La Douceur mosane/Saint-Jean

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Georges Thone (p. 19-20).


Saint-Jean


Saint-Jean, clocher bulbeux, dans la mer des toits bleus,
Qui montent à l’assaut de la tour, sous la lune,
Saint-Jean, pourquoi, ce soir, ainsi qu’un amoureux,
profondément ému, suis-je là, devant toi,
suivant le reflet blond qui baigne chaque toit
et trace, sur le ciel, ta silhouette brune ?

Il fait nuit, un oiseau me frôle de son aile.
La brise a balancé le tilleul odorant.
Seul, assis sur le mur gris de la citadelle,
Tendu vers la cité qui dans la nuit s’endort,
Sous la lune de rêve et les étoiles d’or,
J’écoute, mon clocher, battre ton cœur vivant.

Sur la Sambre de moire, on voit danser un feu
tombé d’un lumignon de bretèche branlante.
On entend des enfants crier parmi leur jeu,
Et dans la ville ancienne, aux toits si rapprochés
Qu’au-dessus des chemins ils semblent s’accrocher,
Un accordéon geint une chanson dolente.

Là-bas, où le progrès a marqué son sillon
grimpe dans le ciel roux le reflet des lanternes,
éclaboussant les murs de lettres au néon.
— Au sommet du beffroi, cyclopéen et rond,
Le cadran lumineux, comme un œil dans un front,
dit l’heure aux vieux quartiers comme aux quartiers modernes,

L’heure où, mon cœur ayant trouvé ce qu’il espère,
le tranquille bonheur que donne la beauté,
penché vers la demeure où vécut mon grand’père,
Qui vit naître mon père, où je fus engendré,
Près de Saint-Jean, poussant sa pointe au ciel cendré,
J’aime à venir rêver durant les soirs d’été.