La Descendance de l’homme et la sélection sexuelle/14

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CHAPITRE XIV


OISEAUX (SUITE).


Choix exercé par la femelle. — Durée de la cour que se font les oiseaux. — Oiseaux non accouplés. — Facultés mentales et goût pour le beau. — La femelle manifeste sa préférence ou son aversion pour certains mâles. — Variabilité des oiseaux. — Les variations sont parfois brusques. — Lois des variations. — Formation d’ocelles. — Gradations de caractères. — Exemples fournis par le Paon, le faisan Argus et l’Urosticte.


Lorsque les mâles et les femelles présentent quelques différences au point de vue de la beauté, de l’aptitude à chanter, ou de la production de ce que j’ai qualifié de musique instrumentale, le mâle, presque toujours, l’emporte sur la femelle. Ces qualités, ainsi que nous venons de le démontrer, ont évidemment pour lui une grande importance. Quand elles sont temporaires seulement, elles n’apparaissent que peu de temps avant l’époque de l’accouplement. Le mâle seul se donne beaucoup de peine pour exhiber ses attraits variés, et exécute de grotesques gambades sur le sol ou dans l’air, en présence de la femelle. Le mâle s’efforce de chasser ses rivaux, ou, s’il le peut, de les tuer. Nous pouvons donc en conclure que le mâle se propose de décider la femelle à s’accoupler avec lui, et, pour atteindre ce but, il cherche à l’exciter et à la captiver en employant bien des façons différentes ; c’est là, d’ailleurs, l’opinion de tous ceux qui ont étudié avec soin les mœurs des oiseaux. Mais il reste à élucider une question qui, relativement à la sélection sexuelle, a une importance considérable : tous les mâles de la même espèce ont-ils le pouvoir de séduire et d’attirer également la femelle ? Celle-ci, au contraire, exerce-t-elle un choix, et préfère-t-elle certains mâles à certains autres ? Un nombre considérable de preuves directes et indirectes permet de répondre affirmativement à cette dernière question. Il est évidemment très-difficile de déterminer quelles sont les qualités qui décident du choix exercé par les femelles ; mais, ici encore, des preuves directes et indirectes nous permettent d’affirmer que les ornements du mâle jouent un grand rôle, bien qu’il n’y ait pas à douter que sa vigueur, son courage et ses autres qualités mentales n’aient aussi beaucoup d’influence. Commençons par les preuves indirectes.


Durée de la cour que se font les oiseaux. — Certains oiseaux des deux sexes se rassemblent chaque jour dans un lieu déterminé pendant une période plus ou moins longue ; cela dépend probablement, en partie, de ce que la cour que les mâles font aux femelles dure plus ou moins longtemps, et, aussi, de la répétition de l’accouplement. Ainsi, en Allemagne et en Scandinavie, les réunions (leks ou balzen) du petit tétras se continuent depuis le milieu de mars jusque dans le courant de mai. Quarante ou cinquante individus et même davantage assistent à ces réunions, et il n’est pas rare que ces oiseaux fréquentent la même localité pendant bien des années successives. Les réunions du grand tétras commencent vers la fin de mars pour se prolonger jusqu’au milieu et même jusqu’à la fin de mai. Dans l’Amérique du Nord, les assemblées du Tetrao phasianellus, désignées sous le nom de « danses des perdrix », durent un mois et plus. D’autres espèces de tétras, tant dans l’Amérique du Nord que dans la Sibérie orientale[1], ont à peu près les mêmes habitudes. Les oiseleurs reconnaissent les localités où les tringa se rassemblent à l’aspect du sol piétiné de telle façon que l’herbe cesse d’y croître, ce qui prouve aussi que le même endroit est fréquenté pendant longtemps. Les Indiens de la Guyane connaissent fort bien les arènes dépouillées où ils savent trouver les beaux coqs de roches ; les indigènes de la Nouvelle-Guinée connaissent aussi les arbres sur lesquels se rassemblent à la fois dix ou vingt oiseaux de paradis au grand plumage. On n’affirme pas expressément que, dans ce dernier cas, les femelles se réunissent sur les mêmes arbres, mais les chasseurs, si on ne les interroge pas sur ce point, ne songent probablement pas à signaler leur présence, les peaux des femelles n’ayant aucune valeur pour eux. Des tisserins (Ploceus) africains se rassemblent par petites bandes lors de la saison des amours et se livrent, pendant des heures, aux évolutions les plus gracieuses. De nombreuses bécasses solitaires (Scolopax major) se réunissent au crépuscule dans un marais, et fréquentent pendant plusieurs années de suite la même localité ; on peut les voir courir en tous sens « comme autant de gros rats, ébouriffant leurs plumes, battant des ailes, et poussant les cris les plus étranges[2]. »

Quelques-uns des oiseaux dont nous venons de parler, notamment le tétras à queue fourchue, le grand tétras, le lagopède faisan, le tringa, la bécasse solitaire et probablement quelques autres, sont dit-on, polygames. On serait disposé à croire que, chez les oiseaux pratiquant la polygamie, les mâles les plus forts n’auraient qu’à expulser les plus faibles, pour s’emparer aussitôt de nombreuses femelles ; mais, s’il est nécessaire, en outre, que le mâle plaise à la femelle et la captive, on s’explique facilement que le mâle courtise longtemps la femelle et que tant d’individus des deux sexes se réunissent dans une même localité. Certaines espèces strictement monogames tiennent également des assemblées nuptiales ; c’est ce que paraît faire, en Scandinavie, une espèce de ptarmigan, et ces assemblées se prolongent du milieu de mars jusqu’au milieu de mai. En Australie, l’oiseau lyre (Menura superba) construit des petits monticules arrondis, et le M. Alberti creuse des trous peu profonds, où on assure que les deux sexes se rassemblent. Les assemblées du M. superba comportent quelquefois un grand nombre d’individus ; dans un mémoire récemment publié[3], un voyageur raconte qu’ayant entendu dans une vallée située au-dessous de lui un bruit indescriptible, il s’avança et vit à son grand étonnement environ cent cinquante magnifiques coqs-lyres rangés en ordre de bataille, et se livrant un furieux combat. Les berceaux des Chasmorhynchus constituent un lieu de réunion pour les deux sexes pendant la saison des amours ; « les mâles s’y réunissent, et combattent pour s’assurer la possession des femelles, qui, assemblées dans le même lieu, rivalisent de coquetterie avec les mâles. Chez deux genres de ces oiseaux, le même berceau sert pendant bien des années[4]. »

Le Rev. W. Darwin Fox affirme que la pie commune (Corvus pica) avait l’habitude, dans la forêt Delamere, de se rassembler pour célébrer le « grand mariage des pies. » Ces oiseaux étaient si nombreux, il y a quelques années, qu’un garde-chasse tua dix-neuf mâles dans une matinée ; un autre abattit d’un seul coup de fusil sept oiseaux perchés ensemble. Alors que les pies habitaient en aussi grand nombre la forêt de Delamere, elles avaient l’habitude de se réunir, au commencement du printemps, sur des points particuliers, où on les voyait en bandes, caqueter ensemble, se battre quelquefois, et voler d’arbre en arbre en faisant un grand tumulte. Ces assemblées paraissaient avoir pour les pies une grande importance. La réunion durait quelque temps, puis elles se séparaient, et, s’il faut en croire M. Fox et les autres observateurs, elles s’accouplaient pour le reste de la saison. Il est évident qu’il ne peut pas y avoir de grands rassemblements dans une localité où une espèce quelconque n’est pas très-abondante, il est donc très-possible qu’une espèce ait des habitudes différentes suivant le pays qu’elle habite. Je ne connais, par exemple, qu’un seul cas d’une assemblée régulière du tétras noir en Écosse, cas que m’a signalé M. Wedderburn, bien que ces assemblées soient si communes en Allemagne et en Scandinavie que, dans les langues de ces pays, elles ont reçu des noms spéciaux.


Oiseaux non accouplés. — Les faits que nous venons de citer nous autorisent à conclure que, chez des groupes très-différents, la cour que les oiseaux mâles font aux femelles ne laisse pas que d’être souvent une affaire longue, délicate et embarrassante. On a même des raisons de croire, si improbable que cela paraisse tout d’abord, que certains mâles et certaines femelles appartenant à la même espèce, habitant la même localité, ne se conviennent pas toujours, et par conséquent ne s’accouplent pas. On a cité bien des exemples de couples chez lesquels le mâle ou la femelle a été promptement remplacé par un autre, quand l’un des deux a été tué. Ce fait a été plus fréquemment observé chez la pie que chez tout autre oiseau, probablement parce que cet oiseau est très-apparent et que son nid se remarque facilement. Le célèbre Jenner raconte que, dans le Wiltshire, on tua sept jours de suite un des oiseaux d’un couple, mais sans résultat, « car l’oiseau restant remplaçait aussitôt son compagnon disparu, et le dernier couple se chargea d’élever les petits. » Un nouveau compagnon se trouve généralement le lendemain, mais M. Thompson cite un cas où il fut remplacé dans la soirée du même jour. Si un des oiseaux parents vient à être tué même après l’éclosion des œufs, il est souvent remplacé ; le fait s’est passé après un intervalle de deux jours dans un cas observé récemment par un garde-chasse de sir J. Lubbock[5]. On peut supposer tout d’abord, et cette supposition est la plus probable, que les pies mâles sont beaucoup plus nombreuses que les femelles, et que, dans ces cas et beaucoup d’autres analogues, les mâles seuls ont été tués, ce qui arrive assez souvent. En effet, les gardes de la forêt de Delamere ont affirmé à M. Fox que les pies et les corbeaux qu’ils abattaient en grand nombre dans le voisinage des nids, étaient tous mâles, ce qui s’explique par le fait que les mâles, obligés d’aller et venir pour se procurer des aliments pour les femelles en train de couver, sont exposés à de plus grands dangers. Macgillivray, cependant, assure, d’après un excellent observateur, que trois pies femelles ont été successivement tuées sur le même nid ; dans un autre cas, six pies femelles ont été aussi tuées successivement alors qu’elles couvaient les mêmes œufs ; il est vrai que, s’il faut en croire M. Fox, le mâle se charge de couver lorsque la femelle vient à être tuée.

Le garde de sir J. Lubbock a tué, à plusieurs reprises, sans pouvoir préciser le nombre de fois, un des deux membres d’un couple de geais (Garrulus glandarius), et a toujours trouvé l’oiseau survivant accouplé de nouveau au bout de très-peu de temps. Le Rév. W. D. Fox, M. F. Bond, et d’autres, après avoir tué un des deux corbeaux (Corvus corone) d’un couple, ont observé que le survivant trouvait très-promptement à s’accoupler de nouveau. Ces oiseaux sont communs et on peut s’expliquer qu’ils trouvent un nouveau compagnon avec une facilité relative ; mais M. Thompson constate qu’en Irlande, chez une espèce rare de faucon (Falco peregrinus), « si un mâle ou une femelle vient à être tué pendant la saison de l’accouplement (ce qui arrive assez souvent), l’individu qui a disparu est remplacé au bout de peu de jours, de sorte que le produit du nid est assuré, » M. Jenner Weir a constaté le même fait chez des faucons de la même espèce à Beachy Head. Le même observateur affirme que trois crécerelles mâles (Falco tinnunculus) furent successivement tués pendant qu’ils s’occupaient du même nid, deux avaient le plumage adulte, et un celui de l’année précédente. M. Birkbeck tient d’un garde-chasse digne de foi que, en Écosse, chez l’aigle doré (Aquila chrysaetos), espèce fort rare, tout individu d’un couple tué est bientôt remplacé. On a aussi observé que, chez le hibou blanc (Strix flammea), le survivant trouve promptement un nouveau compagnon.

White de Selborne, qui cite le cas du hibou, ajoute qu’un homme avait l’habitude de tuer les perdrix mâles pensant que les batailles qu’ils se livraient dérangeaient les femelles après l’accouplement ; mais bien que cet homme eût rendu une même femelle plusieurs fois veuve, elle ne tardait pas à s’accoupler de nouveau. Le même naturaliste ordonna de tuer des moineaux qui s’étaient emparés de nids d’hirondelles et les en avaient ainsi expulsées, mais il s’aperçut bientôt que, si on ne tuait pas en même temps les deux individus formant le couple, le survivant, « fût-ce le mâle ou la femelle, se procurait immédiatement un nouveau compagnon, et cela plusieurs fois de suite. »

Le pinson, le rossignol et la rubiette des murailles (Phœnicura ruticilla), pourraient nous fournir au besoin des exemples analogues. Un observateur a constaté que la rubiette des murailles était assez rare dans la localité qu’il habitait et que, cependant, la femelle occupée à couver ses œufs qu’elle ne pouvait quitter, parvenait en très-peu de temps à faire savoir qu’elle était veuve. M. Jenner Weir me signale un cas analogue : à Blackheath, il n’entend jamais les notes du bouvreuil sauvage, et n’aperçoit jamais cet oiseau ; cependant, lorsqu’un de ses mâles captifs vient à mourir, il voit généralement arriver, au bout de quelques jours, un mâle sauvage qui vient se percher dans le voisinage de la femelle veuve dont la note d’appel est loin d’être forte. Je me contenterai de citer encore un autre fait que je tiens du même observateur : un des membres d’un couple de sansonnets (Sturnus vulgaris) ayant été tué dans la matinée, fut remplacé dans l’après-midi ; l’un des deux ayant encore été abattu, le couple se compléta de nouveau avant la nuit ; l’oiseau, quel qu’ait été son sexe, s’était ainsi consolé de son triple veuvage dans le courant de la même journée. M. Engleheart a tué pendant plusieurs années un des membres d’un couple d’étourneaux qui faisait son nid dans un trou d’une maison à Bleckheath, mais le mort était toujours immédiatement remplacé. D’après des notes prises pendant une saison, il constata qu’il avait tué trente-cinq oiseaux des deux sexes, appartenant au même nid, mais sans tenir un compte exact de la proportion des sexes : néanmoins, malgré cette véritable boucherie, il se trouva un couple pour élever une couvée[6].

Ces faits méritent certainement toute notre attention. Comment se fait-il que tant d’oiseaux se trouvent prêts à remplacer immédiatement un individu disparu ? Il semble au premier abord qu’il soit fort embarrassant de répondre à cette question, surtout quand il s’agit des pies, des geais, des corbeaux, des perdrix et de quelques autres oiseaux qu’on ne rencontre jamais seuls au printemps. Cependant, des oiseaux appartenant au même sexe, bien que non accouplés, cela va sans dire, vivent quelquefois par couples ou par petites bandes, comme cela se voit chez les perdrix et chez les pigeons. Les oiseaux vivent aussi quelquefois par groupes de trois, ce qui a été observé chez les sansonnets, chez les corbeaux, chez les perroquets et chez les perdrix. On a observé deux perdrix femelles vivant avec un seul mâle, et deux mâles avec une seule femelle. Il est probable que les unions de ce genre doivent se rompre facilement. On peut quelquefois entendre certains oiseaux mâles chanter leur chant d’amour longtemps après l’époque ordinaire, ce qui prouve qu’ils ont perdu leur compagne, ou qu’ils n’en ont jamais eu. La mort par accident ou par maladie d’un des membres du couple laisse l’autre seul et libre, et il y a raison de croire que, pendant la saison de la reproduction, les femelles sont plus spécialement sujettes à une mort prématurée. En outre, des oiseaux dont le nid a été détruit, des couples stériles ou des individus en retard, doivent pouvoir se quitter facilement, et seraient probablement heureux de prendre la part qu’ils peuvent aux plaisirs et aux devoirs attachés à l’élève des petits, en admettant même qu’ils ne leur appartiennent pas[7]. C’est par des éventualités de ce genre que, selon toute probabilité, on peut expliquer la plupart des cas que nous venons de signaler[8]. Il est néanmoins singulier que, dans une même localité, au plus fort de la saison de la reproduction, il y ait autant de mâles et de femelles toujours prêts à compléter un couple dépareillé. Pourquoi ces oiseaux de rechange ne s’accouplent-ils pas immédiatement les uns avec les autres ? N’aurions-nous pas quelque raison de supposer, avec M. Jenner Weir, que, malgré la cour longue et quelque peu pénible que se font les oiseaux, certains mâles et certaines femelles ne réussissent pas à se plaire en temps opportun et ne s’accouplent par conséquent pas ? Cette supposition paraîtra un peu moins improbable quand nous aurons vu quelles antipathies et quelles préférences les femelles manifestent quelquefois pour certains mâles.


Facultés mentales des oiseaux et leur goût pour le beau. — Avant de pousser plus loin la discussion de cette question : les femelles choisissent-elles les mâles les plus attrayants, ou acceptent-elles le premier venu ? il convient d’étudier brièvement les aptitudes mentales des oiseaux. On pense ordinairement, et peut-être justement, que les oiseaux possèdent des aptitudes au raisonnement très-incomplètes ; on pourrait cependant citer certains faits[9] qui sembleraient autoriser une conclusion contraire. Des facultés inférieures de raisonnement sont toutefois, ainsi que nous le voyons dans l’humanité, compatibles avec de fortes affections, une perception subtile et le goût pour le beau ; et c’est de ces dernières qualités qu’il est question ici. On a souvent affirmé que les perroquets ont l’un pour l’autre un attachement si vif que, lorsque l’un vient à mourir, l’autre souffre pendant longtemps ; toutefois M. Jenner Weir pense qu’on a beaucoup exagéré la puissance de l’affection chez la plupart des oiseaux. Néanmoins, on a remarqué que, à l’état sauvage, quand un des membres d’un couple a été tué, le survivant fait entendre, pendant plusieurs jours, une sorte d’appel plaintif ; M. Saint-John[10] cite divers faits qui prouvent l’attachement réciproque des oiseaux accouplés. M. Bennett[11] raconte qu’il a pu observer en Chine le fait suivant : On avait volé un canard mandarin mâle, et la femelle restait inconsolable sans qu’un autre mâle de la même espèce la courtisât assidûment et déployât tous ses charmes devant elle. Au bout de trois semaines on retrouva le canard volé, et le couple se reconnut immédiatement en donnant toutes les marques de la joie la plus vive. Nous avons cependant vu que des sansonnets peuvent, trois fois dans la même journée, se consoler de la perte de leur compagnon. Les pigeons ont une mémoire locale assez parfaite pour retrouver leur ancien domicile après neuf mois d’absence ; pourtant M. Harrisson Weir affirme que, si on sépare quelques semaines pendant l’hiver un couple de ces oiseaux, qui reste naturellement apparié pour la vie, et qu’on les associe respectivement avec un autre mâle et une autre femelle, les oiseaux séparés ne se reconnaissent que rarement, pour ne pas dire jamais, lorsqu’on les remet ensemble.

Les oiseaux font quelquefois preuve de sentiments de bienveillance ; ils nourrissent les jeunes abandonnés, même quand ils appartiennent à une espèce différente ; mais peut-être faut-il considérer ceci comme le fait d’un instinct aveugle. Nous avons déjà vu qu’ils nourrissent des oiseaux adultes de leur espèce devenus aveugles. M. Buxton a observé un perroquet qui prenait soin d’un oiseau estropié appartenant à une autre espèce, nettoyait son plumage, et le défendait contre les attaques des autres perroquets qui erraient librement dans son jardin. Il est encore plus curieux de voir que ces oiseaux manifestent évidemment de la sympathie pour les plaisirs de leurs semblables. On a pu, en effet, observer l’intérêt extraordinaire que prenaient les autres individus de la même espèce à la construction d’un nid que construisait sur un acacia un couple de cacatoès. Ces perroquets paraissaient doués aussi d’une grande curiosité, et possédaient évidemment « des notions de propriété et de possession[12]. » Ils ont aussi une mémoire fidèle, car on a vu, aux Zoological Gardens, des perroquets reconnaître leurs anciens maîtres après une absence de plusieurs mois.

Les oiseaux ont une grande puissance d’observation. Chaque oiseau apparié reconnaît, bien entendu, son compagnon. Audubon affirme qu’aux États-Unis un certain nombre de Mimus polyglottus restent toute l’année dans la Louisiane, tandis que les autres émigrent vers les États de l’Est ; ces derniers sont à leur retour immédiatement reconnus et attaqués par ceux restés dans le midi. Les oiseaux en captivité reconnaissent les différentes personnes qui les approchent, ainsi que le prouve la vive antipathie ou l’affection permanente que, sans cause apparente, ils témoignent à certains individus. On m’a communiqué de nombreux exemples de ce fait observés chez les geais, chez les perdrix, chez les canaris et surtout chez les bouvreuils. M. Hussey a décrit de quelle façon extraordinaire une perdrix apprivoisée reconnaissait tout le monde ; ses sympathies et ses antipathies étaient fort vives. Elle paraissait « affectionner les couleurs claires, et elle remarquait immédiatement une robe ou un chapeau porté pour la première fois[13]. » M. Hewitt a décrit les mœurs de quelques canards (descendant depuis peu de parents sauvages) qui, en apercevant un chien ou un chat étranger, se précipitaient dans l’eau et faisaient les plus grands efforts pour s’échapper, tandis qu’ils se couchaient au soleil à côté des chiens et des chats de la maison, qu’ils reconnaissaient parfaitement. Ils s’éloignaient toujours d’un étranger et même de la femme qui les soignait, si elle faisait un trop grand changement dans sa toilette. Audubon raconte qu’il a élevé et apprivoisé un dindon sauvage, qui se sauvait toujours quand il apercevait un chien étranger ; l’oiseau s’échappa dans les bois ; quelques jours après, Audubon, le prenant pour un dindon sauvage, le fit poursuivre par son chien ; mais, à son grand étonnement, l’oiseau ne se sauva pas, et le chien, l’ayant rejoint, ne l’attaqua pas, car tous deux s’étaient mutuellement reconnus comme de vieux amis[14].

M. Jenner Weir est convaincu que les oiseaux font tout particulièrement attention aux couleurs des autres oiseaux, quelquefois par jalousie, quelquefois parce qu’ils croient reconnaître un parent. Ainsi, il introduisit dans sa volière un bruant des roseaux (Emberiza schœniculus), qui venait de revêtir les plumes noires de sa tête ; aucun des oiseaux ne fit attention au nouveau venu, excepté un bouvreuil, qui a aussi la tête noire. Ce bouvreuil, d’ailleurs très-paisible, ne s’était jamais querellé avec aucun de ses compagnons, y compris un autre bruant de la même espèce, mais qui n’avait pas encore revêtu les plumes noires de sa tête ; toutefois, il maltraita tellement le dernier venu, qu’il fallut l’enlever. Le Spiza cyanea affecte, pendant la saison de l’accouplement, une brillante couleur bleue ; un oiseau de cette espèce, très-paisible d’ordinaire, se jeta cependant sur un S. ciris, qui a la tête bleue et le scalpa complètement. M. Weir fut aussi obligé de retirer de sa volière un rouge-gorge, qui attaquait avec furie tous les oiseaux portant du rouge dans leur plumage, mais ceux-là seulement ; il tua, en effet, un bec-croisé, à poitrail rouge, et blessa grièvement un chardonneret. D’autre part, il a observé que, lorsque certains oiseaux sont introduits pour la première fois dans la volière, ils se dirigent vers les espèces dont la couleur ressemble le plus à la leur, et s’établissent à leurs côtés.

Les oiseaux mâles prennent beaucoup de peine pour étaler devant les femelles leur beau plumage et leurs autres ornements ; on peut en conclure que les femelles savent apprécier la beauté de leurs prétendants. Mais il est évidemment très-difficile de déterminer preuves en mains quelle est leur aptitude à cet égard. On a souvent observé que les oiseaux, placés devant un miroir, s’examinent avec une profonde attention, que certains observateurs attribuent à la jalousie, car l’oiseau peut se croire en face d’un rival, que d’autres, au contraire, attribuent à une sorte d’admiration intime. Dans d’autres cas, il est difficile de déterminer quel sentiment l’emporte : la simple curiosité ou l’admiration. Lord Lilford[15] croit pouvoir affirmer que les objets brillants éveillent si puissamment la curiosité du tringa que, dans les îles Ioniennes, « sans se préoccuper des coups de fusil, il se précipite sur un mouchoir à vives couleurs. » Un petit miroir, qu’on fait tourner et briller au soleil, exerce une telle attraction sur l’alouette commune qu’elle vient se faire prendre en nombre considérable. Est-ce l’admiration ou la curiosité qui pousse la pie, le corbeau et quelques autres oiseaux à voler et à cacher des objets brillants, tels que l’argenterie et les bijoux ?

M. Gould assure que certains oiseaux-mouches décorent avec un goût exquis l’extérieur de leurs nids ; « ils y attachent instinctivement de beaux morceaux de lichen, les plus grandes pièces au milieu et les plus petites sur la partie attachée à la branche. Çà et là une jolie plume est entrelacée ou fixée à l’extérieur ; la tige est toujours placée de façon que la plume dépasse la surface. » Les trois genres d’oiseaux australiens qui construisent les berceaux de verdure dont nous avons déjà parlé, nous fournissent d’ailleurs une preuve excellente du goût des oiseaux pour le beau. Ces constructions (voy. fig. 46, p. 75), où les individus des deux sexes se réunissent pour se livrer à des gambades bizarres, affectent des formes différentes ; mais ce qui nous intéresse particulièrement, c’est que les différentes espèces décorent ces berceaux de diverses manières. L’espèce dite satin affectionne les objets à couleurs gaies, tels que les plumes bleues des perruches, les os et les coquillages blancs, qu’elle introduit entre les rameaux ou dispose à l’entrée avec beaucoup de goût. M. Gould a trouvé dans un de ces berceaux un tomahawk en pierre bien travaillée et un fragment d’étoffe de coton bleu, provenant évidemment d’un camp d’indigènes. Les oiseaux dérangent constamment ces objets, et pour les disposer de façon différente les transportent çà et là. L’espèce dite tachetée « tapisse magnifiquement son berceau avec des grandes herbes disposées de manière que leurs sommets se rencontrent et forment les groupes les plus variés. » Ces oiseaux se servent de pierres rondes pour maintenir les tiges herbacées à leur place, et faire des allées conduisant au berceau. Ils vont souvent chercher les pierres et les coquillages à de grandes distances. L’oiseau régent, décrit par M. Ramsay, orne son berceau, qui est très-court, avec des coquillages terrestres blancs appartenant à cinq ou six espèces, et avec des « baies de diverses couleurs bleues, rouges et noires, qui, lorsqu’elles sont fraîches, lui donnent un aspect charmant. Ils y ajoutent quelques feuilles fraîchement cueillies et de jeunes pousses roses, le tout indiquant beaucoup de goût pour le beau. » Aussi M. Gould a-t-il pu dire avec beaucoup de raison : « Ces salles de réunion si richement décorées constituent évidemment les plus merveilleux exemples encore connus de l’architecture des oiseaux. » D’un autre côté, nous pouvons conclure que le goût pour le beau chez les oiseaux diffère certainement selon les espèces[16].


Préférence des femelles pour certains mâles. — Après ces quelques remarques préliminaires sur le discernement et le goût des oiseaux, je me propose de citer tous les faits que j’ai pu recueillir relativement aux préférences dont certains mâles sont l’objet de la part des femelles. On a prouvé que des oiseaux appartenant à des espèces distinctes s’accouplent quelquefois à l’état sauvage et produisent des hybrides. On pourrait citer beaucoup d’exemples de ce fait ; ainsi, Macgillivray raconte qu’un merle mâle et une grive femelle se sont amourachés l’un de l’autre et ont produit des descendants[17]. On a observé en Angleterre, il y a quelques années, dix-huit cas d’hybrides entre le tétras noir et le faisan[18] ; mais la plupart de ces cas peuvent s’expliquer peut-être par le fait que des oiseaux solitaires n’avaient pas trouvé à s’accoupler avec un individu de leur propre espèce. M. Jenner Weir croit que chez d’autres espèces les hybrides résultent parfois de rapports accidentels entre des oiseaux construisant leur nid l’un auprès de l’autre. Mais cette explication ne peut s’appliquer aux cas si nombreux et si connus d’oiseaux apprivoisés ou domestiques, appartenant à des espèces différentes, qui se sont épris absolument les uns des autres, bien qu’entourés d’individus de leur propre espèce. Waterton[19], par exemple, raconte qu’une femelle appartenant à une bande composée de vingt-trois oies du Canada s’accoupla avec une bernache mâle, bien qu’il fût seul de son espèce dans la bande et très-différent sous le rapport de l’apparence et de la taille ; ce couple engendra des produits hybrides. Un canard siffleur mâle (Mareca penelope), vivant avec des femelles de son espèce, s’accoupla avec une sarcelle (Querquedula acuta). Lloyd a observé un cas d’attachement remarquable entre un Tadorna vulpanser et un canard commun. Nous pourrions citer bien d’autres exemples ; le rév. E. S. Dixon fait, d’ailleurs, remarquer que « ceux qui ont eu l’occasion d’élever ensemble beaucoup d’oies d’espèces différentes savent bien quels attachements singuliers peuvent se former, et combien elles sont sujettes à s’accoupler et à produire des jeunes avec des individus d’une race (espèce) différente de la leur, plutôt qu’avec la leur propre ».

Le rév. W. D. Fox a élevé en même temps une paire d’oies de Chine (Anser cygnoïdes) et un mâle de la race commune avec trois femelles. Les deux lots restèrent séparés jusqu’à ce que le mâle chinois eût déterminé une des oies communes à vivre avec lui. En outre, les œufs pondus par les oies de l’espèce commune étant venus à éclore, quatre petits seuls se trouvèrent purs, les dix-huit autres étaient hybrides ; le mâle chinois avait donc eu des charmes tels, qu’il l’emporta facilement auprès des femelles sur le mâle appartenant à l’espèce ordinaire. Voici un dernier cas ; M. Hewitt raconte qu’une cane sauvage élevée en captivité, « ayant déjà reproduit pendant deux saisons avec un propre mâle de son espèce, le congédia aussitôt que j’eus introduit dans le même étang une sarcelle mâle. Ce fut évidemment un cas d’amour subit, car la cane vint nager d’une manière caressante autour du nouveau venu, qui était évidemment alarmé et peu disposé à recevoir ses avances. Dès ce moment, la cane oublia son ancien compagnon. L’hiver passa, et le printemps suivant la sarcelle mâle parut avoir cédé aux attentions et aux soins dont il avait été entouré, car ils s’accouplèrent et produisirent sept ou huit petits. »

Quels ont pu être, dans ces divers cas, en dehors de la pure nouveauté, les charmes qui ont exercé leur action, c’est ce qu’il serait impossible d’indiquer. La couleur, cependant, joue quelquefois un certain rôle, car, d’après Bechstein, le meilleur moyen pour obtenir des hybrides du Fringilla spinus (tarin) avec le canari, est de mettre ensemble des oiseaux ayant la même teinte. M. Jenner Weir introduisit dans sa volière contenant des linottes, des chardonnerets, des tarins, des verdiers et d’autres oiseaux mâles, un canari femelle pour voir lequel elle choisirait ; elle n’eut pas un moment d’hésitation et s’approcha immédiatement du verdier. Ils s’accouplèrent et produisirent des hybrides.

La préférence qu’une femelle peut montrer pour un mâle plutôt que pour un autre, n’attire pas autant l’attention quand il s’agit d’individus appartenant à la même espèce. Ces cas s’observent principalement chez les oiseaux domestiques ou captifs ; mais ces oiseaux ont souvent leurs instincts viciés dans une grande mesure par un excès d’alimentation. Les pigeons et surtout les races gallines me fourniraient, sur ce dernier point, de nombreux exemples que je ne puis détailler ici. On peut expliquer par certaines perturbations des instincts quelques-unes des unions hybrides dont nous avons parlé plus haut, bien que, dans la plupart des cas que nous avons cités, les oiseaux fussent à demi libres sur de vastes étangs, et il n’y a aucune raison pour admettre qu’ils aient été artificiellement stimulés par un excès d’alimentation.

Quant aux oiseaux à l’état sauvage, la première supposition qui se présente à l’esprit est que, la saison arrivée, la femelle accepte le premier mâle qu’elle rencontre ; mais, comme elle est presque invariablement poursuivie par un nombre plus ou moins considérable de mâles, elle a tout au moins l’occasion d’exercer un choix. Audubon, — nous ne devons pas oublier qu’il a passé sa vie à parcourir les forêts des États-Unis pour observer les oiseaux, — affirme positivement que la femelle choisit son mâle. Ainsi, il assure que le pic femelle est suivie d’une demi-douzaine de prétendants qui ne cessent d’exécuter devant elle les gambades les plus bizarres jusqu’à ce que l’un d’eux devienne l’objet d’une préférence marquée. La femelle de l’étourneau à ailes rouges (Agelæus phœniceus) est également poursuivie par plusieurs mâles, jusqu’à ce que, fatiguée, elle se pose, reçoit leur hommage et fait son choix. » Il raconte encore que plusieurs engoulevents mâles plongent dans l’air avec une rapidité étonnante, se retournent brusquement et produisent ainsi un bruit singulier ; « mais, aussitôt que la femelle a fait son choix, les autres mâles disparaissent. » Certains vautours (Cathartes aurea) des États-Unis se réunissent par bandes de huit à dix mâles et femelles sur des troncs d’arbres tombés, « ils se font évidemment la cour, » et, après bien des caresses, chaque mâle s’envole avec une compagne. Audubon a également observé les bandes sauvages d’oies du Canada (Anser Canadensis), et nous a laissé une excellente description de leurs gambades amoureuses ; il constate que les oiseaux précédemment accouplés « se courtisent de nouveau dès le mois de janvier, pendant que les autres continuent tous les jours à se disputer pendant des heures, jusqu’à ce que tous semblent satisfaits de leur choix ; dès que ce choix est fait, la bande reste réunie ; mais chaque couple fait en quelque sorte bande à part. J’ai observé aussi que les préliminaires de l’accouplement sont d’autant moins longs que les oiseaux sont plus âgés. Les célibataires des deux sexes, soit par regret, soit pour ne pas être dérangés par le bruit, s’éloignent et vont se poser à quelque distance des autres[20]. » On pourrait emprunter au même observateur bien des remarques analogues sur d’autres oiseaux.

Passons maintenant aux oiseaux domestiques et captifs ; je résumerai d’abord les quelques renseignements que j’ai pu me procurer sur l’attitude des oiseaux appartenant aux races gallines pendant qu’ils se font la cour. J’ai reçu à ce sujet de longues lettres de M. Hewitt et de M. Tegetmeier, ainsi qu’un mémoire de feu M. Brent, tous assez connus par leurs ouvrages pour que personne ne puisse contester leur qualité d’observateurs consciencieux et expérimentés. Ils ne croient pas que les femelles préfèrent certains mâles à cause de la beauté de leur plumage ; mais il faut tenir compte de l’état artificiel dans lequel ils ont longtemps vécu. M. Tegetmeier est convaincu que la femelle accueille aussi volontiers un coq de combat défiguré par l’ablation de ses caroncules, qu’un mâle pourvu de tous ses ornements naturels. M. Brent admet toutefois que la beauté du mâle contribue probablement à exciter la femelle, et l’adhésion de cette dernière est nécessaire. M. Hewitt est convaincu que l’accouplement n’est en aucune façon une affaire de hasard, car la femelle préfère presque invariablement le mâle le plus vigoureux, le plus hardi et le plus fougueux ; il est donc inutile, remarque-t-il « d’essayer une reproduction vraie si un coq de combat en bon état de santé et de constitution se trouve dans la localité, car toutes les poules, en quittant le perchoir, iront au coq de combat, en admettant même que ce dernier ne chasse pas les mâles appartenant à la même variété que les femelles. »

Dans les circonstances ordinaires, les coqs et les poules semblent arriver à s’entendre au moyen de certains gestes que m’a décrits M. Brent. Les poules évitent souvent les attentions empressées des jeunes mâles. Les vieilles poules et celles qui ont des dispositions belliqueuses n’aiment pas les mâles étrangers, et ne cèdent que lorsqu’elles y sont obligées à force de coups. Ferguson constate, cependant, qu’un coq Shanghai[21] parvint, à force d’attentions, à subjuguer une vieille poule querelleuse.

Il y a des raisons de croire que les pigeons des deux sexes préfèrent s’accoupler avec des oiseaux appartenant à la même race ; le pigeon de colombier manifeste une vive aversion pour les races très-améliorées[22]. M. Harrison Weir croit pouvoir affirmer, d’après les remarques faites par un observateur attentif, qui élève des pigeons bleus, que ceux-ci chassent tous les individus appartenant aux autres variétés colorées, telles que les variétés blanches, rouges et jaunes ; un autre éleveur a observé qu’une femelle brune de la race des messagers a refusé bien des fois de s’accoupler avec un mâle noir, mais elle a accepté immédiatement un mâle ayant la même couleur qu’elle. M. Tegetmeier a possédé un pigeon à cravate femelle bleu qui a obstinément refusé de s’accoupler avec deux mâles appartenant à la même race, bien qu’on les ait laissés avec elle pendant des semaines ; elle consentit au contraire à s’accoupler avec le premier dragon bleu qui s’offrit. Comme cette femelle avait une grande valeur, on l’enferma de nouveau avec un mâle bleu très-pâle, et elle finit par s’accoupler avec lui, mais seulement après plusieurs semaines. Toutefois, la couleur seule paraît généralement n’avoir que peu d’influence sur l’accouplement des pigeons. M. Tegetmeier voulut bien, à ma demande, teindre quelques-uns de ces oiseaux avec du magenta, et les autres n’y firent presque aucune attention.

Les pigeons femelles éprouvent à l’occasion, sans cause apparente, une antipathie profonde pour certains mâles. Ainsi MM. Boitard et Corbié, dont l’expérience s’est étendue sur quarante-cinq ans d’observations, disent : « Quand une femelle éprouve de l’antipathie pour un mâle avec lequel on veut l’accoupler, malgré tous les feux de l’amour, malgré l’alpiste et le chènevis dont on la nourrit pour augmenter son ardeur, malgré un emprisonnement de six mois et même d’un an, elle refuse constamment ses caresses ; les avances empressées, les agaceries, les tournoiements, les tendres roucoulements, rien ne peut lui plaire ni l’émouvoir ; gonflée, boudeuse, blottie dans un coin de sa prison, elle n’en sort que pour boire et manger, ou pour repousser avec une espèce de rage des caresses devenues trop pressantes[23]. » D’autre part, M. Harrison Weir a pu constater par lui-même un fait que d’autres éleveurs lui avaient signalé, c’est-à-dire qu’un pigeon femelle s’éprend parfois très-vivement d’un mâle, et abandonne pour lui son ancien compagnon. Riedel[24], autre observateur expérimenté, assure que certaines femelles ont une conduite fort déréglée et préfèrent n’importe quel étranger à leur propre mâle. Certains mâles amoureux, que nos éleveurs anglais appellent des « oiseaux galants », ont un tel succès dans toutes leurs entreprises galantes que, d’après M. Weir, on est obligé de les enfermer à cause du dommage qu’ils causent.

Aux États-Unis, les dindons sauvages, d’après Audubon, « viennent quelquefois visiter les femelles réduites en domesticité, ces dernières les accueillent ordinairement avec beaucoup de plaisir. Ces femelles paraissent donc préférer les mâles sauvages à leurs propres mâles[25]. »

Voici un cas plus curieux. Sir R. Heron observa avec soin, pendant un grand nombre d’années, les habitudes des paons qu’il a élevés en grandes quantités. Il a pu constater « que les femelles manifestent fréquemment une préférence marquée pour un paon spécial. Elles étaient si amoureuses d’un vieux mâle pie, qu’une année où il était captif mais en vue, elles étaient constamment rassemblées contre le treillis formant la cloison de sa prison, et ne voulurent pas permettre à un paon à ailes noires de les approcher. Ce mâle pie, mis en liberté en automne, devint l’objet des attentions de la plus vieille paonne, qui réussit à le captiver. L’année suivante on l’enferma dans une écurie, et alors toutes les paonnes se tournèrent vers son rival[26] » ; ce dernier était un paon à ailes noires, soit, à nos yeux, une variété beaucoup plus belle que la forme ordinaire.

Lichtenstein, bon observateur et qui a eu au cap de Bonne-Espérance d’excellentes occasions d’étude, a affirmé à Rudolphi que la Chera progne femelle répudie le mâle lorsqu’il a perdu les longues plumes caudales dont il est orné pendant la saison des amours. Je suppose que cette observation a été faite sur des oiseaux en captivité[27]. Voici un autre cas analogue ; le docteur Jaeger[28], directeur du jardin zoologique de Vienne, constate qu’un faisan argenté mâle, après avoir triomphé de tous les autres mâles et être devenu le préféré des femelles, perdit son magnifique plumage. Il fut aussitôt remplacé par un rival qui devint le chef de la bande.

M. Boardman, bien connu aux États-Unis comme éleveur de toutes sortes d’espèces d’oiseaux, signale un fait qui prouve quel rôle important joue la couleur au point de vue de l’accouplement des oiseaux. Il n’a jamais vu, en effet, un oiseau albinos accouplé avec un autre oiseau, bien qu’il ait eu souvent l’occasion d’observer des oiseaux albinos appartenant à plusieurs espèces[29]. Il est difficile de soutenir que les oiseaux albinos sont incapables de se reproduire à l’état sauvage, car on peut les élever facilement en captivité. Il semble donc qu’on doit attribuer uniquement à leur couleur le fait que les oiseaux normalement colorés ne veulent pas s’accoupler avec eux.

La femelle non-seulement fait un choix, mais, dans certains cas, elle courtise le mâle, et se bat même pour s’assurer sa possession. Sir R. Héron assure que, chez le paon, c’est toujours la femelle qui fait les premières avances, et, d’après Audubon, quelque chose d’analogue se passe chez les femelles âgées du dindon sauvage. Les femelles du grand tétras voltigent autour du mâle pendant qu’il parade dans les endroits où ces oiseaux se rassemblent, et font tout ce qu’elles peuvent pour attirer son attention[30]. Nous avons vu une cane sauvage apprivoisée séduire, après de longues avances, une sarcelle mâle d’abord mal disposée en sa faveur. M. Bartlett croit que le Lophophorus, comme tant d’autres gallinacés, est naturellement polygame, mais on ne saurait placer deux femelles et un mâle dans une même cage, car elles se battent constamment. Le cas suivant de rivalité est d’autant plus singulier qu’il concerne le bouvreuil, qui s’accouple ordinairement pour la vie. M. J. Weir introduisit dans sa volière une femelle assez laide et ayant des couleurs fort ternes ; celle-ci attaqua avec une telle rage une autre femelle accouplée qui s’y trouvait, qu’il fallut retirer cette dernière. La nouvelle femelle fit la cour au mâle et réussit enfin à s’apparier avec lui ; mais elle en fut plus tard justement punie, car, ayant perdu son caractère belliqueux, M. Weir remit dans la volière la première femelle, vers laquelle le mâle revint immédiatement en abandonnant sa nouvelle compagne.

Le mâle est assez ardent d’ordinaire pour accepter n’importe quelle femelle, et, autant que nous en pouvons juger, il ne manifeste aucune préférence ; mais, comme nous le verrons plus loin, cette règle souffre des exceptions dans quelques groupes. Je ne connais, chez les oiseaux domestiques, qu’un seul cas où les mâles témoignent d’une préférence pour certaines femelles ; le coq domestique, en effet, d’après M. Hewitt, préfère les poules jeunes aux vieilles. D’autre part, le même observateur est convaincu que, dans les croisements hybrides faits entre le faisan mâle et les poules ordinaires, le faisan préfère toujours les femelles plus âgées. Il ne paraît en aucune façon s’inquiéter de leur couleur, mais il se montre très-capricieux dans ses affections[31]. Il témoigne, sans cause explicable, à l’égard de certaines poules, l’aversion la plus complète, et aucun soin de la part de l’éleveur ne peut surmonter cette aversion. Certaines poules, au dire de M. Hewitt, semblent ne provoquer aucun désir chez les mâles, même de leur propre espèce, de telle sorte qu’on peut les laisser avec plusieurs coqs pendant toute une saison sans que sur quarante ou cinquante œufs il y en ait un seul de fécond. D’autre part, selon M. Ekström, on a remarqué, au sujet du canard à longue queue (Harelda glacialis), « que certaines femelles sont beaucoup plus courtisées que les autres ; et il n’est pas rare de voir une femelle entourée de six ou huit mâles. » Je ne sais si cette affirmation est bien fondée ; en tout cas, les chasseurs indigènes tuent ces femelles et les empaillent pour attirer les mâles[32].

Les femelles, avons-nous dit, manifestent parfois, souvent même, une préférence pour certains mâles particuliers. La démonstration directe de cette proposition est sinon impossible, du moins très-difficile, et nous ne pouvons guère affirmer qu’elles exercent un choix qu’en invoquant une analogie. Si un habitant d’une autre planète venait à contempler une troupe de jeunes paysans s’empressant à une foire autour d’une jolie fille pour la courtiser et se disputer ses faveurs tout comme le font les oiseaux dans leurs assemblées, il pourrait conclure qu’elle a la faculté d’exercer un choix rien qu’en voyant l’ardeur des concurrents à lui plaire et à se faire valoir à ses yeux. Or, pour les oiseaux, les preuves sont les suivantes : ils ont une assez grande puissance d’observation et ne paraissent pas dépourvus de quelque goût pour le beau au point de vue de la couleur et du son. Il est certain que les femelles manifestent, par suite de causes inconnues, des antipathies ou des préférences fort vives pour certains mâles. Lorsque la coloration ou l’ornementation des sexes diffère, les mâles sont, à de rares exceptions près, les plus ornés, soit d’une manière permanente, soit pendant la saison des amours seulement. Ils prennent soin d’étaler leurs ornements divers, de faire entendre leur voix, et se livrent à des gambades étranges en présence des femelles. Les mâles bien armés qui, à ce qu’on pourrait penser, devraient compter uniquement sur les résultats de la lutte pour s’assurer le triomphe, sont la plupart du temps très-richement ornés ; ils n’ont même acquis ces ornements qu’aux dépens d’une partie de leur force ; dans d’autres cas, ils ne les ont acquis qu’au prix d’une augmentation des risques qu’ils peuvent courir de la part des oiseaux de proie et de certains autres animaux. Chez beaucoup d’espèces, un grand nombre d’individus des deux sexes se rassemblent sur un même point, et s’y livrent aux assiduités d’une cour prolongée. Il y a même des raisons de croire que, dans le même pays, les mâles et les femelles ne réussissent pas toujours à se plaire mutuellement et à s’accoupler.

Que devons-nous donc conclure de ces faits et de ces observations ? Le mâle étale-t-il ses charmes avec autant de pompe, défie-t-il ses rivaux avec tant d’ardeur, sans aucun motif, sans chercher à atteindre un but ? Ne sommes-nous pas autorisés à croire que la femelle exerce un choix et qu’elle accepte les caresses du mâle qui lui convient le plus ? Il n’est pas probable qu’elle délibère d’une façon consciente ; mais le mâle le plus beau, celui qui a la voix la plus mélodieuse, ou le plus empressé réussit le mieux à l’exciter et à la captiver. Il n’est pas nécessaire non plus de supposer que la femelle analyse chaque raie ou chaque tache colorée du plumage du mâle ; que la paonne, par exemple, admire chacun des détails de la magnifique queue du paon ; elle n’est probablement frappée que de l’effet général. Cependant, lorsque nous voyons avec quel soin le faisan Argus mâle étale ses élégantes rémiges primaires, redresse ses plumes ocellées pour les mettre dans la position où elles produisent leur maximum d’effet, ou encore, comme le chardonneret mâle, déploie alternativement ses ailes pailletées d’or, pouvons-nous affirmer que la femelle ne soit pas à même de juger tous les détails de ces magnifiques ornements ? Nous ne pouvons, comme nous l’avons dit, penser qu’il y a choix, que par analogie avec ce que nous ressentons nous-mêmes ; or, les facultés mentales des oiseaux ne diffèrent pas fondamentalement des nôtres. Ces diverses considérations nous permettent de conclure que l’accouplement des oiseaux n’est pas abandonné au hasard seul ; mais que, au contraire, les mâles qui, par leurs charmes divers, sont les plus aptes à plaire aux femelles et à les séduire, sont, dans les conditions ordinaires, les plus facilement acceptés. Ceci admis, il n’est pas difficile de comprendre comment les oiseaux mâles ont peu à peu acquis leurs divers ornements. Tous les animaux offrent des différences individuelles ; et, de même que l’homme peut modifier ses oiseaux domestiques en choisissant les individus qui lui semblent les plus beaux, de même la préférence habituelle ou même accidentelle qu’éprouvent les femelles pour les mâles les plus attrayants doit certainement provoquer chez eux des modifications qui, avec le temps, peuvent s’augmenter dans toute la mesure compatible avec l’existence de l’espèce.


Variabilité des oiseaux, et surtout de leurs caractères sexuels secondaires. — La variabilité et l’hérédité sont les bases sur lesquelles s’appuie la sélection pour effectuer son œuvre. Il est certain que les oiseaux domestiques ont beaucoup varié et que leurs variations sont héréditaires. On admet généralement[33], aujourd’hui, que les oiseaux ont parfois été modifiés de façon à former des races distinctes. Il y a deux sortes de variations : celles que, dans notre ignorance, nous appelons spontanées ; celles qui ont des rapports directs avec les conditions ambiantes, de sorte que tous ou presque tous les individus de la même espèce subissent des modifications analogues. M. J. A. Allen[34] a récemment observé ces dernières variations avec beaucoup de soin ; il a démontré qu’aux États-Unis beaucoup d’espèces d’oiseaux affectent des couleurs plus vives à mesure que leur habitat est situé plus au sud, et des couleurs plus claires à mesure qu’ils pénètrent davantage vers l’ouest dans les plaines arides de l’intérieur. Les deux sexes semblent ordinairement affectés de la même manière ; mais parfois un sexe l’est plus que l’autre. Cette modification de coloration n’est pas incompatible avec l’hypothèse qui veut que les couleurs des oiseaux soient principalement dues à l’accumulation de variations successives, grâce à la sélection sexuelle ; car, alors même que les sexes ont acquis des différences considérables, l’influence du climat pourrait se traduire par un effet égal sur les deux sexes, ou par un effet plus considérable sur un sexe que sur l’autre, grâce à certaines dispositions constitutionnelles.

Tous les naturalistes sont d’accord aujourd’hui pour admettre que des différences individuelles entre les membres d’une même espèce surgissent à l’état sauvage. Les variations soudaines et fortement prononcées sont assez rares ; il est douteux, d’ailleurs, que ces variations, en admettant même qu’elles soient avantageuses, soient souvent conservées par la sélection et transmises aux générations futures[35]. Néanmoins, il peut être utile de signaler les quelques cas que j’ai pu recueillir qui (à l’exclusion de l’albinisme et du mélanisme simple) se rapportent à la coloration. On sait que M. Gould admet l’existence de quelques variétés seulement, car il attribue un caractère spécifique aux différences si légères qu’elles soient ; cependant il admet que, près de Bogota[36], certains oiseaux mouches appartenant au genre Cynanthus constituent deux ou trois races ou variétés qui diffèrent uniquement par la couleur de la queue, — « les unes ont toutes les plumes bleues, tandis que les autres ont les huit plumes centrales colorées d’un beau vert à leur extrémité. » — Il ne semble pas que, dans ce cas ou dans les cas suivants, on ait observé des degrés intermédiaires. Chez une espèce de perroquets australiens, les mâles seuls ont, les uns, les cuisses « écarlates, les autres, les cuisses d’un vert herbacé. » Chez une autre espèce du même pays, la raie qui traverse les plumes des ailes est jaune vif chez quelques individus, et teintée de rouge chez quelques autres[37]. Aux États-Unis, quelques mâles du tanagre écarlate (Tanagra rubra) portent « une magnifique raie transversale rouge brillant sur les plus petites plumes des ailes[38] ; mais cette variété est assez rare, il faudrait donc des circonstances exceptionnellement favorables pour que la sélection sexuelle en assurât la conservation. Au Bengale, le busard à miel (Pernis cristata) porte quelquefois sur la tête une huppe rudimentaire ; on aurait pu négliger une différence aussi légère, si cette même espèce ne possédait, dans la partie méridionale de l’Inde, « une huppe occipitale bien prononcée, formée de plusieurs plumes graduées[39]. »

Le cas suivant présente, à quelques égards, un plus vif intérêt. On trouve, dans les îles Feroë seulement, une variété pie du corbeau ayant la tête, la poitrine, l’abdomen et quelques parties des plumes, des ailes et de la queue blancs ; cette variété n’est pas très-rare, car Graba, pendant sa visite, en a vu huit à dix individus vivants. Bien que les caractères de cette variété ne soient pas absolument constants, plusieurs ornithologistes distingués en ont fait une espèce distincte. Brünnich remarqua que les autres corbeaux de l’île poursuivent ces oiseaux pies en poussant de grands cris, et les attaquent avec furie ; ce fut là le principal motif qui le décida à les considérer comme spécifiquement distincts ; on sait maintenant que c’est une erreur[40]. Cet exemple rappelle un cas analogue que nous venons de citer : les oiseaux albinos ne s’accouplent pas, parce qu’ils sont repoussés par leurs congénères.

On trouve, dans diverses parties des mers du Nord, une variété remarquable du guillemot commun (Uria troile) cette variété, au dire de Graba, se rencontre aux îles Feroë dans la proportion de un sur cinq de ces oiseaux. Son principal caractère[41] consiste en un anneau blanc pur, qui entoure l’œil, une ligne blanche, étroite et arquée, longue d’environ 4 centimètres prolonge la partie postérieure de cet anneau. Ce caractère remarquable a conduit quelques ornithologistes à classer cet oiseau comme une espèce distincte sous le nom d’Uria lacrymans ; mais il est reconnu aujourd’hui que c’est une simple variété. Cette variété s’accouple souvent avec l’espèce commune, et cependant on n’a jamais vu de formes intermédiaires ; ce qui d’ailleurs n’a rien d’étonnant, car les variations qui apparaissent subitement, comme je l’ai démontré ailleurs[42], se transmettent sans altération, ou ne se transmettent pas du tout. Nous voyons ainsi que deux formes distinctes d’une même espèce peuvent coexister dans une même localité, et il n’est pas douteux que, si l’une eût eu sur l’autre un avantage de quelque importance, elle se fût promptement multipliée à l’exclusion de l’autre. Si, par exemple, les corbeaux pies mâles, au lieu d’être persécutés et chassés par les autres, eussent eu des attraits particuliers pour les femelles noires ordinaires, comme le paon pie dont nous avons parlé plus haut, leur nombre aurait augmenté rapidement. C’eût été là un cas de sélection sexuelle.

Quant aux légères différences individuelles qui, à un degré plus ou moins grand, sont communes à tous les membres d’une même espèce, nous avons toute raison de croire qu’elles constituent l’élément le plus important pour l’œuvre de la sélection. Les caractères sexuels secondaires sont éminemment sujets à varier, tant chez les animaux à l’état sauvage que chez ceux réduits à l’état domestique[43]. On pourrait presque affirmer aussi, comme nous l’avons vu dans le huitième chapitre, que les variations surgissent plus fréquemment chez les mâles que chez les femelles. Toutes ces conditions viennent puissamment à l’aide de la sélection sexuelle. J’espère démontrer, dans le chapitre suivant, que la transmission des caractères ainsi acquis à un des sexes ou à tous les deux dépend exclusivement, dans la plupart des cas, de la forme d’hérédité qui prévaut dans les groupes en question.

Il est quelquefois difficile de déterminer si certaines différences légères entre les mâles et les femelles proviennent uniquement d’une variation avec hérédité limitée à un sexe seul, sans le concours de la sélection sexuelle, ou si ces différences ont été augmentées par l’intervention de cette dernière cause. Je ne m’occupe pas ici des nombreux cas où le mâle affecte de magnifiques couleurs ou d’autres ornements, qui n’existent chez la femelle que dans de très-minimes proportions, car, dans ces cas, on se trouve presque certainement en présence de caractères primitivement acquis par le mâle, et transmis dans une plus ou moins grande mesure à la femelle. Mais que penser relativement à certains oiseaux chez lesquels, par exemple, les yeux diffèrent légèrement de couleur selon le sexe[44] ? Dans quelques cas, la différence est très-prononcée ; ainsi, chez les cigognes du genre Xenorhynchus, les yeux du mâle sont couleur noisette noirâtre, tandis que ceux des femelles affectent une teinte jaune gomme-gutte ; chez beaucoup de calaos (Buceros), d’après M. Blyth[45], les mâles ont les yeux rouge cramoisi, et les femelles les ont blancs. Chez le Buceros bicornis, le bord postérieur du casque et une raie sur la crête du bec sont noirs chez le mâle, mais non pas chez la femelle. Devons-nous attribuer à l’intervention de la sélection sexuelle la conservation ou l’augmentation de ces taches noires et de la couleur cramoisie des yeux chez les mâles ? Ceci est fort douteux, car M. Bartlett m’a fait voir, aux Zoological Gardens, que l’intérieur de la bouche de ce Buceros est noir chez le mâle, et couleur chair chez la femelle ; or, il n’y a rien là qui soit de nature à affecter ni la beauté, ni l’apparence extérieure de ces oiseaux. Au Chili[46], j’ai observé que, chez le Condor âgé d’un an environ, l’iris est brun foncé, mais qu’à l’âge adulte il devient brun-jaunâtre chez le mâle, et rouge vif chez la femelle. Le mâle possède aussi une petite crête charnue longitudinale de couleur plombée. Chez beaucoup de gallinacés, la crête constitue un fort bel ornement, et pendant que l’oiseau fait sa cour elle revêt des teintes fort vives ; mais que penser de la crête sombre et incolore du Condor, qui n’a, à nos yeux, rien de décoratif ? On peut se faire la même question relativement à divers autres caractères, comme, par exemple, la protubérance qui occupe la base du bec de l’oie chinoise (Anser cygnoïdes), protubérance beaucoup plus développée chez le mâle que chez la femelle ? Il nous est impossible, dans l’état de la science, de répondre à ces questions ; en tout cas, on ne saurait affirmer que ces protubérances et ces divers appendices charnus n’exercent aucun attrait sur la femelle, car il ne faut pas oublier que certaines races sauvages humaines considèrent comme des ornements beaucoup de difformités hideuses telles que de profondes balafres pratiquées sur la figure avec la chair relevée en saillie, la cloison nasale traversée par des os ou des baguettes, des trous pratiqués dans les oreilles et dans les lèvres de façon à les étendre autant que possible.

La sélection sexuelle a-t-elle ou non contribué à la conservation et au développement de ces différences insignifiantes ? C’est ce que nous ne saurions affirmer positivement. En tout cas, elles n’en obéissent pas moins aux lois de la variation. En vertu du principe de la corrélation du développement, le plumage varie souvent d’une façon analogue sur différentes parties du corps, ou même sur le corps entier. Nous trouvons la preuve de ce fait chez certaines races de gallinacés. Chez toutes les races, les plumes qui recouvrent le cou et les reins des mâles sont allongées et affectent la forme de soies ; or, lorsque les deux sexes acquièrent une huppe, ce qui constitue un caractère nouveau dans le genre, les plumes qui ornent la tête du mâle prennent la forme de soies, évidemment en vertu du principe de la corrélation, tandis que celles qui décorent la tête de la femelle conservent la forme ordinaire. La couleur des plumes de la huppe du mâle correspond souvent aussi avec celle des soies du cou et des reins, comme on peut le voir en comparant ces plumes chez les poules polonaises pailletées d’or ou d’argent, et chez les races Houdan et Crèvecœur. On constate, chez quelques espèces sauvages, la même corrélation entre la couleur de ces mêmes plumes, par exemple chez les splendides mâles du faisan Amherst et du faisan doré.

La structure de chaque plume amène généralement la disposition symétrique d’un changement de coloration ; les diverses races de gallinacés dont le plumage est tacheté ou pailleté nous en offrent des exemples ; et, grâce à la corrélation, les plumes du corps entier se modifient souvent de la même manière. Nous pouvons donc, sans grande peine, produire des races dont les plumes sont aussi symétriquement tachetées et colorées que celles des espèces sauvages. Chez les volailles au plumage tacheté et pailleté, les bords colorés des plumes sont nettement définis ; mais j’ai obtenu un métis par le croisement d’un coq espagnol noir à reflet vert, et d’une poule de combat blanche, chez lequel toutes les plumes affectaient une teinte vert noirâtre, sauf leurs extrémités qui étaient blanc jaunâtre ; mais, entre ces extrémités blanchâtres et la base noire de la plume, chacune d’elles portait une zone symétrique courbe affectant une teinte brun foncé. Dans certains cas, la tige de la plume détermine la distribution des teintes ; ainsi, chez un métis provenant du même coq espagnol noir, et d’une poule polonaise pailletée d’argent, la tige et un étroit espace de chaque côté, affectaient une teinte noir verdâtre ; puis venait une zone régulière brun foncé, bordée de blanc brunâtre. Les plumes, dans ce cas, deviennent symétriquement ombrées, comme celles qui donnent tant d’élégance au plumage d’un grand nombre d’espèces sauvages. J’ai aussi remarqué une variété du pigeon ordinaire chez laquelle les barres des ailes étaient disposées en zones symétriques affectant trois nuances brillantes, au lieu d’être simplement noires sur un fond bleu ardoisé, comme chez l’espèce parente.

On peut observer, dans plusieurs groupes considérables d’oiseaux, que, bien que le plumage de chaque espèce affecte des couleurs différentes, toutes les espèces, cependant, conservent certaines taches, certaines marques ou certaines raies. Un cas analogue se présente chez les races de pigeons, car habituellement toutes les races conservent les deux raies des ailes, bien que ces raies soient tantôt rouges, jaunes, blanches, noires ou bleues, alors que le reste du plumage affecte une nuance différente. Voici un cas plus curieux encore de la conservation de certaines taches, mais colorées d’une manière à peu près exactement inverse de ce qu’elles sont naturellement ; le pigeon primitif a la queue bleue, mais les moitiés terminales des barbes externes des deux rectrices extérieures sont blanches ; or, il existe une sous-variété chez laquelle la queue est blanche au lieu d’être bleue, mais chez laquelle les barbes des plumes colorées en blanc chez l’espèce parente affectent au contraire la couleur noire[47].


Formation et variabilité des ocelles ou taches oculiformes sur le plumage des oiseaux. — Les ocelles qui décorent les plumes de divers oiseaux, la fourrure de quelques mammifères, les écailles des reptiles et des poissons, la peau des amphibies, les ailes des lépidoptères et d’autres insectes constituent, sans contredit, le plus magnifique de tous les ornements ; ils méritent donc une mention spéciale. Un ocelle consiste en une tache placée au centre d’un anneau affectant une autre couleur, comme la pupille dans l’iris, mais le point central est souvent entouré de zones concentriques additionnelles. Chacun connaît, par exemple, les ocelles qui se trouvent sur les plumes de la queue du paon, ainsi que sur les ailes du papillon paon (Vanessa). M. Trimen a décrit une phalène de l’Afrique méridionale (Gynanisa Isis), voisine de notre grand paon, chez laquelle un ocelle magnifique occupe presque la totalité de la surface de chaque aile postérieure ; cet ocelle consiste en un centre noir, renfermant une tache en forme de croissant, demi-transparente, entourée de zones successivement jaune ocre, noire, jaune ocre, rose, blanche, rose, brune et blanchâtre. Nous ne connaissons pas les causes qui ont présidé à la formation et au développement de ces ornements si complexes et si magnifiques, mais nous pouvons affirmer, tout au moins, que chez les insectes, ces causes ont dû être très-simples ; car, ainsi que le fait remarquer M. Trimen, « il n’y a pas de caractère qui soit aussi instable chez les Lépidoptères que les ocelles, tant au point de vue du nombre que de la grandeur. M. Wallace, qui le premier a attiré mon attention sur ce point, m’a fait voir une série d’individus de notre papillon commun (Hipparchia Janira) présentant de nombreuses gradations, depuis un simple point noir jusqu’à un ocelle élégamment ombré. Chez un papillon de l’Afrique du Sud (Cylla Leda, Linn.) appartenant à la même famille, les ocelles sont encore plus variables. Chez quelques individus (A, fig. 53), la surface externe des ailes porte de larges taches noires dans lesquelles on observe çà et là des taches blanches irrégulières ; de cet état on peut établir une gradation complète conduisant à un ocelle assez parfait (A’), qui provient de la contraction des taches noires irrégulières. Chez d’autres individus on peut suivre une série graduée partant de petits points blancs entourés d’une ligne noire (B) à peine visible, et finissant par des ocelles grands et parfaitement symétriques (B’)[48]. Dans les cas comme ceux-ci le développement d’un ocelle parfait n’exige pas une série prolongée de variations et de sélections.

Fig. 53. Cylla Leda, Linn., dessin de M. Trimen, indiquant l’extrême étendue de la variation des ocelles.
A. Papillon de Maurice, surface supérieure de l’aile antérieure. B. Papillon de Java, surface supérieure de l’aile postérieure.
A’. Papillon de Natal, id. B’. Papillon de Maurice, id.


Il semble résulter de la comparaison des espèces voisines chez les oiseaux et chez beaucoup d’autres animaux, que les taches circulaires proviennent souvent d’un fractionnement et d’une contraction des raies. Chez le faisan Tragopan, les magnifiques taches blanches du mâle[49] sont représentées chez la femelle, par des raies indécises de même couleur ; on peut observer quelque chose d’analogue chez les deux sexes du faisan Argus. Quoi qu’il en soit, toutes les apparences favorisent l’hypothèse que, d’une part, une tache foncée résulte souvent de la condensation, sur un point central, de la matière colorante répandue sur la zone environnante, laquelle devient ainsi plus claire. D’autre part, qu’une tache blanche résulte souvent de la dissémination autour d’un point central de la substance colorante qui, en s’y répandant, constitue une zone ambiante plus foncée. Dans les deux cas, il se forme un ocelle. La matière colorante paraît exister en quantité à peu près constante, mais elle est susceptible de se distribuer dans des directions tant centripètes que centrifuges. Les plumes de la pintade présentent un excellent exemple de taches blanches entourées de zones plus foncées ; or, partout où les taches blanches sont grandes et rapprochées, les zones foncées qui les environnent deviennent confluentes. On peut voir, sur une même rémige du faisan Argus, des taches foncées entourées d’une zone pâle, et des taches blanches entourées d’une zone foncée. La formation d’un ocelle, dans son état le plus élémentaire, paraît donc être un phénomène très-simple. Mais je ne saurais prétendre indiquer quelles ont été les différentes phases de la formation des ocelles plus compliqués, entourés de plusieurs zones successives de couleur différente. Cependant, les plumes zonées des métis produits par volailles diversement coloriés, et la variabilité prodigieuse des ocelles chez les Lépidoptères, nous autorisent à conclure que la formation de ces magnifiques ornements ne peut guère être bien compliquée, mais qu’elle résulte probablement de quelques modifications légères et graduelles de la nature des tissus.


Gradation des caractères sexuels secondaires. — Les cas de gradation ont une grande importance ; ils prouvent, en effet, que l’acquisition d’ornements très-compliqués peut, tout au moins, être amenée par des phases successives. Pour déterminer les phases successives qui ont procuré à un oiseau ses vives couleurs ou ses autres ornements, il faudrait pouvoir étudier la longue lignée de ses ancêtres les plus reculés, ce qui est évidemment impossible. Cependant nous pouvons, en règle générale, trouver un fil conducteur en comparant toutes les espèces d’un même groupe, lorsque ce groupe est considérable ; il est probable en effet que certaines de ces espèces ont dû conserver, au moins en partie, quelques traces de leurs caractères antérieurs. Je préfère ici, au lieu d’entrer dans d’innombrables détails sur divers groupes qui présentent des cas frappants de gradation, étudier un ou deux exemples très-caractéristiques, comme celui du paon, pour voir si nous pouvons ainsi jeter quelque lumière sur les différentes phases qu’a dû traverser le plumage de cet oiseau pour acquérir le degré d’élégance et de splendeur que nous lui connaissons. Le paon est surtout remarquable par la longueur extraordinaire qu’atteignent les plumes rectrices de la queue, la queue par elle-même n’étant pas très-développée. Les barbes qui occupent la presque-totalité de la longueur de ces plumes sont séparées ou non composées ; mais on peut observer le même fait dans les plumes de beaucoup d’espèces et chez quelques variétés du coq et du pigeon domestiques. Les barbes se réunissent vers l’extrémité de la tige pour former le disque ovale ou ocelle qui constitue certainement un des ornements les plus beaux que nous connaissions. Cet ocelle se compose d’un centre dentelé, irisé, bleu intense, entouré d’une zone vert brillant, bordée d’une large zone brun cuivré, que circonscrivent à leur tour cinq autres zones étroites de nuances irisées un peu différentes. Le disque présente un caractère qui, malgré son peu d’importance, mérite d’être signalé ; les barbes étant, sur une portion des zones concentriques, plus ou moins dépourvues de barbilles, une partie du disque se trouve ainsi entourée d’une zone presque transparente qui lui donne un aspect admirable. J’ai décrit ailleurs[50] une variation tout à fait analogue des barbes d’une sous-variété du coq de combat, chez lesquelles les pointes, douées d’un lustre métallique, « sont séparées de la partie inférieure de la plume par une zone de forme symétrique et transparente constituée par la partie nue des barbes. » Le bord inférieur ou la base du centre bleu foncé de l’ocelle est profondément dentelé sur la ligne de la tige. Les zones environnantes montrent également, comme on peut le voir dans le dessin (fig. 54), des traces d’indentation ou d’interruption. Ces indentations sont communes aux paons indiens et japonais (Pavo cristatus et P. muticus), et elles m’ont paru mériter une attention particulière, car elles sont probablement en rapport avec le développement de l’ocelle, mais sans que j’aie pu, pendant longtemps, m’expliquer leur signification.

Si on admet le principe de l’évolution graduelle, on peut affirmer qu’il a dû exister autrefois un grand nombre d’espèces qui ont présenté toutes les phases successives entre les couvertures caudales allongées du paon et celles plus courtes des autres oiseaux ; et aussi entre les superbes ocelles du premier et ceux plus simples ou les taches colorées des seconds ; et de même pour tous les autres caractères du paon. Voyons donc chez les gallinacés voisins, si nous trouvons des gradations encore existantes. Les espèces et les sous-espèces de Polyplectron habitent des pays voisins de la patrie du paon, et ils ressemblent assez à cet oiseau pour qu’on les ait appelés faisans-paons. M. Bartlett soutient aussi qu’ils ressemblent au paon par la voix et par quelques-unes de leurs habitudes. Pendant le printemps, ainsi que nous l’avons dit précédemment, les mâles se pavanent devant les femelles relativement beaucoup plus simples ; ils redressent et étalent les plumes de leurs ailes et de leur queue, ornées de nombreux ocelles. Le lecteur peut recourir à la figure représentant le polyplectron (fig. 51, p. 97). Chez le P. Napoleonis, les ocelles ne se trouvent que sur la queue, le dos est d’un bleu métallique brillant, points qui rapprochent cette espèce du paon de Java. Le P. Hardwickii possède une huppe singulière assez semblable à celle du même paon.

Fig. 51. — Plume de paon, deux tiers environ de grandeur naturelle, dessinée par M. Ford. — La zone transparente est représenté par la zone blanche extérieure limitée à l’extrémité supérieure du disque.

Les ocelles des ailes et de la queue des diverses espèces de polyplectron sont circulaires ou ovales, et consistent en un magnifique disque irisé, bleu verdâtre ou pourpre verdâtre, avec un bord noir. Chez le P. chinquis, ce bord se nuance de brun avec un liséré couleur de café au lait, de sorte que l’ocelle est ici entouré de zones concentriques affectant des tons différents quoique peu brillants. La longueur inusitée des couvertures caudales est un autre caractère remarquable du genre polyplectron ; car, chez quelques espèces, elles atteignent la moitié, et, chez d’autres, les deux tiers de la longueur des vraies rectrices. Les tectrices caudales sont ornées d’ocelles comme chez le paon. Ainsi, les diverses espèces de polyplectron se rapprochent évidemment du paon, par l’allongement de leurs tectrices, par le zonage de leurs ocelles et par quelques autres caractères.

Malgré ce rapprochement, j’avais presque renoncé à mes recherches après avoir examiné la première espèce de polyplectron que j’ai eue à ma disposition ; car je trouvai non seulement que les véritables rectrices, qui sont simples chez le paon, étaient ornées d’ocelles qui, sur toutes les plumes, différaient fondamentalement de ceux du paon, en ce qu’il y en avait deux sur la même plume (fig. 55), un de chaque côté de la tige. Cette remarque m’amena à conclure que les ancêtres primitifs du paon n’avaient pu, à aucun degré, ressembler au polyplectron. Mais, en continuant mes recherches, je remarquai que, chez quelques espèces, les deux ocelles sont fort rapprochés ; que, sur les rectrices du P. Hardwickii, par exemple, les deux ocelles se touchaient, et enfin que, sur les tectrices de la queue de la même espèce ainsi que sur celle du P. Malaccense (fig. 56), ils se confondaient. La soudure, n’intéressant que la portion centrale, provoque des dentelures aux bords supérieurs et inférieurs de l’ocelle, qui se traduisent également sur les zones colorées environnantes. Chaque tectrice caudale porte ainsi un ocelle unique, mais dont la double origine est encore nettement accusée. Ces ocelles confluents diffèrent de ceux du paon qui sont uniques, en ce qu’ils ont une échancrure à chaque extrémité, au lieu de n’en présenter qu’une à l’extrémité inférieure ou à la base. Il est d’ailleurs facile d’expliquer cette différence ; chez quelques espèces de polyplectrons les deux ocelles ovales de la même plume sont parallèles ; chez une autre (P. chinquis), ils convergent vers une des extrémités ; or, la soudure partielle de deux ocelles convergents doit évidemment produire une dentelure plus profonde à l’extrémité divergente qu’à l’extrémité convergente. Il est manifeste aussi que, si la convergence était très-prononcée et la fusion complète, l’échancrure tendrait à disparaître complètement à l’extrémité convergente.

Chez les deux espèces de paons, les rectrices sont entièrement dépourvues d’ocelles, ce qui provient sans doute de ce qu’elles se trouvent cachées par les longues tectrices caudales qui les recouvrent. Elles diffèrent, très-notablement, sous ce rapport, des plumes rectrices des polyplectrons, lesquelles, chez la plupart des espèces, sont ornées d’ocelles plus grands que ceux des plumes qui les recouvrent. J’ai donc été amené à examiner avec soin les plumes caudales des diverses espèces de polyplectrons afin de m’assurer si, chez quelqu’une d’entre elles, les ocelles présentent quelque tendance à disparaître, ce que, à ma grande satisfaction, je réussis à constater.

Fig. 55. — Partie d’une tectrice caudale du Polyplectron chinquis, avec les deux ocelles partiellement confluents (grandeur naturelle).
Fig. 56. — Partie d’une tectrice caudale du Polyplectron malaccense, avec les deux ocelles partiellement confluents (grandeur naturelle).

Les rectrices centrales du P. Napoleonis ont les deux ocelles complètement développés de chaque côté de la tige ; mais l’ocelle interne devient de moins en moins apparent sur les rectrices placées de chaque côté, et il n’en subsiste plus qu’une trace rudimentaire ou une ombre sur le bord interne de la plume extérieure. Chez le P. Malaccense, les ocelles des tectrices caudales sont soudés comme nous l’avons vu ; ces plumes ont une longueur extraordinaire, elles atteignent en effet les deux tiers de la longueur des rectrices ; de telle sorte que, sous ces deux rapports, elles ressemblent aux couvertures caudales du paon. Or, chez le P. Mulaccense, les deux rectrices centrales sont seules ornées de deux ocelles à couleur vive, ces taches ont complètement disparu des côtés internes de toutes les autres. Par conséquent, la structure et l’ornementation des plumes caudales de cette espèce de polyplectron, tant les tectrices que celles qui les couvrent, se rapprochent beaucoup de la structure et de l’ornementation des plumes correspondantes du paon.

Il est donc inutile d’insister davantage, car le principe de la gradation explique les degrés successifs qu’a dû parcourir la queue du paon pour en arriver à être ce qu’elle est aujourd’hui. On peut se représenter un ancêtre du paon dans un état presque exactement intermédiaire entre le paon actuel, avec ses tectrices si prodigieusement allongées, ornées d’ocelles uniques, et un gallinacé ordinaire à tectrices courtes, simplement tachetées. Cet oiseau devait posséder des tectrices, susceptibles de se redresser et de se déployer, ornées de deux ocelles partiellement confluents, assez longues pour recouvrir à peu près les rectrices elles-mêmes, qui avaient déjà en partie perdu leurs ocelles, c’est-à-dire un oiseau voisin du polyplectron. Les échancrures du disque central et des zones qui entourent l’ocelle chez les deux espèces de paons, me paraissent militer fortement en faveur de cette hypothèse, car cette particularité serait autrement inexplicable. Les polyplectrons mâles sont incontestablement de très-beaux oiseaux, mais à quelque distance on ne saurait les comparer au paon. Les ancêtres femelles de cet oiseau doivent, pendant une longue période, avoir apprécié cette supériorité ; car, par la préférence continue pour les plus beaux mâles, elles ont inconsciemment contribué à rendre le paon le plus splendide des oiseaux.


Le Faisan Argus. — Les ocelles qui ornent les rémiges du faisan Argus nous offrent un autre champ excellent pour nos recherches. Ces ocelles, admirablement ombrés, ressemblent absolument à des boules posées sur une coupe, et diffèrent par là des ocelles ordinaires. Personne, je pense, ne songerait à attribuer au simple hasard ces ombres délicates fondues d’une façon si exquise et qu’ont si vivement admirées tous les artistes, à un concours fortuit d’atomes de matière colorante. Il semble vraiment qu’en affirmant que ces ornements résultent de la sélection de variations successives, dont pas une n’était primitivement destinée à produire l’illusion d’une boule dans une cavité, on veuille se moquer du lecteur, tout comme si l’on soutenait qu’une madone de Raphaël est le résultat de la sélection de barbouillages exécutés fortuitement par une longue série de jeunes peintres, dont pas un ne comptait d’abord dessiner une figure humaine. Pour découvrir comment ces ocelles se sont développés, nous ne pouvons interroger ni une longue lignée d’ancêtres, ni des formes voisines, qui n’existent plus aujourd’hui. Mais heureusement les diverses plumes de l’aile suffisent pour nous fournir l’explication du problème, car elles nous prouvent, jusqu’à l’évidence, qu’une gradation est au moins possible entre une simple tache et un ocelle produisant l’effet absolu d’une boule placée dans une cavité.

Les rémiges portant les ocelles sont couvertes de raies (fig. 57) ou de rangées de taches foncées (fig. 59) ; chacune de ces bandes ou de ces rangées de taches se dirige obliquement du bord extérieur de la tige vers un ocelle. Les taches sont généralement allongées transversalement à la rangée dont elles font partie. Elles se réunissent souvent, soit dans le sens de la rangée, — elles forment alors une bande longitudinale, — soit latéralement, c’est-à-dire avec les taches des rangées voisines, et constituent alors des bandes transversales. Une tache se divise quelquefois en taches plus petites, qui conservent leur situation propre.

Fig. 57. — Partie d’une rémige secondaire du faisan Argus, montrant deux ocelles complets, a. b. — A, B, C, D, E, F, sont des rangées foncées obliques se dirigeant chacune vers une ocelle.

(Une grande partie de la barbe de la plume a été coupée, surtout à gauche de la tige.)

Il convient d’abord de décrire un ocelle complet figurant parfaitement une boule dans une cavité. Cet ocelle consiste en un anneau circulaire noir intense, entourant un espace ombré de façon à produire exactement l’apparence d’une sphère. La figure que nous donnons ici a été admirablement dessinée et gravée par M. Ford, mais une gravure sur bois ne saurait rendre l’ombrage parfait et délicat de l’original. L’anneau est presque toujours rompu (fig. 57) sur un point de sa moitié supérieure, un peu à droite et au-dessus de la partie blanche (point éclairé) de la sphère qu’il entoure ; quelquefois aussi il est un peu rompu vers sa base à droite. Ces légères ruptures ont une signification importante. L’anneau est toujours très-épaissi et les bords en sont mal définis vers l’angle gauche supérieur, lorsque la plume est vue debout, dans la position où elle est dessinée ici. Sous cette partie épaissie, il y a, à la surface de la sphère, une marque oblique d’un blanc presque pur qui passe graduellement par différentes nuances de gris plombé pâle, puis jaunâtres, puis brunâtres et qui deviennent insensiblement toujours plus foncées vers la partie inférieure. C’est cette gradation de teintes qui produit cet effet si parfait d’une lumière éclairant une surface convexe. Si on examine une de ces sphères, on remarque que sa partie inférieure a une teinte plus brune et se trouve indistinctement séparée par une ligne courbe oblique de la partie supérieure qui est plus jaune et d’une nuance plus plombée ; cette ligne oblique fait un angle droit avec l’axe le plus long de la tache blanche (qui représente la partie éclairée), et même avec toute la portion ombrée, mais ces différences de teintes, dont notre figure sur bois ne peut, cela va sans dire, donner aucune idée, n’altèrent en aucune façon la perfection de l’ombre de la sphère. Il faut surtout observer que chaque ocelle est en rapport évident avec une raie ou une série de taches foncées, car les deux se rencontrent indifféremment sur la même plume.

Fig. 58. — Base de la rémige secondaire la plus rapprochée du corps.

Ainsi, dans la figure 57, la raie A se dirige vers l’ocelle a ; B vers l’ocelle b ; la raie C est interrompue dans sa partie supérieure, et se dirige vers l’ocelle suivant qui n’est pas représenté dans la figure ; il en est de même des bandes D, E et F. Enfin les divers ocelles sont séparés les uns des autres par une surface claire portant des taches noires irrégulières.

Je vais maintenant décrire l’autre extrême de la série, c’est-à-dire la première trace d’un ocelle. La courte rémige secondaire la plus rapprochée du corps, porte, comme les autres plumes (fig. 58), des séries obliques et longitudinales de taches un peu irrégulières très-foncées. La tache inférieure ou la plus rapprochée de la tige, dans les cinq rangées les plus basses (celle de la base exceptée), est un peu plus grande que les autres taches de la même série, et un peu plus allongée dans le sens transversal. Elle diffère aussi des autres taches en ce qu’elle porte à la partie supérieure une bordure de couleur fauve ombrée. Mais cette tache n’a rien de plus remarquable que celles qu’on voit sur les plumages d’une foule d’oiseaux, elle pourrait donc aisément passer inaperçue. La tache suivante, en montant dans chaque rangée, ne diffère, en aucune façon, de celles qui, dans la même ligne, sont placées au-dessus d’elle. Les grandes taches occupent exactement la même position relative, sur cette plume que celle occupée par les ocelles parfaits sur les rémiges plus allongées.

En examinant les deux ou trois rémiges secondaires suivantes, on peut observer une gradation insensible entre une des taches que nous venons de décrire, jointe à celle qui la suit dans la même rangée, et il en résulte un ornement curieux qu’on ne peut appeler un ocelle, et que, faute d’un meilleur terme, je nommerai un « ornement elliptique ». Ces ornements sont représentés dans la figure ci-jointe (fig. 59). Nous y voyons plusieurs rangées obliques, A, B, C, D, etc., de taches foncées ayant le caractère habituel.

Fig. 59. — Portion d’une rémige secondaire montrant les ornements elliptiques. La figure de droite n’est qu’un croquis indiquant les lettres de renvoi.

A. B, C, etc. Rangées de taches se dirigeant vers les ornements elliptiques et les formant.

b. Tache inférieure de la rangée B.
c. Tache suivante de la même rangée.
d. Prolongement interrompu de la tache c de la rangée B.

Chaque rangée de taches descend vers un des ornements elliptiques et se rattache à lui, exactement comme chaque raie de la figure 57 est en rapport avec un des ocelles à boule. Examinons une rangée, B, par exemple (fig. 59) : la tache inférieure (b) est plus épaisse et beaucoup plus longue que les taches supérieures ; son extrémité gauche se termine en pointe et se recourbe vers le haut. Un espace assez large de teintes richement ombrées, commençant par une étroite zone brune, passant à l’orange et ensuite à une teinte plombée, très-claire, à l’extrémité amincie qui côtoie la tige, succède brusquement au côté supérieur de cette tache noire, qui correspond sous tous les rapports avec la grande tache ombrée décrite ci-dessus (fig. 58) ; elle est toutefois plus développée et a des couleurs plus vives. À droite et au-dessus de ce point (b, fig. 59), avec sa partie éclairée, se trouve une marque noire (c) longue et étroite, faisant partie de la même rangée, un peu arquée en dessous, du côté tourné vers b, pour lui faire face. Cette tache noire est quelquefois brisée en deux parties et bordée d’une raie étroite affectant une teinte fauve. À gauche et au-dessus de c, dans la même direction oblique, mais toujours plus ou moins distincte, se trouve une autre tache noire (d). Cette tache affecte ordinairement une forme triangulaire ou irrégulière ; celle qui est indiquée dans l’esquisse est exceptionnellement étroite, allongée et régulière. Elle paraît consister en un prolongement latéral et interrompu de la tache (e), ainsi que semblent l’indiquer les prolongements analogues qu’on remarque sur les taches supérieures suivantes ; mais je n’en suis pas certain. Ces trois taches, b, c et d, avec les parties éclairées intermédiaires, constituent ce que nous appelons un ornement elliptique. Ces ornements occupent une ligne parallèle à la tige et leur position correspond évidemment avec celle des ocelles sphériques. Malheureusement un dessin ne saurait faire comprendre l’élégance de leur aspect, car on ne peut reproduire les teintes orangées et plombées qui contrastent si heureusement avec les taches noires.

La transition entre un de ces ornements elliptiques et un ocelle à sphère est si insensible, qu’il est presque impossible de déterminer quand il faut substituer cette dernière désignation à la première. La transformation de l’ornement elliptique s’effectue par l’allongement et par la plus grande courbure dans des directions opposées de la tache noire inférieure (b, fig. 59), et surtout de la tache supérieure (c), jointe à la contraction de la tache étroite et irrégulière (d) qui, se soudant toutes les trois ensemble, finissent par former un anneau elliptique peu régulier. Cet anneau devient de plus en plus régulier, prend la forme circulaire et augmente en même temps en diamètre. La figure 60 représente, grandeur naturelle, un ocelle qui n’est pas encore absolument parfait. La partie inférieure de l’anneau noir est beaucoup plus recourbée que la tache inférieure de l’ornement elliptique (b, fig. 59). La partie supérieure de l’anneau se compose de deux ou trois parties séparées, et on n’aperçoit qu’une trace de l’épaississement de la partie qui constitue la tache noire au-dessus de la partie claire. Cette partie claire n’est pas encore non plus très-concentrée et la surface est plus brillamment colorée qu’elle ne l’est dans l’ocelle parfait. Les traces de la jonction des trois taches allongées peuvent encore s’apercevoir dans un grand nombre des ocelles les plus parfaits. La tache irrégulièrement triangulaire ou étroite (d, fig. 59) forme évidemment, par sa contraction et par son égalisation, la partie épaissie de l’anneau qui se trouve au-dessus de la partie blanche de l’ocelle complet. La partie inférieure de l’anneau est toujours un peu plus épaisse que les autres (fig. 57), ce qui résulte de ce que la tache noire inférieure de l’ornement elliptique (6, fig. 59) était, dans l’origine, plus épaisse que la tache supérieure (c).

Fig. 60. — Cette figure représente, grandeur naturelle, un ocelle qui n’est pas encore absolument parfait.

On peut suivre toutes les phases successives des modifications et des soudures ; on peut en conclure que l’anneau noir qui entoure la sphère de l’ocelle est incontestablement formé par l’union et par la modification des trois taches noires b, c, d, de l’ornement elliptique. Les taches noires irrégulières et disposées en zigzag qui sont placées entre les ocelles successifs (fig. 57) sont dues évidemment à l’interruption des quelques taches semblables, mais plus régulières, qui se trouvent dans les intervalles des ornements elliptiques.

On peut également se rendre un compte exact des phases successives que traversent les teintes ombrées pour arriver à produire chez les ocelles l’effet d’une boule dans une cavité. Les zones étroites, brunes, oranges et plombées, qui bordent la tache noire inférieure de l’ornement elliptique, revêtent peu à peu des teintes plus douces et se fondent les unes dans les autres ; la portion déjà peu colorée de la partie supérieure gauche devient de plus en plus claire, au point de paraître presque blanche. Mais, même dans l’ocelle en boule le plus parfait, on peut apercevoir (ainsi que nous l’avons indiqué plus haut), une légère différence dans les teintes, mais pas dans les ombres, entre la partie supérieure et la partie inférieure de la boule ; cette ligne de séparation est oblique et suit la même direction que les tons plus clairs des ornements elliptiques. Ainsi chaque petit détail de la forme et de la coloration de l’ocelle à boule peut s’expliquer par des modifications graduelles apportées aux ornements elliptiques ; on peut expliquer également le développement de ces derniers, en vertu de degrés tout aussi successifs commençant par l’union de deux taches presque simples, la tache inférieure (fig. 58) étant bordée à son extrémité supérieure d’une teinte ombrée de fauve.

Les extrémités des longues plumes secondaires qui portent les ocelles complets représentant une boule dans une cavité, sont le siège d’une ornementation particulière (fig. 61). Les raies longitudinales obliques cessent brusquement dans le haut et deviennent confuses ; au-dessus de cette limite, toute l’extrémité supérieure de la plume (a) est couverte de points blancs entourés par de petits anneaux noirs serrés sur un fond obscur.

Fig. 61. — Partie du sommet d’une des rémiges secondaires portant des ocelles complets.

a. Partie supérieure ornée.
b. Ocelle supérieur pas tout à fait complet. (L’ombre qui est au-dessus du point éclairé est trop foncée pour la figure.)
c. Ocelle parfait.

La raie oblique appartenant à l’ocelle supérieur (b) n’est même plus représentée que par une courte tache noire, irrégulière, dont la base est comme d’ordinaire transversale et arquée. La séparation brusque de cette raie nous permet de comprendre pourquoi la partie épaisse de l’anneau manque dans l’ocelle supérieur ; car, comme nous l’avons constaté, cette partie épaissie est évidemment formée par un prolongement de la tache qui la suit au-dessus dans la même raie. Par suite de l’absence de la partie supérieure et épaissie de l’anneau, une portion du sommet de l’ocelle supérieur paraît avoir été obliquement enlevée, bien qu’il soit complet sous tous les autres rapports. Si l’on admettait que le plumage du faisan Argus a été créé tel qu’il existe aujourd’hui, on serait fort embarrassé d’expliquer l’état imparfait de l’ocelle supérieur. Je dois ajouter que les ocelles de la rémige secondaire la plus éloignée du corps sont plus petits et moins parfaits que ceux des autres rémiges et présentent, comme l’ocelle que nous venons de décrire, une interruption de la partie supérieure de l’anneau noir externe. Il semble que les taches, sur cette plume, montrent une tendance moindre à se réunir pour former des bandes ; elles sont, au contraire, souvent divisées en taches plus petites, qui constituent deux ou trois rangées se dirigeant vers chaque ocelle.

M. T. W. Wood[51] a observé le premier un autre point très-curieux qui mérite d’être signalé. Dans une photographie que m’a donnée M. Ward et qui représente un faisan Argus au moment où il déploie ses plumes, on remarque que, sur les plumes disposées perpendiculairement, les taches blanches des ocelles représentant la lumière réfléchie par une surface convexe se trouvent à l’extrémité supérieure, c’est-à-dire dirigée de bas en haut ; l’oiseau, en effet, posé sur le sol en déployant ses plumes, est naturellement éclairé par en haut. Mais là vient le point curieux dont nous avons parlé : les plumes extérieures gardent une position presque horizontale et leurs ocelles devraient paraître aussi illuminés par en haut et par conséquent les taches blanches devraient être placées sur le côté supérieur des ocelles, et, quelque incroyable que cela puisse paraître, c’est en effet la position qu’elles occupent. Il en résulte que les ocelles sur les diverses plumes, bien qu’occupant des positions très-différentes par rapport à la lumière, paraissent tous illuminés par en haut comme si un véritable artiste avait été chargé de disposer leurs ombres. Néanmoins, ils ne sont pas éclairés du point exactement convenable, car les taches blanches des ocelles situés sur les plumes qui restent presque horizontales, sont placées un peu trop à l’extrémité, c’est-à-dire qu’elles ne se trouvent pas tout à fait assez sur le côté. Nous n’avons d’ailleurs aucun droit de chercher la perfection absolue dans une partie que la sélection sexuelle a transformée en ornement, pas plus que dans une partie que la sélection naturelle a modifiée pour un usage constant, et nous pourrions citer, par exemple, l’œil humain. Nous savons, en effet, que Helmholtz, la plus haute autorité en Europe, a dit à propos de cet organe extraordinaire, que si un opticien lui avait vendu un instrument fabriqué avec si peu de soin, il n’aurait pas hésité à le lui laisser pour compte[52].


Il résulte, des observations que nous venons de faire, qu’on peut établir une série parfaite entre les taches simples et un admirable ornement représentant l’étonnant ocelle en forme de boule. M. Gould, qui a eu l’obligeance de me donner quelques-unes de ces plumes, reconnaît avec moi que la gradation est complète. Il est évident que les différentes phases de développement qu’on observe sur les plumes d’un oiseau n’indiquent pas nécessairement les divers états par lesquels ont dû passer les ancêtres éteints de l’espèce ; mais elles nous fournissent probablement l’explication des états actuels, et, tout au moins, la preuve évidente de la possibilité d’une gradation. On sait avec quel soin le faisan Argus mâle étale ses plumes aux regards de la femelle ; on sait aussi que la femelle témoigne une préférence pour les mâles les plus attrayants. Nous avons cité bien des faits pour le prouver ; on ne peut donc contester, si on admet la sélection sexuelle, qu’une simple tache foncée, ombrée de quelques teintes, ne puisse, par le rapprochement et par la modification des taches voisines, grâce à une augmentation de couleur, se transformer en ce que nous avons appelé des ornements elliptiques. Toutes les personnes qui ont vu ces ornements les ont trouvés trés-élégants, plusieurs même les regardent comme plus beaux que les ocelles complets. L’action continue de la sélection sexuelle a dû provoquer l’allongement des rémiges secondaires et l’augmentation en diamètre des ornements elliptiques ; la coloration de ces ornements a dû, en conséquence, perdre une certaine partie de son éclat ; alors, pour remplacer ce défaut de coloration, l’ornementation s’est reportée sur la beauté du dessin et sur le jeu des ombres et de la lumière ; ces embellissements successifs ont abouti au développement des merveilleux ocelles que nous venons de décrire. C’est ainsi, — et il me semble qu’il n’y a pas d’autre explication possible, — que nous pouvons expliquer l’état actuel et l’origine des ornements qui couvrent les rémiges du faisan Argus.


La lumière que jette sur ce sujet le principe de la gradation ; ce que nous savons des lois de la variation ; les modifications qu’ont éprouvées un grand nombre de nos oiseaux domestiques ; et enfin les caractères (sur lesquels nous aurons à revenir) du plumage des oiseaux avant qu’ils aient atteint l’âge adulte, — nous permettent quelquefois d’indiquer, avec une certaine certitude, les phases successives qu’ont dû traverser les mâles pour acquérir leur riche plumage et leurs divers ornements, bien que, dans beaucoup de cas, nous soyons encore, à cet égard, plongés dans une obscurité profonde. M. Gould, il y a déjà longtemps, m’a signalé un oiseau-mouche, l’Urosticte benjamini, dont le mâle et la femelle présentent des différences remarquables. Le mâle, outre une collerette magnifique, a les plumes de la queue vert noirâtre, sauf les quatre plumes centrales, dont l’extrémité est blanche. Chez la femelle, comme chez la plupart des espèces voisines, les trois plumes caudales extérieures de chaque côté se trouvent dans le même cas ; de sorte que chez le mâle les quatre plumes caudales centrales, et chez la femelle les six plumes caudales, externes sont ornées d’extrémités blanches. On observe, sans doute, chez beaucoup d’espèces d’oiseaux-mouches, des différences considérables entre les mâles et les femelles au point de vue de la coloration de la queue ; toutefois, M. Gould ne connaît pas une seule espèce, en dehors de l’Urosticte, chez laquelle les quatre plumes caudales centrales du mâle se terminent en blanc, et c’est là ce qui rend cet exemple si curieux.

Le duc d’Argyll[53] discute vivement ce cas ; il ne fait pas mention de la sélection sexuelle et se demande : « Comment peut-on, au moyen de la sélection naturelle, expliquer des variétés spécifiques de cette nature ? » Il répond : « La sélection naturelle ne peut donner aucune explication », ce que je lui accorde pleinement. Mais en est-il de même de la sélection sexuelle ? Les plumes caudales des oiseaux-mouches diffèrent les unes des autres de tant de façons différentes, qu’on peut se demander pourquoi les quatre plumes centrales n’auraient pas varié chez cette espèce seule de façon à acquérir des pointes blanches ? Les variations ont pu être graduelles ; elles ont pu être quelque peu soudaines, comme dans le cas précédemment indiqué des oiseaux-mouches de Bogotá, chez lesquels quelques individus seulement ont les « rectrices centrales vert éclatant à leur extrémité ». J’ai remarqué, chez la femelle de l’Urosticte, des extrémités blanches très-petites et presque rudimentaires sur les deux rectrices externes faisant partie des quatre plumes centrales ; ce qui indique une légère modification dans le plumage de cette espèce. Si l’on admet que la quantité de blanc puisse varier dans les rectrices centrales du mâle, il n’y a rien d’étonnant à ce que de telles variations aient été soumises à l’action de la sélection sexuelle. Les extrémités blanches, ainsi que les petites huppes auriculaires de même couleur, ajoutent certainement à la beauté du mâle, le duc d’Argyll l’admet lui-même ; or, le blanc est évidemment apprécié par d’autres oiseaux, car le Chasmorynchus mâle affecte une blancheur de neige. N’oublions pas le fait signalé par sir H. Heron : ses paons femelles, auxquelles il avait interdit l’accès du mâle pie, refusèrent de s’accoupler avec aucun autre mâle et restèrent toute la saison sans produire. Il n’est pas étonnant non plus que les variations des rectrices de l’Urosticte aient été l’objet d’une sélection ayant spécialement pour but une ornementation quelconque, car le genre qui le suit dans la même famille a reçu le nom de Metallura, en conséquence de la splendeur qu’ont atteinte chez lui ces mêmes plumes. Nous avons en outre la preuve que les oiseaux-mouches font tous leurs efforts pour étaler leurs rectrices à leur plus grand avantage. M. Belt[54], après avoir décrit la magnificence du Florisuga mellivora, ajoute : « J’ai vu la femelle posée sur une branche pendant que deux mâles étalaient leurs charmes devant elle. L’un s’élançait en l’air comme une fusée, puis épandait soudain sa queue blanche comme la neige, descendait lentement devant elle, en ayant soin de se tourner graduellement pour qu’elle pût admirer la partie antérieure et la partie postérieure de son corps… sa queue blanche éployée couvrait plus d’espace que tout le corps de l’oiseau, et constituait évidemment pour lui le grand attrait du spectacle. Tandis que l’un descendait, l’autre s’élançait dans l’air et redescendait lentement à son tour. Le spectacle se termine ordinairement par un combat entre les deux mâles, mais je ne saurais dire si la femelle choisit le plus beau ou le plus fort. » Après avoir décrit le plumage particulier de l’Urosticte, M. Gould ajoute : « Je crois fermement que l’ornement et la variété sont le seul but de cette particularité[55]… » Ceci admis, nous pouvons comprendre que les mâles, parés de la manière la plus élégante et la plus nouvelle, l’ont emporté, non dans la lutte ordinaire pour l’existence, mais dans leur rivalité avec les autres mâles, et ont dû, par conséquent, laisser une descendance plus nombreuse pour hériter de leur beauté nouvellement acquise.


  1. Nordmann décrit (Bull. Soc. Imp. des Nat. Moscou, 1861, t. XXXIV, p. 264) les lieux de danse du Tetrao urogalloïdes dans le pays d’Amour. Il estime le nombre des mâles rassemblés à cent environ, les femelles restent cachées dans les buissons environnants et ne sont pas comprises dans ce total. Les cris que poussent ces oiseaux diffèrent beaucoup de ceux du T. urogallus, le grand coq de bruyère.
  2. Voir, sur les réunions de tétras, Brehm, Thierleben, vol. IV, p. 330 ; L. Lloyd, Game Birds of Sweden, 1867, p. 19, 78 ; Richardson, Fauna Bor. Americana, Birds, p. 362. Sur le Paradisea, Wallace, Ann. and Mag. of Nat. Hist. vol. xx, 1857, p. 412. Sur la Bécasse, Lloyd, ib., p. 221.
  3. Cité par T. V. Wood, dans le Student, avril 1870, p. 123.
  4. Gould, Handb. To Birds of Australia, vol. I, pp. 300, 448, 451. Sur le Partmigan, voir Lloyd, ib., p. 129.
  5. Sur les pies, Jenner, Phil. Trans., 1824, p. 21 ; Macgillivray, Hist. Brit. Birds., vol. I, p. 570 ; Thompson, Ann. and Mag. of Nat. Hist., vol. VIII, 1842. p. 494.
  6. Sur le faucon, Thompson, Nat. Hist. of Ireland, Birds, vol. I, 1849, p. 39. Sur les hiboux, les moineaux et les perdrix, White, Nat. Hist. of Selborne, 1825, vol. I, p. 139. Sur le Phœnicura, Loudon, Mag. of Nat. Hist., vol. VII, 1834, p. 245, Brehm (Thierleben, vol. IV, p. 391) fait aussi allusion à des oiseaux trois fois accouplés le même jour.
  7. White (Nat. Hist. of Selborne, 1825, vol. I, p. 140), sur l’existence au commencement de la saison de petites couvées de perdrix mâles, ce dont on m’a communiqué d’autres exemples. Sur le retard des organes générateurs chez quelques oiseaux, voir Jenner, Phil. Trans., 1824. Quant aux oiseaux vivant par groupes de trois, M. Jenner Weir m’a fourni les cas de l’étourneau et des perroquets ; M. Fox, ceux des perdrix. Sur les corbeaux, voir Field, 1868, p. 415. Consulter sur les oiseaux mâles chantant après l’époque voulue, Rev. L. Jenyns, Observ. in Nat. Hist., 1846, p. 87.
  8. Le cas suivant (Times, août 6, 1808) a été cité par le Rev. F. O. Morris sur l’autorité du Rev. O. W. Forester : « Le garde a trouvé cette année un nid de faucons contenant cinq petits. Il en enleva quatre qu’il tua, et en laissa un auquel il coupa les ailes pour servir d’amorce afin de détruire les vieux. Il les tua tous deux le lendemain pendant qu’ils apportaient de la nourriture au jeune, et le garde crut que tout était fini. Le lendemain, il revint vers le nid et y trouva deux autres faucons charitables qui étaient venus au secours de l’orphelin ; il les tua également. Revenant plus tard il retrouva encore deux autres individus remplissant les mêmes fonctions que les premiers ; il les tira tous les deux, et en abattit un ; l’autre, bien qu’atteint, ne put être retrouvé. Il n’en revint plus pour entreprendre cette inutile tentative. »
  9. Le prof. Newton a bien voulu me signaler le passage suivant de M. Adam (Travels of A naturalist, 1870, p. 278) : « Au lieu de donner à une sittelle japonaise la noix assez tendre de l’if, sa nourriture ordinaire, je lui donnai des noisettes dures. L’oiseau fit de nombreux efforts sans pouvoir les briser ; enfin il les déposa l’une après l’autre dans un vase plein d’eau, évidemment avec la pensée qu’après avoir trempé quelque temps, elles deviendraient plus molles ; c’est là une preuve intéressante de l’intelligence de ces oiseaux. »
  10. A Tour in Sutherlandshire, 1840, p. 185.
  11. Wanderings in New South Wales, vol. II, 1834, p. 62.
  12. Acclimatization of Parrots, p. C. Buxton, M. P., Annals and Mag. of Nat. Hist., nov. 1868, p. 381.
  13. The Zoologist, 1847-48, p. 1602.
  14. Hewitt, sur les canards sauvages, Journ. of Horticulture, janv. 13, 1863, p. 39. Audubon, sur le dindon sauvage, Ornithol. Biography, vol. I, p. 14 ; sur le moqueur, ib., vol. I, p. 110.
  15. The Ibis, vol. II, 1860, p. 344.
  16. Sur les nids décorés des oiseaux-mouches, Gould, Introd. to the Trochilidæ, 1861, p. 19. Sur les oiseaux à berceau, Gould, Handbook to Birds of Australia, vol. I, 1865, p. 444-461 ; M. Ramsay, Ibis, 1867, p. 456.
  17. Hist. of Brit. Birds, vol. II, p. 92.
  18. Zoologist, 1853-54, p. 3946.
  19. Waterton, Essays on Nat. Hist., 2e sér., p. 42, 117. Pour les assertions suivantes, voir sur le siffleur, Loudon, Mag. of Nat. Hist., vol. IX, p. 616 ; Lloyd, Scandinavian Adventures, vol. I, 1854, p. 452 ; Dixon, Ornamental and Domestic Poultry, p. 137 ; Hewitt, Journ. of Horticulture, 1863, p. 40 ; Bechstein, Stubenvögel, 1840, p. 230.
  20. Audubon, Ornith. Biog., vol. I, p. 191, 349, vol. II, p. 42, 275, vol. III, p. 2.
  21. Rare and Prize Poultry, 1854, p. 27.
  22. Variation des Animaux, etc., vol. II, p. 110 (trad. française).
  23. Boitard et Corbié, les Pigeons, 1824, p. 12. Prosper Lucas (Traité de l’Hérédité nat., vol. II, 1850, p. 296) a observé des faits analogues chez les pigeons.
  24. Die Taubenzucht, 1824, p. 86.
  25. Ornithological Biography, vol. I, p. 13.
  26. Proc. Zool. Soc., 1833, p. 54. M. Sclater considère le paon noir comme une espèce distincte qui a été nommée Pavo nigripennis ; je crois cependant qu’il constitue une simple variété.
  27. Rudolphi, Beitridge zur Anthropologie, 1812, p. 184.
  28. Die Darwin’sche Theorie, und ihre Stettung zu Moral und Religion, 1869, p. 59.
  29. A. Leith Adams, Field and forest rambles, 1873, p. 79.
  30. Pour les paons, voir sir R. Heron, Proc. Zool. Soc., 1835, p. 54, et le rév. E. S. Dixon, Ornamental Poultry, 1848, p. 8. Pour le dindon, Audubon, o. c., p. 4. Pour le grand tétras, Lloyd, Game Birds of Sweden, 1867, p. 23.
  31. M. Hewitt, cité dans Tegetmeier, Poultry Book, 1866, p. 165.
  32. Cité dans Lloyd, o. c., p. 345.
  33. D’après le docteur Blasius (Ibis, vol. II, 1860, p. 297), il y a 425 espèces incontestables d’oiseaux qui se reproduisent en Europe, outre 60 formes qu’on regarde souvent comme des espèces distinctes. Blasius croit que 10 de ces dernières sont seules douteuses, les 50 autres devant être réunies à leurs voisines les plus proches ; mais cela prouve qu’il doit y avoir chez quelques-uns de nos oiseaux d’Europe une variabilité considérable. Les naturalistes ne sont pas plus d’accord sur le fait de savoir si plusieurs oiseaux de l’Amérique du Nord doivent être considérés comme spécifiquement distincts des espèces européennes qui leur correspondent.
  34. Mammals and Birds of East Florida, et Ornithological Reconnaissance of Kansas, etc. Malgré l’influence du climat sur les couleurs des oiseaux, il est difficile d’expliquer les teintes ternes ou foncées de presque toutes les espèces habitant certains pays, les îles Galapagos, par exemple, situées sous l’Équateur, les plaines tempérées de la Patagonie et, à ce qu’il paraît, l’Égypte (Hatshorne, American Naturalist, 1873, p. 747). Ces pays sont déboisés et offrent, par conséquent, peu d’abris aux oiseaux ; mais il est douteux qu’on puisse expliquer par un défaut de protection l’absence d’espèces brillamment colorées, car, dans les Pampas également déboisés, mais couverts, il est vrai, de gazon, et où les oiseaux sont tout aussi exposés au danger, on constate la présence de nombreuses espèces brillamment colorées. Je me suis souvent demandé si les teintes ternes prédominantes du paysage dans les pays dont il s’agit n’auraient pas influé sur le goût des oiseaux en matière de couleur.
  35. Origine des Espèces, 1880, p. 110. J’avais toujours reconnu que les déviations de conformation, rares et fortement accusées, méritant la qualification de monstruosités, ne pouvaient que rarement être conservées par la sélection naturelle, et que même la conservation de variations avantageuses à un haut degré était jusqu’à un certain point chanceuse. J’avais aussi pleinement apprécié l’importance des différences purement individuelles, ce qui m’avait conduit à insister si fortement sur l’action de cette forme inconsciente de la sélection humaine, qui résulte de la conservation des individus les plus estimés de chaque race, sans aucune intention de sa part d’en modifier les caractères. Mais ce n’est qu’après lecture d’un article remarquable, de la North British Review (mars 1867, p. 289 et suivantes), Revue qui m’a rendu plus de services qu’aucune autre, que j’ai compris combien les chances sont contraires à la conservation des variations, tant faibles que fortement accusées, qui ne se manifestent que chez les individus isolés.
  36. Introd. to Trochilidæ, p. 102.
  37. Gould, Handbook to Birds of Australia, vol. II, p. 32, 68.
  38. Audubon, Orn. Biog., vol. IV, 1838, p. 389.
  39. Jerdon, Birds of India, vol. I, p. 108. Blyth, Land and Water, 1868, p. 381.
  40. Graba, Tagebuch eine Reise nach Färoe, 1830, pp. 51-54. Macgillivray, Hist. Brit. Birds, vol. III, p. 745. Ibis, 1865, vol. v, p. 469.
  41. Graba, o. c., p. 54 ; Macgillivray, o. c., vol. v, p. 327.
  42. Variation des Animaux, etc., vol. II, p. 99 (trad. française).
  43. Voir, sur ces points, Variation des Animaux, etc., vol. I, p. 269 ; et vol. II, p. 78-80.
  44. Exemples des iris de Podica et Gallicrex dans Ibis, vol. II, 1860, p. 206 ; et vol. v, 1863, p. 426.
  45. Jerdon, o. c., vol. I, p. 243-245.
  46. Zoology of the Voyage of H. M. S. Beagle, 1871, p. 6.
  47. Bechstein, Naturgesch. Deutschland’s, vol. IV, 1795, p. 31, sur une sous-variété du pigeon Monck.
  48. Ce dessin sur bois a été gravé d’après un magnifique dessin que M. Trimen a eu l’obligeance d’exécuter pour moi ; il faut lire la description des étonnantes variations que peuvent offrir les ailes de ce papillon dans leur coloration et dans leur forme, et que contient son Rhopalocera Africæ Australis, p. 186.
  49. Jerdon, Birds of India, vol. III, p. 517.
  50. Variation, etc., vol. I, p. 270.
  51. The Field, 28 mai 1870.
  52. Popular lectures on scientific subjects, 1873, p. 219, 227, 269, 390.
  53. The Reign of Law, 1867, p. 247.
  54. The Naturalist in Nicaragua, 1874, p. 112.
  55. Introd. to the Trochilidœ, 1861, p. 110.