La Douleur (Blanc de Saint-Bonnet)/Chapitre XVII

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Texte établi par Maison de la bonne presse,  (p. 139-144).
CHAPITRE XVII




d’où l’homme peut tirer la force de souffrir

L’âme calme dans la souffrance fait honneur à la création : rien ne glorifie mieux l’Infini. Aussi veut-il ici fournir les fonds et prendre à son compte une si noble affaire !

C’est à cette âme que le Sauveur dit, par saint Luc : « Bienheureux ceux qui pleurent : ils seront consolés » ; par saint Matthieu : « Réjouissez-vous, tressaillez d’allégresse dans vos souffrances : de magnifiques récompenses vous attendent » ; par saint Jean (Apoc.) : « Dieu lui-même séchera vos larmes et en tarira la source pour toujours » ; ou encore : « Celui qui aura combattu jusqu’à la fin, je le ferai asseoir avec moi sur mon trône » ; par saint Pierre : « Affligés, réjouissez-vous, car, si vous partagez les douleurs du Christ, un jour vous partagerez aussi son bonheur. » Saint Paul ajoute : « Les plus grandes afflictions n’ont aucune proportion avec la gloire qui brillera en nous et qui sera le fruit de notre patience ; car nos peines, qui ne durent qu’un moment, nous produisent un poids de gloire dans le plus haut degré d’excellence, et au delà de toute mesure ! »

L’homme ne peut se le dissimuler : c’est à cause de lui que Dieu est venu dans ce monde, et il y est venu pour souffrir. C’est pour que les hommes imitent mon exemple, leur dit-il, que j’ai voulu souffrir la mort. C’est aussi pour qu’ils sachent à quel point je les aime..... Et d’abord, comment nous serions-nous décidés à entrer dans le chemin de la douleur, s’il n’y avait marché devant nous ? Puis, sans cette mort ineffable, comment eût-il gagné des cœurs que ni le don de l’existence (preuve première d’un amour infini), ni la beauté de Dieu, n’avaient pu porter à l’aimer ? Il s’est donné entièrement à l’homme, pour que, dans un amour réel, l’homme se donne entièrement à Lui ! Car cette mort ne cessera de crier contre ceux dont tant d’amour n’a pu obtenir un regard.

Aussi, sur la nature de la souffrance et sur celle du véritable amour, le mot a été prononcé : « Se renoncer et porter sa croix. » Or, comme une telle puissance ne saurait évidemment venir de la nature, qui ne peut aller contre elle-même, il faut l’attendre de l’Esprit-Saint. Et c’est lui-même qui nous dit : « Venez à moi, vous tous qui êtes chargés, je vous soulagerai » ; ajoutant : « Ne craignez rien, je suis avec vous ! » Prions-le donc de nous soulever jusqu’à Lui ! Aussi sainte Thérèse, parce qu’elle était peut-être plus près du Ciel que de la terre, répétait : « Ou souffrir ou mourir. »

Évidemment, la grâce seule, ajoutant ici Dieu à l’homme, peut mettre notre volonté à la hauteur des vues de l’Infini, à la hauteur du bon plaisir d’En Haut, qui est de nous diviniser. Issue du mouvement de l’Infini lui-même, la grâce seule apporte à l’homme l’héroïsme nécessaire pour renoncer à sa volonté actuelle, au point de dire à Dieu : Que votre volonté se fasse et non la mienne ! Elle peut seule le rendre comme un agneau plein de douceur, se prêtant aux opérations de la main divine, se donnant comme une victime de l’adorable volonté, voulant se laisser immoler, tombant en agonie, consentant ici à « perdre son âme » pour la retrouver dans la vie éternelle.


De l’Être qui nous crée nous ne pouvons recevoir que des dons. Tout ce qui nous arrive vient de la part de Celui qui nous prend au néant pour nous élever au comble des biens ; de Celui qui nous crie : « Et quand les mères oublieraient le fruit de leurs entrailles, Moi, je ne vous oublierai pas ! » Les douleurs n’ont qu’un temps. Ne voit-on pas la plus violente tout à coup s’évanouir dans une joie, celle de la mère au premier cri du nouveau-né ?

Peut-être que Tobie, réduit en servitude, a demandé à l’ange de lui expliquer le mystère de ses douleurs. Mais voici l’instruction que lui a donnée l’ange : Parce que tu es bien vu de Dieu, il est nécessaire que tu sois éprouvé dans le creuset des tribulations. Tu as pratiqué les bonnes œuvres, tu as consacré à la charité le temps de la servitude, tu as pleinement observé la loi sainte, voilà pourquoi, dans son ordre admirable, Dieu veut qu’une épreuve plus grande te mène plus haut dans sa gloire.

Considère, ô mon âme, l’amour que Dieu te porte pour te prendre au néant et te faire partager son bonheur ! Quand commença-t-il à t’aimer ? dit saint François de Sales. Quand il commença à être Dieu, c’est-à-dire dès l’abîme de son éternité. Et aussitôt sa bonté inouïe te nomma par ton nom. Quel amour que celui que Dieu a médité de toute éternité ! Il est certain alors que le cœur de Dieu voyait le tien et qu’il l’aimait tendrement, puisqu’il l’a créé. Or, ce cœur est infini : toutes les âmes peuvent le posséder, comme s’il était fait pour une seule. Le soleil ne regarde pas moins une rose et des millions de fleurs que s’il n’en regardait qu’une seule. Et Dieu ne garde pas moins son amour pour une âme, bien qu’il en aime d’innombrables millions d’autres, que s’il n’aimait que celle-là seule, que s’il n’aimait que toi.

Apaise donc ton tourment, ô mon âme, et vois s’il est une reconnaissance qui puisse égaler un amour éternel. Abîme-toi dans la joie de cette reconnaissance, et dis : Il m’aime trop, je ne suis plus à moi.


Douleur qui purifies, douleur qui mènes à l’abandon, si tu es profonde, tu es la racine avec laquelle je me prolonge au sein de l’élément vivant. Ta flamme m’ouvre un sentier à travers les merveilles divines ! Traversons les ardents labyrinthes, emporte-moi jusqu’aux vraies sources de l’amour. Va ! puisque je suis né !! Je sens que tu fais en moi un passage à la main qui me crée. Sainte douleur, quoi ! si peu..... et de la sorte m’approcher du Cœur ineffable ! Je veux être avec toi, je te suis, je t’admire, ô douleur, nous ne nous séparâmes jamais.... Tu es mon émotion et ma force, mon trouble, mais toute mon espérance..... et c’est toi qui m’a donné mes larmes !

Un pécheur disait de nos jours en mourant : Il me reste d’avoir pleuré.....