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La Double Vie de Théophraste Longuet/18

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XVIII

M. THÉOPHRASTE LONGUET SUBIT LA TORTURE SANS AUCUN COURAGE, MAIS EN POUSSANT DE CURIEUX HURLEMENTS.


L’auteur de ces lignes a toujours estimé qu’il appartenait seulement à une littérature de décadence de s’attacher à peindre, sans utilité, des objets d’horreur. Ne dirait-on point vraiment qu’il n’est de joie, pour certains auteurs, que dans la description minutieuse, ardente, palpitante, satanique des pires tableaux de la perversité des hommes ou de la cruauté des choses ! Ils recueillent avec un soin jaloux tout ce que peut inventer le Malheur ; ils ne laissent se perdre aucun gémissement ; au besoin, ils apprendraient à la Douleur à enfanter.

Ceci vraiment — ne le pensez-vous pas ? — devrait être défendu par les lois qui ont la garde de la raison sociale. Que ferons-nous et que deviendra le monde — je vous le demande — le jour où la raison sociale fera faillite ? La société, c’est tout à fait certain, ne peut vivre sans la Raison. Il serait grand temps qu’on préserve celle-ci des coups regrettables qu’on lui porte.

Quant à l’auteur de ces lignes, que la nature a doué d’un esprit sain et pondéré — du moins, il le croit — il ne saurait prendre la moindre jouissance à tremper sa plume dans le sang des blessures aux lèvres fraîches. Il le dit bien haut avant de s’engager dans le récit des plus affreuses tortures morales et physiques qu’il ait été donné à une créature de Dieu de supporter. Mais ce qui ne saurait manquer de le soutenir dans cette tâche difficile, c’est qu’il sait que le récit des malheurs de Théophraste, plongé dans le sommeil de l’hypnose, est destiné à jeter un jour extraordinairement étourdissant sur les problèmes restés les plus obscurs de la chirurgie psychique.

Tout d’abord, on ne saurait trop engager le lecteur à se rendre un compte tout à fait exact des éléments de l’opération si monstrueusement singulière que va oser, dans son laboratoire de la rue de la Huchette, M. Éliphas de Saint-Elme de Taillebourg de la Nox. Si osée, notre parole, que cet homme de lumière a dit : « Je vais tenter Dieu ! » Il n’exagérait pas.

Tuer Cartouche sans tuer Longuet ! Voilà ! C’est simple ! c’est aussi simple que de dire : Que le monde soit ! C’est aussi simple que cela quand on est Dieu ; mais quand on est M. Éliphas de Saint-Elme de Taillebourg de la Nox, ce qui est cependant déjà quelque chose, on risque de tuer Longuet sans tuer Cartouche ! C’est une responsabilité des plus graves. Il est absolument inutile de tuer M. Longuet si Cartouche, dont l’âme n’aura pas été régénérée, doit réapparaître sur le globe en quelque nouvelle réincarnation ! Un autre qu’Éliphas eût certainement reculé.

Mais lui, nous l’avons dit, avait l’habitude des opérations psychiques les plus compliquées, et la délicatesse de son scalpel astral était universellement reconnue, même au Thibet. Il savait promener, sans hâte et sans fièvre, l’esprit à tuer autour de sa mort. Il le préparait ainsi au trépas. Il l’y amenait. Il lui faisait vivre sa mort jusqu’au moment où il lui faisait mourir sa mort. Alors, à ce moment juste, il fallait, oui, certainement, il fallait le geste d’un Dieu, le geste double qui précipitait à la mort l’esprit mort et ramenait à la vie l’esprit vivant.

Maintenant que nous avons parfaitement compris les données de l’opération et que nous avons assisté aux préliminaires de cette opération, qui ont consisté à faire vivre à Théophraste les derniers mois de la vie de Cartouche, descendons dans le laboratoire où gémit Théophraste sur son lit de sangle, dans le laboratoire qu’éclairent les flammes écarlates et sifflantes ; asseyons-nous aux côtés de M. Lecamus et de cette pauvre Mme Longuet, et qu’une anxiété charitable habite notre cœur.

Nous n’allons plus entendre que la voix impérative de M. de la Nox et la voix douloureuse de Théophraste. Aussi, pour que la moindre petite réflexion étrangère à une scène aussi sublime et aussi criminelle ne vienne nous troubler, nous allons la présenter sous forme d’interrogatoire. Le D. est M. de la Nox, l’R. c’est Théophraste. De cette manière aussi, l’auteur de ces lignes dégage sa responsabilité. Enfin, il ne saurait trop répéter que cet interrogatoire et les incidents qui l’entourent sont purement reproduits d’après la narration qu’en a laissée M. Lecamus.

D. Où te conduit-on, Cartouche ?

R. Dans la salle de la « question ». Mon procès est terminé, je suis condamné à mourir par la roue. Avant le supplice, ils veulent mes aveux, les noms de mes complices, de mes amis, de mes maîtresses. Je me ferais plutôt rouer deux fois ! Ils n’auront rien !…

D. Et maintenant, où es-tu, Cartouche ?

R. Je descends un petit escalier au bout de l’allée des Pailleux. On ouvre une grille… Je suis dans les ténèbres des caves… Ces caves ne me font pas peur… Je les connais bien, ah ! ah ! J’ai été enfermé dans ces caves sous Philippe-le-Bel !

D. (Avec une terrible autorité.) Cartouche ! Tu es Cartouche ! Tu es dans ces caves par ordre du régent ! (Il répète dans le fond de lui-même : Philippe-le-Bel ! Où allons-nous, mon Dieu ! où allons-nous ! Ne nous égarons pas !) Et maintenant, où es-tu, Cartouche ?

R. J’avance dans la nuit des caves. Il y a autour de moi tant de gardes qui marchent dans la nuit des caves que je ne pourrais en dire le nombre. Je vois là-bas, tout là-bas, un rayon que je connais bien. C’est un rayon carré que le soleil a oublié là depuis le commencement de l’histoire de France. Mes gardes ne sont pas des gardes françaises. On se méfie de tous les gardes françaises. Mes gardes sont commandés par le lieutenant de robe courte du Châtelet !

D. Et maintenant, où es-tu, Cartouche ?

R. Je suis dans la chambre de la torture. J’ai devant moi des hommes vêtus de longues robes, mais je ne distingue pas leurs visages. Ce sont mes commissaires qui ont été commis pour les recollements, suivant l’usage, paraît-il. Mais pourquoi appelle t-on cela recollements ? Cette pensée me fait sourire. (Théophraste sourit, en effet.)

D. Et maintenant, que fais-tu, Cartouche ?

R. On me pose sur la sellette. Le bourreau et ses aides placent mes jambes dans les brodequins. Ils serrent fortement les planchettes autour de mes jambes avec des cordes d’une dureté incroyable. Je crois bien que les gaillards vont me faire souffrir tout mon saoul et que la journée sera rude, mais j’ai le cœur serré de courage. Ils ne l’entameront pas !…

Ici, M. Théophraste Longuet, sur son lit de sangle, pousse un cri effroyable.

La bouche de Théophraste est grande ouverte et le hurlement s’en échappe toujours. Adolphe et Marceline sont penchés sur ; lui et se demandent avec horreur quand ce hurlement cessera et quand cette bouche se refermera…

Quant à M. Éliphas de la Nox, il dit :

— C’est la torture qui commence. Mais s’il se met à hurler comme cela au premier coup de maillet !… Ça ne va pas être drôle…

M. Éliphas de Saint-Elme de Taillebourg de la Nox ne s’attendait point à ces hurlements. Il calma l’émotion de M. Lecamus et de Mme Longuet d’un geste suprême et il voulut ordonner quelque chose à Théophraste, quelque chose qu’on ne sut jamais, car le hurlement, qui continuait, empêcha que l’on entendît ce quelque chose.

Enfin le hurlement devint gémissement et le gémissement lui-même se tut. La figure de Théophraste était redevenue relativement placide…

D. Qu’as-tu donc à crier de la sorte, Cartouche ?

R. Je crie parce que c’est un supplice terrible que de ne pouvoir dénoncer mes complices. Je les ai sur le bout de la langue ! Ils ne voient donc pas que si je ne les dénonce point, c’est que je ne puis remuer le bout de la langue ? Pourquoi Cartouche n’a-t-il pas remué le bout de la langue ? Moi, je ne peux pas ! je ne peux pas ! je ne peux pas ! Et ils vont encore venir avec leur maillet ! Et ils vont encore m’enfoncer des morceaux de bois dans les jambes ! C’est injuste ! Je ne peux pas remuer le bout de la langue !…

C. Et maintenant, qu’est-ce qu’on te fait, Cartouche ?

R. Le médecin et le chirurgien se penchent sur moi et me tâtent les poignets. Ils se félicitent d’avoir choisi ce genre de torture qui est, disent-ils aux commissaires, le moins dangereux pour la vie et le moins susceptible d’accidents. « Il n’y a rien au-dessus, proclament-ils, que la question des brodequins pour prolonger et pour rendre plus sensibles les douleurs, sans hasarder que le condamné succombe sous leur violence ou qu’il perde la connaissance et le sentiment[1]. »

D. Et maintenant, qu’est-ce qu’on te fait, Cartouche ?

R. Mais on ne me fait rien. Et je le regrette ! car on a décidé de ne m’enfoncer le second coin qu’une demi-heure après le premier, pour laisser passer l’engourdissement que produit ordinairement la ligature et pour que la sensibilité fût tout entière. Je regarde mes juges, ils ont des gueules noires ! J’aime mieux la figure du bourreau. Ça ne l’amuse pas plus que moi. Il voudrait être ailleurs et moi aussi. Mais le voilà qui revient avec le second coin. Ils sont tous autour de moi, ils sont sur moi…

… Aaaaaaaaaaaaaah !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Jamais, raconte M. Lecamus, jamais la bouche de Théophraste ne m’avait paru aussi grande Dans son visage, il n’y avait plus qu’une bouche, une bouche qui ne remuait pas le bout de la langue, et cet abîme tumultueux qu’était cette bouche débordait avec fracas de ce « aaaaaaaaah ! » qui, telle une lave bouillonnante, en brûlait les bords ! En effet, nous pûmes constater que les lèvres éclataient ! C’était là, hélas ! un des moindres phénomènes que nous étions appelés à constater relativement à la douleur que Théophraste ressentait de la torture de Cartouche. Ce furent là de bien affreuses minutes Je regardais M. Éliphas de la Nox qui, lorsque ce second sinistre hurlement se fut tu, dit encore :

D. Pourquoi cries-tu ainsi, Cartouche ?

R. Je vous répète que c’est à cause que ces imbéciles ne me prennent point les noms que j’ai sur le bout de la langue ! Ce n’est pas de ma faute si Cartouche n’a pas dénoncé !

D. Mais Cartouche n’a pas crié ; pourquoi cries-tu, Cartouche ?

R. C’est Cartouche que l’on torture et c’est Théophraste Longuet qui crie !

M. de la Nox semble foudroyé par cette dernière réponse. Il se tourne vers M. Lecamus et Mme Longuet. Il dit d’une voix basse et tremblante :

— Alors, alors, alors, c’est lui qui souffre.

Et c’était la vérité. « On ne pouvait, dit M. Lecamus, en douter à l’expression effroyable du visage dans le moment que le bourreau enfonçait le coin. C’était Cartouche que l’on torturait et c’était Théophraste qui souffrait. Ceci prouvait l’identité de l’âme ; mais que la douleur n’eût pas cessé d’être effective, après deux cents ans, voilà ce qui consternait M. Éliphas de la Nox. C’était la première fois qu’un cas semblable se présentait sous son scalpel astral. La douleur de Cartouche criait, à travers deux siècles, et ce cri de la douleur qui n’était pas sorti de la bouche de Cartouche avait attendu, pour sortir, la bouche de Théophraste. »

M. Éliphas de la Nox se mit la tête dans les mains, sa lumineuse tête, et il pria, dit M. Lecamus. Il pria ardemment. Puis il se retourna encore vers nous :

— Nous n’en sommes, dit-il, qu’au second coin. Et il y en eut sept !…

— Il en reste encore cinq, fit Marceline, qui avait reçu du ciel le don des mathématiques. Je me demande si mon pauvre mari aura la force de les supporter.

M. Éliphas de la Nox se pencha sur le cœur de Théophraste et l’ausculta comme avaient fait le chirurgien et le médecin de Cartouche sur Cartouche, dans la salle de la torture, dix minutes auparavant.

— L’homme est solide, fit-il. Je crois que nous n’avons, à ce point de vue, presque rien à craindre. Il enterrera Cartouche.

« On me consulta, fait remarquer M. Lecamus, et je fus de cet avis, les larmes aux yeux, que puisqu’on avait tant fait, il eût été regrettable de « reculer », pour la sécurité future et pour le bonheur définitif de M. Longuet.

— C’est un mauvais moment à passer, fis-je.

Mme Longuet, avec un soupir où elle avait mis sa tendresse, qui est grande, pour son mari, dit :

— Certes ! c’est un mauvais moment à passer pour tout le monde ; mais il faut tuer Cartouche ! M. Longuet nous en remerciera après. Et puisque vous nous dites que l’homme est solide, faites, monsieur de la Nox, faites vite !

M. de la Nox reprit donc le cours de son interrogatoire :

D. Et maintenant, que fait-on de toi, Cartouche ?

R Ils m’interrogent. Je ne peux pas répondre. Depuis quelques minutes, je me demande ce que cet homme, dans le coin du cachot qui est à ma droite, peut bien faire. Je n’ai pas encore vu son visage ; il me tourne le dos et il masque un bruit de ferraille. Le bourreau, en ce moment, est bien tranquille. Il est appuyé contre la muraille et il bâille. Il y a une lampe sur la table qui éclaire deux hommes qui ne cessent d’écrire. Je viens d’apercevoir une petite lueur rouge derrière l’homme qui a devant lui un bruit de ferraille. L’aide du bourreau a desserré un peu le nœud des cordes, et cela me procure un soulagement dont je lui suis infiniment reconnaissant. Mais… Mais… Mais l’autre aide, de l’autre côté, tire, tire, tire… S’il continue à tirer ainsi sur les cordes, les cordes vont me couper les jambes. Je lui en fais l’observation, et les docteurs viennent me donner le crucifix à baiser. Derrière l’homme qui me tourne le dos, dans le coin de droite, et autour du bruit de ferraille, j’entends comme un grésillement de braise, et il y a des petites flammes rouges qui lèchent la pierre des murs. Entre les deux hommes qui écrivent, il y a un homme qui fait un signe. Le bourreau a une bonne figure. Je lui demande à boire. Certainement, j’aurais moins mal aux jambes si j’avais moins soif. Jésus ! Le bourreau ramasse son maillet. Mais je jure que je ne peux pas remuer les noms qui sont sur le bout de ma langue et qui sont si lourds qu’ils m’empêchent encore de parler. Enlevez-moi ces noms ! Enlevez-moi ces noms ! Vous ne les voyez donc pas ? Aaaaaaaaaaaaaaah !…

« Cette fois, raconte M. Lecamus, la bouche est fermée. Mais les lèvres découvrent les dents de telle sorte qu’on ne croirait plus qu’il y a des lèvres autour de ces dents. Ces dents sont serrées, serrées, tout à fait soudées, sans espoir qu’aucun levier les sépare jamais. On dirait les dents d’un mort qui serait mort en serrant les dents, et ce sont là des dents serrées pour l’éternité. Derrière ces dents gronde le cri démoniaque de la douleur. Le cri roule dans la bouche sans trouver d’issue, se heurtant à ces dents, mais on l’entend tout de même qui mugit de rage de ne pouvoir s’échapper librement, à cause de ces dents fermées. Puis, nous entendons un grincement aigu qui est bien le plus insupportable à l’oreille comme le bruit de l’ongle ou d’une pierre dans de la craie qui égratigne le tableau noir. Ce sont les dents de M. Longuet qui se brisent, qui éclatent sous la poussée du cri de la douleur. Des petits morceaux de ces dents ont été projetés autour de nous. À cet horrible spectacle, M. de la Nox, qui avait l’air ennuyé, nous avoua qu’il n’avait jamais assisté ni soupçonné que l’on pût assister à une souffrance aussi effective, et que cela tenait peut-être à ce qu’il n’avait, jusqu’à ce jour, opéré que des âmes réincarnées d’au moins cinq cents ans, et encore étaient-elles fort rares, celles de deux mille ans fournissant la majeure partie de sa clientèle. Je vis bien que, malgré toute sa science et toute son expérience, l’illustre auteur de la Chirurgie psychique était sensiblement désemparé. Comme il avait été un peu dur pour moi et qu’il m’avait traité tout à fait en amateur, j’en aurais pu concevoir quelque intime réjouissance, mais le supplice que supportait, sur l’heure, mon meilleur ami m’empêcha de tirer de cet incident toute la consolation morale qu’il m’apportait. M. de la Nox, qui ne tâchait même plus à dissimuler son trouble, aurait peut-être arrêté là l’opération s’il en avait eu le temps. Mais on enfonçait déjà le quatrième coin dans les jambes de mon pauvre ami, et les trois derniers autres coins se succédèrent avec une rapidité qui ne permit même point à M. de la Nox d’interroger M. Longuet. Pendant ces quatre coins, la bouche de M. Longuet, édentée, s’était rouverte, et ce qui s’en échappait n’avait plus rien qui ressemblât au cri des hommes.

» Ce cri était si inconnu et si curieux dans la bouche d’un homme que nous nous penchâmes sur la bouche, tremblants de terreur, pour voir comment un pareil cri pouvait se faire dans une bouche humaine. Nous nous penchâmes sur cette bouche, en nous enfonçant les doigts dans les oreilles, et nous vîmes le fond d’une gorge écarlate et vibrante où roulaient pêle-mêle le rugissement du lion, le hi-han de l’âne, l’aboiement du chien, le miaou du chat, le sifflement du reptile, le barrissement de l’éléphant et le piouïtt de la perdrix.

» Mme Longuet voulut s’enfuir, mais elle était si épouvantée qu’elle s’empêtra dans les plis de sa robe et s’étala de tout son long sur le carreau. Quand elle se releva — je l’y aidai — le cri avait à nouveau cessé, et M. de la Nox lui ordonna de se tenir tranquille et de rester à sa place, lui rappelant, d’un front sévère, qu’elle avait sa part de responsabilité dans l’opération. M. de la Nox nous avoua que « le pire était fait », ce dont nous fûmes tout à fait aises. Nous étions débarrassés, du moins le pensions-nous, de cette grosse histoire de la torture.

» Maintenant Théophraste reposait paisiblement sur son matelas de sangle. C’était une chose à considérer que cet apaisement immédiat suivant l’horreur de la souffrance. Il ne souffrait donc que pendant qu’on le faisait souffrir. Il n’en conservait, après, aucune douleur appréciable. Il n’y avait pas de suite dans la douleur ; c’est ainsi que nous nous expliquions que, dans les intervalles de la torture, il répondait à M. de la Nox, de la façon la plus naturelle, sans émotion physique. M. de la Nox reprit l’interrogatoire :

D. Et maintenant où es-tu, Cartouche ?

R. Je suis toujours dans la salle de la torture. Ah ! ils me tiennent ! Ils me tiennent bien. Mais on ne sait jamais. Je vous dis, je vous répète qu’ils croyaient bien me tenir le 1er avril dernier !… Ah ! ah ! voilà qu’ils me prennent les bras. Qu’est-ce qu’ils vont en faire ? Je crois bien, par les tripes de Mme de Phalaris ! que mes juges rigolent ! L’homme du milieu de la table dit : « Ordre du régent ; il nous faut des noms : tant pis s’il en meurt ! Les tenailles sont-elles prêtes ? Commencez par les mamelles !… » Ah ! ah ! l’homme à genoux devant le bruit des ferrailles et le grésillement des braises se lève, il passe au bourreau des tenailles rougies ! L’aide me découvre le sein droit… Ah ! ah ! par les tripes de Mme

Aaaiiiauuuumaahuurrroihammamohuuuah !…

  1. Phrase historique.