayant cessé de répéter, contrairement aux assertions du capitaine Hardy, que la profondeur de l’eau était moindre du côté de la ligne ennemie que du côté du banc de sable, il avait été prescrit aux vaisseaux anglais de serrer toujours de préférence le Middel-Grund. La fortune de Nelson voulut que le vaisseau qui marchait après le Russell fût précisément celui qu’il montait lui-même. Avec le coup d’œil d’un marin habitué dès l’enfance à manœuvrer au milieu des roches et des hauts-fonds, il jugea que le capitaine Hardy avait raison contre tous les pilotes. Donnant l’ordre de laisser les vaisseaux échoués sur la droite, il rentra dans le chenal et vint mouiller à 200 mètres environ du Dannebrog, que montait le commodore Fischer. L’arrière-garde imita sa manœuvre, et, à onze heures et demie, à l’exception des trois vaisseaux déjà cités, l’Agamennon, la Bellone et le Russell, tous les vaisseaux anglais se trouvèrent en ligne. Depuis plus d’une heure, l’action était engagée entre l’avant-garde et la flotte danoise. Deux bombardes, les seules qui eussent pu atteindre leur poste, ouvrirent, par-dessus les deux flottes, le feu de leurs mortiers sur l’arsenal et sur la ville.

Quant à l’amiral Parker, il avait mis sous voiles avec ses huit vaisseaux en même temps que l’escadre de Nelson ; mais, ayant contre lui le vent et le courant, il fut obligé de jeter l’ancre beaucoup trop loin des batteries du nord, et ne put être d’aucun secours à la division engagée. Il détacha cependant vers l’amiral Nelson trois vaisseaux destinés à remplacer ceux dont les services se trouvaient en partie paralysés, et attendit avec anxiété l’issue d’un combat auquel il ne pouvait prendre part.

Les Danois déployèrent en ce jour une valeur héroïque. L’action durait depuis plus de trois heures sans que leur feu eût paru se ralentir. L’amiral Parker, témoin de cette résistance inattendue, se désolait de son inaction. « Ce feu est trop vif, disait-il aux officiers qui l’entouraient, pour que Nelson puisse le soutenir long-temps. S’il doit se retirer, il faut que ce soit moi, dût ma réputation personnelle en souffrir, qui lui en fasse le signal, car il y aurait lâcheté de ma part à lui laisser la responsabilité d’une pareille démarche. » Emporté par ce mouvement généreux, mais inconsidéré, il fit signal à Nelson de cesser le combat. On sait comment cet ordre fut accueilli. « Foley, dit Nelson en se tournant vers le capitaine de l’Éléphant, vous savez, que je n’ai qu’un œil, et, certes, j’ai bien le droit d’être aveugle quelquefois. — Sur mon honneur ; ajouta-t-il en plaçant sa longue-vue sur l’œil qu’il avait perdu au siège de Calvi, je ne vois pas le signal de Parker. Conservez mon signal de serrer l’ennemi au feu, et clouez-le, s’il le faut, au grand mât du vaisseau. C’est ainsi que je réponds à des signaux pareils. » L’escadre anglaise dut son salut à cette noble audace. Si Nelson, obéissant aux ordres de l’amiral Parker, eût donné le signal de la retraite, la plupart de ses vaisseaux, à demi dégréés, ne seraient point sortis du chenal compliqué dans lequel ils étaient engagés. La batterie des Trois-Couronnes, presque intacte encore, leur fermait la retraite et tenait en échec la division de l’amiral Parker.

Trois frégates et deux corvettes avaient pris, sous les ordres du capitaine Riou, le poste que devaient occuper la Bellone et le Russell par le travers de ce formidable ouvrage. Favorisée par le faible tirant d’eau de ses bâtimens, cette division pouvait exécuter sans peine la manœuvre signalée par l’amiral Parker. Les avaries qu’elle avait éprouvées lui rendaient d’ailleurs cette retraite nécessaire. Elle coupa ses câbles et se dirigea, poursuivie par une dernière bordée, qui fut très meurtrière, vers les vaisseaux qui l’attendaient en dehors. Au moment où l’Amazone, en abattant, présentait sa poupe aux batteries ennemies, le capitaine Riou fut coupé en deux par un boulet. Cet excellent officier se retirait le désespoir dans l’ame. « Que va penser de nous lord Nelson ? » disait-il avec amertume. Assis sur un canon et déjà blessé d’un éclat de bois à la tête, il encourageait ses matelots occupés à brasser la grand’vergue, quand il reçut le coup mortel.

Ce ne fut qu’à une heure et demie que le sort sembla se décider en faveur de l’escadre anglaise. Les câbles d’un vaisseau danois, le Syoelland, et d’une grosse corvette de 20 canons de 24, le Rendsborg, avaient été coupés par les boulets ennemis. Ces deux bâtimens allèrent s’échouer en dérivant, la corvette sur un banc de sable, le vaisseau sous la batterie des Trois-Couronnes : il en résultat un vide funeste dans la ligne d’embossage. Un vieux vaisseau à trois ponts que les Danois avaient rasé et armé de 515 hommes d’équipage et de 56 pièces de canon, le Provestein, fut le premier de leurs bâtimens qui succomba. Il formait vers le sud la tête de la ligne et s’appuyait, bien que de trop loin, aux batteries de l’île d’Amack. Ce vaisseau avait à combattre l’Isis et le Polyphemus et recevait, d’une frégate mouillée sur son avant, des bordées qui, le prenant de bout en bout, eurent bientôt mis la plupart de ses canons hors de service. Dans cet état, il refusait encore de se rendre. M. De Lassen, qui le commandait, après avoir combattu pendant près d’une heure avec trois pièces, les seules qui ne fussent point démontées, se jeta à la nage pour ne pas amener son pavillon et fut recueilli par les embarcations danoises avec une centaine d’hommes qui échappèrent ainsi à cette boucherie. Au centre, le Dannebrog supportait depuis le commencement de l’action l’effort de trois vaisseaux anglais. Le feu s’était déclaré à bord de ce vaisseau, et le commodore Fischer avait dû transporter son guidon sur le Holstein, que venaient d’assaillir, à l’autre extrémité de la ligne, le Monarch et le Defiance. Vers deux heures, malgré tous les efforts qu’on avait pu faire pour s’en rendre maître, l’incendie éclata à bord du Dannebrog avec une soudaine violence. Ce vaisseau, sur lequel l’Éléphant et le Glatton tiraient alors à mitraille, se vit perdu sans ressource ; il coupa ses câbles et dériva lentement vers la plage, pendant que la flamme sortait en tourbillons par les écoutilles et par les sabords. Les matelots qui pouvaient encore se mouvoir se jetèrent à l’eau pour échapper aux horreurs de l’incendie ; mais, sur 336 hommes dont se composait l’équipage du Dannebrog, 270 étaient déjà hors de combat, et l’on ne parvint à soustraire aux flammes qu’un bien petit nombre de ces victimes héroïques. Les batteries flottantes mouillées près du vaisseau du commodore se trouvèrent alors écrasées par le feu de l’avant-garde anglaise, qui n’avait plus d’ennemis sérieux à combattre. Les vainqueurs cependant ne pouvaient amariner aucun des navires qu’ils avaient réduits. Dès que leurs canots s’en approchaient, ils étaient accueillis par une fusillade qui les obligeait à se retirer, Le Provestein même, le Vagrien, abandonnés par leurs équipages, étaient encore défendus par les batteries de l’île d’Amack, qui ne permettaient point à l’ennemi de s’en emparer.

À l’aile gauche, les Danois combattaient avec moins de désavantage. Le prince royal s’était porté de ce côté, et du haut d’une batterie il donnait ses ordres, indiquant avec le tact d’un vieux capitaine les mesures les plus propres à rétablir le combat. Une foule ardente et dévouée l’entourait et sollicitait la faveur de faire partie des renforts qui renouvelaient sans cesse les équipages décimés par l’ennemi. C’est ainsi que tel vaisseau dont les Anglais croyaient avoir fait taire l’artillerie leur ripostait tout à coup avec une nouvelle vigueur. Le capitaine Thura, du vaisseau l’Indfodstratten, était tombé des premiers sous le feu du Defiance, que montait l’amiral Graves. Tous ses officiers, à l’exception d’un lieutenant, avaient été tués ou grièvement blessés. On vint prévenir le prince royal de la situation désespérée de ce vaisseau. « Thura est mort, messieurs, dit le prince aux officiers qui se trouvaient près de lui ; qui de vous veut prendre sa place ? — S’il plaît à Dieu, j’en aurai encore la force, » répondit Schrœdersee, brave officier que sa mauvaise santé avait obligé tout récemment de donner sa démission, et, sans attendre le consentement du prince, il sauta dans le canot qui le transporta à bord de l’Indfodstratten. En arrivant sur le pont de ce vaisseau, il se trouva entouré de cadavres et de blessés. À peine avait-il donné ses premiers ordres, qu’il tomba mort lui-même à côté du capitaine qu’il était venu remplacer. Un lieutenant qui l’avait accompagné prit alors le commandement du vaisseau, et n’amena qu’à la dernière extrémité.

Nelson, effrayé d’une victoire qui, si chèrement achetée, ne lui livrait pas encore l’issue de la Passe Royale, cherchait un moyen d’entrer en pourparler avec l’ennemi. Il crut en trouver l’occasion dans la résistance, illégale selon lui, qui l’empêchait de se saisir des bâtimens danois dont il avait fait amener le pavillon, et il envoya un parlementaire au prince royal pour protester contre ces procédés irréguliers. Un jeune capitaine anglais qui avait servi pendant plusieurs années dans la marine russe, sir Frederick Thesiger, remplissait auprès de Nelson les fonctions d’aide-de-camp. Ce fut lui qui porta au prince royal les réclamations de l’amiral anglais. Pendant que sir Frederick Thesiger s’acquittait de cette mission, la canonnade s’était complétement éteinte en arrière de l’Éléphant, mais le Ganges, le Monarch et le Defiance souffraient encore beaucoup du feu de l’ennemi. À deux heures et demie, le commodore Fischer se vit cependant obligé d’abandonner le Holstein, sur lequel il s’était transporté après l’incendie du Dannebrog. Ce vaisseau et l’Indfodstratten étaient réduits. Deux batteries flottantes, mouillées près de ces bâtimens, ne se trouvant plus soutenues, amenèrent leur pavillon, et la corvette l’Elven, démâtée de tous mâts, les canonnières le Nyborg et l’Aggershuus, coulant bas d’eau, se jetèrent à la côte ou cherchèrent un abri sous les fortifications de Copenhague. Après quatre heures d’un combat acharné, les Danois avaient laissé 6 vaisseaux de ligne, 7 navires d’un échantillon inférieur, et 1,800 hommes sur le champ de bataille. La journée était donc entièrement perdue pour eux, et le front de leur ville complétement découvert, quand sir Frederick Thesiger parvint auprès du prince royal. Les Danois n’étaient point toutefois à la merci de leurs adversaires. À l’entrée du port intérieur, et sous les ordres du commodore Stein Bille, deux pontons portant 134 canons, le Mars et l’Elephanten ; 2 vaisseaux de 74, le Danemark et le Trekroner ; 1 frégate, l’Iris, 2 bricks et 14 chebecks armés chacun de 2 pièces de 24, défendaient, avec la batterie des Trois-Couronnes, l’arsenal et l’escadre, principal objet de la convoitise des Anglais et de la sollicitude du Danemark. On s’était préparé à enlever la batterie d’assaut, mais cette opération avait été reconnue impraticable, et les capitaines Foley et Freemantle, dans lesquels Nelson avait toute confiance, insistaient pour qu’au lieu de porter de nouvelles forces sur ce point, on se hâtât de sortir de la Passe Royale.

L’escadre anglaise avait trop souffert déjà pour n’être pas disposée à écouter les conseils de la prudence. Elle comptait 1,200 hommes hors de combat, 300 de plus qu’à Aboukir. L’Edgar et l’Isis, qui avaient combattu l’héroïque Provestein ; le Monarch, opposé au Holstein, avaient, à eux seuls, 120 morts et 363 blessés. Jamais les Anglais n’avaient livré de bataille aussi meurtrière. Leurs mâts, leurs voiles, leur gréement, étaient hachés et criblés de boulets. La crainte de s’échouer les avait empêchés de serrer les Danois d’aussi près que Nelson en avait l’intention ; ils n’avaient combattu qu’à la distance moyenne de 3 ou 400 mètres des bâtimens d’un fort échantillon qui, sans mâts pour la plupart, disparaissaient souvent au milieu de la fumée, et ils n’avaient pu tirer de leur artillerie, de leurs caronades de 68 surtout, nouvelle arme à courte portée récemment sortie des fonderies écossaises, tout le parti qu’ils en eussent tiré dans un engagement bord à bord. Leur victoire cependant avait été complète. Ils étaient libres de faire avancer leurs bombardes contre Copenhague dès que le temps serait plus favorable, et il dépendait d’eux de couvrir la capitale du Danemark de leurs projectiles. Toutefois un bombardement, surtout un bombardement maritime, n’est point chose si terrible qu’on pense : on pouvait effrayer des femmes et des enfans, causer quelques malheurs individuels, allumer l’incendie sur plusieurs points de cette grande ville, sans triompher pour cela de la résistance d’une population héroïque. Si le prince royal eût su envisager de sang-froid cette perspective, les Anglais, opérant le soir même leur mouvement de retraite sous le feu des batteries ennemies, n’eussent point assurément sauvé tous leurs vaisseaux ; mais, pour rejeter les avances de Nelson, il eût fallu rester insensible à cet affreux spectacle du Dannebrog sautant en l’air avec presque tous ses blessés ; il eût fallu se résigner à demander de nouveaux sacrifices à cette brave population déjà si maltraitée, et le prince Frédéric, qui, après un long règne, a emporté dans la tombe, au mois de décembre 1839, les regrets de tout un peuple, possédait trop bien les qualités d’un bon roi pour avoir cette cruelle constance. Il donna l’ordre de cesser le feu, et expédia à bord de l’Éléphant son aide-de-camp, le général Lindholm. Cet officier était porteur d’une simple question : « Quel était le but de la lettre de lord Nelson ? — Ce n’est que par un sentiment d’humanité, répondit l’amiral, que j’ai envoyé un parlementaire au prince royal. J’ai voulu laisser aux Danois la faculté de transporter leurs blessés à terre. Les bâtimens qui ont amené leur pavillon m’appartiennent ; je les brûlerai ou les emmènerai suivant ma convenance ; leurs équipages seront considérés comme prisonniers de guerre. C’est à ces conditions que je consens à suspendre les hostilités ; mais je n’aurai jamais remporté de plus grande victoire qu’en ce jour, si ce pavillon de trêve peut être le présage d’une union solide et durable entre le souverain de la Grande-Bretagne et sa majesté le roi de Danemark. Mon aide-de-camp portera cette réponse au prince. Il n’appartient toutefois qu’à l’amiral Parker de fixer la durée de cette suspension d’armes, et ce n’est qu’à bord du London que vous pouvez en conférer. »

Près de quatre milles séparaient alors le London de l’Éléphant. Le général Lindholm consentit cependant à se rendre à bord de ce vaisseau. À peine avait-il quitté l’Éléphant, que Nelson fit signal à son escadre d’appareiller par un mouvement successif et de sortir du chenal en passant sous la batterie des Trois-Couronnes. L’exécution de cette manœuvre prouva combien elle eût été impraticable avant la suspension des hostilités. Le Defiance et l’Éléphant s’échouèrent à portée de canon des batteries danoises ; une frégate se jeta également sur le Middel-Grund ; le tiers de la flotte anglaise se trouvait à la côte. Le moment, il faut bien l’avouer, eût été mal choisi pour se montrer exigeant. Nelson, qui s’était empressé de suivre le général Lindhohn à bord du London, engagea vivement l’amiral Parker à convenir d’une trêve de vingt-quatre heures, pendant laquelle on pourrait relever les vaisseaux échouée et entamer des négociations plus sérieuses.


IV.

Bien qu’accablés de fatigue, les Anglais ne perdirent point un instant de cette trêve inespérée. Aidés par les embarcations de la division de sir Hyde Parker, ils remirent pendant la nuit leurs vaisseaux à flot, et remorquèrent leurs prises hors de la portée des batteries danoises ; ils s’emparèrent même du vaisseau le Syœlland, dont la capture eût pu être contestée, et que le commandant de la batterie des Trois-Couronnes, provoqué en duel pour cette faiblesse par le commodore Stein Bille, eut le tort de laisser enlever sous la volée de ses canons.

Cette journée si activement employée par les Anglais fut un jour de deuil pour Copenhague. Au milieu de ces hommes mutilés et mourans qu’on transportait dans les hôpitaux, parmi ces cadavres défigurés auxquels on allait rendre les derniers devoirs, chacun venait en tremblant chercher un ami, un époux ou un père ; des femmes éplorées remplissaient les rues de leurs gémissemens, ou se dirigeaient en courant vers la campagne emportant leurs enfans dans leurs bras. On pleurait les pertes de la veille ; on fuyait les dangers qu’on appréhendait pour le lendemain. Cette grande cité n’était pas encore habituée aux malheurs de la guerre ; les plus vieux habitans de Copenhague n’avaient jamais entendu le canon de l’ennemi gronder sous ses murs. À la douleur publique l’orgueil national mêlait cependant une noble exaltation ; on se sentait grandi aux yeux de l’Europe par cette honorable défaite, et on s’encourageait mutuellement à ne pas démentir ces glorieux précédens.

Le soir même, Nelson eut une entrevue avec le prince royal. Il descendit à terre accompagné des capitaines Hardy et Freemantle ; une escorte nombreuse l’attendait sur le rivage et le conduisit jusqu’au palais. Il traversa ainsi une foule compacte et menaçante accourue sur son passage, et porta au prince les propositions de l’amiral Parker. Ce dernier voulait que le Danemark s’engageât à rompre immédiatement avec ses alliés, à ouvrir ses ports aux vaisseaux anglais et à désarmer son escadre. Ces prétentions hautaines vinrent échouer devant la fermeté du prince royal. « Je ne fonde point grand espoir sur le succès de cette négociation, écrivait le lendemain lord Nelson au premier ministre d’Angleterre, sir Henry Addington. Il me paraît clairement démontré que le Danemark préférerait en ce moment notre amitié à toutes ses alliances, si la terreur que lui inspire la Russie ne l’emportait sur toute autre considération. » La honte et non pas le danger de cette défection était en effet le plus grand obstacle à un arrangement pacifique ; mais ce point d’honneur n’était pas le seul lien qui attachât le Danemark à la cause commune. Traiter avec l’Angleterre, c’était sacrifier les droits de son pavillon, et, même en cette extrémité, le prince royal ne pouvait se résigner à cette humiliation. « Souffrir que nos bâtimens de guerre soient arrêtés, disait-il à l’amiral ; voir une flotte danoise interceptée par le plus méchant corsaire ; ce corsaire visiter les navires d’un convoi l’un après l’autre et enlever, suivant son bon plaisir, ceux qui lui paraîtront suspects : voilà ce que le Danemark ne saurait admettre ! »

Un armistice militaire qui laissât la flotte anglaise libre de se porter contre les Suédois elles Russes, tel fut le point de départ des négociations qui suivirent la première conférence de Nelson et du prince de Danemark. Les amiraux anglais rencontrèrent dans le conseil d’état, auquel le prince royal soumit leurs propositions, un adversaire plus habile et plus persévérant encore que le prince lui-même. Le comte de Bernstorff, ministre des affaires étrangères, disputa le terrain pied à pied à la fougueuse impatience de Nelson. « Laissez là, lui écrivait ce dernier, votre duplicité ministérielle, et souvenez-vous que vous avez à traiter avec des amiraux anglais qui sont venus à vous le cœur sur la main. » Peu touché de cette franchise et peu ému de cette rudesse, le comte de Bernstorff voulait donner aux Suédois, dont la flotte venait enfin de prendre la mer, et aux Russes, encore arrêtés dans le port de Revel, le temps de mettre leurs vaisseaux à couvert dans les rades de Cariscrona et de Cronstadt. Il comprenait très bien que, si le Danemark se hâtait de subir la loi du vainqueur, Nelson entrait immédiatement dans la Baltique, y accablait les alliés dispersés et revenait à Copenhague avec de nouvelles exigences.

Pendant que les négociations traînaient ainsi en longueur, l’amiral Parker s’occupait de détruire ses prises et de faire avancer ses bombardes dans la Passe Royale. Les Danois élevaient, de leur côté, de nouvelles batteries, et attendaient de pied ferme la reprise des hostilités. Ce ne fut que cinq jours après l’entrevue de Nelson et du prince que les conditions de l’armistice furent définitivement arrêtées ; il fut ratifié le 9 avril par le prince royal et l’amiral Parker. Dans cet intervalle, le gouvernement danois avait appris la mort de Paul Ier, assassiné dans la nuit du 23 au 24 mars, et il se décida à souscrire aux propositions des amiraux anglais avant que cette nouvelle, qu’on réussit à leur dissimuler, vînt ajouter encore à leurs prétentions. La durée de l’armistice fut fixée à quatorze semaines. Pendant ce temps, le Danemark devait s’abstenir de toute participation aux mesures adoptées par les puissances signataires du traité de neutralité armée : il s’engageait à suspendre ses armemens et à n’ordonner aucun mouvement hostile à son escadre. Les vaisseaux anglais avaient la faculté de traverser librement la Passe Royale pour entrer dans la Baltique ; ils pouvaient en outre s’approvisionner d’eau et de vivres à Copenhague et sur toutes les côtes du Jutland et du Danemark.

Dès que cet armistice fut signé, Nelson redouta l’impression qu’il allait causer en Angleterre. Il sentait lui-même que ce traité n’était que le gage d’une victoire incomplète, et cependant, aux yeux des hommes de mer, la campagne de la Baltique sera toujours son plus beau titre de gloire. Lui seul était capable de déployer cette audace et cette persévérance, lui seul pouvait affronter les immenses difficultés de cette entreprise et en triompher. Quand, en 1807, après le traité de Tilsitt, l’Angleterre eut résolu de diriger une nouvelle attaque contre Copenhague, 25 vaisseaux de ligne, 40 frégates et 27,000 hommes de troupes furent employés à accomplir ce que Nelson avait tenté avec 12 vaisseaux. L’entrée du Sund fut franchie cette fois avant l’ouverture des hostilités, aucun vaisseau ne pénétra dans la Passe Royale et ne brava le feu des batteries danoises ; mais l’île de Seelande fut investie par un cordon de navires, une armée fut débarquée au-dessous d’Elseneur, et la ville de Copenhague, incendiée par les bombes et les boulets rouges qu’on fit pleuvoir sur elle, ne succomba cette fois que devant un siége régulier.


V.

Aux yeux de Nelson, qui ignorait encore la mort de Paul Ier et les dispositions de son successeur, la campagne de la Baltique était à peine commencée. Ce n’était rien que d’avoir désarmé le Danemark, si on laissait échapper les escadres de la Suède et de la Russie. Aussi Nelson craignait-il qu’un temps précieux n’eût été perdu pendant la conclusion de l’armistice. « Si j’eusse été le maître, écrivait-il, le 9 avril, au comte de Saint-Vincent, il y a quinze jours que je serais devant Revel, et je réponds bien que la flotte russe n’en fût sortie qu’avec la permission de l’amirauté. »

Plein de respect pour les belles qualités de sir Hyde Parker, Nelson supportait impatiemment ce qu’il appelait sa paresse (his idleness). Ce ne fut que deux jours après la conclusion de l’armistice et après avoir expédié en Angleterre le vaisseau danois le Holstein, le seul qu’il n’eût pas brûlé, avec le Monarch et l’Isis, sur lesquels il embarqua les blessés de l’escadre, que sir Hyde Parker songea à faire entrer sa flotte dans la Baltique ; mais, pour franchir les bancs qui s’étendent entre les îles d’Amack et de Saltholm, il fallut transporter l’artillerie de la plupart des vaisseaux à bord de navires de commerce, et encore, malgré cette précaution, plusieurs bâtimens touchèrent-ils plus d’une fois pendant ce périlleux passage. Enfin, après bien des peines, les Anglais, au grand étonnement des marins du Nord, pénétrèrent, le 12 avril, dans la Baltique par une route qu’on avait crue à jamais fermée aux grandes flottes de guerre. Avec 16 vaisseaux de ligne, sir Hyde Parker se porta immédiatement sur l’île de Bornholm, où il espérait surprendre l’escadre suédoise ; il était déjà trop tard : cette escadre, avertie des événemens de Copenhague, s’était réfugiée à Carlscrona. Parker l’y suivit ; mais il reçut, le 23 avril, une lettre du comte de Pahlen, qui lui annonçait la mort de Paul Ier et le désir de l’empereur Alexandre de voir renaître entre les deux cours les relations amicales un instant interrompues. Cette lettre le décida à suspendre ses opérations et à venir mouiller dans la magnifique baie de Kioge, située au-dessous de Copenhague. Il y trouva l’ordre de rentrer en Angleterre et de remettre à lord Nelson le commandement de la flotte.

L’attitude expectante qu’avait adoptée sir Hyde Parker en apprenant un événement devant lequel devait s’écrouler d’elle-même la confédération maritime des puissances du Nord ne pouvait convenir au bouillant amiral qui lui succédait. Embarquer les chaloupes et canots et se préparer à appareiller, tel fut le premier signal par lequel Nelson annonça à ses vaisseaux que le commandement de la flotte venait de passer en d’autres mains. Le 7 mai 1801, il quitta la baie de Kioge, et, se dirigeant sur Bornholm, il y mouilla pour attendre la fin d’un coup de vent. Là, il partagea son escadre en deux divisions, laissa les plus mauvais voiliers devant Bornholm pour y surveiller les mouvemens des 6 vaisseaux dont se composait l’escadre suédoise, et, avec 10 vaisseaux de 74,2 frégates et 1 brick, il fit voile pour le port de Revel. Il voulait y surprendre la flotte russe, et, la main sur ce gage important, exiger la levée immédiate du séquestre dont se trouvaient encore frappés les navires anglais arrêtés par les ordres de Paul Ier ; mais en même temps il prenait soin de rassurer l’empereur Alexandre sur ses intentions.

« Je suis heureux, écrivait-il au comte de Pahlen, de pouvoir donner à votre excellence la plus complète assurance de la nature pacifique et amicale des instructions que j’ai reçues à l’égard de la Russie. Veuillez exprimer à sa majesté impériale combien mes inclinations sont ici d’accord avec mes ordres. Je ne puis mieux le lui prouver qu’en me transportant moi-même avec une escadre dans la baie de Revel ou à Cronstadt, si l’empereur le trouvait préférable. C’est ainsi que je veux marquer l’amitié qui, avec la grace de Dieu, subsistera toujours, je l’espère, entre nos deux gracieux souverains. Ma présence dans le golfe de Finlande sera également d’un grand secours aux navires de commerce anglais qui ont passé cet hiver en Russie. J’ai pris soin qu’il n’y eût dans l’escadre que j’amène avec moi ni bombardes ni brûlots, afin de montrer d’une manière plus évidente encore que je n’ai d’autre intention que de témoigner à sa majesté impériale le profond respect que j’ai pour sa personne. »

Un vent favorable conduisit rapidement cette escadre pacifique à l’entrée du golfe de Finlande. Le 12 mai, elle jetait l’ancre dans la baie de Revel ; mais, depuis le 3 mai, la flotte russe avait quitté ce port. Elle avait scié la glace, encore épaisse de six pieds, qui barrait l’entrée du bassin intérieur dans lequel elle avait passé l’hiver et s’était réfugiée à Cronstadt. Ce port, situé au fond du golfe de Finlande, arsenal militaire et boulevard de Saint-Pétersbourg, était, comme le port suédois de Cariscrona, défendu par un goulet étroit et de fortes batteries, qui pouvaient défier l’audace de Nelson lui-même. Aussi le gouvernement russe, rassuré sur le sort de sa flotte, ne s’en montra-t-il que plus offensé de la présence de l’escadre anglaise dans la baie de Revel. Le comte de Pahlen écrivit immédiatement à Nelson que l’empereur ne jugeait point une semblable démarche compatible avec le vif désir manifesté par le cabinet britannique de rétablir la bonne intelligence qui avait régné si long-temps entre les deux monarchies. « Sa majesté, disait-il, m’ordonne de vous déclarer, milord, que le seul garant qu’elle accepte de la loyauté de vos intentions, c’est le prompt éloignement de la flotte que vous commandez, et qu’aucune négociation ne pourra avoir lieu tant qu’une force navale sera à la vue de ses forts. »

Ce langage convenait à une grande puissance, et jamais plus juste et plus sévère leçon ne fut donnée à l’esprit remuant et tracassier qui animait à cette époque la marine britannique : fâcheux esprit trop long-temps encouragé par l’amirauté, et dont la trace se retrouve encore de nos jours ! Quant à Nelson, comprenant trop tard l’imprudence qu’il avait commise, il quitta, le jour même où il reçut cette lettre, la rade de Revel et le golfe de Finlande. « Votre excellence, écrivit-il au comte de Pahlen du ton le plus conciliant qu’il put prendre, aura la bonté de faire observer à l’empereur que je ne suis point même entré dans la baie extérieure de Revel sans en avoir d’abord obtenu l’autorisation de leurs excellences le gouverneur et l’amiral de ce port. » Bien qu’il essayât de dissimuler le dépit qu’il avait éprouvé en cette occasion, Nelson ne pouvait pardonner au gouvernement russe la dignité de sa conduite : « Je ne crois pas, dit-il, que le comte de Pahlen eût osé m’écrire une pareille lettre, si la flotte russe eût encore été à Revel. En traversant la Baltique, la flotte anglaise rencontra la frégate la Latone, qui portait à Saint-Pétersbourg le nouvel ambassadeur chargé de terminer les différends survenus entre les deux cours, et lord Saint-Helens, auquel il était réservé de consacrer, par une convention formelle, le principe si long-temps contesté de la visite des bâtimens neutres, réussit sans doute à convaincre l’impatient amiral que toute démonstration impérieuse de la part de l’Angleterre ne pouvait qu’être préjudiciable au succès des négociations qu’il allait entamer. Après sa malencontreuse excursion à Revel, Nelson se vit donc condamné à rester spectateur passif des efforts de la diplomatie. Plus inquiet alors et plus agité que jamais, il ne passa plus un jour sans importuner l’amirauté de ses plaintes et sans solliciter son rappel. « Cet air vif du Nord, écrivait-il à ses amis, me glace jusqu’au fond du cœur. Je suis un homme mort, si je ne rentre en Angleterre, et pourtant (ajoutait-il par un de ces mouvemens sublimes qui rachetaient amplement ses boutades), je ne voudrais pas mourir d’une mort naturelle ! »

Serviteur inappréciable quand il fallait combattre, Nelson mettait à de fortes épreuves la patience de l’amirauté, dès que son activité manquait d’aliment. Un chef aussi facilement irritable était d’ailleurs un mauvais interprète des intentions pacifiques du ministère Addington. Ce ne fut donc point sans une secrète satisfaction que l’amirauté consentit à faire droit aux demandes réitérées de Nelson et se décida à lui envoyer un successeur ; mais, dans la flotte anglaise, cette nouvelle causa un deuil universel, car Nelson était resté pour ses matelots et ses officiers le chef affectueux et dévoué qu’il était aux jours de sa jeunesse,

Son plus grand soin était d’assurer l’approvisionnement de son escadre et de procurer aux équipages une nourriture saine et abondante. La flotte était sans cesse en mouvement pour cet objet ; mouillée dans la baie de Kioge ou devant le port de Rostock, sur la côte du Mecklenbourg, il était rare qu’elle manquât de vivres frais. Un autre objet attirait aussi toute la sollicitude de Nelson : c’était la conservation et l’emploi judicieux des cordages de rechange embarqués sur la flotte. Aussi, grace à cette économie sévère dont l’Angleterre n’a point perdu le souvenir, ne connaissait-il point ces détresses dont tant d’amiraux ne cessaient de se plaindre. « Pour nous, écrivait-il à l’amirauté, j’ose dire que si nous avons beaucoup de besoins imaginaires, Dieu merci, nous n’en avons pas de réels. » Pour arriver à ce résultat, Nelson n’épargnait ni son temps ni ses peines. À quatre ou cinq heures du matin, il était sur pied. Jamais il ne déjeunait plus tard que six heures. Un ou deux midshipmen partageaient avec lui ce repas matinal, car Nelson aimait cette joyeuse pépinière de la flotte, et ne craignait point de rire avec ces enfans, se montrant souvent plus enfant qu’eux-mêmes. À huit heures, le service de propreté se trouvait invariablement terminé à bord de chaque vaisseau, et, jusqu’au coucher du soleil, il ne se passait rien dans l’escadre qui échappât à l’œil toujours ouvert de son commandant en chef.

La santé de Nelson était cependant assez gravement altérée au moment où il déployait cette merveilleuse activité. Elle subissait l’influence de l’extrême agitation d’esprit qu’il avait éprouvée depuis la conclusion de l’armistice. Chez lui, le trouble de l’ame se trahissait presque toujours par une petite fièvre nerveuse et par des étouffemens qu’il attribuait encore à la poursuite infructueuse de l’armée française en 1798. « Cette campagne m’a brisé le cœur, disait-il souvent, et à chaque émotion nouvelle j’en ressens les effets. » Son irritabilité naturelle empruntait d’ailleurs un nouveau degré d’énergie à l’indifférence avec laquelle le glorieux combat de Copenhague avait été accueilli en Angleterre. Ce brillant épisode d’une campagne aventureuse n’avait point l’éclat des grandes journées de Saint-Vincent et d’Aboukir. Il valut à Nelson le titre de vicomte ; mais la Cité de Londres s’abstint de voter aux vainqueurs les remerciemens qu’elle allait accorder à l’expédition cent fois moins périlleuse qui, partie des côtes de Caramanie sous les ordres de lord Keith, nous obligeait en ce moment même à évacuer l’Égypte.

« J’ai attendu avec la plus grande patience (écrivait Nelson au lord-maire un an après avoir quitté la Baltique) que les moindres services rendus au payss eussent attiré l’attention de la Cité de Londres avant d’exprimer la profonde douleur que j’éprouve en voyant les officiers employés sous mes ordres, des gens qui ont livré la plus sanglante bataille et remporté la plus complète victoire qu’on puisse citer dans cette guerre, privés de l’honneur de recevoir de cette grande cité un témoignage d’approbation que d’autre, plus heureux ont si facilement obtenu… Mais le lord-maire comprendra que, si l’amiral Nelson pouvait oublier les services de ceux qui ont combattu sous ses ordres, il se montrerait peu digne d’être secondé par eux comme il l’a toujours été. »

Malgré ce détour honorable, il y avait peu de dignité à solliciter d’une façon si pressante les suffrages du pays et à vouloir faire violence à son admiration. Disons-le cependant, cette ardeur indiscrète, qui conviendrait mal sans doute à un homme d’état, il la faut excuser peut-être chez un homme de guerre. Elle semble indiquer, il est vrai, plus d’amour de la gloire que de patriotisme, plus de passion que d’élévation véritable ; mais tel est trop souvent de nos jours l’indispensable mobile de l’héroïsme militaire.

Le vice-amiral Pole avait été désigné pour remplacer Nelson dans le commandement de la Baltique. Le 19 juin 1801, il arbora son pavillon à bord du Saint-George, et Nelson, refusant la frégate que son successeur voulait mettre à sa disposition, quitta la baie de Kioge sur un petit brick qui le débarqua le 1er  juillet à Yarmouth. Son premier soin fut d’aller visiter dans les hôpitaux de cette ville les matelots et soldats blessés devant Copenhague. Le soir même, après avoir accompli ce pieux devoir, il partit pour Londres, où l’attendaient sir William et lady Hamilton.


VI.

À son arrivée en Angleterre, Nelson trouva les esprits préoccupés d’un nouveau danger. Délivré par la paix de Lunéville de toute inquiétude du côté du continent, Bonaparte songeait à transporter ses légions sur le sol britannique, et menaçait déjà le cabinet de Saint-James de conduire jusqu’à Londres les soldats qui avaient deux fois conquis l’Italie. Le port de Boulogne devait être le rendez-vous de l’immense flottille qu’il avait donné l’ordre de construire sur tous les points de la Manche. L’invasion de l’Angleterre, au moyen de canonnières et de bateaux plats, était depuis long-temps un des plans favoris du premier consul. Il l’avait suggéré au directoire dès l’année 1797, il le reprenait en 1801, et, trois ans plus tard, il devait lui donner des proportions gigantesques. Au mois de juillet, neuf divisions de canonnières et les troupes qu’elles pouvaient transporter se trouvèrent réunies à Boulogne sous les ordres du contre-amiral Latouche-Tréville. Ce n’était pas sans doute la première fois que ces menaces d’invasion alarmaient l’Angleterre, mais jamais elles n’avaient retenti d’aussi près à ses oreilles. Le ministère Addington crut donc devoir prendre en sérieuse considération l’agitation publique, et l’amirauté s’empressa de déférer au vœu populaire en nommant, le 24 juillet, le vice-amiral Nelson au commandement de l’escadre de défense rassemblée entre Orfordness et Beachy-Head.

Nelson comptait alors au sein de l’amirauté deux amis éprouvés : le comte de Saint-Vincent et sir Thomas Troubridge. Ce dernier, dont nous avons pu admirer déjà l’amitié courageuse, n’était pas seulement un des meilleurs officiers de la marine anglaise, aussi plein de ressources, suivant l’expression de Nelson, que son vieux Culloden était plein d’accidens ; c’était aussi, le comte de Saint-Vincent aimait à le proclamer, un conseiller inappréciable, brave comme son épée, rigide et sans tache comme elle. Il professait une admiration sincère pour le vainqueur d’Aboukir ; mais, profondément affligé de la funeste passion qui dominait son héros, il craignait que ce bras heureux et fort, qui avait deux fois sauvé l’Angleterre, ne s’énervât bientôt dans la mollesse. Aussi Nelson était-il à peine investi du commandement de l’escadre de défense, que déjà le comte de Saint-Vincent et Troubridge le pressaient de partir pour la rade des Dunes, où une frégate était prête à arborer son pavillon.

Tous ces efforts d’une affection austère étaient malheureusement devenus superflus. Un nouveau lien enchaînait à jamais lord Nelson au joug de cette femme artificieuse, qui, après avoir souillé sa glorieuse carrière, devait un jour, infidèle à sa mémoire, traverser les plus rudes et les plus humiliantes épreuves pour aller mourir le 6 janvier 1814, perdue de dettes et de scandales, dans les environs de Calais. Vers le mois de février 1801, un enfant mystérieux avait été porté à l’église paroissiale de Saint-Mary-le-Bone, où il fut enregistré sous les noms d’Horatia Nelson Thompson. Horatia[7], que Nelson n’a jamais cessé de représenter comme sa fille adoptive et à laquelle il prit soin d’assurer une fortune indépendante, était, on n’en saurait douter aujourd’hui, malgré des dénégations inutiles, la fille de lady Hamilton. La naissance de cet enfant, fruit d’un double adultère, resserra des nœuds criminels et acheva de détacher l’amiral de lady Nelson. Il croyait avoir assez fait pour sa femme en lui assignant une pension de 1,800 livres sterling, et son père, déjà brisé par l’âge, son père dont ce chagrin, disait-il lui-même, pouvait abréger les jours, essaya vainement de le ramener vers l’épouse outragée, à laquelle, malgré son aveuglement, il n’avait jamais pu adresser un reproche.

Ce fut à cette époque que Nelson chargea sir William de faire en son nom l’acquisition du joli manoir de Merton-Place, situé à 8 milles de Londres. Son dessein, en achetant cette maison de campagne, était de la laisser après lui à lady Hamilton, et jusque-là d’y vivre avec ses amis sur le pied de la plus intime communauté. Misérable passion ! fatal écueil d’un grand caractère ! Cet homme, auquel le ciel avait départi le génie des combats, que l’Angleterre en ses jours d’alarmes opposait à ses ennemis comme un bouclier, eût vingt fois déserté ce poste d’honneur pour voler à d’indignes amours, si Troubridge et le comte de Saint-Vincent ne l’eussent retenu par leurs supplications. « Votre présence sur nos côtes, lui écrivait ce dernier, a produit un si heureux effet sur l’opinion publique, qu’il est bien désirable que vous puissiez prendre sur vous de renoncer à votre projet de venir à Londres. »

À ces sages remontrances, Nelson répondait par des doléances et des murmures. Il se plaignait du froid, — Troubridge l’engageait à porter des gilets de flanelle ; — du mal de mer, — le comte de Saint-Vincent l’encourageait doucement à prendre patience. « Le commandement dont vous êtes chargé, lui disait-il, ne vous oblige point à tenir la mer par des temps forcés. Ne songez donc pas à le quitter dans un moment où aucun Anglais n’a le droit de refuser ses services à son pays. »

Nelson, repoussé par ses amis, s’épanchait alors avec humeur dans le sein de lady Hamilton. « L’amirauté, lui écrivait-il, n’a ni conscience ni entrailles ; je lui souhaite mes souffrances. Monsieur Troubridge, aujourd’hui un de mes seigneurs et maîtres, fait le plaisant et se moque de moi : — je gagerais qu’il a pris de l’embonpoint. — Quant à moi, j’ai considérablement maigri, et, si ces messieurs se fussent montrés moins indifférens à mes plaintes, ma santé n’eût point été aussi sérieusement altérée, ou du moins il y a long-temps que je l’aurais rétablie, dans une chambre bien chaude, au coin d’un bon feu, et entouré de véritables amis. »

Tel était Nelson, nature double et indéfinissable, pétrie de deux argiles contraires ; étonnant assemblage de grandeur et de fragilité, qui lassait l’amirauté de ses caprices et remplissait l’Europe de son nom ! Mais, sur ce théâtre où le retenaient malgré lui le comte de Saint-Vincent et Troubridge, cet esprit si mobile retrouvait quelquefois toute sa mâle vigueur. Le memorandum que Nelson adressa à ses officiers, en prenant le commandement de l’escadre des Dunes, est peut-être une des pièces officielles contenues dans sa correspondance qui révèlent le mieux ce coup d’œil ferme et sûr, habitué à embrasser un vaste horizon. En quelques lignes, l’illustre amiral a tracé hardiment et de main de maître la physionomie générale de son plan d’attaque et de défense ; à dessein, il s’abstient d’en fixer les contours. Un génie novice aurait peur de rester incomplet ; Nelson craint au contraire d’être trop explicite. Il s’arrête ou l’imprévu commence, et fuit cette précision qui, sur un terrain si vague encore et si étendu, laisserait une porte ouverte à l’inertie et à l’indécision.

Suivant lui, le premier consul ne devait avoir en vue que de tenter un coup de main sur la ville de Londres, et 40,000 hommes[8] au plus seraient destinés à cette surprise. Il pensait que, pour répandre l’alarme sur plusieurs points à la fois, 20,000 hommes environ seraient débarqués à 60 ou 70 milles de Londres, dans l’ouest du port de Douvres, et le même nombre dans l’est de cette ville. 200 ou 250 chaloupes canonnières rassemblées à Boulogne porteraient le détachement, qui partirait de ce port, et, avec un calme parfait, elles pourraient, en moins de douze heures, grace à leurs avirons, traverser le détroit. Au même moment, le télégraphe ferait appareiller la seconde division, réunie à Ostende et à Dunkerque. Il était probable que, pendant ce temps, les flottes de Brest, de Rochefort et du Texel, ne resteraient pas inactives et parviendraient à opérer une diversion importante, soit en Irlande, soit sur un point quelconque de la côte d’Angleterre. En tout cas, en se tenant prêtes à mettre sous voiles, ces flottes retiendraient les escadres anglaises dans la mer du Nord et le golfe de Gascogne, et ne leur permettraient pas de se porter au secours du territoire menacé. Il ne fallait donc compter, pour s’opposer aux tentatives de la flottille, que sur les forces rassemblées en ce moment entre Orfordness et Beachy-Head. Ces forces se composaient d’une escadre de frégates et de bâtimens légers destinée à surveiller les mouvemens de l’ennemi, et d’une flottille spécialement réservée pour la défense du littoral. Nelson voulait que cette flottille, armée en partie par cette milice maritime connue sous le nom de Sea-Fencibles, fût stationnée de Douvres jusqu’aux Dunes. S’il faisait calme au moment de l’apparition des chaloupes françaises, elle devait se porter à la rencontre de l’ennemi de toute sa vitesse, ne point l’attaquer avec des forces trop inférieures, mais l’observer et le suivre jusqu’au moment où une occasion favorable s’offrirait d’en venir aux mains. Si la moindre brise s’élevait, c’était aux frégates et aux bricks que revenait le soin de détruire l’armée d’invasion ; mais, dans le cas où le calme persisterait, la flottille anglaise, quelle que pût être l’infériorité de ses forces, ne pouvait plus hésiter à assaillir la flottille ennemie dès qu’elle toucherait le rivage. Elle en devrait attaquer ce qu’elle pourrait, la moitié ou les deux tiers. Ce serait toujours une diversion très utile aux troupes chargées de repousser le débarquement, car, l’artillerie des chaloupes françaises étant placée sur l’avant, leur poupe se trouverait exposée sans défense au feu des bateaux qui les attaqueraient. « Dès que la flottille ennemie sera en vue, ajoutait Nelson, nos divisions se réuniront, mais sans se confondre. Dans cette position, elles devront se tenir prêtes à exécuter les ordres qui leur seront donnés. Il n’est rien de plus important que de choisir pour les commander des hommes animés d’une confiance mutuelle, et sur lesquels aucune misérable jalousie ne puisse avoir prise. Il faut qu’en cette grande occasion il n’y ait qu’une seule pensée, un seul désir parmi nous : empêcher la descente de l’ennemi sur nos côtes. »

Si bien calculées que fussent ces dispositions défensives, elles ne suffisaient point cependant à l’impatience générale. La presse anglaise, interprète exigeant de l’opinion publique, ne cessait de harceler le gouvernement et de répéter que c’était dans les ports ennemis qu’il fallait aller écraser la flottille française. L’amirauté se vit donc contrainte, par condescendance pour ces alarmes, de prescrire à Nelson de bombarder le port de Boulogne ; mais l’amiral Latouche fut informé de ce projet : il sortit du port où ses bâtimens entassés auraient pu courir de grands dangers, et forma en avant des jetées une longue ligne d’embossage composée de 6 bricks, 2 goélettes, 20 chaloupes canonnières et un grand nombre de bateaux plats. Le 4 août, Nelson vint lui-même au point du jour mouiller ses bombardes devant la ligne française ; il espérait que, pour éviter cette attaque, la flottille se réfugierait dans le port de Boulogne, et il se proposait la nuit suivante de diriger ses brûlots sur cette masse de bâtimens ainsi resserrés dans un étroit espace. Vers neuf heures du matin, le bombardement commença ; il ne put ébranler la ligne d’embossage, et ne produisit d’autre effet que la destruction d’une canonnière et d’un bateau plat qui furent coulés bas. Pas un homme à bord de la flottille ne fut atteint, tandis que nos canonnières et les batteries de terre, répondant par un feu très vif au feu des bombardes anglaises, un éclat de bombe vint blesser, à bord d’un de ces bâtimens, un capitaine d’artillerie et deux matelots.

Ceste première tentative avait donc complétement échoué ; mais Nelson en préparait une autre plus sérieuse et dont il ne mettait point le succès en doute. Le 15 août, il vint mouiller à 6,000 mètres environ de la flottille française, encore embossée devant le port de Boulogne. Il amenait avec lui des chaloupes et péniches de toute grandeur à l’aide desquelles il voulait enlever ou incendier nos canonnières. Ces embarcations étaient au nombre de 57 ; il les partagea en quatre divisions qu’il plaça sous les ordres des capitaines Somerville, Parker, Cotgrave et Jones. La perte de son bras lui interdisait de prendre lui-même une part active à cette expédition ; mais il songea à en assurer la réussite par les dispositions les mieux entendues et les soins les plus propres à racheter l’imprudente audace de cette entreprise. Dans chaque division, deux canots étaient particulièrement chargés de couper le câble et les amarres des navires qu’on allait attaquer. Ces canots, munis d’une corde terminée par un croc qu’on pût jeter à bord du navire ennemi, ne devaient point songer à l’assaillir, mais s’occuper de le prendre à la remorque et de l’entraîner au large. Les autres embarcations se chargeaient de combattre et de réduire les bâtimens ainsi entraînés hors de la ligne. Chacune d’elles d’ailleurs avait reçu une hache bien affilée, une mèche, une chemise soufrée ou toute autre composition incendiaire, et se trouvait par conséquent en mesure d’enlever ou de brûler le navire qu’elle aborderait. Les matelots étaient armés de piques, de sabres et de haches ; les soldats de marine, de leurs fusils et de leurs baïonnettes. Nelson avait voulu, dans cette occasion comme à Ténériffe, que les canots de chaque division se donnassent mutuellement la remorque, afin d’arriver en force suffisante sur l’ennemi.

À dix heures et demie du soir, les embarcations reçurent leurs équipages, et à onze heures, au moment où la frégate la Méduse, que montait Nelson, montra six fanaux à la hauteur de sa batterie, elles poussèrent au large et vinrent se former, dans un ordre arrêté à l’avance, sur l’arrière de la Méduse. De là, à un signal convenu, elles partirent toutes ensemble et se dirigèrent par des routes divergentes vers la plage de Boulogne. Le mot d’ordre était Nelson ; le mot de ralliement Bronte. La première division, que commandait le capitaine Somerville, chargée d’attaquer l’aile droite de la flottille, se trouva, en approchant de terre, entraînée par la marée dans l’est de la baie de-Boulogne. Les capitaines Parker et Cotgrave ne rencontrèrent point le même obstacle ; ils avaient, en partant, gouverné directement sur l’entrée du port, et à minuit et demi ils assaillirent le centre de notre ligne. Parker, à la tête d’une partie de sa division, aborda le brick l’Etna, qui portait le guidon de commandement du brave capitaine Pevrieux ; mais les filets d’abordage qui entouraient ce brick opposèrent une barrière insurmontable aux Anglais. 200 soldats d’infanterie réunis à nos matelots les reçurent par un feu nourri de mousqueterie et les rejetèrent dans leurs canots à coups de baïonnette. Parker lui-même fut blessé grièvement à la cuisse, et eût été pris sans le dévouement d’un de ses midshipmen. D’autres canots de sa division avaient essayé d’enlever le brick le Volcan, et avaient été également repoussés. L’attaque dirigée par le capitaine Cotgrave n’avait point eu un meilleur succès, et ces deux premières divisions étaient en pleine retraite quand le capitaine Somerville atteignit le port. Ce brave officier ne se laissa point émouvoir par la défaite de ses compagnons : il se jeta sur notre aile droite et se croyait déjà maître d’un de nos bricks, quand une fusillade très vive, partie des navires environnans, l’obligea à se retirer précipitamment. Il gagna le large après avoir essuyé des pertes considérables. La quatrième division, qui devait se diriger sur notre aile gauche, avait rencontré, comme celle du capitaine Somerville, la marée contraire, et, ne pouvant remonter suffisamment vers l’ouest, elle n’arriva sur le lieu de l’action que pour recueillir les blessés et assister les autres colonnes d’attaque dans leur fuite. Ce combat corps à corps tourna donc entièrement à notre avantage ; il coûta aux Anglais 170 hommes mis hors de combat, et produisit une vive impression de l’autre côté de la Manche. C’était le second échec de ce genre qu’éprouvait Nelson. À Boulogne comme à Ténériffe, il avait rencontré des difficultés imprévues ; mais il avait aussi fait une trop large part au hasard et trop compté sur la négligence de ses ennemis. Cependant, si, à Ténériffe, il n’eût point, par deux tentatives infructueuses, éveillé l’attention des Espagnols ; si, à Boulogne, il n’eût point eu affaire à un homme tel que Latouche-Tréville, il est probable qu’il eût réussi dans cette double attaque : car les Anglais ont, pendant la dernière guerre, obtenu de nombreux succès dans des entreprises analogues, et ils les ont toujours dus à notre défaut de surveillance. Une vigilance soutenue, un service régulier, se rencontrent moins souvent à bord de nos navires que le dévouement le plus exalté et l’intrépidité la plus héroïque. Heureusement Latouche-Tréville gardait sa flottille comme une place forte ; il tenait son monde sans cesse en alerte ; et exigeait que le service se fit devant le port de Boulogne, sur ses bricks et ses canonnières, comme il doit se faire en présence de l’ennemi. Les chaloupes anglaises trouvèrent nos bâtimens préparés à les recevoir, leurs filets d’abordage hissés, leurs canons chargés et leurs équipages sur le pont : aussi leur attaque eut-elle le sort que le courage de nos matelots réservait à de plus formidables entreprises, s’il eût trouvé des chefs tels que Latouche pour le diriger.

Nelson fut douloureusement affecté de ce revers et surtout de la perte du capitaine Parker, qu’il aimait comme un fils, et qui ne survécut point à sa blessure ; mais il songeait à prendre sa revanche et méditait une attaque sur Flessingue. Il fallait à tout prix détruire le prestige de cette flottille, car elle avait jeté le trouble jusque dans les conseils de la couronne. Si le ministère faisait appel aux lumières des hommes spéciaux, il recueillait autant d’avis qu’il consultait d’amiraux. Lord Saint-Vincent voulait qu’on tînt nos ports de la Manche étroitement bloqués ; lord Hood, que l’on conservât toute l’escadre de défense dans les ports anglais et qu’on ne laissât sur la côte de France que quelques bâtimens légers pour signaler les mouvemens de la flottille. En quelques mois, ces bateaux plats, dont on avait voulu rire, étaient devenus l’objet de la préoccupation universelle. Il n’est point jusqu’au général Dumouriez qui ne se crût appelé en cette circonstance à pourvoir au salut de l’Angleterre et de l’Europe. Triste exemple des misères et des égaremens d’une si grande époque ! cet homme qui avait sauvé la France dans les défilés de l’Argonne donnait alors à nos ennemis l’affligeant spectacle d’une activité sans objet et d’un zèle sacrilège. En 1801, il adressait à Nelson des projets pour la défense des côtes d’Angleterre, comme il communiquait en 1814 des plans de campagne à Wellington pour l’invasion de la France[9].

L’émotion qu’excitait la réunion de cette flottille dans la Manche était donc plus réelle et plus profonde qu’on ne voulait en convenir. Ce projet de descente, que les Anglais affectaient en vain de mépriser, contribua puissamment au succès des négociations déjà entamées pour le rétablissement de la paix. Une lassitude universelle accablait d’ailleurs les esprits, et les hommes qui avaient traversé ces années d’épreuves avec le plus d’éclat soupiraient eux-mêmes après un repos qu’ils avaient cessé de connaître. Le comte de Saint-Vincent, qui avait assisté à trois grandes guerres, n’avait jamais vu de pareils combats, des champs de bataille aussi meurtriers. « Quels ravages cette guerre a faits dans nos rangs ! écrivait-il à Nelson en apprenant la mort du capitaine Parker. Puissions-nous toucher au terme de ces sacrifices ! » Quant à Collingwood, employé en ce moment devant Brest sous les ordres de l’amiral Cornwallis, il accueillit avec un touchant enthousiasme l’annonce d’une paix prochaine. « J’espère bien, écrivait-il alors, que notre génération a vu la fin de sa dernière guerre ! » Naïve illusion destinée à un triste mécompte ! Le 12 octobre 1801, les hostilités furent suspendues entre l’Angleterre et la France : le traité d’Amiens, qui intervint six mois plus tard, consacra cette trêve et servit à la prolonger ; mais la lutte n’était qu’interrompue, elle allait bientôt reprendre avec plus d’acharnement que jamais. De 1793 à 1802, la guerre s’était parfois ralentie ; les peuples épuisés avaient paru se prêter à un rapprochement. Le désir de la paix était dans tous les cœurs : on en avait parlé, on en avait traité long-temps avant de la conclure. De 1803 à 1814, rien de pareil ne vint entraver les hostilités et calmer l’âpreté d’une haine mortelle. Quand l’arène se rouvrit pour les deux puissans adversaires, l’Europe, encore émue, ne se prononça point entre eux. La France était debout sur la plage de Boulogne, l’Angleterre en face ; l’Europe attendait ; elle attendit deux ans. Ce sont ces deux années qu’il nous reste à parcourir. Elles ont vu le premier revers de l’empire, la dernière victoire de Nelson.

E. Jurien de La Gravière.
  1. « J’ai à mon bord, écrivait Collingwood le 25 septembre 1796, des représentans de tous les états de l’Allemagne, des Autrichiens, des Polonais, des Croates, des Hongrois, a motley tribe ! »
  2. Quelques mois après l’expédition de la Baltique, en juillet 1801, on vit le vice amiral Pole, appelé à remplacer lord Nelson et l’amiral Parker dans le commandement de la flotte anglaise, conduire ses vaisseaux dans ce passage malgré des vents contraires ; mais, au mois de juillet, cette manœuvre était moins difficile et moins imprudente qu’elle l’eût été au moment même de l’équinoxe.
  3. Littéralement : banc du milieu.
  4. Ce canal n’a plus, à la hauteur de la pointe méridionale de l’île d’Amack, qu’une profondeur inégale variant subitement de quatre brasses et demie à quatre brasses.
  5. À 16 milles dans le nord-est de Yarmouth.
  6. Le Tage, dont l’ouverture entre le fort de Bougie et de Saint-Julien n’est que de 2,480 mètres ; le canal des Dardanelles, large de 1,600 mètres ; l’entrée de Rio-Janeiro, d’une largeur moindre encore, car, sur un point, elle n’excède pas 1,250 mètres.
  7. Au mois de février 1822, Horatia Nelson épousa le révérend Philip Ward, aujourd’hui vicaire de Tenterden, dans le comté de Kent : elle a eu de cette union huit enfans.
  8. Quarante mille hommes jetés sur les côtes d’Angleterre auraient-ils donc suffi pour aller jusqu’à Londres dicter la paix au cabinet britannique ? L’orgueil de nos voisins peut s’indigner d’une pareille supposition ; mais il est certain qu’au début d’une guerre, aujourd’hui par exemple, une pareille opération n’aurait rien d’impossible. Telle est l’opinion d’un officier distingué de la marine anglaise, l’honorable M. E. Plunkett. « Nos régimens, dit-il, opposeraient sans doute à l’ennemi toute la résistance qui se peut attendre de leur petit nombre, plus de résistance même qu’un égal nombre de soldats ne saurait en opposer dans un autre pays. Je suis assez bon Anglais pour n’en point douter ; mais ces régimens, dont il faudrait distraire au moins trente mille hommes pour garder l’Irlande, comprendraient à peine vingt ou vingt-cinq mille hommes disponibles. À ces vingt-cinq mille hommes on pourrait ajouter les soldats vétérans (ceux du moins qui ont conservé leurs membres et qui ne sont pas perclus de rhumatismes). Rappelés sous les drapeaux, ils y rendraient encore de bons services. Quant à nos belliqueux paysans, on ne saurait en vérité sans folie vouloir leur assigner un rôle actif dans cette lutte rapide et brusque qui déciderait du sort de l’Angleterre, ou du moins du sort de la capitale. Il est telles circonstances où des levées de paysans peuvent retarder la marche d’une armée d’invasion ; mais, en Angleterre, les deux choses les plus essentielles pour l’emploi de pareils auxiliaires, le temps et l’espace, manqueraient complétement. Un corps d’armée débarqué sur la côte de Sussex, en deux jours de marche, serait à Londres. Il n’aurait eu à traverser pour y arriver ni montagnes, ni marais, ni forêts, ni rivières. Dans une marche aussi courte, des levées de paysans n’ont rien à faire. Mais les moyens de transport, dit-on, où l’ennemi les prendrait-il ? Vous supposez donc que l’ennemi arriverait en Angleterre avec tout le matériel d’une armée, magasins des vivres, bagages, artillerie de siége, équipages de pont. Eh ! mon Dieu, non ! une armée marchant sur Londres n’aurait point à s’encombrer de tant de choses. Les vivres seraient sur le dos des soldats ; les bagages n’accompagnent pas une armée pendant le cours de ses opérations ; l’artillerie de siége serait inutile dans un pays où il n’y a point de siége à faire ; les équipages de pont seraient superflus là où il n’y a point de rivières à traverser. Dégagé de tout cet encombrement, le transport d’une armée est facile… » — The Past and Future of the British Navy, by the hon. E. Plunkett, commander R. N. — Londres, 1846, Longmann.
  9. « J’ai beaucoup étudié (écrivait Dumouriez à Nelson en lui adressant un long mémoire sur la défense des côtes d’Angleterre), j’ai beaucoup étudié pendant vingt ans la matière de cette note ; alors c’était comme militaire français que j’étudiais les moyens de descendre sur vos côtes. À présent, un intérêt plus noble nous unit à la même cause, celle des rois, de la religion, des mœurs et des lois. Leur sort, celui de l’Europe entière, est attaché au salut de votre patrie. Soyez la caution du désir que j’ai d’y contribuer. À cet intérêt général se joint celui de la tendre amitié qui m’unit à vous pour la vie. »