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La Douleur (Blanc de Saint-Bonnet)/Chapitre XIII

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CHAPITRE XIII




les âmes sont graduées dans la vie sur les zones de la douleur


HIÉRARCHIE MYSTIQUE

Race d’Adam, vous croyez travailler la terre, et vous cultivez le ciel ! Le temps est établi de manière à assurer tous les pas de notre liberté. La vie est graduée pour le mérite, comme le Purgatoire pour la purification, et les Cieux pour la gloire.


Comptez vos instants ici-bas : un jour vous en verrez le prix dans l’Infini. Vos souffrances sont les degrés que vous franchissez sur l’échelle invisible. Mais les séraphins seuls pourraient dire à quel point vos peines sont précieuses. Nous ne restons chaque jour sur la terre que pour faire un pas de plus ; et souvent chaque pas est amené par la douleur. Sa flamme s’attise sous notre âme pour nous obliger à partir et à nous élever de motif en motif jusqu’à l’abnégation, jusqu’à la pureté de l’être.

Le motif qui se rapproche le plus du motif pur du devoir est celui de l’honneur. Aussi, Dieu tâche d’élever à la sainteté ceux qui, dès leur naissance, ont appris le culte de l’honneur.

Le motif qui se rapproche le plus du motif de l’honneur est celui de la gloire. Aussi, Dieu tâche d’élever au sentiment du véritable honneur ceux qui, dès leur naissance, ont éprouvé de l’attrait pour la gloire.

Le motif qui se rapproche le plus du noble motif de la gloire est celui de la justice. Aussi Dieu tâche d’élever à l’idée de la gloire ceux qui, dès leur jeunesse, ont trouvé dans leur âme le sentiment de la justice.

À son tour, le motif qui se rapproche le plus du strict motif de la justice est celui de l’intérêt. Aussi, Dieu tâche d’élever à l’idée dominante du juste les âmes qui sont nées près des motifs de l’intérêt.

Enfin, le motif qui reste après le mince motif de l’intérêt est celui du plaisir, qui ferme l’homme dans son corps. Et Dieu, pour délivrer ces faibles âmes, s’efforce de les attirer au goût de la possession par le désir du bien-être et de la propriété.

Ainsi s’échelonnent les hommes. Le travail de Dieu sur ce monde consiste à mettre un levier sous chacun d’eux, afin de soulever l’âme du degré où elle s’est posée, jusqu’au degré qui lui est supérieur. Or, entre chaque degré, il y a souvent tout une vie, et ce levier, c’est la douleur.

Aussi ne doit-on point troubler les âmes qui n’entreverraient pas des choses placées au-dessus d’elles. La lumière intérieure, seule, est assez délicate pour descendre en initiatrice. Au fond, l’homme n’avance que par un effort de plus dans l’amour ; et souvent un plus grand amour ne s’embrase qu’au feu ardent de la douleur.


Tels s’offrent les rangs de la société humaine, gradins immenses où les âmes sont établies. Au faîte, étincelle la triple flamme de la vertu, du génie et de la douleur. Au bas sont les peines moins grandes, comme aussi les sentiments moins profonds. Ici, à mesure que le regard descend, on voit l’aigreur et le rire augmenter ; à mesure qu’il se relève, on voit régner la douceur, le sérieux, inséparables des grandes choses.

Qui n’a jeté des yeux surpris sur ce mystérieux amphithéâtre des âmes ? Sur la terre, les cercles se construisent pour elles comme Dante les entrevit dans les lieux de l’expiation. Par moments, les révolutions les dispersent toutes à la fois. Mais c’est le char élevé des saints, des héros et des hommes d’honneur qui entraîne le mouvement du monde. Les autres forment un obstacle que les premiers sont obligés de vaincre.

Plus une nature est élevée, plus est en elle le sentiment de l’infini, et plus elle souffre dans la vie. Moins une âme contient de cet instinct divin, moins elle se trouve en disparate avec ce monde. Mais plus alors elle a besoin d’être vivement travaillée par les choses du temps. Les âmes sont échelonnées sur les diverses zones de la peine.

Dieu prévoit celles qui n’éprouveraient pas les peines morales, et il les expose aux peines de la faim. Il y a si peu de sensibilité dans ces milliers d’êtres au sortir du néant, qu’il faut à tout instant les réveiller par le vif sentiment de leur existence mise en question. L’homme a eu besoin d’un corps pour que le traitement de la vie descendît aussi bas que cela serait nécessaire. À ceux qui ne ressentiraient pas les peines de la conscience, Dieu envoie donc les dures peines du corps.

À ceux qui ne ressentiraient pas les nobles peines de l’honneur, Dieu envoie les peines vulgaires de la fortune. Enfin, à ceux qui n’éprouveraient pas encore les saintes souffrances du cœur, Dieu prépare les inquiétudes de l’esprit. Les âmes sont échelonnées ici-bas comme dans le Purgatoire.

Considérons, par exemple, ces âmes auxquelles il faut absolument un gain. Leur égoïsme les tient de près ; elles ne feraient pas un effort pour autrui sans salaire. Les professions qu’elles exercent sont, il est vrai, les moins honorées : ces âmes n’auraient pu se maintenir dans celles où l’honneur est la plus grande récompense. Quand, par hasard elles y entrent, leurs concussions les mettent bientôt à découvert. Nous venons de le dire, chacun tombe à peu près à la place de son âme ; aussi, combien les hommes ont de peine à se défendre d’un sentiment de considération pour les positions élevées ! Les exceptions produites de nos jours par la rapidité des gains et l’escalade des emplois n’ont pu détruire encore ce sentiment universel.


Toutes les vertus et tous les cœurs sont à leur place. L’aisance se construit aisément autour des esprits fermes et des habitudes économes ; et la richesse dissout promptement les familles qui ne conservent pas leur grandeur. La grandeur, c’est la prédominance de l’âme. Dieu a choisi les races royales ; et souvent leur naturelle noblesse n’a pu résister à des siècles de prospérité. Mais, plus tard, sur les niveaux inférieurs de la vie, l’exil nous a fait voir ce qu’il y avait encore dans une âme royale.

Chacun se plaint de la fortune, et les anciens l’avaient placée sur une roue. Il est vrai, sa marche est cachée, comme celle qu’au fond se trace à chaque instant le cœur. Quand les malheurs viennent frapper, nul ne sait s’ils sont un signe de colère ou une source de perfections. C’est toutefois une profonde sagesse qui fait passer les biens et les maux d’une famille ou d’un peuple à l’autre, suivant un jugement dont l’avenir montre fréquemment la justesse. Laissons sans défiance tourner la roue de la fortune : rien ne se meut dans l’univers qui ne prenne d’En-Haut son mouvement.