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La Descendance de l’homme et la sélection sexuelle/13

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CHAPITRE XIII


CARACTÈRES SEXUELS SECONDAIRES DES OISEAUX


Différences, sexuelles. — Loi du combat. — Armes spéciales. — Organes vocaux. — Musique instrumentale. — Démonstrations amoureuses et danses. — Ornements permanents ou temporaires. — Mues annuelles, simples et doubles. — Les mâles aiment à faire étalage de leurs ornements.


Les caractères sexuels secondaires sont plus variés et plus remarquables chez les oiseaux que chez tous les autres animaux ; ils n’occasionnent peut-être pas cependant plus de modifications de structure chez les uns que chez les autres. Je m’étendrai donc très-longuement sur ce sujet. Les oiseaux mâles possèdent parfois, rarement il est vrai, des armes particulières qui leur permettent de lutter les uns contre les autres. Ils charment les femelles par une musique vocale ou instrumentale extrêmement variée. Ils sont ornés de toutes sortes de crêtes, de caroncules, de protubérances, de cornes, de sacs à air, de houppes, de plumeaux, et de longues plumes, qui s’élancent gracieusement de toutes les parties du corps. Le bec, les parties nues de la peau de la tête et les plumes présentent souvent les couleurs les plus admirables. Les mâles font une cour assidue aux femelles ; ils dansent, ou exécutent des mouvements bizarres et fantastiques sur le sol ou dans l’air. Dans un cas au moins, le mâle émet une odeur musquée qui sert, sans doute, à séduire ou à exciter la femelle, car un excellent observateur, M. Ramsay[1], dit en parlant du canard musqué australien (Biziura lobata) que « l’odeur que le mâle émet pendant l’été appartient en propre à ce sexe et persiste même toute l’année chez quelques individus ; mais jamais, même pendant la saison des amours, je n’ai tué une seule femelle sentant le musc. » Pendant la saison des amours cette odeur est si forte qu’on la sent bien longtemps avant de voir l’oiseau[2], En résumé, les oiseaux paraissent être de tous les animaux, l’homme excepté, ceux qui ont le sentiment esthétique le plus développé, et ils ont, pour le beau, à peu près le même goût que nous. Il suffit pour le démontrer de rappeler le plaisir que nous avons à entendre leurs chants, et la joie qu’éprouvent les femmes civilisées, aussi bien que les femmes sauvages, à se couvrir la tête de plumes qui leur sont empruntées, et à porter des pierreries qui ne sont guère plus richement colorées que la peau nue et les caroncules de certains oiseaux. Chez l’homme civilisé, toutefois, le sens du beau constitue évidemment un sentiment beaucoup plus complexe, en rapport avec diverses idées intellectuelles.

Avant d’aborder l’étude des caractères qui doivent plus particulièrement nous occuper ici, il me faut signaler certaines distinctions entre les sexes, distinctions qui découlent évidemment de différences dans les habitudes d’existence, car les cas fréquents dans les classes inférieures deviennent rares dans les classes plus élevées. On a cru pendant longtemps que deux oiseaux-mouches du genre Eustephanus, habitant l’île Juan-Fernandez, appartenaient à des espèces distinctes ; mais on sait aujourd’hui, d’après M. Gould, que ce sont les mâles et les femelles de la même espèce qui diffèrent légèrement par la forme du bec. Dans un autre genre d’oiseaux-mouches (Grypus), le bec du mâle est dentelé sur le bord et crochu à son extrémité, différant ainsi beaucoup de celui de la femelle. Chez le Neomorpha de la Nouvelle-Zélande, on remarque une différence plus considérable encore dans la forme du bec, conséquence de l’alimentation différente du mâle et de la femelle. On peut observer quelque chose d’analogue chez le chardonneret (Carduelis elegans) ; M. J. Jenner Weir assure, en effet, que les chasseurs reconnaissent les mâles à leur bec légèrement plus long. Les bandes de mâles se nourrissent ordinairement des graines du cardère (Dipsacus), qu’ils peuvent atteindre avec leur bec allongé, tandis que les femelles se nourrissent plus habituellement des graines de la bétoine, ou de Scrophularia. En prenant pour point de départ une légère différence de cette nature, on peut admettre que la sélection naturelle finisse par produire des différences considérables dans le bec des mâles et des femelles. Il se peut toutefois que, dans les exemples que nous venons de citer, les mâles aient d’abord acquis ces becs modifiés comme instrument de combat et que ces modifications aient ensuite provoqué de légers changements dans leurs habitudes d’existence.


Loi du combat. — Presque tous les oiseaux mâles sont très-belliqueux ; ils se servent pour se battre de leur bec, de leurs ailes et de leurs pattes. Nos rouges-gorges et nos moineaux communs se livrent chaque printemps des combats acharnés. Le plus petit de tous les oiseaux, l’oiseau-mouche, est un des plus querelleurs. M. Gosse[3] décrit un combat auquel il a assisté : deux oiseaux-mouches s’étaient saisis par le bec, ils pirouettèrent sans se lâcher jusqu’à ce qu’enfin, épuisés, ils tombassent à terre. M. Montes de Onca, parlant d’un autre genre d’oiseaux-mouches, affirme qu’il est rare que deux mâles se rencontrent sans se livrer un furieux combat aérien : « en captivité ils se battent jusqu’à ce que l’un des adversaires ait la langue coupée ; cette blessure entraîne rapidement la mort parce que le blessé ne peut plus manger[4]. » Les mâles de la poule d’eau commune (Gallinula chloropus) « se disputent violemment les femelles lors de la saison des amours ; ils se redressent dans l’eau et se frappent avec leurs pattes. » On a vu deux de ces oiseaux lutter ainsi pendant une demi-heure ; puis l’un finit par saisir l’autre par la tête et il l’eût tué, si l’observateur n’était intervenu ; la femelle était tout le temps restée tranquille spectatrice du combat[5]. Les mâles d’une espèce voisine (Gallicrex cristatus) sont un tiers plus gros que les femelles ; ils sont si belliqueux pendant la saison de l’accouplement que, d’après M. Blyth, les indigènes du Bengale oriental les gardent pour les faire battre. On recherche dans l’Inde d’autres oiseaux lutteurs, les bulbuls (Pycnonotus hœmorrhous), par exemple, qui se battent avec beaucoup d’entrain[6].

Le tringa (Machetes pugnax, fig. 37), oiseau polygame, est célèbre pour son caractère belliqueux ; au printemps, les mâles, qui sont beaucoup plus grands que les femelles, se rassemblent chaque jour à un endroit spécial où les femelles se proposent de déposer leurs œufs. Les oiseleurs reconnaissent ces endroits à l’aspect du gazon, battu et presque enlevé par un piétinage prolongé. Ils imitent pour se battre les dispositions du coq de combat ; ils se saisissent par le bec, et se frappent avec les ailes. La grande fraise de plumes qui entoure leur cou se hérisse, et, d’après le colonel Montagu, « traîne jusqu’à terre pour protéger les parties les plus délicates de leur corps ; » c’est là le seul exemple que je connaisse, chez les oiseaux, d’une conformation servant de bouclier. Toutefois, les belles couleurs qui décorent les plumes de cette fraise permettent de penser qu’elle doit surtout servir d’ornement. Comme tous les oiseaux querelleurs, les tringas semblent toujours disposés à se battre ; en captivité ils s’entre-tuent souvent. Montagu a cependant observé que leurs dispositions belliqueuses augmentent au printemps, lorsque les longues plumes de leur cou sont complètement développées, et qu’à cette époque le moindre mouvement d’un de ces oiseaux provoque une mêlée générale[7].

Le Machetes pugnax (d’après Brehm, Vie des animaux, édition française.


Je me contenterai de citer deux exemples de ces dispositions belliqueuses chez les palmipèdes ; dans la Guyane « lors des combats sanglants que se livrent, pendant la saison des amours, les canards musqués (Cairina moschata) mâles, la rivière est couverte de plumes jusqu’à une certaine distance des endroits où ont lieu ces batailles[8] ». Des oiseaux qui paraissent d’ailleurs peu propres à la lutte, se livrent de violents combats ; ainsi les pélicans mâles les plus forts chassent les plus faibles ; ils les piquent avec leur énorme bec, et les frappent violemment avec leurs ailes. Les bécasses mâles se battent, en se tiraillant et en se poussant avec leur bec de la manière la plus curieuse. On croit que quelques rares espèces ne se battent jamais ; un pic des États-Unis (Picus auratus), par exemple, d’après Audubon, bien que « les femelles soient souvent accompagnées d’une demi-douzaine de joyeux prétendants[9]. »

Les mâles, chez beaucoup d’espèces, sont plus grands que les femelles, ce qui résulte probablement des avantages qu’ont remportés, sur leurs rivaux, les mâles les plus grands et les plus forts, pendant de nombreuses générations. La différence de taille entre les deux sexes devient excessive chez quelques espèces australiennes ; ainsi le canard musqué (Biziura) et le Cinclorhamphus cruralis mâles sont à peu près deux fois plus gros que leurs femelles respectives[10]. Chez beaucoup d’autres espèces, les femelles sont plus grandes que les mâles ; mais, comme nous l’avons déjà fait remarquer, l’explication souvent donnée, que cette différence de taille provient de ce que les femelles sont chargées de toute l’alimentation des jeunes, ne peut ici s’appliquer. Dans quelques cas, ainsi que nous le verrons plus loin, les femelles ont probablement acquis leur grande taille et leur grande force pour vaincre les autres femelles et s’emparer des mâles.

Beaucoup de gallinacés mâles, surtout chez les espèces polygames, sont pourvus d’armes particulières pour combattre leurs rivaux ; ce sont les ergots, dont les effets peuvent être terribles. Un écrivain digne de foi[11] raconte que, dans le Derbyshire, un milan ayant un jour attaqué une poule accompagnée de ses poulets, le coq, appartenant à une race de combat, se précipita à son secours, et enfonça son ergot dans l’œil et dans le crâne de l’agresseur. Le coq eut bien de la peine à arracher son ergot du crâne du milan, et comme celui-ci, tué sur le coup, n’avait pas lâché prise, les deux oiseaux étaient fortement liés l’un à l’autre : le coq finit par se dégager, il n’avait que peu de mal. On connaît le courage invincible du coq de combat ; un de mes amis m’a raconté une scène brutale dont il fut témoin il y a longtemps. Un coq ayant eu dans l’arène les deux pattes brisées à la suite d’un accident, son propriétaire paria que, si on pouvait les lui éclisser de manière qu’il se tînt debout, il continuerait le combat. Dès qu’on l’eut fait, le coq reprit la lutte avec un courage intrépide, et finit par recevoir un coup mortel. À Ceylan, une espèce voisine, le Gallus Stanleyi sauvage, livre les combats les plus furieux pour défendre son sérail ; ces luttes ont le plus souvent pour résultat la mort de l’un des combattants[12]. Une perdrix indienne (Ortygonris gularis), dont le mâle est armé d’ergots forts et tranchants, est si belliqueuse « que la poitrine de presque tous ces oiseaux est couturée de cicatrices provenant de combats antérieurs[13]. »

La plupart des gallinacés mâles, même ceux qui n’ont pas d’ergots, se livrent des combats terribles à l’époque de l’accouplement. Les Tetrao urogallus et les T. tetrix, polygames tous deux, adoptent des endroits réguliers où, pendant plusieurs semaines, ils se rassemblent pour se battre et déployer leurs charmes devant les femelles. M. W. Kowalevsky m’apprend qu’en Russie il a vu la neige tout ensanglantée aux endroits où les Tetrao urogallus ont combattu ; « les plumes des tétras noirs volent dans toutes les directions quand ils se livrent une grande bataille. » Brehm fait une description curieuse du Balz, nom qu’on donne en Allemagne aux danses et aux chants par lesquels les coqs de bruyère préludent à l’amour. L’oiseau pousse presque constamment les cris les plus étranges : « Il redresse sa queue et l’étale en éventail, il relève le cou et porte haut la tête, toutes ses plumes se hérissent et il déploie ses ailes ; puis il saute dans différentes directions, quelquefois en cercle, et appuie si fortement contre terre la partie inférieure de son bec que les plumes du menton en sont arrachées. Pendant ces mouvements désordonnés, il bat des ailes, courant toujours dans un cercle restreint et sa vitesse augmentant avec son ardeur ; il finit par tomber épuisé. » Les coqs de bruyère, moins cependant que le grand tétras, absorbés par ce spectacle, oublient tout ce qui se passe autour d’eux ; aussi peut-on tuer nombre d’oiseaux au même endroit, et même les prendre avec la main. Après avoir achevé cette bizarre comédie, les mâles commencent à se battre, et un même oiseau, pour prouver sa supériorité, visite quelquefois dans une même matinée plusieurs de ces lieux de rassemblement ou Balz, qui restent les mêmes pendant des années[14].

Le paon, orné de sa queue magnifique, ressemble plutôt à un élégant qu’à un guerrier ; il livre cependant quelquefois de terribles combats ; le Rév. W. Darwin Fox m’apprend que deux paons, qui avaient commencé à se battre à une petite distance de Chester, étaient tellement excités, qu’ils avaient passé par-dessus toute la ville en continuant à lutter ; ils finirent par se poser au sommet de la tour de Saint-Jean.

L’ergot chez les gallinacés est généralement simple ; toutefois le Polyplectron (fig. 51) en porte deux ou un plus grand nombre à chaque patte, et on a vu un Ithaginis cruentus qui en avait cinq. Les mâles seuls possèdent, ordinairement, des ergots qui ne sont représentés chez les femelles que par de simples rudiments ; mais les femelles du paon de Java (Pavo muticus), et, d’après M. Blyth, celles d’un petit faisan (Euplocamus erythrophthalmus), possèdent des ergots. Les Galloperdix mâles, ont ordinairement deux ergots, et les femelles un seul à chaque patte[15]. On peut donc conclure avec certitude que l’ergot constitue un caractère masculin, bien qu’accidentellement il se transmette plus ou moins complètement aux femelles. Comme la plupart des autres caractères sexuels secondaires, les ergots sont très-variables, tant par leur nombre que par leur développement chez une même espèce.

Plusieurs oiseaux portent des ergots aux ailes. Chez l’oie égyptienne (Chenalopex ægyptiacus), ils ne consistent qu’en protubérances obtuses, qui probablement nous représentent le point de départ du développement des vrais ergots chez les oiseaux voisins. Chez le Plectropterus gambensis, ils atteignent un développement beaucoup plus considérable chez les mâles que chez les femelles, et M. Bartlett affirme que les mâles s’en servent dans leurs combats. Dans ce cas, les ergots des ailes constitueraient donc des armes sexuelles ; il est vrai que Livingstone assure que ces armes sont particulièrement destinées à la défense des jeunes. Le Palamedea (fig. 38) porte à chaque aile une paire d’ergots qui constituent une arme assez formidable pour qu’un seul coup suffise à mettre en fuite un chien en le faisant hurler de douleur. Il ne paraît pas toutefois que chez ces oiseaux, pas plus que chez quelques râles qui possèdent des armes semblables, ces ergots soient plus développés chez le mâle que chez la femelle[16]. Chez certains pluviers, au contraire, les ergots des ailes constituent un caractère sexuel. Ainsi, chez notre vanneau commun (Vanellus cristatus) mâle, le tubercule de l’épaule de l’aile devient plus saillant pendant la saison des amours, alors que les mâles luttent souvent les uns avec les autres.

Fig. 38. — Palamedea cornuta (d’après Brehm, édition française, montrant les deux ergots de l’aile et le filament sur la tête).

Chez quelques espèces de Lobivanellus, pendant la saison de l’accouplement, un tubercule semblable se développe assez pour constituer « un court ergot corné. » Les L. lobatus australiens mâles et femelles possèdent des éperons, mais ils sont beaucoup plus grands chez le mâle que chez la femelle. Chez un oiseau voisin, l’Hoplopterus armatus, les ergots n’augmentent pas en volume pendant la saison des amours ; mais on a vu, en Égypte, ces oiseaux se battre comme nos vanneaux, c’est-à-dire tourner brusquement en l’air et se frapper latéralement l’un l’autre, souvent avec un terrible résultat ; ils se battent de la même façon contre leurs autres ennemis[17].

La saison des amours est aussi celle de la guerre ; cependant certains oiseaux mâles, tels que les coqs de combat, le tringa et même les jeunes dindons sauvages et les coqs de bruyère[18], sont toujours prêts à se battre quand ils se rencontrent. La présence de la femelle est la teterrima belli causa. Les Bengalais font battre les jolis petits bengalis mâles piquetés (Estrelda mandava) : ils placent trois petites cages auprès l’une de l’autre, celle du milieu contenant une femelle ; au bout de quelque temps, on lâche les deux mâles, entre lesquels un combat désespéré s’engage aussitôt[19]. Quand un grand nombre de mâles se rassemblent en un point déterminé pour s’y livrer de furieux combats, les coqs de bruyère, par exemple, les femelles[20] assistent ordinairement au spectacle, et s’accouplent ensuite avec les vainqueurs. Mais, dans quelques cas, l’accouplement précède le combat au lieu de le suivre. Ainsi, Audubon[21] affirme que chez l’engoulevent virginien (Caprimulgus Virginianus) « plusieurs mâles font une cour assidue à une seule femelle ; dès que celle-ci a fait son choix, le mâle préféré se jette sur les autres et les expulse de son domaine. » Les mâles font ordinairement tous leurs efforts pour chasser ou pour tuer leurs rivaux avant de s’accoupler ; il ne paraît pas, cependant, que les femelles préfèrent invariablement le mâle vainqueur. M. W. Kowalevsky m’a affirmé que souvent le T. urogallus femelle se dérobe avec un jeune mâle, qui n’a pas osé se risquer dans l’arène contre les coqs plus âgés ; on a fait la même remarque pour les femelles du cerf écossais. Lorsque deux mâles seulement luttent en présence d’une même femelle, le vainqueur atteint, sans doute, généralement son but ; mais parfois ces batailles sont causées par des mâles errants qui cherchent à troubler la paix d’un couple déjà uni[22].

Chez les espèces même les plus belliqueuses, il n’est pas probable que l’accouplement dépende exclusivement de la force et du courage des mâles ; en effet, les mâles sont généralement décorés de divers ornements, souvent plus brillants pendant la saison des amours, et ils les déploient avec persistance devant les femelles. Les mâles cherchent aussi à charmer et à captiver les femelles par des notes amoureuses, des chants et des gambades ; la cour qu’ils leur font est, dans beaucoup de cas, une affaire de longue durée. Il n’est donc pas probable que les femelles restent indifférentes aux charmes du sexe opposé, et qu’elles soient invariablement obligées de céder aux mâles vainqueurs. On peut admettre qu’elles se laissent captiver, soit avant, soit après le combat, par certains mâles pour lesquels elles ressentent une préférence peut-être inconsciente. Un excellent observateur[23] va jusqu’à croire que les Tetrao umbellus mâles « font simplement semblant de se battre, et n’exécutent ces prétendues passes d’armes que pour faire valoir tous leurs avantages devant les femelles assemblées autour d’eux pour les admirer » ; car, ajoute-t-il, « je n’ai jamais pu trouver un héros mutilé, et rarement plus d’une plume cassée. » J’aurai à revenir sur ce point, mais je puis ajouter que les Tetrao cupido mâles des États-Unis se rassemblent une vingtaine dans un endroit déterminé ; puis ils étalent leurs plumes en faisant retentir l’air de cris étranges. À la première réplique d’une femelle, les mâles commencent un combat furieux ; les plus faibles cèdent, mais alors, d’après Audubon, tant vainqueurs que vaincus se mettent à la recherche de la femelle ; celle-ci doit exercer un choix, ou la bataille recommence. On a fait la même remarque pour une espèce de stournelle des États-Unis (Sturnella ludoviciana) ; les mâles engagent des luttes terribles, « mais, à la vue d’une femelle, ils se précipitent tous follement à sa poursuite[24] »


Musique vocale et instrumentale. — Les oiseaux se servent de la voix pour exprimer les émotions les plus diverses, telles que la détresse, la crainte, la colère, le triomphe ou la joie. Ils s’en servent évidemment quelquefois pour exciter la terreur, comme le sifflement de quelques oiseaux en train de couver. Audubon[25] raconte qu’un butor (Ardea nycticorax, Linn.) qu’il avait apprivoisé, avait l’habitude de se cacher à l’approche d’un chat, « puis il s’élançait subitement hors de sa cachette en poussant des cris effroyables et paraissait se réjouir de la frayeur que manifestait le chat en prenant la fuite. » Le coq domestique prévient la poule par un gloussement lorsqu’il a rencontré un morceau friand ; la poule agit de même avec ses poulets. La poule, après avoir pondu, « répète très-souvent la même note, et termine sur la sixième au-dessus, en la soutenant plus longtemps[26] ; c’est ainsi qu’elle exprime sa satisfaction. Certains oiseaux sociables s’appellent mutuellement en voletant d’arbre en arbre ; tous ces gazouillements qui se répondent servent à empêcher la bande de se séparer. Les oies et quelques oiseaux aquatiques, pendant leurs migrations nocturnes, répondent à des cris sonores poussés par l’avant-garde dans l’obscurité, par des cris semblables partant de l’arrière-garde. Tous les oiseaux appartenant à une même espèce et parfois à des espèces voisines comprennent très-bien certains cris servant de signaux d’alarme, ainsi que le chasseur le sait à ses dépens. Le coq domestique chante et l’oiseau-mouche gazouille, lorsqu’ils ont triomphé d’un rival. Cependant la plupart des oiseaux font entendre principalement leur véritable chant et divers cris ; ce chant et ces cris servent alors à charmer la femelle ou tout simplement à l’appeler.

À quoi sert le chant des oiseaux ? C’est là une question qui a provoqué de nombreuses divergences d’opinion chez les naturalistes. Montagu, ornithologue passionné et observateur très-soigneux et très-attentif, affirme que, chez « toutes les espèces d’oiseaux chanteurs et chez beaucoup d’autres, les mâles ne se donnent ordinairement pas la peine de se mettre à la recherche de la femelle ; ils se contentent, au printemps, de se percher dans quelque lieu apparent, et là ils font entendre dans toute leur plénitude et dans tout leur charme leurs notes amoureuses, que la femelle connaît d’instinct ; aussi vient-elle en cet endroit pour choisir son mâle[27]. » M. Jenner Weir assure que le rossignol agit certainement ainsi. Bechstein, qui a toute sa vie élevé des oiseaux, affirme de son côté que « le canari femelle choisit toujours le meilleur chanteur, et que, à l’état de nature, le pinson femelle choisit sur cent mâles celui dont les notes lui plaisent le plus[28]. » Il est, en outre, certain que les oiseaux se préoccupent des chants qu’ils entendent. M. Weir m’a signalé le cas d’un bouvreuil auquel on avait appris à siffler une valse allemande et qui l’exécutait à merveille, aussi coûtait-il dix guinées. Lorsque cet oiseau fut introduit pour la première fois dans une volière pleine d’autres oiseaux captifs, et qu’il se mit à chanter, tous, c’est-à-dire une vingtaine de linottes et de canaris, se placèrent dans leurs cages du côté le plus rapproché de celui où était le nouveau venu et se mirent à l’écouter avec grande attention. Beaucoup de naturalistes sont disposés à croire que le chant des oiseaux constitue presque exclusivement « un résultat de leur rivalité et de leur émulation, et ne sert en aucune façon à captiver les femelles. » C’était l’opinion de Daines Barrington et de White de Selbourne, qui, tous deux, se sont spécialement occupés de ce sujet[29]. Barrington admet cependant que « la supériorité du chant donne aux oiseaux un ascendant prodigieux sur tous les autres, comme les chasseurs ont pu le remarquer bien souvent. »

Il est certain que le chant constitue, entre les mâles, un puissant motif de rivalité. Les amateurs font lutter leurs oiseaux pour voir quels sont ceux qui chanteront le plus longtemps ; M. Yarrell affirme qu’un oiseau de premier ordre chante parfois jusqu’à tomber épuisé, et, d’après Bechstein[30], il en est qui périssent par suite de la rupture d’un vaisseau dans les poumons. M. Weir soutient que souvent les oiseaux mâles meurent subitement pendant la saison du chant. Quelle que puisse être d’ailleurs la cause de leur mort, il est certain que l’habitude du chant peut être absolument indépendante de l’amour, car on a observé[31] un canari hybride stérile qui chantait en se regardant dans un miroir, puis qui, ensuite, se précipitait sur son image ; il attaquait aussi avec rage un canari femelle, lorsqu’on les mettait dans la même cage. Les preneurs d’oiseaux savent mettre à profit la jalousie qu’excite le chant chez les oiseaux ; ils cachent un mâle bien en voix pendant qu’un oiseau empaillé et entouré de branchilles enduites de glu, est exposé bien en vue. Un homme a pu ainsi attraper en un seul jour cinquante et, une fois même, jusqu’à soixante-dix pinsons mâles. L’aptitude et la disposition au chant diffèrent si considérablement chez les oiseaux, que, bien que le prix d’un pinson ne soit guère que de cinquante centimes, M. Weir a vu un oiseau dont le propriétaire demandait soixante-quinze francs ; un oiseau véritablement bon chanteur continue à chanter pendant que le propriétaire de l’oiseau fait tourner la cage autour de sa tête, et c’est là l’épreuve qu’on lui fait subir pour s’assurer de son talent.

On peut facilement comprendre que les oiseaux chantent à la fois par émulation et pour charmer les femelles ; il est même tout naturel que ces deux causes concourent à un même but, de même que l’ornementation et la disposition belliqueuse. Quelques savants soutiennent cependant que le chant des mâles ne doit pas servir à captiver la femelle, parce que les femelles de certaines espèces, telles que les canaris, les rouges-gorges, les alouettes et les bouvreuils, surtout, comme le fait remarquer Bechstein, quand elles sont privées de mâles, font entendre les accords les plus mélodieux. On peut, dans quelques-uns de ces cas, attribuer cette aptitude au chant à ce que les femelles ont été élevées en captivité et ont reçu une alimentation trop abondante[32], ce qui tend à troubler toutes les fonctions usuelles en rapport avec la reproduction de l’espèce. Nous avons déjà cité beaucoup d’exemples du transport partiel des caractères masculins secondaires à la femelle, de sorte qu’il n’y a rien de surprenant à ce que les femelles de certaines espèces aient la faculté de chanter. On a prétendu aussi que le chant du mâle ne peut servir à captiver la femelle, parce que chez certaines espèces, le rouge-gorge, par exemple, le mâle chante pendant l’automne[33]. Mais rien n’est plus commun que de voir les animaux prendre plaisir à pratiquer les instincts dont, à d’autres moments, ils se servent dans un but utile. Ne voyons-nous pas souvent des oiseaux qui volent facilement, planer et glisser dans l’air uniquement par plaisir ? Le chat joue avec la souris dont il s’est emparé, et le cormoran avec le poisson qu’il a saisi. Le tisserin (Ploceus), élevé en captivité, s’amuse à tisser adroitement des brins d’herbes entre les barreaux de sa cage. Les oiseaux qui se battent ordinairement à l’époque des amours sont en général prêts à se battre en tout temps ; on voit quelquefois les grands tétras mâles tenir leurs assemblées aux lieux habituels, pendant l’automne[34]. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que les oiseaux mâles continuent à chanter pour leur propre plaisir en dehors de l’époque où ils courtisent les femelles.

Le chant est, jusqu’à un certain point, comme nous l’avons démontré dans un chapitre précédent, un art qui se perfectionne beaucoup par la pratique. On peut enseigner divers airs aux oiseaux ; le moineau lui-même a pu apprendre à chanter comme une linotte. Les oiseaux retiennent le chant de leurs parents nourriciers[35], et quelquefois celui de leurs voisins[36]. Tous les chanteurs communs appartiennent à l’ordre des Insessores, et leurs organes vocaux sont beaucoup plus compliqués que ceux de la plupart des autres oiseaux ; il est cependant singulier qu’on trouve parmi les Insessores des oiseaux tels que les corneilles, les corbeaux et les pies, qui, bien que possédant l’appareil voulu[37], ne chantent jamais et qui, naturellement, ne font pas entendre de modulations de quelque étendue. Hunter[38] affirme que, chez les vrais chanteurs, les muscles du larynx sont plus puissants chez les mâles que chez les femelles, mais que, à cela près, on ne constate aucune différence entre les organes vocaux des deux sexes, bien que les mâles de la plupart des espèces chantent bien mieux et avec plus de suite que les femelles.

Il est à remarquer que les vrais chanteurs sont tous des petits oiseaux, à l’exception, toutefois, du genre australien Menura. Le Menura Alberti, en effet, qui atteint à peu près la taille d’un dindon arrivé à la moitié de sa croissance, ne se contente pas d’imiter le chant des autres oiseaux ; « il possède en propre un sifflement très-varié et très-beau. » Les mâles se rassemblent pour chanter dans des endroits choisis ; là ils redressent et étalent leur queue comme les paons, tout en abaissant leurs ailes[39]. Il est aussi fort singulier que les oiseaux chanteurs revêtent rarement de brillantes couleurs ou d’autres ornements. Le bouvreuil et le chardonneret exceptés, tous nos meilleurs chanteurs indigènes ont une coloration uniforme. Martins-pêcheurs, guêpiers, rolliers, huppes, pies, etc., n’émettent que des cris rauques, et les brillants oiseaux des tropiques ne sont presque jamais bons chanteurs[40]. Les vives couleurs et l’aptitude au chant ne vont pas ordinairement ensemble. Ces remarques nous autorisent à penser que, si le plumage n’est pas sujet à varier pour devenir plus éclatant, de brillantes couleurs pouvant constituer un danger pour l’espèce, d’autres moyens deviennent nécessaires pour captiver les femelles ; la voix rendue mélodieuse pourrait être un de ces moyens.

Fig 39. — Tetras cupido, mâle (d’après W. Wood.), nouveau cliché.

Les organes vocaux, chez certains oiseaux, diffèrent beaucoup chez les mâles et les femelles. Le Tetrao cupido (fig. 39) mâle possède, de chaque côté du cou, deux sacs nus de couleur orangée, qui se dilatent fortement pendant la saison des amours pour produire le singulier cri rauque que fait entendre cet oiseau et qui porte à une si grande distance. Audubon a démontré que cet appareil, qui rappelle les sacs à air placés de chaque côté de la bouche de certaines grenouilles mâles, exerce une influence immédiate sur la production de ce cri ; pour le prouver, il a crevé un des sacs chez un oiseau apprivoisé, et a constaté que le cri diminuait beaucoup en intensité, et n’était plus perceptible si on crevait les deux sacs. La femelle a au cou un espace « analogue mais plus petit, de peau dénudée, mais qui n’est pas susceptible de dilatation[41]. »

Fig 40. — Cephalopterus ornatus, mâle (d’après Brehm, édition française).


Le mâle d’une autre espèce de tétras (T. urophasianus) gonfle prodigieusement, pendant qu’il courtise la femelle, « son œsophage jaune et dénudé, de telle sorte que cette partie égale au moins en grosseur la moitié de son corps ; » dans cet état, il fait entendre divers cris profonds et discordants. Les plumes du cou redressées, les ailes abaissées, et traînant à terre sa longue queue étalée en éventail, il prend alors une foule d’attitudes grotesques. L’œsophage de la femelle n’offre rien de remarquable[42].

Il semble maintenant bien établi que la grande poche de la gorge chez l’outarde mâle d’Europe (Otis tarda), et chez au moins quatre autres espèces, ne sert pas, comme on le supposait autrefois, à contenir de l’eau, mais est en rapport avec l’émission, pendant la saison des amours, d’un cri particulier ressemblant à ock[43]. L’oiseau prend les attitudes les plus extraordinaires pendant qu’il articule ce cri. Un oiseau de l’Amérique méridionale (Cephalopterus ornatus, fig. 40) ressemblant à une corneille a reçu le nom d’oiseau parasol. Ce nom lui vient d’une immense touffe de plumes formées de tiges blanches nues surmontées de barbes d’un bleu foncé, qu’il peut redresser et transformer en une véritable ombrelle n’ayant pas moins de 15 centimètres de diamètre, qui recouvre la tête entière. Cet oiseau porte au cou un appendice long, mince, cylindrique, charnu, revêtu de plumes bleues écailleuses et serrées. Cet appendice sert probablement en partie d’ornement, mais aussi de véritable table d’harmonie ; car M. Bates a constaté, chez les oiseaux pourvus de cet appendice, « un développement inusité de la trachée et des organes vocaux. » En outre, cet appendice se dilate lorsque l’oiseau émet sa note flûtée, singulièrement profonde, puissante et longtemps soutenue. La crête céphalique et l’appendice du cou n’existent chez la femelle qu’à l’état de rudiments[44].

Les organes vocaux de certains palmipèdes et de certains échassiers sont fort compliqués, et diffèrent jusqu’à un certain point chez les mâles et les femelles. Dans quelques cas, la trachée, enroulée comme un cor de chasse, est profondément enfouie dans le sternum. Chez le cygne sauvage (Cycnus ferus) elle est plus profondément enfouie chez le mâle adulte, que chez la femelle ou chez le jeune mâle. Chez le Merganser mâle, la portion élargie de la trachée est pourvue d’une paire additionnelle de muscles[45]. Toutefois, chez un canard, Anas punctata, la partie osseuse élargie est à peine plus développée chez le mâle que chez la femelle[46]. Mais il est difficile de comprendre la signification de ces différences entre les mâles et les femelles de beaucoup d’Anatidés, car le mâle n’est pas toujours le plus bruyant ; ainsi, chez le canard commun, le mâle siffle, tandis que la femelle émet un fort couac[47]. Chez les mâles et les femelles d’une grue (Grus virgo) la trachée pénètre dans le sternum, mais présente « certaines modifications sexuelles ». Chez le mâle de la cigogne noire, on constate aussi une différence sexuelle bien marquée dans la longueur et la courbure des bronches[48]. Il résulte de ces faits que, dans ces cas, des conformations importantes ont été modifiées selon le sexe.

Les cris nombreux, les notes étranges que font entendre les oiseaux mâles pendant la saison des amours, servent-ils à charmer les femelles ou seulement à les attirer ? C’est là une question assez difficile à résoudre. On peut supposer que le doux roucoulement de la tourterelle et de beaucoup de pigeons plaît aux femelles. Lorsque la femelle du dindon sauvage fait entendre son appel le matin, le mâle y répond par une note bien différente du glouglou qu’il produit lorsque, les plumes redressées, les ailes bruissantes et les caroncules distendus, il se pavane devant elle[49]. Le spel du tétras noir sert certainement de cri d’appel pour la femelle, car on a vu quatre ou cinq femelles venir d’une grande distance pour répondre à ce cri poussé par un mâle captif ; mais, comme cet oiseau continue à faire entendre son spel des heures entières pendant plusieurs jours, et, lorsqu’il s’agit du grand tétras, avec beaucoup de passion, nous sommes autorisés à penser qu’il veut ainsi captiver les femelles déjà présentes[50]. La voix du corbeau commun se modifie pendant la saison des amours ; elle a donc quelque chose de sexuel[51]. Mais que dirons-nous des cris rauques de certaines espèces de perroquets, par exemple ? ces oiseaux ont-ils pour la musique un aussi mauvais goût que celui dont ils font preuve pour la couleur, à en juger par les contrastes peu harmonieux qui résultent du voisinage des teintes jaunes et bleu clair de leur plumage ? Il est possible, il est vrai, que la voix énergique de beaucoup d’oiseaux mâles provienne, sans que ce résultat soit accompagné d’aucun avantage appréciable, des effets héréditaires de l’usage continu de leurs organes vocaux, lorsqu’ils sont sous l’influence de fortes impressions d’amour, de jalousie ou de colère. Mais nous aurons occasion de revenir sur ce point lorsque nous nous occuperons des mammifères.


Nous n’avons encore parlé que du chant ; mais divers oiseaux mâles, pendant qu’ils courtisent les femelles, exécutent ce qu’on pourrait appeler de la musique instrumentale. Les paons et les oiseaux de paradis agitent et entre-choquent leurs plumes. Les dindons traînent leurs ailes contre le sol, et quelques tétras produisent aussi un bourdonnement. Un autre tétras de l’Amérique du Nord, le Tetrao umbellus, produit un grand bruit en frappant rapidement ses ailes l’une contre l’autre au-dessus de son dos, selon M. R. Haymond, et non pas, comme Audubon le pensait, en les frappant contre ses côtés, lorsque, la queue redressée, les fraises étendues, « il étale sa beauté devant les femelles cachées dans le voisinage ; » le bruit, ainsi produit est comparé par les uns à un grondement éloigné du tonnerre, par d’autres à un rapide roulement de tambour. La femelle ne produit jamais ce bruit, « mais elle vole directement vers le lieu où le mâle semble ainsi l’appeler. » Le Kalij-faisan mâle de l’Himalaya « produit souvent un singulier bruit avec ses ailes, bruit qui rappelle celui qu’on obtient en secouant une pièce de toile un peu roide ». Sur la côte occidentale de l’Afrique les petits tisserins noirs (Ploceus ? ) se rassemblent en troupe sur des buissons entourant une petite clairière, puis chantent et glissent dans l’air, en agitant leurs ailes de façon à produire « un bruit qui rappelle celui d’une crécelle d’enfant ». Ils se livrent l’un après l’autre pendant des heures à cette musique, mais seulement pendant la saison des amours. À la même époque, certains Caprimulgus mâles produisent un bruit des plus étranges avec leurs ailes. Les diverses espèces de pics frappent de leur bec une branche sonore, avec un mouvement vibratoire si rapide « que leur tête paraît se trouver en deux endroits à la fois ». On peut l’entendre à une distance considérable, mais on ne saurait le décrire, et je suis certain que quiconque l’entendrait pour la première fois ne pourrait en conjecturer la cause. L’oiseau ne se livre guère à cet exercice que pendant la saison de l’accouplement, aussi a-t-on considéré ce bruit comme un chant d’amour ; c’est peut-être plus exactement un appel d’amour. On a observé que la femelle, chassée de son nid, appelle ainsi son mâle, qui lui répond de la même manière, et accourt aussitôt auprès d’elle. Enfin, la huppe (Upupa epops) mâle réunit les deux musiques, vocale et instrumentale, car, pendant la saison des amours, comme a pu l’observer M. Swinhœ, cet oiseau, après avoir aspiré de l’air, applique perpendiculairement le bout de son bec contre une pierre ou contre un tronc d’arbre, « puis l’air comprimé qu’il chasse par son bec tubulaire produit une note particulière. » Le cri que fait entendre le mâle sans appuyer son bec est tout différent. L’oiseau ingurgite de l’air au même instant, et l’œsophage qui se distend considérablement joue probablement le rôle de table d’harmonie, non seulement chez la huppe mais chez les pigeons et d’autres oiseaux[52].

Dans les cas précédents, des conformations déjà présentes et indispensables pour d’autres usages servent à produire les sons que fait entendre l’oiseau ; mais, dans les cas suivants, certaines plumes ont été spécialement modifiées dans le but déterminé de produire des sons. Le bruit ressemblant au roulement du tambour, à un bêlement, à un hennissement, au grondement du tonnerre, comme différents observateurs ont cherché à représenter le bruit que fait entendre la bécassine commune (Scolopax gallinago), surprend étrangement tous ceux qui ont pu l’entendre. Pendant la saison des amours, cet oiseau s’élève à « un millier de pieds de hauteur », puis, après avoir exécuté pendant quelque temps des zigzags, il redescend jusqu’à terre en suivant une ligne courbe la queue étalée, les ailes frissonnantes, et avec une vitesse prodigieuse ; c’est seulement pendant cette descente rapide que se produit le son. Personne n’en avait pu trouver la cause ; mais M. Meves remarqua que les plumes externes de chaque côté de la queue, affectent une conformation particulière (fig. 41) ; la tige est roide et en forme de sabre, les barbes obliques atteignent une longueur inusitée et les barbes extérieures sont fortement reliées ensemble. Il s’aperçut qu’en soufflant sur ces plumes, ou en les agitant rapidement dans l’air après les avoir fixées à un long bâton mince, il pouvait reproduire exactement le bruit ressemblant à celui du tambour que fait entendre l’oiseau en volant. Ces plumes existent chez le mâle et la femelle, mais elles sont généralement plus grandes chez le mâle que chez la femelle, et donnent une note plus profonde.

Fig. 41. — Plume caudale externe de Scolopax gallinago (Proc. Zool. Soc., 1858).

Certaines espèces, comme par exemple le S. frenata (fig. 42) et le J. Javensis (fig. 43), portent respectivement, le premier quatre, et le second huit plumes, sur les côtés de la queue, fortement modifiées. Les plumes des différentes espèces émettent des notes différentes, lorsqu’on les agite dans l’air, et le Scolopax Wilsonii des États-Unis fait entendre un bruit perçant, lorsqu’il descend rapidement à terre[53].

Fig. 42. — Plume caudale externe de Scolopax frenata.
Fig.43. — Plume caudale externe de Scolopax Javensis.

Chez le Chamæpetes unicolor mâle (un grand gallinacé américain), la première rémige primaire est arquée vers son extrémité et plus mince que chez la femelle. M. Salvin a observé qu’un oiseau voisin, le Penelope nigra mâle, fait entendre en descendant rapidement les ailes étendues, un bruit qui ressemble à celui d’un arbre qui tombe[54]. Le mâle d’une outarde indienne (Sypheotides auritus) a seul des rémiges primaires fortement acuminées ; le mâle d’une espèce voisine fait entendre un bourdonnement pendant qu’il courtise la femelle[55]. Dans un groupe d’oiseaux bien différents, celui des oiseaux-mouches, les mâles seuls de certaines espèces ont les tiges des rémiges primaires largement dilatées, ou les barbes brusquement coupées vers l’extrémité. Le mâle adulte du Selasphorus platycercus, par exemple, a la première rémige (fig. 44) taillée de cette manière. En voltigeant de fleur en fleur, il fait entendre un bruit perçant, presque un sifflement[56], mais d’après M. Salvin sans aucune intention de sa part.

Fig. 44. — Rémige primaire d’un oiseau-mouche, le Selasphorus platycereus (d’après une esquisse de M. Salvia). Figure sup., mâle ; figure inf., plume correspondante chez la femelle.

Enfin, les rémiges secondaires chez plusieurs espèces d’un sous-genre de pipra ou de manakin, ont été, selon M. Sclater, modifiées chez les mâles d’une manière encore plus remarquable. Chez le P. deliciosa aux couleurs si vives, les trois premières rémiges secondaires ont de fortes tiges recourbées vers le corps ; le changement est plus marqué dans la quatrième et dans la cinquième (fig. 45, a) ; dans la sixième et dans la septième (b, c), la tige, épaissie à un degré extraordinaire, constitue une masse cornée solide, La forme des barbes est aussi considérablement modifiée, si on les compare aux plumes correspondantes (d, e, f) de la femelle. Les os même de l’aile, chez les mâles qui portent ces plumes singulières, sont, d’après M. Fraser, fort épaissis. Ces petits oiseaux font entendre un bruit extraordinaire, « la première note aiguë ressemblant assez au claquement d’un fouet[57]. »

La diversité des sons, tant vocaux qu’instrumentaux, que font entendre les mâles de beaucoup d’espèces pendant la saison des amours, ainsi que la diversité des moyens employés pour la production de ces sons, constituent des phénomènes très-remarquables. Cette diversité même nous permet de comprendre quelle importance les sons produits doivent avoir au point de vue des rapports sexuels ; nous avons déjà été conduits à la même conclusion à propos des insectes. Il est facile de se figurer les degrés par lesquels les notes d’un oiseau, qui servaient d’abord de simple moyen d’appel, ont dû passer pour se transformer en un chant mélodieux. Il est peut-être plus difficile d’expliquer les modifications des plumes qui servent à produire les sons rappelant le roulement du tambour, le grondement du tonnerre, etc. Mais nous avons vu que, pendant qu’ils font leur cour, quelques oiseaux agitent, secouent, entre-choquent leurs plumes non modifiées ; or, si les femelles ont été amenées à choisir les meilleurs exécutants, elles ont dû, en conséquence, préférer les mâles pourvus des plumes les plus fortes et les plus épaisses, ou bien les plus amincies situées sur une partie quelconque du corps ; peu à peu les plumes se sont donc modifiées et il n’est pas possible d’indiquer des limites à ces modifications. Il est probable que les femelles s’inquiétaient peu de ces modifications de formes, modifications d’ailleurs légères et graduelles, pour ne faire attention qu’aux sons produits.

Fig. 45. — Rémiges secondaires de Pipra deliciosa (d’après M. Sclater, Proc. Zool. Soc., 1860).
Les trois plumes supérieures, a, b, c, appartiennent au mâle ; les trois plumes inférieures, d, e, f, sont les plumes correspondantes chez la femelle.
a et d. Cinquième rémige secondaire du mâle et de la femelle, face supérieure. — b et c. Sixième rémige secondaire, face supérieure. — c et f. Septième rémige secondaire, face inférieure.


Il est, en outre, un fait curieux, c’est que, dans une même classe d’animaux, des sons aussi différents que le tambourinage produit par la queue de la bécasse, le martelage résultant du coup du bec du pic, le cri rauque de certains oiseaux aquatiques ressemblant aux appels de la trompette, le roucoulement de la tourterelle et le chant du rossignol, soient tous également agréables aux femelles des différentes espèces. Mais nous ne devons pas plus juger des goûts des espèces distinctes d’après un type unique que d’après les goûts humains. Nous ne devons pas oublier quels bruits discordants, coups de tam-tam et notes perçantes des roseaux, ravissent les oreilles des sauvages. Sir S. Baker[58] fait remarquer que « de même que l’Arabe préfère la viande crue et le foie à peine tiré des entrailles de l’animal et fumant encore, de même il préfère aussi sa musique grossière et discordante à toute autre musique ».


Parades d’amours et danses. — Nous avons déjà fait incidemment remarquer les singuliers gestes amoureux que font divers oiseaux ; nous n’aurons donc ici que peu de chose à ajouter à ce que nous avons dit. Dans l’Amérique du Nord, un grand nombre d’individus d’une espèce de tétras (T. phasaniellus) se rassemblent tous les matins, pendant la saison des amours, dans un endroit choisi, bien uni ; ils se mettent alors à courir dans un cercle de quinze à vingt pieds de diamètre, de telle sorte qu’ils finissent par détruire le gazon de la piste. Au cours de ces danses de perdrix, comme les chasseurs les appellent, les oiseaux prennent les attitudes les plus baroques, tournant les uns à droite, les autres à gauche. Audubon dit que les mâles d’un héron (Ardea herodias) précèdent les femelles, posés avec une grande dignité sur leurs longues pattes, et défiant leurs rivaux. Le même naturaliste affirme à propos d’un de ces vautours dégoûtants, vivant de charognes (Carthates jota), « que les gesticulations et les parades auxquelles se livrent les mâles au commencement de la saison des amours sont des plus comiques. » Certains oiseaux, le tisserin africain noir, par exemple, exécutent leurs tours et leurs gesticulations tout en volant. Au printemps, notre fauvette grise (Sylvia cinerea) s’élève souvent à quelques mètres de hauteur au-dessus d’un buisson, « voltige d’une manière saccadée et fantastique, tout en chantant, puis retombe sur son perchoir. » Wolf affirme que le mâle de la grande outarde anglaise prend, quand il courtise la femelle, des attitudes indescriptibles et bizarres. Dans les mêmes circonstances, une outarde indienne voisine (Otis bengalensis) « s’élève verticalement dans l’air par un battement précipité des ailes, redresse sa crête et gonfle les plumes de son cou et de sa poitrine, puis se laisse retomber à terre, » L’oiseau répète cette manœuvre plusieurs fois de suite, tout en faisant entendre un chant particulier. Les femelles qui se trouvent dans le voisinage obéissent à cette sommation gymnastique, et, quand elles approchent, le mâle abaisse ses ailes et étale sa queue comme le fait le dindon[59].

Mais le cas le plus curieux est celui que présentent trois genres voisins d’oiseaux australiens, les fameux oiseaux à berceau, — sans doute les codescendants d’une ancienne espèce qui avait acquis l’étrange instinct de construire des abris pour s’y livrer à des parades d’amour. Ces oiseaux construisent sur le sol, dans le seul but de s’y faire la cour, car leurs nids sont établis sur les arbres, des berceaux (fig. 46), qui, comme nous le verrons plus loin, sont richement décorés avec des plumes, des coquillages, des os et des feuilles. Les mâles et les femelles travaillent à la construction de ces berceaux, mais le mâle est le principal ouvrier. Cet instinct est si prononcé chez eux qu’ils le conservent en captivité, et M. Strange a décrit[60] les habitudes de quelques oiseaux de ce genre, dits satins, qu’il a élevés en volière dans la Nouvelle-Galles du Sud. « Par moments, le mâle poursuit la femelle dans toute la volière, puis, il se rend au berceau, y prend une belle plume ou une grande feuille, articule une note curieuse, redresse toutes ses plumes, court autour du berceau, et paraît excité au point que les yeux lui sortent presque de la tête ; il ouvre une aile, puis l’autre, en faisant entendre une note profonde et aiguë, et, comme le coq domestique, semble picorer à terre, jusqu’à ce que la femelle s’approche doucement de lui. » Le capitaine Stokes a décrit les habitudes et les « habitations de plaisance » d’une autre grande espèce ; « les mâles et les femelles s’amusent à voler de côté et d’autre, prennent un coquillage tantôt d’un côté du berceau, tantôt de l’autre, et le portent dehors dans leur bec, puis le rapportent. » Ces curieuses constructions, qui ne servent que de salles de réunion où les oiseaux s’amusent et se font la cour, doivent leur coûter beaucoup de travail. Le berceau de l’espèce à poitrine fauve, par exemple, a près de quatre pieds de long, quarante-cinq centimètres de haut ; il est, en outre, supporté par une solide plate-forme composée de bâtons.


Ornementation. — Je discuterai d’abord les cas où l’ornementation est le partage exclusif des mâles, les femelles ne possédant que peu ou point d’ornements ; je m’occuperai ensuite de ceux où les deux sexes sont également ornés, et enfin j’aborderai les cas beaucoup plus rares où la femelle est un peu plus brillamment colorée que le mâle.

Fig. — 46. Chlamydea maculata, avec berceau (d’après Brehm, édition française).

Le sauvage et l’homme civilisé portent presque toujours sur la tête les ornements artificiels dont ils se parent ; de même aussi les oiseaux portent sur la tête la plupart de leurs ornements naturels[61]. On peut observer une étonnante diversité dans les ornements dont nous avons déjà parlé au commencement de ce chapitre. Les huppes qui couvrent le devant ou le derrière de la tête des oiseaux se composent de plumes qui affectent les formes les plus diverses ; parfois ces huppes se redressent ou s’étalent, de manière à présenter complètement aux regards les splendides couleurs qui les décorent. D’autres fois, ce sont d’élégantes houppes auriculaires (voy. fig. 39, p. 61). Parfois aussi un duvet velouté recouvre la tête, chez le faisan, par exemple ; quelquefois, au contraire, la tête est dénudée et revêt d’admirables colorations. La gorge aussi est quelquefois ornée d’une barbe ou de caroncules. Les appendices de ce genre, affectant d’ordinaire de brillantes couleurs, servent sans doute d’ornements, bien que nous ne soyons guère disposés à les considérer comme tels ; en effet, pendant que les mâles courtisent la femelle, ces appendices se gonflent et acquièrent des tons encore plus vifs, chez le dindon mâle, par exemple. Les appendices charnus qui ornent la tête du faisan tragopan mâle (Ceriornis Temminckii) se dilatent pendant la saison des amours, de façon à former un large médaillon sur la gorge et deux cornes situées de chaque côté de la splendide huppe qu’il porte sur la tête ; ces appendices revêtent alors le bleu le plus intense qu’il m’ait été donné de voir[62]. Le Calao africain (Bucorax abyssinicus) gonfle la caroncule écarlate en forme de vessie qu’il porte au cou, ce qui, « joint à ses ailes traînantes et à sa queue étalée, lui donne un grand air[63], » L’iris même de l’œil affecte parfois une coloration plus vive chez le mâle que chez la femelle ; il en est fréquemment de même pour le bec, chez notre merle commun, par exemple. Le bec entier et le grand casque du Buceros corrugatus mâle sont plus vivement colorés que ceux de la femelle ; « le bec du mâle porte, en outre, des rainures obliques sur la mandibule inférieure[64]. »

La tête, bien souvent encore, porte des appendices charnus, des filaments ou des protubérances solides. Quand ces ornements ne sont pas communs aux mâles et aux femelles, le mâle seul en est pourvu. Le Dr W. Marshall[65] a décrit en détail les protubérances solides ; il a démontré qu’elles se composent d’os poreux revêtus de peau ou de tissu dermique. Les os du front, chez les mammifères, supportent toujours des cornes véritables ; chez les oiseaux, au contraire, divers os se sont modifiés pour servir de support. On peut observer, chez les espèces d’un même groupe, des protubérances pourvues d’un noyau osseux, et d’autres où il n’y a pas trace d’un noyau de cette nature ; on peut établir en outre une série de gradations reliant ces deux points extrêmes. Il en résulte, comme le fait remarquer le Dr Marshall avec beaucoup de justesse, que les variations les plus diverses ont aidé au développement de ces appendices par sélection sexuelle.

On observe souvent chez les mâles de longues plumes qui surgissent de presque toutes les parties du corps, et qui constituent évidemment des ornements. Quelquefois les plumes qui garnissent la gorge et la poitrine forment des colliers et des fraises splendides. Les plumes de la queue ou rectrices s’allongent fréquemment, comme nous le voyons chez le paon et chez le faisan Argus. Chez le paon, les os de la queue se sont même modifiés pour supporter ces lourdes rectrices[66]. Le corps du faisan Argus n’est pas plus gros que celui d’une poule, et cependant, mesuré de l’extrémité du bec à celle de la queue, il n’a pas moins de 1m,60 de longueur[67], et les belles rémiges secondaires si magnifiquement ocellées atteignent près de trois pieds de longueur. Chez un petit engoulevent africain (Cosmetornis vexillarius), l’une des rémiges primaires atteint, pendant la saison des amours, une longueur de 66 centimètres, alors que le corps de l’oiseau n’a que 25 centimètres de longueur. Chez un autre genre très-voisin, les tiges des longues plumes caudales restent nues, sauf à l’extrémité, où elles portent une houppe en forme de disque[68]. Chez un autre genre d’engoulevent, les rectrices atteignent un développement encore plus prodigieux. En règle générale, les rectrices sont plus allongées que les rémiges, car un trop grand allongement de ces dernières constitue un obstacle au vol. Nous pouvons donc observer le même type de décoration acquis par des oiseaux mâles très-voisins les uns des autres, bien que ce soit par le développement de plumes entièrement différentes.

Il est un fait curieux à remarquer : les plumes d’oiseaux appartenant à des groupes distincts se sont modifiées d’une manière spéciale presque analogue. Ainsi, chez un des engoulevents dont nous venons de parler, les rémiges ont la tige dénudée et se terminent par une houppe en forme de disque, ou en forme de cuiller ou de raquette. On remarque des plumes de ce genre dans la queue du momot (Eumomota superciliaris), d’un martin-pêcheur, d’un pinson, d’un oiseau-mouche, d’un perroquet, de plusieurs drongos indiens (Dicrurus et Edolius, chez l’un desquels les disques sont verticaux), et dans la queue de certains oiseaux de paradis. Chez ces derniers, des plumes semblables magnifiquement ocellées ornent la tête, ce qu’on observe aussi chez certains gallinacés. Chez une outarde indienne (Sypheotides auritus), les plumes qui forment les houppes auriculaires et qui ont environ dix centimètres de longueur se terminent aussi par des disques[69]. M. Salvin[70] a démontré ce qui constitue un fait très-singulier, que les momots donnent à leurs rectrices la forme d’une raquette en rongeant les barbes de la plume ; il a démontré, en outre, que cette mutilation continue a produit, dans une certaine mesure, des effets héréditaires. Les barbes des plumes, chez des oiseaux très-distincts, sont filamenteuses ou barbelées ; c’est ce qu’on observe chez quelques hérons, chez des ibis, des oiseaux de paradis et des gallinacés.

Dans d’autres cas, les barbes disparaissent, les tiges restent nues d’une extrémité à l’autre ; des plumes de ce genre dans la queue du Paradisea apoda atteignent une longueur de 86 centimètres[71] ; chez le P. Papuana (fig. 47) elles sont beaucoup plus courtes et beaucoup plus minces. Des plumes plus petites ainsi dénudées prennent l’aspect de soies, sur la poitrine du dindon, par exemple. On sait que toute mode fugitive en toilette devient l’objet de l’admiration humaine ; de même, chez les oiseaux, la femelle paraît apprécier un changement, si minime qu’il soit, dans la structure ou dans la coloration des plumes du mâle. Nous venons de voir que les plumes se sont modifiées d’une manière analogue, dans des groupes très-distincts ; cela provient sans doute de ce que les plumes, ayant toutes la même conformation et le même mode de développement, tendent par conséquent à varier de la même manière. Nous remarquons souvent une tendance à la variabilité analogue dans le plumage de nos races domestiques appartenant à des espèces distinctes. Ainsi des huppes céphaliques ont apparu chez diverses espèces. Chez une variété du dindon maintenant éteinte, la huppe consistait en tiges nues terminées par des houppes de duvet, et ressemblaient jusqu’à un certain point aux plumes en raquettes que nous venons de décrire. Chez certaines races de pigeons et de volailles, les plumes sont duveteuses, avec quelque tendance à ce que les tiges se dénudent. Chez l’oie de Sébastopol, les plumes scapulaires sont très-allongées, frisées, et même contournées en spirale avec les bords duveteux[72].

Fig. 47. — Paradisea papuana (T. W. Wood)

À peine est-il besoin de parler de la couleur, car chacun sait combien les nuances des oiseaux sont belles et harmonieusement combinées. Les couleurs sont souvent métalliques et irisées. Des taches circulaires sont quelquefois entourées d’une ou plusieurs zones de nuances et de tons différents ; l’ombre qui en résulte les convertit ainsi en ocelles.

Il n’est pas non plus nécessaire d’insister sur les différences étonnantes qui existent entre les mâles et les femelles. Le paon commun nous en offre un exemple frappant. Les oiseaux de paradis femelles affectent une couleur obscure, et sont dépourvus de tout ornement, tandis que les mâles revêtent des ornements si riches et si variés, que quiconque ne les a pas étudiés peut à peine s’en faire une idée.

Fig. 48. — Lophornis ornatus, mâle et femelle (d’après Brehm, édition française).

Lorsque le Paradisea apoda redresse et fait vibrer les longues plumes jaune doré qui décorent ses ailes, on croirait voir une sorte de halo, au centre duquel la tête « figure un petit soleil d’émeraude dont les deux plumes forment les rayons[73] », Une autre espèce, également magnifique, a la tête chauve « d’un riche bleu cobalt, et ornée en outre de plusieurs bandes de plumes noires veloutées[74] ».

Fig. 49. — Spathura Underwoodi, mâle et femelle (d’après Brehm, édition française).

Les oiseaux-mouches (fig. 48 et 49) mâles sont presque aussi beaux que les oiseaux de paradis ; quiconque a feuilleté les beaux volumes de M. Gould, ou visité sa riche collection, ne peut le contester. Ces oiseaux affectent une diversité d’ornements très-remarquable. Presque toutes les parties du plumage ont été le siège de modifications, qui, comme me l’a indiqué M. Gould, ont été poussées à un point extrême chez quelques espèces appartenant à presque tous les sous-groupes. Ces cas présentent une singulière analogie avec ceux que nous présentent les races que nous élevons pour l’ornementation, nos races de luxe, en un mot. Un caractère a primitivement varié chez certains individus, et certains autres caractères chez d’autres individus de la même espèce ; l’homme s’est emparé de ces variations et les a poussées à un point extrême, comme la queue du pigeon-paon, le capuchon du jacobin, le bec et les caroncules du messager, etc. Il existe toutefois une différence dans un de ces cas ; le résultat a été obtenu grâce à la sélection opérée par l’homme, tandis que, dans l’autre, celui des oiseaux-mouches, des oiseaux de paradis, etc., le résultat provient de la sélection que les femelles exercent en choisissant les plus beaux mâles.

Je ne citerai plus qu’un oiseau, remarquable par l’extrême contraste de coloration qui existe entre les mâles et les femelles ; c’est le fameux oiseau-cloche, Chasmorhynchus niveus, de l’Amérique du Sud, dont, à une distance de près de quatre kilomètres, on peut distinguer la note qui étonne tous ceux qui l’entendent pour la première fois. Le mâle est blanc pur, la femelle vert obscur ; la première de ces couleurs est assez rare chez les espèces terrestres de taille moyenne et à habitudes inoffensives. Le mâle, s’il faut en croire la description de Waterton, porte sur la base du bec un tube contourné en spirale, long de près de huit centimètres. Ce tube, noir comme le jais, est couvert de petites plumes duveteuses ; il peut se remplir d’air par communication avec le palais, et pend sur le côté lorsqu’il n’est pas insufflé. Ce genre renferme quatre espèces ; les mâles de ces quatre espèces sont très-différents les uns des autres, tandis que les femelles, dont la description a fait l’objet d’un mémoire intéressant de M. Sclater, se ressemblent beaucoup ; c’est là un excellent exemple de la règle générale que nous avons posée, à savoir que, dans un même groupe, les mâles diffèrent beaucoup plus les uns des autres que ne le font les femelles. Chez une seconde espèce, le C. nudicollis, le mâle est également blanc de neige, à l’exception d’un large espace de peau nue sur la gorge et autour des yeux, peau qui, à l’époque des amours, prend une belle teinte verte. Chez une troisième espèce (C. tricarunculatus), le mâle n’a de blanc que la tête et le cou, le reste du corps est brun noisette ; le mâle de cette espèce porte trois appendices filamenteux, longs comme la moitié de son corps, — dont l’un part de la base du bec, et les deux autres des coins de la bouche[75].

Les mâles adultes de certaines espèces conservent toute leur vie leur plumage coloré et les autres ornements qui les décorent ; chez d’autres espèces, ces ornements se renouvellent périodiquement pendant l’été et pendant la saison des amours. À cette époque, le bec et la peau nue de la tête changent souvent de couleur, comme chez quelques hérons, quelques ibis, quelques mouettes, un des oiseaux (Chasmorhynchus) mentionnés plus haut, etc. Chez l’ibis blanc les joues, la peau dilatable de la gorge et les parties qui entourant la base du bec, deviennent cramoisies[76]. Chez un râle, le Gallicrex cristatus, une grosse caroncule rouge se développe sur la tête du mâle à la même époque. Il en est de même d’une mince crête cornée qui se forme sur le bec d’un pélican, le P. erythrorhynchus ; car, après la saison des amours, ces crêtes cornées tombent comme les bois de tête des cerfs, et on a trouvé la rive d’une île, dans un lac de la Nevada, couverte de ces curieuses dépouilles[77].

Les modifications de couleur du plumage suivant les saisons proviennent, premièrement, d’une double mue annuelle ; secondement, d’un changement réel de couleur qui affecte les plumes elles-mêmes ; troisièmement, de ce que les bords de couleur plus terne de la plume tombent périodiquement ; ou de ces trois causes plus ou moins combinées. La chute des bords de la plume peut se comparer à celle de la chute du duvet des très-jeunes oiseaux ; car, dans la plupart des cas, le duvet surmonte le sommet des premières vraies plumes[78].

Quant aux oiseaux qui subissent annuellement une double mue, on peut en citer certains, comme les bécasses, les glaréoles et les courlis, chez lesquels les mâles et les femelles se ressemblent et ne changent de couleur à aucune époque. Je ne saurais dire si le plumage d’hiver est plus épais et plus chaud que celui de l’été, ce qui semblerait, lorsqu’il n’y a pas de changement de couleur, la cause la plus probable d’une double mue. Secondement, il y a des oiseaux, quelques espèces de Totanus et quelques autres échassiers par exemple, chez lesquels les mâles et les femelles se ressemblent, mais qui ont un plumage d’été et un plumage d’hiver un peu différents. La différence de coloration est, d’ailleurs, ordinairement si insignifiante, qu’elle peut à peine constituer un avantage pour ces oiseaux ; on peut l’attribuer, peut-être, à l’action directe des conditions différentes auxquelles les individus sont exposés pendant les deux saisons. Troisièmement, il y a beaucoup d’autres espèces chez lesquelles les mâles et les femelles se ressemblent, mais qui revêtent un plumage d’été et un plumage d’hiver très-différents. Quatrièmement, on connaît de nombreuses espèces chez lesquelles la coloration du mâle diffère beaucoup de celle de la femelle ; or, la femelle, bien que muant deux fois, conserve la même coloration pendant toute l’année, tandis que les mâles subissent sous ce rapport des modifications quelquefois très-considérables, quelques outardes, par exemple. Cinquièmement, enfin, il est certaines espèces où le mâle et la femelle diffèrent l’un de l’autre tant par leur plumage d’été que par celui d’hiver, mais le mâle subit, au retour de chaque saison, une modification plus considérable que la femelle, — cas dont le tringa (Machetes pugnax) présente un frappant exemple.

Quant à la cause ou au but des différences de coloration entre le plumage d’été et celui d’hiver, elles peuvent, dans quelques cas, comme chez le ptarmigan[79], servir pendant les deux saisons de moyen protecteur. Lorsque la différence est légère, on peut, comme nous l’avons déjà fait remarquer, l’attribuer peut-être à l’action directe des conditions d’existence. Mais il est évident que, chez beaucoup d’oiseaux, le plumage d’été est ornemental, même lorsque les deux sexes se ressemblent. Nous pouvons conclure que tel est le cas pour beaucoup de hérons, etc., qui ne revêtent leur admirable plumage que pendant la saison des amours. En outre, ces aigrettes, ces huppes, etc., bien qu’elles existent chez les deux sexes, prennent parfois un développement plus considérable chez le mâle que chez la femelle, et ressemblent aux ornements de même nature qui, chez d’autres oiseaux, sont l’apanage des mâles seuls. On sait aussi que la captivité, en affectant le système reproducteur des oiseaux mâles, arrête fréquemment le développement des caractères sexuels secondaires, sans exercer d’influence immédiate sur leurs autres caractères ; or, d’après M. Bartlett, huit ou neuf Tringa canutus ont conservé pendant toute l’année, aux Zoological Gardens, leur plumage d’hiver dépourvu d’ornements, fait qui nous permet de conclure que, bien que commun aux deux sexes, le plumage d’été participe à la nature du plumage exclusivement masculin de beaucoup d’autres oiseaux[80].

La considération des faits précédents, et, plus spécialement le fait que certains oiseaux de l’un et de l’autre sexe, ne subissent aucune modification de couleur au cours de leurs mues annuelles, ou changent si peu que la modification ne peut guère leur être avantageuse, qu’en outre les femelles d’autres espèces muent deux fois et conservent néanmoins toute l’année les mêmes couleurs, nous permet de conclure que l’habitude de muer deux fois pendant l’année n’a pas été acquise en vue d’assurer un caractère ornemental au plumage du mâle pendant la saison des amours ; mais que la double mue, acquise primitivement dans un but distinct, est subséquemment, dans certains cas, devenue l’occasion de revêtir un plumage nuptial.

Il paraît surprenant, au premier abord, que, chez des espèces très-voisines, quelques oiseaux subissent une double mue annuelle régulière, et que d’autres n’en subissent qu’une seule. Le ptarmigan, par exemple, mue deux ou même trois fois l’an, et le tétras noir une seule fois. Quelques magnifiques Nectariniées de l’Inde, et quelques sous-genres d’Anthus, obscurément colorés, muent deux fois, tandis que d’autres ne muent qu’une fois par an[81]. Mais les gradations que présente la mue chez diverses espèces nous permettent d’expliquer comment des espèces ou des groupes d’espèces peuvent avoir primitivement acquis la double mue annuelle, ou la reperdre après l’avoir possédée. La mue printanière, chez certaines outardes et chez certains pluviers, est loin d’être complète, et se borne au remplacement de quelques plumes ; d’autres ne subissent qu’un changement de couleur. Il y a aussi des raisons pour croire que chez certaines outardes, et chez certains oiseaux, comme les mâles, qui subissent une double mue, quelques vieux mâles conservent pendant toute l’année leur plumage nuptial. Quelques plumes très-modifiées peuvent, au printemps, s’ajouter au plumage, comme cela a lieu pour les rectrices en forme de disque de certains drongos (Bhringa) dans l’Inde, et les plumes allongées qui ornent le dos, le cou et la crête de quelques hérons. En suivant une progression de cette nature, la mue printanière se compléterait de plus en plus, et finirait par devenir double. Quelques oiseaux de paradis conservent leurs plumes nuptiales pendant toute l’année et ne subissent, par conséquent, qu’une seule mue ; d’autres les perdent immédiatement après la saison des amours et subissent, en conséquence, une double mue ; d’autres enfin les perdent à cette époque la première année seulement et ne les perdent pas les années suivantes, de telle sorte que ces dernières espèces constituent pour ainsi dire un chaînon intermédiaire au point de vue de la mue.

Il existe une grande différence dans le laps de temps pendant lequel se conservent les deux plumages annuels, l’un pouvant durer toute l’année, et l’autre disparaître entièrement. Ainsi, le Machetes pugnax ne garde sa fraise au printemps que pendant deux mois au plus. Le Chera progne mâle acquiert, à Natal, son beau plumage et ses longues rectrices en décembre ou en janvier et les perd en mars ; il ne les garde donc qu’environ trois mois. La plupart des espèces soumises à une double mue conservent leurs plumes décoratives pendant six mois environ. Le Gallus bankiva sauvage mâle conserve cependant les soies qu’il porte au cou pendant neuf ou dix mois, et, lorsqu’elles tombent, les plumes noires sous-jacentes du cou deviennent visibles. Mais, chez le descendant domestique de cette espèce, les soies du cou sont immédiatement remplacées par de nouvelles, de sorte qu’ici nous voyons que pour une partie du plumage, une double mue s’est, sous l’influence de la domestication, transformée en une mue simple[82].

On sait que le canard commun (Anas boschas) perd, après la saison des amours, son plumage masculin pendant une période de trois mois, période pendant laquelle il revêt le plumage de la femelle. Le Pilet mâle (Anas acuta) perd son plumage pendant une période de six semaines ou deux mois seulement, et Montagu remarque « que cette double mue, dans un espace de temps aussi court, constitue un fait extraordinaire, qui semble mettre en défaut tout raisonnement humain ». Mais quiconque croit à la modification graduelle de l’espèce ne sera nullement surpris d’observer toutes ces gradations. Si le pilet mâle revêtait son nouveau plumage dans un laps de temps encore plus court, les nouvelles plumes propres au mâle se mélangeraient presque nécessairement avec les anciennes, et toutes deux avec quelques plumes propres à la femelle. Or, c’est ce qui semble se présenter chez le mâle d’un oiseau qui n’est pas très-éloigné de l’Anas acuta, le Harle huppé (Merganser serrator) dont les mâles « subissent, dit-on, un changement de plumage qui les fait, dans une certaine mesure, ressembler à la femelle ». Si la marche du phénomène s’accélérait un peu, la double mue se perdrait complètement[83].

Quelques oiseaux mâles, comme nous l’avons déjà dit, affectent, au printemps, des couleurs plus vives, ce qui provient non d’une mue printanière, mais soit d’une modification réelle de la couleur des plumes, soit de la chute des bords obscurs de ces dernières. Les modifications de couleur ainsi produites peuvent persister plus ou moins longtemps. Le plumage entier du Pelecanus onocrotalus est, au printemps, teinté d’une nuance rose magnifique, outre des taches jaune citron sur la poitrine ; mais, comme le fait remarquer M. Sclater, « ces teintes durent peu et disparaissent ordinairement six semaines ou deux mois après leur apparition. » Certains pinsons perdent au printemps les bords de leurs plumes, et revêtent des couleurs plus vives, tandis que d’autres n’éprouvent aucune modification de ce genre. Ainsi le Fringilla tristis des États-Unis (ainsi que beaucoup d’autres espèces américaines) ne revêt ses vives couleurs que lorsque l’hiver est passé ; tandis que notre chardonneret, qui représente exactement cet oiseau par ses habitudes, et le tarin, qui le représente de plus près encore par sa conformation, ne subissent aucune modification annuelle analogue. Mais une différence de ce genre dans le plumage d’espèces voisines n’a rien d’étonnant, car chez la linotte commune, qui appartient à la même famille, la coloration cramoisie du front et de la poitrine n’apparaissent en Angleterre que pendant l’été, tandis qu’à Madère ces couleurs persistent pendant toute l’année[84].


Les oiseaux mâles aiment à étaler leur plumage. — Les mâles étalent, avec soin, leurs ornements de tous genres, que ces ornements soient chez eux permanents ou temporaires ; ils leur servent évidemment à exciter, à attirer et à captiver les femelles. Toutefois les mâles déploient quelquefois leurs ornements sans se trouver en présence de femelles, comme le font les grouses dans leurs réunions ; on a pu aussi remarquer que le paon aime à étaler sa queue splendide à condition qu’il ait un spectateur quelconque, et, comme j’ai souvent pu l’observer, fait parade de ses beaux atours devant des poules, et même devant des porcs[85]. Tous les naturalistes qui ont étudié avec soin les habitudes des oiseaux, soit à l’état sauvage, soit en captivité, sont unanimes à reconnaître que les mâles sont enchantés de montrer leurs ornements. Audubon a remarqué que le mâle cherche de diverses manières à captiver la femelle. M. Gould, après avoir décrit quelques ornements particuliers à un oiseau-mouche mâle, ajoute qu’il a soin de les exposer à son plus grand avantage devant la femelle. Le docteur Jerdon[86] insiste sur l’attraction et la fascination qu’exerce sur la femelle le beau plumage du mâle ; M. Bartlett, des Zoogical Gardens, s’exprime non moins catégoriquement à cet égard.

Ce doit être un beau spectacle, dans les forêts de l’Inde, « que de tomber brusquement sur vingt ou trente paons, dont les mâles étalent leurs queues splendides, et se pavanent orgueilleusement devant les femelles charmées. » Le dindon sauvage redresse son brillant plumage, étale sa queue élégamment zonée et ses rémiges barrées, et, au total, avec les caroncules bleus et cramoisis qui garnissent sa gorge, il doit faire un effet superbe, bien que grotesque à nos yeux. Nous avons déjà cité des faits analogues à propos de divers tétras (grouse). Passons donc à un autre ordre d’oiseaux. Le Rupicola crocea mâle (fig. 50) est un des plus beaux oiseaux qu’il y ait au monde, son plumage affecte une teinte jaune orangé splendide, et quelques-unes de ses plumes sont curieusement tronquées et barbelées. La femelle, vert brunâtre, nuancé de rouge, a une crête beaucoup plus petite. Sir R. Schomburgh a décrit les moyens qu’ils emploient pour courtiser les femelles ; il a pu, en effet, observer une de leurs réunions où se trouvaient dix mâles et deux femelles. L’espace qu’ils occupaient avait quatre à cinq pieds de diamètre ; ils avaient arraché l’herbe avec soin, uni et égalisé le terrain comme auraient pu le faire des mains humaines. Un mâle était en train de cabrioler évidemment à la grande satisfaction des autres. Tantôt il étendait les ailes, relevait la tête ou étalait sa queue en éventail, tantôt il se pavanait en sautillant jusqu’à ce qu’il tombât épuisé de fatigue ; il jetait alors un certain cri, et était immédiatement remplacé par un autre. Trois d’entre eux entrèrent successivement en scène, et se retirèrent ensuite pour se reposer. »

Fig. 50. — Rupicola croeca, mâle (T. W. Wood).

Les Indiens, pour se procurer leurs peaux, attendent que les oiseaux soient très-occupés par le spectacle auquel ils assistent ; ils peuvent alors, à l’aide de leurs flèches empoisonnées, tuer l’un après l’autre cinq ou six mâles[87]. Une douzaine au moins d’oiseaux de paradis mâles, au plumage complet, se rassemblent sur un arbre pour donner un bal, comme disent les indigènes ; ils se mettent à voleter de ci de là, élèvent leurs ailes, redressent leurs plumes si élégantes, et les font vibrer de telle façon, dit M. Wallace, qu’on croirait l’arbre entier rempli de plumes flottantes. Ils sont alors si absorbés qu’un archer habile peut abattre presque toute la bande. Ces oiseaux, gardés en captivité dans l’archipel Malais, entretiennent avec soin la propreté de leurs plumes ; ils les étalent souvent pour les examiner et pour enlever la moindre trace de poussière. Un observateur, qui en a gardé plusieurs couples vivants, affirme que les parades auxquelles se livre le mâle ont pour but de charmer la femelle[88].

Le faisan doré et le faisan Amhurst, quand ils courtisent les femelles, ne se contentent pas d’étendre et de relever leur magnifique fraise, mais, comme je l’ai observé moi-même, ils la tournent obliquement vers la femelle, de quelque côté qu’elle se trouve, évidemment pour en déployer devant elle une large surface[89]. M. Bartlett a observé un polyplectron mâle (fig. 51) faisant sa cour à une femelle, et m’a montré un individu empaillé placé dans la position qu’il prend dans cette circonstance. Les rectrices et les rémiges de cet oiseau sont ornées de superbes ocelles, semblables à ceux de la queue du paon. Or, lorsque ce dernier se pavane, il étale et redresse sa queue transversalement, car il se place en face de la femelle et exhibe en même temps sa gorge et sa poitrine si richement colorées en bleu. Mais le polyplectron a la poitrine sombre, et les ocelles ne sont point circonscrits aux rectrices ; en conséquence, il ne se pose pas en face de la femelle, mais il redresse et étale ses rectrices un peu obliquement, en ayant soin d’abaisser l’aile du même côté et de relever l’aile opposée. Dans cette position, il expose à la vue de la femelle, qui l’admire, toute la surface de son corps parsemée d’ocelles. De quelque côté qu’elle se retourne, les ailes étendues et la queue inclinée suivent le mouvement et restent ainsi à portée de sa vue. Le faisan tragopan mâle agit d’une manière à peu près semblable, car il redresse les plumes du corps, mais non pas l’aile, du côté opposé à celui où se trouve la femelle, plumes que sans cela elle n’apercevrait pas, de sorte que toutes ses plumes élégamment tachetées sont en même temps exposées à ses regards.

La conduite du faisan Argus est encore plus étonnante. Les rémiges secondaires si énormément développées du mâle, qui seul en est pourvu, sont ornées d’une rangée de vingt à vingt-trois ocelles, ayant tous plus d’un pouce de diamètre. Les plumes sont, en outre, élégamment décorées de raies obliques foncées et de séries de taches, rappelant une combinaison de la fourrure du tigre et de celle du léopard.

Fig. 51. — Polyplectron chinquis, mâle (T. W. Wood).

Le mâle cache ces splendides ornements jusqu’à ce qu’il se trouve en présence de la femelle ; alors, il redresse sa queue et déploie les plumes de ses ailes de façon à leur faire prendre l’apparence d’un grand éventail ou d’un grand bouclier circulaire et presque vertical qu’il porte en avant de son corps. Il dissimule sa tête et son cou derrière ce bouclier ; mais, afin de pouvoir surveiller la femelle devant laquelle il exhibe ses ornements, il passe quelquefois la tête, ainsi qu’a pu l’observer M. Bartlett, entre deux des longues rémiges ; l’oiseau, dans ce cas, présente une apparence grotesque. Ce doit être là, d’ailleurs, une habitude du faisan Argus à l’état sauvage, car M. Bartlett et son fils, en examinant des peaux en parfait état de conservation qui leur avaient été envoyées de l’Orient, ont remarqué, entre deux des plumes, un endroit usé évidemment par le passage fréquent de la tête de l’oiseau. M. Wood pense que le mâle peut aussi surveiller la femelle en regardant de côté sur le bord de l’éventail.

Les ocelles qui décorent les rémiges du faisan Argus sont ombrés avec une telle perfection, que, comme le fait remarquer le duc d’Argyll[90], ils représentent absolument une boule qu’on aurait posée dans un alvéole. J’éprouvai toutefois un grand désappointement quand j’examinai l’individu empaillé qui se trouve au British Muséum ; on l’a monté les ailes déployées mais abaissées ; les ocelles me paraissent plats et même concaves. Mais M. Gould me fit aussitôt comprendre la cause de mon désappointement ; il lui suffisait pour cela de placer ces plumes dans la position que leur donne l’oiseau quand il les étale devant la femelle. Or, dès que les rémiges se trouvent dans la position verticale et que la lumière les frappe par en haut, l’effet complet des ombres se produit, et chaque ocelle (fig. 52) prend l’aspect d’une boule dans une cavité. Tous les artistes à qui on a montré ces plumes ont admiré la perfection avec laquelle elles sont ombrées. Une question vient tout naturellement à l’esprit : comment la sélection sexuelle a-t-elle pu déterminer la formation de ces ornements si artistiques ? Nous nous réservons de répondre à cette question dans le chapitre suivant, après avoir discuté le principe de la gradation.

Les remarques précédentes s’appliquent aux rémiges secondaires du faisan Argus, mais les rémiges primaires, qui ont une coloration uniforme chez la plupart des gallinacés, ne sont pas, chez cet oiseau, moins merveilleuses. Elles affectent une teinte brune douce et sont parsemées de nombreuses taches foncées, dont chacune consiste en deux ou trois points noirs entourés d’une zone foncée. Mais l’ornement principal de ces rémiges consiste en un seul espace parallèle à la tige bleue foncée, dont le contour figure une seconde plume parfaite contenue dans la plume véritable. Cette portion intérieure affecte une couleur châtain plus clair, et est parsemée de petits points blancs. J’ai montré ces plumes à bien des personnes et plusieurs les ont préférées même aux plumes à ocelles, et ont déclaré qu’elles ressemblaient plutôt à une œuvre d’art qu’à une œuvre de la nature. Or, dans toutes les circonstances ordinaires, ces plumes sont entièrement cachées, mais elles s’étalent complètement, en même temps que les rémiges secondaires, de façon à former un grand éventail.

Fig. 52. — Faisan Argus étalant son plumage (M. T. Wood).

L’exemple du faisan Argus mâle est éminemment intéressant, en ce qu’il nous fournit une excellente preuve que la beauté la plus exquise peut servir à captiver la femelle, mais à rien autre chose ; en effet, les rémiges primaires ne sont jamais visibles, et les ocelles apparaissent dans toute leur perfection, seulement alors que le mâle prend l’attitude qu’il adopte toujours quand il courtise la femelle. Le faisan Argus n’affecte pas de brillantes couleurs, de sorte que ses succès auprès de l’autre sexe paraissent dépendre de la grandeur de ses plumes et de la perfection de leurs élégants dessins. On objectera, sans doute, qu’il est absolument incroyable qu’un oiseau femelle puisse apprécier la finesse des ombres et l’élégance du dessin, mais nous n’hésitons pas à avouer qu’elle puisse posséder ce degré de goût presque humain. Quiconque croit pouvoir évaluer avec certitude le degré de discernement et de goût des animaux inférieurs peut nier, chez le faisan Argus femelle, l’appréciation de beautés aussi délicates : mais alors il faut admettre que les attitudes extraordinaires que prend le mâle, lorsqu’il courtise la femelle, et qui sont les seules pendant lesquelles la beauté merveilleuse de son plumage s’étale complètement aux regards, n’ont aucune espèce de but. Or c’est là une conclusion qui, pour moi tout au moins, est inadmissible.

Alors que tant de faisans et de gallinacés voisins étalent avec le plus grand soin leur beau plumage aux regards des femelles, M. Bartlett me signale un fait très-remarquable : deux faisans affectant des couleurs ternes, le Crossoptilon auritum et le Phasianus Wallichii n’agissent pas ainsi ; ces oiseaux paraissent donc comprendre qu’il est inutile de faire parade de beautés qu’ils ne possèdent pas. M. Bartlett n’a jamais vu de combats entre les mâles de l’une ou l’autre de ces deux espèces qu’il a eu d’excellentes occasions d’observer, surtout la première. M. Jenner Weir pense aussi que tous les oiseaux mâles à plumage riche et fortement caractérisé sont plus querelleurs que ceux à couleurs sombres faisant partie des mêmes groupes. Le chardonneret, par exemple, est beaucoup plus belliqueux que la linotte, et le merle que la grive. Les oiseaux qui subissent un changement périodique de plumage deviennent également plus belliqueux à l’époque pendant laquelle ils sont le plus richement ornés. Sans doute, on a observé des luttes terribles entre les mâles de quelques oiseaux à coloration obscure, mais il semble que, lorsque la sélection sexuelle a exercé une forte influence et a déterminé, chez les mâles d’une espèce quelconque, une riche coloration, elle a aussi développé chez eux une tendance prononcée à un caractère belliqueux. Nous aurons à signaler des cas presque analogues chez les mammifères. D’autre part, il est rare que l’aptitude au chant et la beauté du plumage se trouvent réunis sur les mâles de la même espèce ; mais, dans ce cas, l’avantage résultant de ces deux perfections aurait été identiquement le même : le succès auprès de la femelle. Il faut néanmoins reconnaître que, chez les mâles de quelques oiseaux aux vives couleurs, les plumes ont subi des modifications spéciales qui les adaptent à la production d’une certaine musique instrumentale, bien que, si nous consultons notre goût tout au moins, nous ne puissions pas comparer la beauté de cette musique à celle de la musique vocale de beaucoup d’oiseaux chanteurs.

Passons maintenant aux oiseaux mâles qui, sans être ornés à aucun degré considérable, exhibent néanmoins, lorsqu’ils courtisent les femelles, les charmes qu’ils possèdent. Ces cas, plus curieux que les précédents, sous certains rapports, ont été peu remarqués jusqu’ici. M. Jenner Weir, qui a longtemps élevé des oiseaux de bien des genres, y compris tous les Fringillidés et tous les Embérizidés d’Angleterre, a bien voulu me communiquer les faits suivants choisis parmi un ensemble considérable de notes précieuses. Le bouvreuil se présente de face à la femelle, et gonfle sa poitrine de manière à lui faire voir à la fois plus de plumes cramoisies qu’elle ne pourrait en apercevoir dans toute autre position. En même temps, il abaisse sa queue noire et la tourne de côté et d’autre d’une manière comique. Le pinson mâle se place aussi devant la femelle pour montrer sa gorge rouge et sa tête bleue ; il étend en même temps légèrement les ailes, ce qui laisse apercevoir les belles lignes blanches des épaules. La linotte commune distend sa poitrine rosée, étale légèrement ses ailes et sa queue brunes, de manière à en tirer le meilleur parti en montrant leurs bordures blanches. Il faut cependant faire toutes réserves avant de conclure que ces oiseaux n’étalent leurs ailes que pour les faire admirer, car certains oiseaux dont les ailes n’ont aucune beauté agissent de même. Le coq domestique, par exemple, n’étend jamais que l’aile opposée à la femelle et la fait traîner jusqu’à terre. Le chardonneret mâle se comporte autrement que tous les autres pinsons ; il a des ailes superbes, les épaules sont noires, et les rémiges foncées tachetées de blanc et bordées de jaune d’or. Lorsqu’il courtise la femelle, il balance son corps de droite à gauche et réciproquement, et tourne rapidement ses ailes légèrement ouvertes d’abord d’un côté, puis de l’autre, et produit ainsi un effet lumineux à reflet doré. M. Weir affirme qu’aucun autre oiseau du même groupe ne se comporte de cette façon pendant qu’il courtise la femelle, pas même le tarin mâle, espèce très-voisine ; ce dernier, il est vrai, n’ajouterait rien à sa beauté en prenant cette attitude.

La plupart des bruants anglais sont des oiseaux à couleur terne et uniforme, mais les plumes qui ornent la tête du bruant des roseaux (Emberiza schoeniculus) mâle, revêtent, au printemps, une belle coloration noire par la disparition de leurs pointes plus pâles ; ces plumes se redressent pendant que l’oiseau courtise la femelle. M. Weir a élevé deux espèces d’Amadina d’Australie ; l’A. castanotis est une petite espèce à coloration très-insignifiante ; la queue affecte une teinte foncée, le croupion est blanc, et les plumes supérieures de la queue noir de jais ; chacune de ces dernières porte trois grandes taches blanches, ovales et très-apparentes[91]. Le mâle, lorsqu’il courtise la femelle, étale un peu et fait vibrer d’une manière toute particulière ces plumes en partie colorées de la queue. L’Amadina Lathami mâle se comporte d’une manière très-différente ; il exhibe devant la femelle sa poitrine richement tachetée et lui fait voir en même temps les plumes supérieures écarlates de son croupion et de sa queue. Je peux ajouter ici, d’après M. Jerdon, que le Bulbul indien (Pycnonotus hæmorrhous) a des plumes sous-caudales écarlates, dont les belles couleurs, pourrait-on croire, n’apparaîtraient jamais « si l’oiseau excité ne les étalait latéralement de manière à les rendre visibles même d’en haut »[92]. On peut apercevoir, sans que l’oiseau se donne aucune peine, les plumes sous-caudales cramoisies de quelques autres espèces, celles du Picus major, par exemple. Le pigeon commun a des plumes irisées sur la poitrine, et chacun sait que le mâle gonfle sa gorge lorsqu’il courtise la femelle et exhibe ainsi ses plumes de la manière la plus avantageuse. Un des magnifiques pigeons à ailes bronzées d’Australie (Ocyphaps lophotes) se comporte différemment, selon M. Weir ; le mâle, quand il se tient devant la femelle, baisse la tête presque jusqu’à terre, étale et redresse perpendiculairement sa queue et étend à moitié ses ailes. Il soulève et abaisse ensuite alternativement son corps de façon que les plumes métalliques irisées apparaissent toutes à la fois et resplendissent au soleil.

Nous avons maintenant cité un assez grand nombre de faits pour prouver avec quel soin et avec quelle adresse les oiseaux mâles étalent leurs divers charmes. Ils ont, quand ils nettoient leurs plumes, de fréquentes occasions pour les admirer et pour étudier comment ils peuvent le mieux faire valoir leur beauté. Mais, comme tous les mâles d’une même espèce se comportent d’une même manière, il semble que des actes, peut-être intentionnels dans le principe, ont fini par devenir instinctifs. S’il en est ainsi, nous ne devons pas accuser les oiseaux de vanité consciente ; cependant, lorsque nous voyons un paon se pavaner, la queue étalée et frissonnante, il semble qu’on ait devant les yeux le véritable emblème de l’orgueil et de la vanité.

Les divers ornements que possèdent les mâles ont certainement pour eux une extrême importance, car, dans certains cas, ils les ont acquis aux dépens de grands obstacles apportés à leur aptitude au vol et à la locomotion rapide. Le Cosmetornis africain, chez lequel une des rémiges primaires acquiert une longueur considérable pendant la saison des amours, est ainsi très-gêné dans son vol, remarquable par sa rapidité en tout autre temps. La grandeur encombrante des rémiges secondaires du faisan Argus mâle empêche, dit-on, « presque complètement l’oiseau de voler ». Les magnifiques plumes des oiseaux de paradis les embarrassent lorsque le vent est fort. Les longues plumes caudales des Vidua mâles de l’Afrique australe rendent leur vol très-lourd ; mais, aussitôt que ces plumes ont disparu, ils volent aussi bien que les femelles. Les oiseaux couvent toujours lorsque la nourriture est abondante, les obstacles apportés à leur locomotion n’ont donc pas probablement de grands inconvénients en tant qu’il s’agit de la recherche des aliments, mais il est certain qu’ils doivent être beaucoup plus exposés aux atteintes des oiseaux de proie. Nous ne pouvons non plus douter que la queue du paon et les longues rémiges du faisan Argus ne doivent exposer ces oiseaux à devenir plus facilement la proie des chats tigres. Les vives couleurs de beaucoup d’oiseaux mâles doivent aussi les rendre plus apparents pour leurs ennemis. C’est là, ainsi que le remarque M. Gould, la cause probable de la défiance assez générale de ces oiseaux, qui, ayant peut-être conscience du danger auquel leur beauté les expose, sont plus difficiles à découvrir ou à approcher que les femelles sombres et relativement plus apprivoisées, ou que les jeunes mâles qui n’ont pas encore revêtu leur riche plumage[93].

Il est, d’ailleurs, un fait plus curieux encore ; certains ornements gênent de façon extraordinaire des oiseaux mâles pourvus d’armes pour la lutte et qui, à l’état sauvage, sont assez belliqueux pour s’entre-tuer souvent. Les éleveurs de coqs de combat taillent les caroncules et coupent les crêtes de leurs oiseaux ; c’est ce qu’en termes du métier on appelle les armer en guerre. Un coq qui n’a pas été ainsi préparé, dit M. Tegetmeier, « a de grands désavantages, car la crête et les caroncules offrent une prise facile au bec de son adversaire, et comme le coq frappe toujours là où il tient, lorsqu’il est parvenu à saisir son adversaire, celui-ci est bientôt en son pouvoir. En admettant même que l’oiseau ne soit pas tué, un coq qui n’a pas été taillé de la manière indiquée est exposé certainement à perdre beaucoup plus de sang que celui qui l’a été[94]. » Lorsque les jeunes dindons se battent, ils se saisissent toujours par les caroncules, et je pense que les vieux oiseaux se battent de la même manière. On peut objecter que les crêtes et les caroncules ne sont pas des ornements et ne peuvent avoir pour les oiseaux aucune utilité de cette nature ; mais cependant, même à nos yeux, la beauté du coq espagnol au plumage noir brillant est fort rehaussée par sa face blanche et sa crête cramoisie ; et quiconque a eu l’occasion de voir un faisan tragopan mâle distendre ses magnifiques caroncules bleus, pendant qu’il courtise la femelle, ne peut douter un instant qu’ils ne servent à embellir l’oiseau. Les faits que nous venons de citer prouvent que les plumes et les autres ornements du mâle doivent avoir pour lui une haute importance ; ils prouvent, en outre, que, dans certains cas, la beauté est même plus essentielle pour lui que la victoire dans le combat.


  1. Ibis, vol. III (nouvelle série), 1867, p. 414.
  2. Gould. Handbook to the Birds of Australia, 1865, vol. II, p. 383.
  3. Cité par Gould, Introd. to the Trochilidæ, 1861, p. 20.
  4. Gould, id., p. 52.
  5. W. Thompson, Nat. Hist. of Ireland : Birds, vol. II. 1850, p. 327.
  6. Jerdon, Birds of India, 1863, vol. II, p. 96.
  7. Macgillivray, Hist. of British Birds, vol. IV, 1852, pp. 177-181.
  8. Sir R. Schomburgh, Journ. of R. Georg. Soc., vol. XIII, 1843, p. 51.
  9. Ornithological Biography, vol. I, p. 191. Pour les pélicans et les bécasses, vol. III, p. 381, 477.
  10. Gould, Handbook, etc., vol. I, p. 395, vol. II, p. 383.
  11. Hewitt dans Poultry Book de Tegetmeier, 1866, p. 137.
  12. Layard, Ann. and Mag. of Nat. Hist., vol. XIV, 1854, p. 63.
  13. Jerdon, Birds of India, vol. III, p. 574.
  14. Brehm, Illust. Thierleben ; 1867, vol. IV, p. 351. Quelques-unes des assertions qui précèdent sont empruntées à L. Lloyd, Game Birds of Sweden, etc., 1867, p. 79.
  15. Jerdon, o. c., sur l’Ithaginis, vol. III, p. 523 ; sur le Galloperdix, p. 541.
  16. Pour l’oie égyptienne, Macgillivray, British Birds, vol. IV, p. 639. Pour le Plectropterus, Livingstone, Travels, p. 234. Pour la Palamedea, Brehm, Vie des animaux, édition française. Voir aussi sur ces oiseaux Azara, Voyages dans l’Amér. mérid., vol. VI, 1809, p. 179, 253.
  17. Voir, sur notre Vanneau huppé, M. R. Carr, Land and Water, 8 Août, 1868, p. 46. Pour le Lobivanellus, voir Jerdon (o. c.), vol. III, p. 647, et Gould, Handb. Birds of Australia, vol. II, p, 220. Pour l’Holopterus, voir M. Allen, Ibis, vol. v, 1863, p. 156.
  18. Audubon, Orn. Biog., vol. I, 4-13, vol. II, 492.
  19. Blyth. Land and Water, 1867, p. 212.
  20. Richardson, sur Tetrao umbellus, voir Fauna Bor. Amer. Birds, 1831, p. 343. L. Lloyd, Game birds of Sweden, 1867, p. 22, 79, sur le grand coq de bruyère et le tétras noir. Brehm (Thierleben, etc., vol. IV, p. 352) affirme toutefois qu’en Allemagne les femelles n’assistent pas en général aux assemblées des tétras noirs, mais c’est une exception à la règle ordinaire : il est possible que les femelles soient cachées dans les buissons environnants, comme le font ces oiseaux en Scandinavie, et d’autres espèces dans l’Amérique du Nord.
  21. O. c., vol. II, p. 275.
  22. Brehm, o. c., vol. IV, p. 990, 1867 ; Audubon, o. c., vol. II, p. 492.
  23. Land and Water, 25 juillet 1868, p. 14.
  24. Audubon, o. c., sur le Tetrao cupido, vol. II, p. 492, et sur le Sturnus vol. II, p. 219.
  25. O. c., vol. v, p. 601.
  26. Hon. Daines Barrington, Philos. Trans., 1773, p. 252.
  27. Ornithological Dictionnary, 1833, p. 473.
  28. Naturgesh. d. Stubenvögel, 1840, p. 4. M. Harrisson Weir m’écrit également : – « On m’informe que les meilleurs chanteurs mâles trouvent les premiers une compagne lorsqu’ils sont élevés dans une même volière. »
  29. Philos. Transactions, 1773, p. 263. White, Nat. History of Selbourne, vol. I, 1825, p. 246.
  30. Naturg. d. Stubenvögel, 1840, p. 252.
  31. M. Bold, Zoologist., 1843-44, p. 659.
  32. D. Barrington, Phil. Trans., 1773, p. 262, Bechstein, Stubenvögel, 1840, p. 4.
  33. C’est également le cas pour le merle d’eau, M. Hepburn, dans Zoologist, 1845-46, p. 1068.
  34. L. Lloyd, Game Birds, etc., 1867, p. 23.
  35. Barrington, o. c., p. 264. Bechstein, o. c., p. 5.
  36. Dureau de la Malle cite l’exemple curieux (Ann. Sc. Nat., 3e sér., Zool., vol, x, p. 118) de quelques merles sauvages de son jardin à Paris qui avaient naturellement appris d’un oiseau captif un air républicain.
  37. Bishop, dans Todd’s Cyclop, of Anal. et Phys., vol. IV, p. 1496.
  38. Affirmé par Arrington, Philos. Transact., 1773, p. 262.
  39. Gould, Handbook, etc., vol. I, 1865, pp. 308-310. Voir aussi T. W. Wood dans Student, avril 1870, p. 125.
  40. Gould, Introd. to Trochilidæ, 1861, p. 22.
  41. Sportsman and Naturalist in Canada, by Major W. Ross King, 1866, p. 144-146. M. T. W. Wood fait dans Student (avril 1870, p. 116) un récit excellent de l’attitude et des habitudes de l’oiseau pendant qu’il fait sa cour. Il dit que les touffes des oreilles ou les plumes du cou se redressent de façon à se rencontrer au sommet de la tête.
  42. Richardson, Fauna Bor. Americ. ; Birds, 1831, p. 359. Audubon, o. c., vol. IV, p. 507.
  43. Ce sujet a récemment été traité dans les travaux suivants : — Prof. A. Newton, Ibis, 1862, p. 104 ; docteur Cullen, id., 1865, p. 145 ; M. Flower. Proc. of Zoolog. Soc., 1865, p. 747, et docteur Murie, Proc. Zool. Soc., 1868, p. 471. Dans ce dernier se trouve un excellent dessin de l’outarde australienne mâle au moment où elle étale ses charmes avec le sac distendu.
  44. Bates, The Naturalist on the Amazons, 1863, vol. II, p. 284. Wallace, Proc. Zool. Soc., 1856, p. 206. On a découvert récemment une espèce nouvelle portant au cou un appendice encore plus grand (C. penduliger) Ibis., vol. I, p. 457.
  45. Bishop, Todd’ Cyclop. of Anal. et Phys., vol. IV, p. 1499.
  46. Prof. Newton, Proc. Zool. Soc., 1871, p. 651.
  47. Le bec en cuiller (Platalea) a la trachée contournée en forme de 8, et cependant cet oiseau (Jerdon, Birds of India, vol. III, p. 763) est muet ; mais M. Blyth m’apprend que les circonvolutions ne sont pas toujours présentes, de telle sorte qu’elles tendent peut-être actuellement vers l’atrophie.
  48. Eléments d’Anat. comp., par R. Wagner (trad. angl.), 1845, p. 111. Pour le cygne, voir Yarrell, History of British Birds, 2e édit., 1845, vol. III, p. 193.
  49. C. L. Bonaparte, cité dans Naturalist Library Birds, vol. XIV, p. 126.
  50. L. Lloyd, Game Birds of Sweden, etc., 1867, pp. 22, 81.
  51. Jenner, Philos. Transactions, 1824, p. 20.
  52. Pour les faits qui précèdent, voir, sur les Oiseaux de Paradis, Brehm, Thierleben, vol. III, p. 325. Sur la grouse, Richardson, Fauna Bor. Americ. Birds, pp. 343 et 359 ; Major W. Ross King, The Sportsmann in Canada, 1866, p. 156 ; M. Haymond dans Geol. Survey of Indian par le prof Cox ; Audubon, American Ornitholog. Biograph., vol. I, p. 216. Sur le faisan Kalij, Jerdon, Birds of India, vol. III, p. 533. Sur les tisserins, Livingstone, Expedition to Zambezy, 1865, p. 425. Sur les pics, Macgillivray, Hist. of Brit. Birds, vol. III, 1440, pp. 84, 88, 89 et 95. Sur le Upupa, Swinhoe, Proc. Zool. Soc., 23 juin 1863 et 1871, p. 348. Sur les engoulevents, Audbon, o. c., vol. II, p. 255, et American naturalist, 1873, p. 672. L’engoulevent d’Angleterre fait également entendre au printemps un bruit curieux pendant son vol rapide.
  53. M. Meve, Proc. Zool. Soc., 1868, p. 199. Sur les habitudes de la bécassine, Macgillivray, Hist. Brit. Birds, vol. IV, p. 371. Pour la bécasse américaine, Cap. Blakivston, Ibis, 1863, vol. v, p. 131.
  54. M. Salvin, Proc. Zool. Soc., 1867, p. 160. Je dois à l’obligeance de cet ornithologiste distingué les dessins des plumes de Chomæpetes et d’autres informations.
  55. Jerdon, Birds of India, vol. III, p. 613, 621.
  56. Gould, Introduction to the Trochilidæ, 1861, p. 49. Salvin, Proc. Zool. Soc., 1867, p. 160.
  57. Sclater, Proc. Zool. Soc., 1860, p. 90. Ibis, vol. IV, 1862, p. 175. Salvin, Ibis, 1860, p. 37.
  58. The Nile Tributaries of Abyssinia, 1867, p. 203.
  59. Pour le Tetrao phasianellus, Richardson, Fauna Bor. Americ., p. 361 ; et pour d’autres détails, Cap. Blakiston, Ibis, 1863, p, 125. Pour le Cathartes et l’Ardea, Audubon, Orn. Biograph., vol. II. p. 51 et vol. III, p. 89. Sur la fauvette grise, Macgillivray, Hist. Brit. Birds, vol. II, 354. Sur l’outarde indienne, Jerdon, Birds of India, vol. III, p. 618.
  60. Gould, Handbook to the Birds of Australia vol. I, 444, 449, 445. Le berceau de l’oiseau satin est toujours visible aux Zoological Gardens.
  61. Voir les remarques sur ce sujet dans Feeling of Beauty among. animals by J. Shaw. Athenæum, nov. 1866, p. 681.
  62. Murie, Proceed. Zoolog. Soc., 1872, p. 630.
  63. M. Monteiro, Ibis, 1862, vol. IV, p. 339.
  64. Land and Water, 1868, p. 217.
  65. Über die Schädelhöcker, Niederländisches Archiv für Zoologie, vol. I, part. II.
  66. Dr W. Marshall, Ueber den Vogelschwanz, ibid.
  67. Jardine, Naturalist Library Birds, vol. XIV, p. 166.
  68. Sclater, Ibis, 1864, vol. VI, p. 114. Livingstone, Expedition to the Zambezy, 1865, p. 66.
  69. Jerdon, Birds of India, vol. III, p. 620.
  70. Proc. Zoolog. Soc., 1873, p. 462.
  71. Wallace, Ann. and Mag. of Nat. Hist., 1857, vol. XX, p. 416 et dans Malay Archipelago, 1869, vol. II, p. 390.
  72. Variation des animaux et plantes, etc., vol. I, p. 307, 311.
  73. Cité d’après M. de Lafresnaye dans Annals et Mag. of Nat. Hist., vol. XIII, 1854, p. 157 ; voir aussi le récit plus complet de M. Wallace dans le vol. XX 1857, p. 412, et dans Malay Archipelago.
  74. Wallace, Malay Archipelago, 1869, vol. II, p. 405.
  75. Sclater, Intelleclual Observer, Janv. 1867, Waterton, Wanderings, p. 118. Voir le travail de M. Salvin dans Ibis, 1865, p. 90.
  76. Land and Water, 1867. p. 394.
  77. M. D. O. Elliot, Proc. Zool. Soc., 1860, p. 589.
  78. Pteryloyraphy, édité par P. L. Sclater, Roy, Society, 1867, p. 14.
  79. Le plumage d’été brun pommelé du ptarmigan a une aussi grande importance pour lui, comme moyen protecteur, que le plumage blanc de l’hiver ; on sait qu’en Scandinavie, au printemps, après la disparition de la neige, cet oiseau se cache de peur des oiseaux de proie tant qu’il n’a pas revêtu sa tenue d’été : voir Wilhelm von Wright dans Lloyd, Game Birds of Sweden, 1867, p. 125.
  80. Sur les précédentes remarques relatives aux mues, voir, pour les bécasses, etc., Macgillivray, Hist. Brit. Birds, vol. IV, p. 371 ; sur les Glaréolées, les courlis et les outardes, Jerdon, Birds of India, vol. III, pp. 615, 630, 683 ; sur le Totanus, ib., p. 700 ; sur les plumes du Héron, ib., p. 738 ; Macgillivray, vol. IV, pp. 435 et 44, et M. Stafford Allen, Ibis, vol. V, 1863, p. 33.
  81. Sur la mue du ptarmigan, voir Gould, Birds of Great Britain ; sur les Nectarinées, Jerdon, Birds of India, vol. I, pp. 359, 365, 369 ; sur la mue de l’Anthus, Blyth, Ibis, 1867, p. 32.
  82. Pour les mues partielles et la conservation du plumage des mâles, voir, sur les outardes et les pluviers, Jerdon, Birds of India, vol. III, p. 617, 637, 709, 711 ; Blyth, Land and Water, 1867, p. 84. Voir, sur la mue du Paradisea, un intéressant article du Dr W. Marshall, Archives Néerlandaises, vol. VI, 1871. Sur la Vidua, Ibis, vol. III, 1861, p. 133. Sur les Drongos pies-grièches, Jerdon, ib., vol. I, p. 435. Sur la mue printanière de l’Herodias bubuleus, M. S. S. Allen dans Ibis, 1863, p. 33. Sur le Gallus bankiva, Blyth dans Ann. and Mag. of Nat. Hist., vol. I, 1848, p. 455 : voir aussi ma Variation des Animaux, etc., vol. I, 250 (trad. franc).
  83. Macgillivray (o. c., vol. V, p. 34, 70 et 223) sur la mue des Anatides, avec citations de Waterton et de Montagu. Voir aussi Yarrell, Hist. of Brit. Birds, vol. III, p. 243.
  84. Sur le pélican, Sclater, Proc. Zool. Soc., 1868, p. 265. Sur les pinsons Américains, Audubon, Orn. Biog., vol. I, pp. 174, 221, et Jerdon, Birds of India, vol. II, p. 383. Sur la Fringilla cannabina de Madère, E. Vernon Harcourt, Ibis, vol. V, 1863, p. 250.
  85. Rev. E. S. Dixon, Ornamental Poultry, 1848, p. 8.
  86. Birds of India, Introduction, vol. I, p. xxiv ; sur le paon, vol. III, p. 507. Gould, Introd. to the Trochilidæ, 1861, p. 15 et 111.
  87. Journal of B. Geog. Soc., vol. X, 1840, p. 236.
  88. Ann. and Mag. of Nat, Hist., vol. XII, 1854, p. 157. Wallace, ib., vol. XX, 1857, p. 412 et Malay Archipelago, vol. II, 1869, p. 252. Le docteur Bennett, cité par Brehm, Thierleben, vol. III, p. 326.
  89. M. T. W. Wood fait (Student, avril 1870, p. 115) une description complète de ce mode de déploiement qu’il appelle unilatéral exécuté par le faisan doré et par le faisan japonais, Ph. versicolor.
  90. The Reign of Law, 1867, p. 203.
  91. Pour la description de ces oiseaux, voir Gould, Handbook to the Birds of Australia, vol. I, 1863, p. 417.
  92. Birds of India, vol. II, 96.
  93. Sur le Cosmetornis, voir Livingstone, Expedition to the Zambesi, 1865, p. 66. Sur le faisan Argus, Jardine, Nat. Hist. Library, Birds, vol. XIV, p. 167. Sur les oiseaux de paradis, Lesson, cité par Brehm, Thierleben, vol. III, p. 325. Sur le Vidua, Barrow, Travels in Africa, vol. I, p. 243, et Ibis, vol. IIII, 1861, p. 133. M. Gould, sur la sauvagerie des oiseaux mâles, Handbook to Birds of Australia, vol. II, 1865, pp. 210, 457.
  94. Tegetmeier, The Poultry Book, 1866, p. 139.