La Duchesse de Bourgogne et l’Alliance savoyarde/07

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La Duchesse de Bourgogne et l’Alliance savoyarde
Revue des Deux Mondes5e période, tome 41 (p. 626-664).
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LA DUCHESSE DE BOURGOGNE
ET
L’ALLIANCE SAVOYARDE

LE LENDEMAIN DE LA MORT[1]


I

Nous avons laissé le Duc et la Duchesse de Bourgogne sur leur lit de mort. Il nous reste à les conduire jusqu’à leur dernière demeure.

Soit que la fin si rapide du Duc de Bourgogne eût surpris ceux qui l’entouraient, soit que l’étiquette ne permît à aucun d’entre eux de troubler le sommeil du Roi, Louis XIV n’avait point été appelé au chevet de son petit-fils expirant. Personne n’osa même, à son réveil, lui apprendre, en termes exprès, la fatale nouvelle. « Ce fut, dit Sourches, à la tristesse qu’il vit peinte sur le visage de tout le monde qu’il devina la mort de M. le Dauphin[2]. » Sa douleur fut grande. Il embrassa tendrement et à plusieurs reprises le duc de Berry en lui disant : « Je n’ai donc plus que vous. » Comme le salon par lequel il fallait passer pour se rendre à la chambre où reposait la dépouille du Duc de Bourgogne était commun avec l’appartement du Roi, on crut que, pour éviter ce triste voisinage, il allait quitter Marly et se rendre à Trianon. Mais il se borna à changer d’appartement et à prendre celui de la duchesse de Bourbon. On se hâta au reste de mettre fin à cette situation pénible, et, l’après-dinée, le corps du Duc de Bourgogne fut transporté, sans cérémonie, à Versailles. Pendant ce transport, le Roi se promena dans les jardins de Marly, et, le soir, il rentra dans son appartement.

Le lendemain, les chirurgiens firent, à Versailles, l’autopsie du corps du Duc de Bourgogne sur les constatations de laquelle nous reviendrons. Ils en retirèrent le cœur qu’on embauma et qu’on déposa auprès de celui de la Dauphine, afin de les porter tous deux ensemble au Val-de-Grâce. Le corps fut ensuite mis dans le cercueil, et le cercueil placé sur la même estrade que celle où était déjà le cercueil de la Dauphine, « spectacle nouveau et si affreux, ajoute Breteuil dans son Journal, que ceux qui, comme moy, ont eu la douleur de le voir ne peuvent y penser sans en frémir[3]. »

Le soir de ce même jour les deux cœurs furent transportés au Val-de-Grâce, et immédiatement surgit une question d’étiquette que le Roi dut trancher. L’abbé Morel, aumônier de quartier du Roi auprès du Duc de Bourgogne, prétendit que c’était à lui de porter le cœur de la Duchesse de Bourgogne, la maison du Dauphin devant marcher avant celle de la Dauphine. Mais l’évêque de Senlis, premier aumônier de la Dauphine, ayant déjà été désigné par le cardinal de Janson, grand aumônier, pour cette fonction, le Roi ne voulut pas revenir sur cette décision ; il fut cependant fait mention sur le registre des cérémonies que « cela ne s’étoit fait que par un ordre particulier du Roi. » Louis XIV dut également désigner le prince et la princesse qui accompagneraient les cœurs. Celui de la Duchesse de Bourgogne aurait dû être porté par la duchesse d’Orléans ; mais celle-ci s’excusa sur son extrême affliction, car elle portait une tendre affection à sa nièce. La grande-duchesse de Toscane, sa grand’tante, qui était retirée à l’abbaye de Montmartre, et qui aurait dû remplacer la duchesse d’Orléans, répondit « qu’on ne songeoit à elle que pour les cérémonies funèbres, que puisqu’elle n’étoit point des plaisirs de la Cour, elle n’en devoit pas avoir les fatigues et qu’elle se trouvoit incommodée[4]. » A défaut de ces deux princesses, le Roi désigna la princesse de Condé. De même le duc du Maine fut désigné, à défaut du duc de Berry, que son extrême douleur fit dispenser de toutes les cérémonies funèbres, et du duc d’Orléans qui fut réservé pour les cérémonies de Saint-Denis. Peut-être le Roi ne fut-il pas fâché de cette nouvelle occasion qui lui était offerte de faire tenir par un de ses bâtards un rôle qui aurait dû revenir à un prince du sang. Ces diverses désignations faites, il travailla, comme à son ordinaire, avec le Père Le Tellier, et, l’après-dînée, se promena dans les jardins de Marly.

Les deux cœurs furent mis dans un carrosse dont les huit chevaux étaient bardés de housses noires traînant jusqu’à terre avec de grandes croix de moire d’argent blanche. L’évêque de Senlis en rochet et camail, la princesse de Condé, le duc du Maine, la duchesse de Vendôme, Mlle de Conti et la duchesse du Lude y montèrent, et le carrosse partit du pied du grand escalier, les tambours des gardes françaises et suisses battant « d’une manière lugubre. » Le carrosse était suivi de plusieurs autres, où prirent place les menins du Dauphin, et les officiers de la maison de la Dauphine. Une infinité de flambeaux de cire blanche portés par des gardes du corps à cheval, des pages et des valets de pied éclairaient la marche. Parti à six heures et demie, le cortège n’arriva qu’à minuit au Val-de-Grâce. L’abbesse fit, en recevant les cœurs, un très touchant discours. Le cortège ne repartit du Val-de-Grâce qu’à deux heures du matin. Les princesses, fatiguées, couchèrent à Paris.

Cependant, à Versailles, on préparait tout pour les cérémonies qui devaient précéder la levée des corps. Les deux grilles du palais étaient tendues de noir, sans écusson. Toutes les marches du vestibule, le grand escalier, la première salle des gardes et tout l’appartement de la Dauphine étaient également tendus de noir jusqu’au plafond. Deux bandes d’écussons régnaient depuis la cour jusqu’à l’appartement où les deux cercueils étaient exposés.

Les deux corps furent gardés pendant trois jours à partir du samedi 20, à droite par les menins du Dauphin, à gauche par les dames du palais de la Dauphine et par quatre évêques, deux de chaque côté des cercueils. Menins et dames du palais se relayaient, ainsi que les duchesses, que les maîtres des cérémonies annonçaient quand elles venaient se mêler aux dames pour garder le corps de la Dauphine. Les femmes des ministres et secrétaires d’Etat obtinrent que, quand elles se présenteraient, elles seraient annoncées également.

L’usage était qu’aux grandes obsèques tous les princes du sang, puis toutes les princesses vinssent en cortège et en cérémonie donner l’eau bénite. Comme il y avait deux cercueils, régulièrement, il aurait fallu que chaque cortège se formât deux fois. Mais, au grand scandale de Saint-Simon, on ne fit qu’une « légère image » de cette longue cérémonie. « La hâte de débarrasser le Roi à Versailles et qu’il eut lui-même de n’avoir plus à ouïr parler de choses si douloureuses et de n’entretenir pas l’excitation des propos, fit abréger tout et diminuer tout et pour les cérémonies et pour le nombre des personnes qui y dévoient assister… Rien ne fut jamais si court ni si baroque, jusque-là que la maison même de la Dauphine ni les menins ne donnèrent point d’eau bénite en cérémonie, c’est-à-dire un premier gentilhomme de la Chambre à la tête des menins, la dame d’honneur à la tête des dames de Madame la Dauphine, et le chevalier d’honneur à la tête des officiers premiers et principaux de la maison[5]. » Le duc d’Orléans retourna cependant seul donner de l’eau bénite au Duc de Bourgogne. « Une petite troupe de ducs venus de Marly, dit Sourches[6], leur en donna aussi, mais il n’y eut personne qu’eux qui eut cet honneur. » Si le cérémonial laissa quelque peu à désirer, en revanche, une foule nombreuse et attendrie, à laquelle, comme c’était l’usage, l’accès du palais fut ouvert, se pressa pour défiler devant les cercueils. Il fut nécessaire d’établir une barrière pour la contenir et prévenir tout désordre.

Les deux corps furent ainsi gardés jusqu’au mardi 23. A la tombée de la nuit, commenta de s’ébranler le long cortège qui devait les accompagner jusqu’à Saint-Denis. Le duc d’Orléans avait été désigné par le Roi pour le conduire. A cinq heures, il se présenta dans la chambre de parade où étaient les deux cercueils. Dangeau, en sa qualité de chevalier d’honneur de la Duchesse de Bourgogne, Tessé, en sa qualité d’écuyer, la duchesse du Lude, et les dames du palais l’accompagnaient, ainsi que la grande-duchesse de Toscane, la duchesse de Vendôme, la princesse de Conti et Mlle de la Roche-sur-Yon. Ils jetèrent une dernière fois de l’eau bénite sur les deux cercueils, ainsi que l’évêque de Senlis et les évêques de Montauban, de Tournay et d’Autun qui l’assistaient. Les prêtres de la Mission, qui desservaient la paroisse de Versailles, entonnèrent le Miserere. Dix gardes du corps enlevèrent alors chacun des cercueils, et deux gardes chacune des caisses plus petites qui contenaient les entrailles. Pendant qu’ils descendaient le grand escalier et pendant qu’on chargeait cercueils et caisses sur un char funèbre, « auquel on faisoit trop d’honneur, dit Sourches, de donner ce nom, car ce n’étoit qu’un chariot informe. » La musique du Roi faisait entendre le De Profundis. Un même poêle recouvrit cercueils et caisses, et le cortège se mit en marche. « Alors, dit le Mercure, on commença de défiler dans cet ordre : premièrement, cent pauvres habillés d’une cape grise et claire, plissée, qui leur descendoit jusqu’aux pieds, avec un coqueluchon et une ceinture, ayant chacun un flambeau à la main, une compagnie des gardes du corps, cent vingt mousquetaires, soixante de chaque compagnie, suivis de celles des gendarmes et des chevau-légers, après lesquels suivoient les carrosses de deuil[7]. » Les cinq premiers contenaient les princesses et les dames ; le sixième était occupé par le duc d’Orléans, seul avec La Fare, son capitaine des gardes. Venait ensuite le carrosse des évêques où avaient pris place le Père de La Rue et le Père Martineau. Tous ces carrosses étaient attelés de huit chevaux. Précédant immédiatement le char, mais précédés eux-mêmes par les pages du Roi qui n’étaient point en deuil (car le Roi ne portait point le deuil de ses descendans), et qui tenaient tous un flambeau à la main, venaient les quatre hérauts d’armes ayant le roi d’armes à leur tête, et enfin le char funèbre. Ce char était également attelé de huit chevaux bardés de deuil jusqu’à terre, avec de grandes croix blanches d’argent. Quatre aumôniers à cheval, en rochet, manteau et bonnet carré, tenaient chacun un coin du poêle sur lequel étaient brodées, à droite les armoiries de France, à gauche, celles de Savoie. Une infinité de valets de pied portaient des flambeaux, cent gardes du corps, les gendarmes de quartier du Roi, portant également des flambeaux, et trois carrosses à six chevaux fermaient la marche.

Ce long cortège, dont l’aspect, dans la nuit noire, devait être singulièrement lugubre et majestueux, mit près de huit heures pour, de Versailles, gagner Paris par Sèvres. Sur toute la route se pressait, malgré la nuit, une foule silencieuse et respectueuse. Il en fut de même durant presque toute la traversée de Paris, de la porte Saint-Honoré à la porte Saint-Denis. « On sut le lendemain, dit Sourches, que l’ordre avoit été admirable à Paris pendant la marche, qu’il y avoit une infinité de monde dans les rues, avec aussi peu de confusion et avec autant de silence que s’il n’y eût eu personne[8]. » Plusieurs couvens se trouvant sur le passage du cortège, les moines descendirent dans la rue, ayant leurs croix et leurs chandeliers, et chantèrent un De Profundis au passage du char. Lorsque de Saint-Denis, où le cortège arriva vers six heures du matin, on aperçut les premiers flambeaux, les cloches de l’abbaye sonnèrent en bourdon pour convoquer le clergé des autres églises, et tout le clergé de Saint-Denis, ayant les religieux à sa tête, se rendit au-devant du convoi jusqu’à la porte de Paris où, l’ayant joint, ils entonnèrent le Libera. Les personnes qui faisaient partie du cortège entrèrent dans l’église ; les pauvres y entrèrent également. Les maîtres des cérémonies avaient fait préparer dans le chœur des sièges et des carreaux pour les dames. Le duc d’Orléans, Dangeau, Tessé y prirent place avec elles. Dans le chevet de l’église, deux tables avaient été préparées, sur lesquelles furent déposés les deux cercueils sous un même dais. L’évêque de Senlis, en remettant les cercueils, prononça, suivant la coutume, une harangue à laquelle l’abbé de Saint-Denis répondit. Les moines entonnèrent ensuite une messe de Requiem, après laquelle le cortège se sépara. Les cercueils demeurèrent exposés dans l’église recouverts du même poêle. D’après la coutume, quarante jours devaient s’écouler avant qu’ils fussent descendus dans le caveau royal.


II

Depuis la mort du Duc de Bourgogne, le Roi était demeuré à Marly. « La mort du Dauphin, si touchante et accablante pour le Roy son grand-père, dit Breteuil dans son Journal, arrivée dans celle des maisons de Sa Majesté où elle se plaît le plus, la luy rendit insupportable pour le moment. Elle n’y voulut point recevoir, comme elle avoit fait au mois d’avril, à la mort de Mgr le Dauphin, les complimens des dames en manie et des courtisans en manteau long. Elle remit à les recevoir à Versailles où Elle retourna dès que les cérémonies lugubres qu’on y fit pendant dix jours pour la pompe funèbre des deux jeunes princes permirent d’habiter ce château[9]. »

Le vieux Roi cherchait en effet un remède à son accablement dans la régularité de ses habitudes qu’il avait hâte de reprendre, et dont rien ne le faisait se départir complètement. Il continuait d’expédier les affaires et de pourvoir aux nominations. Le 26, il travailla de nouveau avec le Père Le Tellier, et alla même tirer dans l’après-midi. Ce fut le 27 qu’il rentra à Versailles et qu’il consentit à recevoir les complimens des courtisans. Mais les choses ne se passèrent point avec autant de cérémonie que Breteuil l’aurait souhaité. Le Roi monta dans ses cabinets « par le degré dérobé, » comme s’il fût revenu de quelque promenade ordinaire. Toutes les princesses en mante l’attendaient dans la chambre où était son lit et les hommes en manteau dans le grand salon. Le Roi ne les vit qu’à six heures, en passant pour se rendre chez Mme de Maintenon. La duchesse du Ludo, qui se tenait à la porte du cabinet avec les dames de la Duchesse de Bourgogne, fut la seule à qui il parla. « Madame, lui dit-il en l’embrassant, je ne suis pas en état de vous parler ; nous nous reverrons, » et, en effet, quelques instans après, il la fit appeler dans le cabinet de Mme de Maintenon. On devine, au récit sommaire de Breteuil, que Louis XIV avait hâte d’abréger ces condoléances banales et qu’il ne souhaitait point leur donner de solennité. Le pointilleux maître des cérémonies, dans son Journal, l’en blâme discrètement. « Il y a longtemps, dit-il, que toutes les actions de cérémonie se font à notre cour sans aucun ordre, parce qu’on ne veut pas se donner la peine d’arranger, avant le jour de la cérémonie, ce qu’il doit y avoir à faire, » et il se plaint ensuite de ce que les princes et princesses, étant retournés dans leurs appartemens, « toute la Cour alla leur faire compliment, mais avec un tumulte, une presse et une confusion la plus indécente que l’on puisse voir. »

Le Roi n’entendait pas cependant se dérober complètement aux devoirs que l’étiquette lui imposait. Les jours qui suivirent, il reçut les complimens des ambassadeurs étrangers, et il entendit les harangues du Parlement, de la Cour des aides, du Prévôt des marchands, enfin de l’Université et de l’Académie française, entre lesquelles il y avait eu une dispute de préséance qui fut tranchée au profit de l’Université. « Toutes les harangues, dit Dangeau, étoient fort touchantes, mais celle du Prévôt des marchands fut la plus belle. » En effet, elle arracha des larmes aux assistans et au Roi lui-même. En plus de ces réceptions d’apparat, le Roi travaillait chaque jour avec un ministre ou tenait conseil. L’après-dînée, il allait se promener ou tirer. La vie reprenait peu à peu avec sa régularité majestueuse lorsqu’un nouveau drame vint raviver le deuil général et donner un aliment aux rumeurs qui circulaient depuis plusieurs jours.

L’héritier direct de la couronne se trouvait être alors un enfant de cinq ans, le second duc de Bretagne, celui qui avait porté le premier ce titre étant mort quelques années auparavant. À en croire ce que disait de lui dans ses lettres la Duchesse de Bourgogne elle-même, il était laid et elle le regrettait, car, écrivait-elle à sa grand’mère, « quoique cela ne fasse rien pour quand ils son grand, on aime toujours mieux avoir un joli enfant qu’un lait[10]. » Elle reconnaît au reste qu’il était « fort joli par les manières et par l’esprit. » Cet enfant, que sa mère voyait peu, était toujours confié à la duchesse de Ventadour, qui avait succédé à sa mère la maréchale de la Mothe-Houdancourt dans les importantes fonctions de gouvernante des enfans de France, et que le petit prince appelait : maman. Aussi était-ce la duchesse de Ventadour qui avait été informée par l’intermédiaire de Pontchartrain « que Sa Majesté vouloit que, présentement, on appelât M. le duc de Bretagne Dauphin[11]. » Quand elle l’appela pour la première fois ainsi, l’enfant, à qui il avait fallu apprendre la mort de son père et de sa mère, répondit : « Maman, ne me donnez pas ce nom ; il est trop triste. »

Le 27 février, on sut que le nouveau Dauphin donnait quelques symptômes d’indisposition. On crut d’abord que ce n’était qu’un mal passager, mais, au bout de deux ou trois jours, il fut pris de fièvre et de saignemens de nez. Les médecins s’alarmèrent. Fagon dit, sans se prononcer, que c’était le même mal auquel avaient succombé le Dauphin et la Dauphine. Cinq médecins furent appelés en consultation. Ils eurent recours aux mêmes remèdes : la saignée et l’émétique. Cependant le pauvre enfant était en proie à de tristes pressentimens. Quelques jours avant qu’il ne tombât malade, il avait dit à Mme de Ventadour : « Maman, j’ai rêvé cette nuit que j’étois en paradis, que j’y avois trop chaud, mais que tous les petits anges battoient des ailes autour de moi pour me rafraîchir[12]. » — « Maman, lui dit-il encore, lorsqu’il ressentit les premières atteintes de son mal, le voyage de Saint-Denis n’est pas un joli voyage. » Quelques jours après, le pauvre enfant faisait ce voyage qu’à peine deux semaines auparavant avaient fait ses parens. Le 7 mars, il expira. Le 10, son corps était transporté à Saint-Denis. L’évêque de Metz, premier aumônier du Roi, portait le cœur ; la duchesse de Ventadour, le duc de Mortemart, premier gentilhomme de la Chambre du Roi et un certain nombre de gentilshommes ordinaires l’accompagnèrent. Il y eut à Saint-Denis une sorte de querelle assez indécente entre les moines et les gentilshommes de la Chambre, qui se disputèrent l’honneur de descendre le cercueil dans le caveau. Les gentilshommes s’en emparèrent ; mais, peu accoutumés à la fatigue de transporter un cercueil dans un escalier étroit, ils le déposèrent un instant pour reprendre haleine. Les moines en profitèrent pour reprendre le fardeau, et ce furent eux qui le descendirent dans le caveau.


III

Si, pour nous renseigner sur l’état des esprits durant ces jours tragiques, tant à Versailles qu’à Paris, nous n’avions d’autres sources que les Mémoires de Dangeau et ceux de Sourches, ou bien encore le Mercure de France, auxquels nous avons emprunté presque tous les détails qui précèdent, nous pourrions croire, malgré une phrase un peu ambiguë de Sourches, que la Cour était tout entière à son affliction, affliction très réelle, car, sauf par l’ancienne cabale de Meudon ou par la petite cour que la duchesse du Maine rassemblait à Sceaux, le Duc et la Duchesse de Bourgogne étaient sincèrement pleures. On pourrait croire également qu’aucune autre passion n’agitait les courtisans que des questions d’étiquette ou d’intérêt, car la disparition simultanée du prince et de la princesse mettait fin à beaucoup d’emplois et ouvrait en même temps carrière à des ambitions nouvelles. Mais ce serait bien mal s’imaginer ce qui se passait alors à la Cour. Pour le savoir, il nous faut prêter l’oreille à ce témoin redoutable sans le secours duquel il est impossible d’écrire de ces temps une histoire tant soit peu vivante, et au témoignage duquel il est cependant bien rare qu’il faille se fier complètement. C’est Saint-Simon que nous voulons dire, et c’est lui qui va nous apprendre quel furieux orage, dont Sourches et Dangeau sont bien trop prudens pour noter les éclats, soulevait alors la Cour.

Parmi les courtisans qui avaient vieilli à la Cour de Louis XIV, il y en avait beaucoup qui étaient dans la force de l’âge lorsque avait éclaté la dramatique affaire des poisons, si bien racontée naguère par M. Funck-Brentano. Ceux qui n’étaient point, par leur âge, contemporains de la Brinvilliers ou de la Voisin, avaient entendu parler de la Chambre ardente et recueilli des récits dont la tradition avait plutôt grossi qu’atténué l’horreur. L’Europe entière avait d’ailleurs la croyance facile au poison. Lorsque avait disparu la première femme de Charles II, la fille de Monsieur, qui était si populaire en Espagne, lorsque le fils de l’Electeur de Bavière, qui avait été un instant choisi par Charles II comme héritier, avait disparu à la fleur de l’âge, la maison d’Autriche avait été hautement accusée d’un double empoisonnement. Il était donc inévitable qu’une mort aussi inopinée et aussi rapide que celle du Duc et de la Duchesse de Bourgogne fît naître les mêmes bruits, et certaines circonstances au moins singulières y vinrent immédiatement donner créance.

Le 18 janvier précédent, le Roi était venu s’installer à Marly. La Dauphine l’y avait suivi et y avait amené les officiers de sa maison, entre autres Boudin, devenu son premier médecin depuis la mort de Monseigneur, qui était familier avec elle et qui la divertissait par la brusquerie de ses propos. A peine la Cour était-elle installée à Marly depuis quelques jours que Boudin lui vint dire qu’il avait des avis sûrs qu’on la voulait empoisonner, et le Dauphin aussi, à qui il en parla de même[13]. Et non seulement Boudin donna cet avertissement au Dauphin et à la Dauphine, mais « il le débita en plein salon d’un air effarouché, et épouvanta tout le monde, » assurant que l’avis était bon sans qu’il sût cependant d’où l’avis lui venait, ce qui ne laissait pas d’être contradictoire, car, fait avec raison observer Saint-Simon, « s’il ignoroit d’où lui venoit l’avis, comment pouvoit-il l’assurer et le juger bon ? » A vingt-quatre heures de là, semblable avis aurait été donné au Duc de Bourgogne dans une lettre de son frère le roi d’Espagne. Dans cette lettre, il n’était question nettement que du Duc de Bourgogne lui-même, et de la Duchesse seulement en termes vagues et obscurs[14]. « On eut l’air, ajoute Saint-Simon, de mépriser des choses en l’air dont on ne connaissoit point l’origine, mais l’intérieur ne laissa pas d’en être frappé et il se répandit un silence de sérieux et de consternation dans la Cour à travers des occupations et des amusemens ordinaires[15].

A quelques jours de là, la Duchesse de Bourgogne tomba malade. Le matin du jour où elle ressentit les premiers symptômes du mal qui devait l’emporter, le duc de Noailles, qui était à ce moment capitaine des gardes en quartier, donna à la Dauphine une fort belle boîte pleine d’excellent tabac d’Espagne. Il lui avait fait ce présent un peu en cachette. La mode de priser, qui s’était introduite depuis peu parmi les jeunes dames de la Gour, était fort mal vue par le Roi, et il lui aurait déplu que la Duchesse de Bourgogne s’y livrât. Aussi ne le faisait-elle qu’en cachette, et comme elle avait trouvé fort bon le tabac d’Espagne que le duc de Noailles lui avait donné, elle avait mis la boîte dans son cabinet, et l’avait laissée sur la table afin de pouvoir priser à son aise sans être vue. Le lendemain, étant déjà en lutte avec les premiers symptômes de son mal, elle pria Mme de Lévis, une de ses dames, d’aller chercher cette boîte et de la lui apporter. Mme de Lévis ne la trouva point dans le cabinet où la Duchesse de Bourgogne lui dit l’avoir laissée. On chercha cette boîte partout ; il fut impossible de la retrouver. On ne voulut point faire tapage de cette disparition, car on craignit par là de révéler une habitude de la Duchesse de Bourgogne qui aurait déplu au Roi. Mais, le lendemain de la mort, on se souvint de cette disparition qui parut étrange, et qui, déjà, donna lieu à beaucoup de commentaires, sans que personne osât cependant accuser directement celui qui l’avait donnée, sauf un de ses ennemis personnels, l’archevêque de Reims, qui lui en voulait pour d’assez mesquines raisons. Le lendemain même de la mort de la Duchesse de Bourgogne, il s’en prit directement à Noailles, dans une conversation avec Saint-Simon qui, rendons-lui cette justice, malgré sa malveillance pour le maréchal, repoussa cette accusation avec indignation. L’archevêque ayant, sur le conseil de Saint-Simon, gardé pour lui « cette horrible pensée » et l’histoire de la boîte ayant été peu connue, personne ne s’avisa d’accuser sérieusement le duc de Noailles : c’était ailleurs et plus haut que les soupçons allaient se porter.

Nous avons déjà dit que, suivant l’usage, l’autopsie du corps de la Dauphine avait été pratiquée le lendemain de sa mort par Fagon, Boudin et Mareschal. Le procès-verbal de l’autopsie, tel que les médecins le rédigèrent, n’a point été conservé, et on n’en connaît que d’une façon très vague les résultats. Dangeau et Sourches se bornent à dire qu’elle ne révéla aucune cause pouvant expliquer sa mort. Mais ce que nous savons par Saint-Simon, c’est les discussions qui s’élevèrent entre les médecins. Fagon et Boudin ne doutèrent point qu’elle n’eût été empoisonnée et le dirent nettement au Roi. Mareschal soutint au contraire qu’il n’y avait aucune trace de poison, ou des marques si légères qu’elles ne signifiaient rien ; qu’il avait trouvé des marques pareilles dans plusieurs corps qu’il avait ouverts sans qu’il y eût jamais aucun soupçon de poison. Fagon et Boudin s’opiniâtrèrent dans leur avis, surtout Boudin, qui était comme un forcené ; Mareschal soutint le sien, et ce débat eut lieu devant le Roi et Mme de Maintenon, dont la douleur en dut être singulièrement augmentée. Mais ils n’étaient pas au bout de leur épreuve.

Le 19 février, il était procédé à l’autopsie du corps du Dauphin, en présence du duc d’Aumont, premier gentilhomme de la Chambre. Ce fut Mareschal qui ouvrit le corps. « On le trouva tout gangrené, dit Sourches, depuis les pieds jusqu’à la tête, ayant le cœur flétri et un des côtés du poumon pourri[16]. » « L’ouverture du corps épouvanta, dit de son côté Saint-Simon. Ses parties nobles se trouvèrent en bouillie ; son cœur, présenté au duc d’Aumont pour le tenir et le mettre dans le vase, n’avait plus de consistance ; sa substance coula jusqu’à terre entre leurs mains ; le sang dissous, l’odeur intolérable dans ce vaste appartement[17]. » L’autopsie avait eu lieu dans l’appartement du Dauphin. Le soir même, dans celui de Mme de Maintenon, les médecins firent leur rapport, et le même débat s’éleva entre eux. Fagon et Boudin déclarèrent que ce qu’ils avaient constaté était « le plus violent effet d’un poison très subtil et très violent qui, comme un feu très ardent, avoit consumé tout l’intérieur du corps, à la différence de la tête qui n’avoit pas été précisément attaquée, et qui seule l’avoit été d’une manière très sensible en la Dauphine. » Mareschal soutint au contraire que la mort était naturelle ; qu’il n’y avait point de marques précises de poison ; qu’il avait relevé les mêmes marques dans d’autres corps et qu’il fallait attribuer la mort du Dauphin « à un venin naturel de la corruption de la masse du sang enflammé par une fièvre ardente qui paroissoit d’autant moins qu’elle étoit plus interne ; que de là étoit venue la corruption qui avoit gâté toutes les parties et qu’il ne falloit point chercher d’autres causes que celle-là. » Fagon et Boudin répliquèrent. Mareschal répliqua à son tour avec beaucoup de chaleur, et, s’adressant au Roi en personne, « il se prit à l’exhorter, pour le repos et la prolongation de sa vie, à secouer des idées terribles en elles-mêmes, fausses suivant toute son expérience et ses connoissances, et qui n’enfanteroient que les soucis et les soupçons les plus vagues, les plus irrémédiables[18]. »

Cependant, comme il était inévitable, le bruit des contestations qui s’étaient élevées entre les médecins s’était répandu, et il n’en avait pas fallu davantage pour donner corps à la sourde rumeur qui courait. Tant à Versailles qu’à Paris, tant à la Cour que dans le populaire, l’opinion publique ne balança pas ; elle crut à l’empoisonnement et traduisit à haute voix ses soupçons.

Il y avait alors à Versailles un personnage très en vue, dont nous avons eu parfois l’occasion de prononcer le nom, car il s’est trouvé accidentellement mêlé à l’existence du Duc et de la Duchesse de Bourgogne, qui n’était point de leurs ennemis, mais sur qui leur mort inopinée allait faire peser la plus odieuse accusation. C’était le duc d’Orléans. Le personnage est trop connu, il a joué un rôle historique trop important pour que nous ayons à faire son portrait. D’un esprit très cultivé, d’une intelligence très ouverte, d’une humeur facile et douce, celui qui devait être un jour le Régent gâtait depuis longtemps ses qualités nombreuses par une faiblesse de caractère qui lui faisait subir les influences les plus fâcheuses, par un penchant à la débauche qui l’entraînait parfois jusqu’aux plus bas désordres, et par une affectation d’impiété qui faisait contraste avec le ton et les habitudes extérieures de dévotion en honneur à la Cour. Conscient de son mérite, très supérieur à tous les autres princes, sauf peut-être au prince de Conti, mort quelques années auparavant, ayant donné des preuves véritables de valeur et de talent militaire au siège de Lérida et même à la défaite de Turin, il souffrait du rôle effacé auquel il était condamné par le Roi, assez volontiers jaloux et méfiant des princes de sa maison qui faisaient montre de quelque mérite exceptionnel. Des rêves ambitieux le traversaient parfois. C’est ainsi qu’envoyé en Espagne pour appuyer Philippe V, il n’avait pas laissé d’intriguer contre lui et de nouer des relations occultes avec les représentans des puissances alliées pour se faire agréer par elles comme roi d’Espagne au cas où la fortune des armes aurait décidément tourné contre Philippe V. Peu s’en était fallu que ces menées n’entraînassent pour lui des conséquences plus fâcheuses qu’il n’eût été tout à fait juste, et qu’il ne devînt l’objet d’une accusation de haute trahison. Il avait échappé au péril, mais, depuis lors, il vivait à la Cour dans l’oisiveté d’une demi-disgrâce. Pour s’en distraire, il s’était tourné vers une occupation parfaitement légitime et inoffensive en elle-même, qui n’en devait pas moins être l’occasion et le prétexte des accusations dirigées contre lui. Il avait toujours eu du goût pour les sciences naturelles. Il aimait à s’en entretenir avec ceux qui partageaient son goût, entre autres avec le duc de Chevreuse avec lequel il n’avait guère d’autre point commun. Pour satisfaire cette curiosité, il s’était donné, au Palais-Royal, le luxe d’un cabinet de chimie où il se livrait à des expériences. On croyait qu’il poursuivait la pierre philosophale. Il n’en était rien, mais, de temps à autre, il s’adonnait à des expériences qui sentaient plutôt l’alchimie et la sorcellerie que la science. Il avait essayé, sans y réussir, il en convenait, de voir le diable, et il avait demandé à des verres d’eau les secrets de l’avenir. Il se livrait aussi à des expériences plus sérieuses. Pour diriger ces expériences, il avait fait appel à un savant, Hollandais d’origine, appelé Homberg (et non pas Humbert, comme le nomme Saint-Simon), que depuis plusieurs années déjà il avait fait venir d’Allemagne où il s’était rendu célèbre par des perfectionnemens apportés à la machine pneumatique d’Otto de Guérick, et qui devait être un jour de l’Académie des sciences. « Il le prit auprès de lui, dit Fontenelle, dans l’éloge de Homberg qu’il prononça à l’Académie des sciences, lui donna une pension et un laboratoire, le mieux fourni et le plus superbe que la chimie ait jamais eu. Là se rendoit presque tous les jours le prince philosophe ; il recevoit avidement les instructions de son chimiste, souvent même les prévenoit avec rapidité ; il entroit dans le détail de toutes les opérations, les exécutoit lui-même, en imaginoit de nouvelles, et j’ai vu plusieurs fois le maître effrayé de son disciple[19]. »

Ces très inoffensives occupations du duc d’Orléans, qui lui font plutôt honneur en montrant la curiosité de son esprit, et la présence habituelle auprès de lui d’un savant parfaitement respectable, à qui le monde scientifique a toujours rendu justice, contribuèrent pour beaucoup aux soupçons atroces dont il fut l’objet et qui ne tardèrent pas à se traduire en accusations ouvertes. Saint-Simon voit dans ces accusations le résultat d’un complot habilement ourdi entre Mme de Maintenon et le duc du Maine, pour détourner de ce dernier les soupçons qui auraient dû, à juste titre, peser sur lui. Point n’est besoin d’imaginer tant de noirceur. En aucun temps, le vulgaire n’a jamais admis que les événemens tragiques et, en particulier, les morts rapides eussent une cause naturelle. A plus forte raison devait-il en être ainsi à une époque où la croyance au poison était, comme nous l’avons dit, fréquente. D’ailleurs, l’accusation éclata si rapidement que les deux auteurs du complot n’auraient guère eu le temps de s’entendre pour le fabriquer. Saint-Simon lui-même rapporte que le 17 février, c’est-à-dire cinq jours après la mort de la Duchesse de Bourgogne, lorsque le duc d’Orléans fut, avec Madame, lui donner l’eau bénite, « la foule du peuple dit tout haut toute sorte de sottises contre lui. » Ce fut bien pis, lorsque, le 21 février, il alla seul donner l’eau bénite au Duc de Bourgogne. Il essuya sur son passage « les insultes les plus atroces d’un peuple qui ne se contenoit pas, qui lançoit tout haut les discours les plus énormes, qui le montroit au doigt avec les épithètes les plus grossières, que personne n’arrêtoit et qui croyoit lui faire grâce de ne pas se jeter sur lui et le mettre en pièces. » Lorsqu’il conduisit, quelques jours après, le convoi funèbre à Saint-Denis, il fallut, dans la traversée de Paris, prendre quelques précautions, et lorsque le convoi passa devant le Palais-Royal, « le redoublement de cris, de huées, d’injures, fut si violent qu’il y eut lieu de tout craindre pendant quelques minutes[20]. »

Ce n’était pas seulement dans les rues et les cafés de Paris que ces bruits atroces circulaient. Ils avaient gagné les salons de Versailles et de Marly où le duc d’Orléans était peu aimé, les uns s’en faisant l’écho « avec un air d’horreur, de crainte, de retenue, » les autres, au contraire, en parlant « à bouche ouverte, » criant vengeance contre le duc d’Orléans et demandant « si on ne la feroit point, avec un air d’indignation et de sécurité la plus effrénée[21]. »

La maladie du petit Dauphin, celle du duc d’Anjou, son frère, survenant au commencement de mars, la mort de l’un, le rétablissement de l’autre, achevèrent de tourner les têtes. En effet, la duchesse de Ventadour se refusa énergiquement à laisser soigner par les médecins l’enfant dont elle avait la garde. Elle s’enferma avec lui et le mit au lait de femme ; en même temps elle lui administra un contrepoison dont elle avait demandé la recette à la comtesse de Verrue[22]. Mais ce fut au contrepoison qu’on n’hésita pas à attribuer le salut de celui qui devait être un jour Louis XV. Alors qu’il était au plus mal, on se répétait un propos qu’aurait tenu le maréchal de Noailles. Comme on se demandait devant lui qu’elle pouvait être la cause de tant de morts : « Peut-on l’ignorer ? aurait-il répondu. Si celui qui agonise périt, je serai le Brutus[23]. »

Le duc d’Orléans ne voulut point rester sous le coup de ces accusations. Il prit un parti que blâme Saint-Simon, mais qui ne nous paraît point sans courage. Il alla trouver le Roi. Il lui demanda de prescrire l’ouverture d’une information dans les formes et de permettre que, dès à présent, il se remît de lui-même à la Bastille. Il demandait en outre qu’on fît arrêter Homberg et tous ceux de ses gens que le Roi jugerait à propos, jusqu’à ce que le mystère fût éclairci. Le Roi refusa, du moins en ce qui concernait le duc d’Orléans. Il avait d’abord refusé, même pour Homberg. Par ses instances, le duc d’Orléans obtint cependant non pas qu’Homberg fût arrêté, mais qu’il fût reçu à la Bastille s’il s’y remettait volontairement. Dès le lendemain, le Roi revint sur cet ordre. Mareschal, qu’il avait reçu quelques instans après le duc d’Orléans, lui avait fait sentir avec force, dans un discours éloquent, le fâcheux effet de cette procédure. Le Roi en informa le duc d’Orléans, et, pour bien montrer qu’il entendait qu’aucune suite ne fût donnée à l’affaire, il fit brûler les procès-verbaux d’autopsie. Ainsi avait-il fait, quelque trente années auparavant, lorsqu’il avait mis un terme à la procédure entamée par La Reynie devant la Chambre ardente. Serait-ce qu’il aurait cru à la culpabilité de son neveu, et qu’il aurait voulu en détruire les traces ? Cela paraît peu probable. Saint-Simon dit bien qu’il avait reçu le duc d’Orléans avec sécheresse, mais, suivant Madame, qui se lamente dans ses lettres de l’accusation portée contre son fils, il l’aurait au contraire reçu avec beaucoup de bonté et lui aurait « donné l’assurance qu’il n’en croyait rien[24]. » Deux années plus tard, au moment de la mort du duc de Berry qui donna lieu, contre le duc d’Orléans, aux mêmes accusations, il disait en parlant à Mareschal, qui non seulement avait pris de nouveau la défense du duc d’Orléans, mais avait même fait son éloge : « Savez-vous ce qu’est mon neveu ? Il est tout ce que vous venez de dire. C’est un fanfaron de crimes[25]. » Il n’aurait point porté sur ce neveu un jugement aussi juste s’il l’avait seulement soupçonné d’aussi épouvantables forfaits. Mais, avec son bon sens naturel et sa connaissance de ce monde spécial de la Cour, il savait que, dans un procès criminel où l’opinion publique avait pris parti à l’avance, rien n’ébranlerait une conviction déjà arrêtée dans l’esprit de chacun, et que même un arrêt solennel proclamant l’innocence des accusés, que ce fût le duc d’Orléans. Homberg ou tout autre, ne serait point accepté par ceux qui auraient déjà proclamé tout haut la culpabilité des accusés. D’ailleurs, il entrait tout à la fois dans ses habitudes et dans ses principes que les événemens les plus graves troublassent le moins possible la majestueuse régularité de la vie, telle qu’elle était organisée à la Cour. On trouve une curieuse appréciation de cette altitude dans les dépêches de l’ambassadeur vénitien, Guglielmo Emo, qui écrivait au doge : « Il (le Roi) a ressenti le coup autant qu’on peut le croire, et malgré cela, sachant combien il importait de relever les âmes tombées universellement dans une très grande confusion (cadute universalmente in grandissima confusione), bien qu’il eût, en outre, souffert de quelque incommodité dans sa santé les jours précédens, il s’imposa de se montrer et de manger en public selon son habitude[26]. »

C’eût été un singulier moyen de relever les âmes et de mettre un terme à la confusion universelle, que de consentir à l’ouverture d’une information criminelle aussi retentissante que celle sollicitée par le duc d’Orléans, et cette considération dut assurément peser sur Louis XIV. Il semble même, par la façon dont il traita publiquement son neveu, avoir voulu détourner de lui les soupçons. L’ambassadeur vénitien l’indique discrètement dans une dépêche postérieure de quelques jours : « C’est ainsi, écrivait-il le 29 février, qu’en n’apportant, dans les choses qui regardent l’Etat, aucun changement dans ses habitudes, il s’est conduit dans cette succession de coups avec une vraiment admirable fermeté d’âme à laquelle n’a pas donné un médiocre assaut un bruit qui s’est généralement répandu à la défaveur du duc d’Orléans, comme si ces malheureux événemens n’avaient pas été naturels. Pour dissiper une aussi noire accusation, il n’y a pas d’honnêteté et de marques d’honneur et de confiance (onesta et dimostrazione d’onore et di confidenza) dont le Roi n’ait affecté d’user vis-à-vis du duc d’Orléans lui-même, lequel se tenait assidûment à la Cour et à côté du Roi. »

Ce serait aujourd’hui prendre une peine superflue que de disculper le duc d’Orléans de cette odieuse accusation ? « Un monstre vomi par l’enfer, » suivant l’expression de Saint-Simon, aurait seul pu concevoir le dessein de s’ouvrir la voie au trône par une aussi longue série de crimes, car il aurait fallu faire disparaître, non seulement le Duc de Bourgogne et ses deux enfans, mais le duc de Berry. Le duc d’Orléans n’avait pas l’âme aussi noire. L’histoire n’est en droit de lui reprocher que d’avoir gâté, par sa faiblesse, des qualités supérieures d’intelligence, et d’avoir, par ses débauches et son impiété, donné à son temps un exemple trop fidèlement suivi. Mais, loin qu’il eût l’âme noire, il était d’une bonté plutôt excessive, incapable de vengeance et même de rancune, à plus forte raison de scélératesse. Les circonstances extérieures suffisent pleinement à expliquer ces trois morts dont l’imagination des contemporains fut si vivement frappée. Le Duc et la Duchesse de Bourgogne ne furent pas les seuls que le mal emporta ainsi dans la force de l’âge. Quelques jours après, mourut, à quarante ans, Seignelay, le petit-fils de Colbert. Le duc de la Trémoille, dans le palais même de Versailles, avait été à la dernière extrémité, et la Gazette de Hollande de février 1712 évalue à plus de cinq cents le nombre des victimes que fit, tant à Paris qu’à Versailles, l’épidémie de rougeole pourprée. A notre opinion sans valeur, nous sommes du reste en mesure de substituer celle d’un éminent clinicien que nous avons consulté après avoir résumé pour lui, jour par jour, les symptômes du mal auquel succombèrent successivement le mari et la femme, et qui nous a répondu : « Autant qu’on en peut juger par les documens incomplets qui nous ont été légués, la Duchesse de Bourgogne est morte de rougeole maligne. On était alors en pleine épidémie de rougeole ; la rougeole régnait à Paris et à Versailles dans le palais même… Les fièvres éruptives (variole, scarlatine, rougeole) n’évoluent pas toujours d’une façon classique ; on observe parfois, surtout en temps d’épidémie, des fièvres éruptives dites anormales, frustes, malignes. Ces faits sont assez fréquens au cas de scarlatine ; ils ne sont pas rares au cas de rougeole. Les mêmes considérations me paraissent pouvoir s’appliquer au cas du Duc de Bourgogne[27]. » Ainsi, après deux cents ans, ou peu s’en faut, écoulés, l’opinion exprimée par Mareschal reçoit l’appui de la science moderne. Cette tardive revanche sur Fagon et Boudin était due au courage et à la clairvoyance de l’habile praticien qui fut le fondateur de l’Académie de chirurgie, et qui méritait les lettres de noblesse et de « maintenue de noblesse, » dont il fut successivement honoré par Louis XIV et par le duc d’Orléans


IV

Les regrets causés par la mort du Duc et de la Duchesse de Bourgogne furent universels. Tous les documens contemporains nous en ont transmis l’expression. « Ils ne sont plus, s’écriait le Mercure de février 1712. Le Dauphin n’a pu survivre à son épouse. Il n’a pu supporter sa perte. Comment pourrions-nous supporter la vôtre ! Toute la France est consternée si sa douleur ne va pas jusqu’au désespoir… Nous nous sommes attiré des coups si terribles, mais le ciel a épuisé sur nous toute sa colère. Oui sans doute, sa main est lassée à force de nous chastier : elle va se reposer pour longtemps[28]. »

On voudrait avoir quelque lettre de Mme de Maintenon, écrite sous le coup de la première douleur, mais c’était Mme de Caylus qui prenait la plume à sa place pour informer la princesse des Ursins : « Quel étrange et funeste événement, madame, lui écrivait-elle, par lequel je rentre en commerce avec vous, et quel plaisir n’aurois-je point, si ma tante m’avoit donné cette commission pour un autre sujet ! Je ne saurois vous peindre l’état où nous sommes ici, et quand je le pourrois, je ne le voudrois pas… Tout est mort ici, madame ; la vie en est ôtée : cette princesse animoit tout, nous charmoit tous. Nous sommes encore comme enivrés et étourdis de notre perte, et chaque jour ne peut que la faire sentir plus vivement. On ne sauroit voir le Roi ni y penser sans être au désespoir et sans être dans des alarmes continuelles pour sa santé. Pour ma tante, il ne m’est pas possible de vous en parler que pour obéir à l’ordre qu’elle m’a donné. Elle ne sauroit avoir l’honneur de vous écrire et vous le comprendrez aisément. »

Ce n’était qu’un mois plus tard que Mme de Maintenon écrivait elle-même à la princesse des Ursins : « Il est vrai, madame, que je suis triste : jamais personne n’a eu plus sujet de l’être, mais comptez que toute la Cour l’est autant que moi. Tout manque, tout paraît vide ; il n’y a plus de joie ni d’occupation. Le Roi fait tout ce qui lui est possible pour se consoler et retombe toujours dans sa première douleur. Il me la confie, et vous sentez bien que c’est une grande augmentation à la mienne. Cependant, sa santé se soutient et il ne manque aucun travail. Notre petit Dauphin vit, malgré tout le monde. Je n’ai pu encore me résoudre à le voir. J’y aurois pourtant moins de peine que je n’en aurois eu pour celui que nous avons perdu, car il ressembloit en tout à Madame la Dauphine[29]. »

Si touchantes que soient ces deux lettres, c’est encore à Saint-Simon qu’il faut, comme toujours, demander l’expression la plus éloquente du regret universel : « Avec elle, dit-il après avoir tracé un long portrait de la Duchesse de Bourgogne, s’éclipsèrent joie, plaisirs, amusemens mêmes, et toutes espèces de grâces. Les ténèbres couvrirent toute la surface de la Cour ; elle l’animoit tout entière ; elle en remplissoit tous les lieux à la fois ; elle y occupoit tout ; elle en pénétroit tout l’intérieur. Si la Cour subsista, après elle, ce ne fut plus que pour languir. Jamais princesse si regrettée ; jamais il n’en fut si digne de l’être. Aussi les regrets n’en ont-ils pu passer, et l’amertume involontaire et secrète en est constamment demeurée, avec un vide affreux qui n’a pu être diminué[30]. »

L’éloquente apostrophe par laquelle Saint-Simon termine le portrait du Duc de Bourgogne est trop connue pour que nous croyions devoir la reproduire[31]. On voudrait que ses regrets fussent moins mêlés d’un sentiment personnel, ou plutôt on lui sait gré de la sincérité avec laquelle, suivant son habitude, il en convient, car, c’est justice à lui rendre, il ne s’en fait pas accroire, et il ne cherche à dissimuler aucun des sentimens, souvent assez mesquins, dont il est animé. « Je n’étois Soutenu, dit-il, ni de la piété, supérieure à tout, du duc de Bauvilliers, ni d’une semblable à celle de Mme de Saint-Simon, qui, toutefois, n’en souffroit pas moins. La vérité est que j’étois au désespoir. A qui saura où j’en étois arrivé, cet état paroîtra moins étrange que d’avoir pu supporter un malheur si complet. Je l’essuyois au même âge où étoit mon père quand il perdit Louis XIII. Au moins en avoit-il grandement joui, et moi : Gustavi paululum mellis et ecce morior[32]. »

Il ne faut point s’attendre à trouver l’expression aussi franche d’un sentiment aussi personnel dans les lettres de quelqu’un que la mort du Duc de Bourgogne atteignait dans sa sensibilité, et aussi dans sa légitime ambition plus rudement encore que Saint-Simon. On ne peut lire sans émotion la suite des lettres que Fénelon adressait au duc de Chevreuse durant ces jours tragiques. Les nouvelles circulaient alors lentement. Le Duc de Bourgogne se débattait déjà contre la mort, que Fénelon en était encore à s’inquiéter du contre-coup que la perte de la Duchesse de Bourgogne exercerait, non seulement sur la santé, mais aussi sur le caractère de celui qu’il continuait d’appeler le P. P., c’est-à-dire le petit prince. « Je suis fort alarmé pour sa santé, écrivait-il au duc de Chevreuse le 18 février ; elle est foible et délicate. Rien n’est plus précieux pour l’Église, pour l’Etat, pour tous les gens de bien… Vous connoissez son tempérament. Il est très vif et un peu mélancolique. Je crains qu’il ne soit saisi d’une douleur profonde et d’une tristesse qui tourne sa piété en dégoût, en noirceur et en scrupule. Il faut profiter de ce qui est arrivé de triste pour le tourner vers une piété simple, courageuse et d’usage pour sa place. Dieu a ses desseins ; il faut les suivre. Il faut soutenir, soulager, consoler, encourager P. P. désolé, » et il ajoutait à cette lettre une sorte de long post-scriptum : Pour le Dauphin, où il lui applique les passages des Confessions où saint Augustin décrit sa douleur et son accablement après la mort d’un ami, passages qu’il entremêle d’exhortations pieuses. « Ce n’est pas tout que de n’aimer que ce qu’on doit aimer. Dieu jaloux veut qu’on ne l’aime que pour lui et de son amour… Tout ce qu’on aime le plus légitimement ici-bas nous prépare une sensible douleur parce qu’il est de nature à nous être bientôt enlevé… Dieu n’afflige que par amour. Il est le Dieu de toute consolation ; il essuie les larmes qu’il fait répandre ; il fait retrouver en lui tout ce qu’on croit perdu. Il sauve la personne que la prospérité mondaine auroit séduite, et il détache celle qui n’étoit pas assez détachée. Il faut s’abandonner à lui avec confiance et lui dire : Que votre volonté se fasse sur la terre comme au ciel[33]. »

Celui à qui ces lignes étaient adressées ne devait jamais les lire. Deux jours après, il expirait. Comment Fénelon fut-il instruit de cette mort ? Peut-être par le bruit public ; peut-être par une lettre de Chevreuse, qui n’aurait pas été conservée. Nous savons comment il l’accueillit : « Mes liens sont rompus, » aurait-il dit, suivant Ramsay[34] ; il pleura « en père désolé, » et demeura pendant quelques jours dans un état d’anéantissement. Il en sortit cependant pour écrire au duc de Chevreuse : « Hélas ! mon bon duc, Dieu nous a ôté toute notre espérance pour l’Eglise et pour l’État. Il a formé ce jeune prince ; il l’a orné ; il l’a préparé pour les plus grands biens ; il l’a montré au monde et aussitôt il l’a détruit[35]. Je suis saisi d’horreur, et malade de saisissement sans maladie. En pleurant le prince mort qui me déchire le cœur, je suis alarmé pour les vivans. Ma tendresse m’alarme pour vous et pour le bon (Beauvilliers). De plus je crains pour le Roi ; sa conservation est infiniment importante. On n’a jamais tant dû désirer et acheter la paix. Que seroit-ce si nous allions tomber dans les orages d’une minorité sans mère régente, avec une guerre accablante au dehors ?… La paix ! la paix ! à quelque prix que ce puisse être. »

Dans cette lettre écrite sous le coup de la première émotion, on n’aperçoit point trace de quelque arrière-pensée personnelle. Si à la douleur se joint quelque autre sentiment, c’est la sollicitude pour l’intérêt général-, et lorsque l’horreur dont il est saisi lui fait s’écrier : « La paix, à quelque prix que ce soit ! » il répète le cri qu’il poussait depuis trois ans. Quelques jours après seulement, dans une lettre adressée par lui au vidame d’Amiens (devenu depuis peu le duc de Chaulnes), on surprend quelque trace d’un espoir déçu. Ce n’est plus seulement la douleur, c’est l’accablement et le détachement de toute espérance humaine qui se traduisent dans cette lettre : « Je ne puis, mon bon et cher duc, résister à la volonté de Dieu qui nous écrase. Il sait ce que je souffre ; mais enfin, c’est sa main qui frappe et nous le méritons. Il n’y a qu’à se détacher du monde et de soi-même, il n’y a qu’à s’abandonner sans réserve aux desseins de Dieu. Nous en nourrissons notre amour-propre lorsqu’ils flattent nos désirs ; mais quand ils n’ont rien que de dur et de détruisant, notre amour-propre hypocrite et déguisé en dévotion se révolte contre la croix, et il dit, comme saint Pierre le disait de la Passion de Jésus-Christ : « Cela ne vous arrivera point. » O mon cher duc, mourons de bonne foi[36]. »

Cette mort « de bonne foi » fut-elle complète ? Oui sans doute, au moins d’intention, mais l’intérêt pour la chose publique continuait de subsister chez Fénelon. Dans le courant de mars, préoccupé du trouble qu’apporterait dans les affaires la mort de Louis XIV si elle survenait avant que les dispositions nécessaires fussent prises en vue d’une régence, il adressait au duc de Chevreuse trois mémoires : le premier intitulé le Roi, le second, Projet d’un Conseil de Régence, le troisième, Éducation du jeune prince. Ces mémoires montrent à quel point les bruits qui avaient circulé avaient fait impression sur la vive imagination de Fénelon. En effet, dans celui intitulé : le Roi, il considère comme très important « de redoubler sans éclat et sans affectation toutes les précautions pour sa nourriture et aussi du jeune prince qui reste. » Dans celui sur le Conseil de Régence il va plus loin : « Il n’y a aucun jour, dit-il, où nous ne soyons menacés ou d’une mort soudaine ou naturelle, ou d’un funeste accident, suite du coup que le public s’imagine venir de N… » Il se demande s’il convient d’admettre dans le Conseil de Régence « celui qui est soupçonné de la plus noire scélératesse » et de le rendre ainsi « le maître de tout ce qui se trouverait entre lui et l’autorité suprême. » A ces trois mémoires, en était joint un quatrième qui porte un titre inachevé : Recherches de… Dans ce mémoire, Fénelon recherche en effet ce qu’il peut y avoir de fondé dans les accusations dont le duc d’Orléans a été l’objet. Il ne les adopte ni ne les repousse, mais voudrait qu’on les examinât en grand secret. Il n’est point partisan d’une procédure publique, mais il voudrait « qu’on fît une recherche très secrète pour assurer la vie du Roi et du jeune prince. » Il voudrait également qu’on examinât en grand secret « le chimiste de ce prince et le détail des drogues qu’il a composées. » Il donne même ce singulier conseil « d’en prendre et d’en faire des expériences sur des criminels condamnés à mort[37]. »

Suivant toute probabilité, Chevreuse ne fît aucun usage de ces mémoires qui lui furent envoyés. Il est probable également que ces soupçons, conçus dans un premier moment d’horreur, s’évanouirent dans l’esprit de Fénelon. Sans quoi il serait assez difficile de comprendre qu’il eût, dès l’année suivante, engagé, avec un prince « accusé de la plus noire scélératesse, » une correspondance philosophique où il s’efforçait de lui démontrer les vérités de la religion. C’est en effet au duc d’Orléans que sont adressées au moins trois des lettres cataloguées dans les diverses éditions des Œuvres de Fénelon sous la rubrique : Lettres sur divers sujets de morale et de religion. Comment s’engagea cette correspondance ? A quels mobiles obéit Fénelon ? Nous l’ignorons. Saint-Simon, qui se vante d’avoir négocié un rapprochement entre l’archevêque de Cambrai et le duc d’Orléans, y avait peut-être réussi. Peut-être, tout détaché qu’il fût de toute ambition personnelle, Fénelon crut-il que l’intérêt public lui commandait de s’assurer à l’avance quelque influence sur un prince auquel son rang et son mérite ne pouvaient manquer d’assigner un rôle considérable. Saint-Simon n’hésite pas à dire que le duc d’Orléans, devenu régent, n’eût pas manqué d’appeler Fénelon aux affaires. On en peut douter, comme on peut se demander si Fénelon eût accepté. Mais Fénelon ministre du Régent, au lieu de Dubois ! « Cela fait rêver, » comme disait Mme de Sévigne.

Il était dans la destinée de Fénelon de ne voir se réaliser aucun des rêves, fussent les plus fugitifs, qu’il avait pu former. Ayant vu successivement mourir Chevreuse et Beauvilliers, ayant conservé, comme il l’écrivait à la duchesse de Beauvilliers, « le cœur toujours malade, » depuis la perte irréparable de celui qu’il continuait d’appeler le Petit Prince, devenu « un squelette qui marche et qui parle, » mais toujours ardent à ses devoirs et fidèle aux affections qui lui restaient, il devait mourir quelques mois avant Louis XIV, le dernier de ce petit troupeau qu’il avait rassemblé autour de lui, dont les fidèles avaient ajourné à la fin du règne la réalisation de leurs nobles rêves, et que le vieux monarque devait tous ensevelir.


V

La mort simultanée de l’héritier présomptif du trône et de celle qui déjà tenait presque le rang de reine amenait ce que, en style administratif moderne, on appellerait la liquidation de leur maison. Le Roi s’en occupa lui-même. Faisons pour la dernière fois passer sous les yeux du lecteur des noms que nous avons essayé de lui rendre familiers. La duchesse du Lude, âgée, infirme, que de violens accès de goutte avaient fréquemment empêchée de remplir son service auprès de la Duchesse de Bourgogne, reçut une pension de douze mille livres. Elle mourut en 1726. La comtesse de Mailly, cette nièce de Mme de Maintenon « qui n’avait point de chausses, » se vit conserver les neuf mille livres qu’elle avait comme dame d’atour. Les dames du palais reçurent chacune six mille livres. Dangeau, comme chevalier d’honneur, en reçut douze mille, et même somme fut attribuée au fidèle écuyer Tessé, qui avait vu mourir sous ses yeux la Duchesse de Bourgogne, et qui écrivait, le lendemain, à la princesse des Ursins : « Malgré l’usage ordinaire d’éviter la vue des morts, j’ai rassasié la mienne tant que j’ai pu du spectacle affreux de n’avoir point cessé de la voir, tant que sa figure a été ostensible[38]. » Les menins du Duc de Bourgogne reçurent chacun six mille livres. Médecins, chirurgiens (dont les services avaient été si malheureux), valets de chambre ou de garde-robe furent compris dans la distribution. La nourrice même du petit duc de Bretagne ne fut pas oubliée ; elle reçut six mille livres, et les autres femmes qui étaient auprès de lui passèrent au service du duc d’Anjou, devenu Dauphin, qui eut ainsi trente-deux femmes pour prendre soin de lui. Le total des pensions ainsi réparties s’élevait à 100 000 livres.

Le Duc de Bourgogne, qui s’était défait peu à peu de tout ce qu’il possédait en faveur des pauvres et qui distribuait en aumônes la presque totalité de sa pension mensuelle, ne laissait rien, et la Duchesse de Bourgogne laissait des dettes. Il n’y avait donc point lieu de s’occuper de leurs successions, comme il avait été fait pour Monseigneur. Mais l’un et l’autre laissaient des papiers. Seul le Roi avait qualité pour les dépouiller et il n’avait garde de confier ce soin à un autre. Dès les derniers jours de février, il s’en occupa. La perspective de ce dépouillement causait un vif émoi à Saint-Simon. Il savait que la cassette du Duc de Bourgogne était bourrée de mémoires dont il était l’auteur, mémoires qui portaient sur les sujets les plus divers, où les critiques n’étaient point ménagées et dont le principal, fort long et écrit tout entier de sa propre main, aurait suffi, dit-il, pour le perdre sans retour. Que ce mémoire tombât sous les yeux du Roi, et il se voyait déjà perdu et chassé pour toute la durée du règne. « Quel contraste, s’écrie-t-il, des cieux ouverts que je voyois sans chimères, et de ces abîmes qui, tout à coup, s’ouvroient sous mes pas ! Et voilà la Cour et le monde ! » Aussi éprouva-t-il alors « le néant des plus désirables fortunes par un sentiment intime qui, toutefois, marque combien on y tient, » et ne voulut-il longtemps « que s’enfuir et ne revoir jamais la figure trompeuse de ce monde. » Il fallut, pour le détourner de prendre un parti aussi extrême, toute l’influence de Mme de Saint-Simon qui était « non moins sensible, non moins touchée, aussi peu capable de le dissimuler, mais plus sensée, plus forte, et toute à Dieu[39]. »

Saint-Simon n’était pas le seul qui eût juste raison d’éprouver quelque inquiétude à la pensée que tous les mémoires destinés au Duc de Bourgogne allaient passer sous les yeux du Roi. Il y avait quelqu’un qui, voyant les choses de plus haut, à un point de vue moins personnel que Saint-Simon, ne s’était point lassé de faire parvenir des avis au Duc de Bourgogne. C’était Fénelon. Qu’étaient devenus ses mémoires ? Le Prince les avait-il conservés, ou les avait-il rendus à Chevreuse par le canal duquel ils lui arrivaient ? Fénelon l’ignorait, et s’en enquérait auprès de ce dernier, sous la forme discrète et mesurée dont il était coutumier en tout ce qui le touchait personnellement : « N’y avait-il point dans les papiers de notre très cher prince quelque écrit de moi ? N’y avait-il point de mes lettres que je lui écrivais pendant le siège de Lille ? N’y a-t-il point un reliquaire d’or, avec un morceau de la mâchoire de saint Louis, que je lui avais envoyé ? Le Roi a-t-il tous les papiers de P. P.[40]. »

Les appréhensions si vivement exprimées de Saint-Simon par lesquelles se trahit une ambition momentanément déçue, mais toujours ardente, celles, plus discrètement traduites, de Fénelon chez qui paraît dominer une mélancolique indifférence, ne devaient point se réaliser. Le dévouement de Beauvilliers à son ami, le bon esprit de Mme de Maintenon y furent pour beaucoup. Aussitôt le Duc de Bourgogne mort, Duchesne, son premier valet de chambre, avait remis au Roi la clef de la cassette où le Prince serrait ses papiers. Le dernier jour de février, le Roi vit pour la première fois le duc de Beauvilliers, que l’état de sa santé avait jusque-là retenu à la chambre, et il lui commanda d’apporter la redoutable cassette le lendemain soir, chez Mme de Maintenon. Saint-Simon, prévenu par Beauvilliers, passa toute la journée dans les transes. Beauvilliers lui avait promis que le lendemain, au sortir de chez Mme de Maintenon, il entrerait chez lui pour l’informer de ce qui se serait passé. « On peut juger, dit Saint-Simon, s’il fut attendu, et à portes bien fermées. » Avant même de s’asseoir, Beauvilliers le rassura d’un signe. Très habilement il avait commencé par lire au Roi « un fatras de toutes sortes de mémoires et de projets sur les finances et de quelques autres d’intendans de province » qui se trouvaient heureusement sur le haut de la cassette. Fatigué, le Roi lui avait dit bientôt de se borner à lire les titres des mémoires, puis, voyant qu’il n’y était question que de finances, il lui avait dit de tout jeter au feu. Beauvilliers ne se l’était pas fait dire deux fois et il s’était hâté de vider dans la cheminée le contenu de la cassette, en ayant soin de recouvrir avec d’autres paperasses le mémoire de la main de Saint-Simon, d’empêcher avec les pincettes qu’aucun bout ne s’écartât, et de ne point quitter la cheminée qui tout ne fût consumé. Saint-Simon était sauvé[41].

Les récits de Saint-Simon ont toujours besoin d’être contrôlés. Il ne paraît pas que les choses se soient passées d’une façon aussi simple et aussi expéditive, et, soit qu’il y eût une autre cassette au dépouillement de laquelle Beauvilliers n’aurait pas assisté, soit que, du récit de Beauvilliers, Saint-Simon n’ait retenu ou rapporté que ce qui le concernait personnellement, nous savons par une lettre de Mme de Maintenon que le Roi n’aurait pas été aussi complètement dupé. Il aurait su parfaitement que la cassette du Duc de Bourgogne contenait autre chose que du fatras. Les mémoires de Fénelon, en particulier, ne lui auraient pas échappé. Voici, en effet, ce que, le 15 mars, Mme de Maintenon écrivait à Beauvilliers : « Pour vous mettre l’esprit en repos, monsieur, j’ai tiré des copies de tous vos écrits et je vous renvoie le tout, sans exception. On vous auroit gardé le secret, mais il peut arriver des occasions qui découvrent tout. Nous venons d’en faire une triste expérience. Je voulois vous renvoyer tout ce qui s’y est trouvé de vous et de M. de Cambray, mais le Roi a voulu le brûler lui-même. Je vous avoue que j’y ai eu grand regret, car jamais on ne peut rien écrire de si beau ni de si bon, et si le prince que nous pleurons a eu quelques défauts, ce n’est pas d’avoir reçu des conseils trop timides, ni qu’on l’ait trop flatté. On peut dire que ceux qui vont droit ne sont jamais confondus[42]. »

Malgré ce que cette lettre a d’un peu obscur, en ce qui concerne particulièrement les écrits de Beauvilliers dont Mme de Maintenon aurait tiré copie et qu’elle lui aurait renvoyés, tandis qu’en même temps elle dit que le Roi aurait tout brûlé, néanmoins il en ressort avec évidence que Louis XIV avait pris connaissance des avis adressés à son petit-fils par Fénelon et par Beauvilliers lui-même, et qu’il n’y avait rien trouvé qui lui eût déplu. Ceux qui vont droit : sans doute c’est à Beauvilliers plutôt qu’à Fénelon que, dans la pensée de Mme de Maintenon, s’appliquait ce juste hommage rendu au fidèle ami du Duc de Bourgogne avec lequel elle s’était remise en bons termes et dont la rapprochait encore une commune douleur.

Parmi ces papiers, s’était trouvé également le projet d’un mémoire que le Duc de Bourgogne se proposait d’adresser au Pape pour se disculper auprès de lui, et pour détruire le bruit, habilement répandu par les Jansénistes, qu’il était favorable au parti. La modération dont il avait fait preuve dans le différend survenu entre le cardinal de Noailles et les évêques de Luçon, de Saint-Flour et de Gap, qu’il était chargé par le Roi d’accommoder, avait donné naissance à ce bruit. Le Duc de Bourgogne s’en était ému. Nous savons par une lettre de Mme de Maintenon au duc de Noailles[43]qu’il avait songé à faire connaître publiquement son sentiment sur cette affaire. En publiant avec quelque solennité, le mémoire préparé par le Duc de Bourgogne, Louis XIV ne fit donc pas autre chose que donner suite à une pensée de son petit-fils, et rien ne vient à l’appui de la supposition de Saint-Simon que le texte de ce mémoire ait été plus ou moins altéré. Le ton en est respectueux et mesuré. Si le Duc de Bourgogne condamne la doctrine janséniste, il ne se prononce point avec vivacité contre les personnes. On y sent un esprit juste et une âme charitable[44]. Il entrait dans la politique de Louis XIV, qu’irritaient la recrudescence du jansénisme et l’entêtement du cardinal de Noailles à ne point retirer l’approbation donnée par lui au livre du Père Quesnel, de se faire arme de tout. La piété du Dauphin, son austérité bien connue donnaient du poids à son opinion. Peut-être aussi Louis XIV avait-il voulu reconnaître, par cet hommage rendu à l’autorité du Saint-Siège, l’éloge que, dans un consistoire convoqué tout exprès, Clément XI avait fait du Duc de Bourgogne et l’honneur extraordinaire qu’il avait rendu à sa mémoire en célébrant lui-même, dans sa chapelle particulière, des obsèques publiques et solennelles, honneur dont les rois de France étaient privés depuis l’excommunication de Henri III par Sixte V. Les Jésuites, triomphèrent de la publication du mémoire. Les Jansénistes, pour parer le coup, essayèrent d’en révoquer en doute l’authenticité. « Mgr le Dauphin, dit l’abbé Ledieu dans son Journal, y parle des subtilités du jansénisme et de toutes les distinctions les plus fines sur la grâce d’une façon qui fait connoître que l’écrit n’est point de lui. » Un de leurs polémistes ordinaires, Nicolas Petitpied, dans un factum intitulé : Réflexions sur un écrit intitulé : Mémoire de Mgr le Dauphin, croit y reconnaître la main des Jésuites. « Ce mémoire, disait-il, a tout l’air d’une copie faite sur un brouillon de l’ancien précepteur ou de quelque Jésuite de Cour. » Petitpied allait si loin dans ses attaques que, par arrêt du 17 juin 1712, le Parlement condamna au feu ses Réflexions. Quant au mémoire lui-même, il fut envoyé par ordre du Roi à tous les évêques « avec ordre de mander en Cour l’impression qu’il avoit faite sur eux[45], » et le Pape répondit à cette publication par un bref où, appliquant au Duc de Bourgogne un mot ancien, il le louait « de s’être expliqué, comme auroit pu le faire, non un empereur, mais un évêque. »

Le Roi avait également à dépouiller les papiers de la Duchesse de Bourgogne. Ces papiers étaient dans la cassette que la pauvre princesse s’était fait apporter sur son lit de mort, alors qu’elle était troublée de la pensée des dettes qu’elle laissait, et qu’elle n’avait pas eu la force d’ouvrir. Le Roi se la fit remettre et l’ouvrit, assisté de la seule Mme de Maintenon. Qu’y trouva-t-il ? Personne ne peut le dire, puisqu’il n’y avait point de tiers, mais c’est ici le lieu de détruire définitivement la légende d’après laquelle il y aurait découvert la preuve de sa trahison. C’est Duclos qui a mis en circulation cette légende calomnieuse. Voici ce qu’il raconte dans ses Mémoires secrets. « Cet enfant, si séduisant et si cher au Roi, n’en trahissoit pas moins l’État en instruisant son père, alors duc de Savoie et notre ennemi, de tous les projets militaires qu’elle trouvoit moyen de lire. » Le Roi en eut la preuve par les lettres qu’il trouva dans la cassette de cette princesse, après sa mort. « La petite coquine, dit-il à Mme de Maintenon, nous trompoit[46]. »

Est-il besoin de faire ressortir l’invraisemblance de cette accusation ? Qui aurait mis en circulation ce propos de Louis XIV ? Pas Mme de Maintenon, à coup sûr. Qui alors ? De quel survivant du grand règne Duclos a-t-il pu le tenir ? Notons qu’il avait huit ans lors de la mort de la Duchesse de Bourgogne, qu’il était d’extraction modeste, sans relations naturelles avec le monde de la Cour, qu’il n’a point dû connaître personnellement les contemporains de Louis XIV, et que, nommé historiographe de France en 1750, il n’aurait pu composer ses Mémoires secrets si les dépôts publics ne lui avaient été ouverts, et s’il n’avait eu connaissance des Mémoires de Saint-Simon dont il pille et défigure en même temps les anecdotes. Déjà la véracité de ces Mémoires était suspect à ses contemporains. « L’auteur aimoit trop les anecdotes, dit l’abbé de Vauxelles, pour n’en être pas la dupe ; il étoit plein tout à la fois de probité et de malice ; il étoit porté à croire qu’un récit malin étoit vrai et qu’un récit vrai devoit être malin[47]. »

A quel récit malin Duclos a-t-il emprunté cette accusation ? Il a négligé de le dire, et c’est, suivant toute probabilité, à lui-même. A propos des accusations dont la Duchesse de Bourgogne fut l’objet lors du siège de Turin, nous avons déjà parlé des relations qu’elle avait, par lettres, conservées avec Victor-Amédée et établi leur parfaite innocence. Sans doute elle était demeurée tendrement attachée à un père qui ne méritait point une aussi vive tendresse ; les destinées de sa patrie d’origine ne lui étaient point devenues indifférentes, et surtout elle désirait ardemment la paix, comme en font foi sa correspondance avec sa grand’mère Madame Royale et la longue lettre adressée par elle à Victor-Amédée que nous avons publiée[48]. Non seulement elle la désirait, mais elle se proposait d’y travailler directement dans les derniers temps de sa vie. Cela résulte d’un mémoire secret, très curieux, que le comte de Rambuteau a eu raison de comprendre dans son intéressante publication des Lettres de Tessé. Dans ce mémoire, rédigé probablement à la demande de la Princesse, et sur laquelle il lui demande le plus profond secret, Tessé lui suggère le moyen d’obtenir de Louis XIV la permission d’intervenir en vue de la paix : « Chercher, lui dit cet habile négociateur, et trouver l’occasion d’entretenir le Roi en particulier ; prévenir même Mme de Maintenon du dessein qu’elle a ; le supplier de lui permettre, une fois en sa vie, de lui ouvrir son cœur, et lui demander, sur ce qu’elle a dessein de lui dire, un secret impénétrable, qu’elle croit même devoir lui demander pour ses ministres ; lui conter succinctement qu’elle ne peut vivre heureuse ni tranquille, comblée de ses grâces, tandis que son père aura le malheur d’être son ennemi ; que, n’étant plus enfant, elle lui demande la permission de travailler à une réconciliation qui feroit le repos et la douceur de sa vie ; quelle n’a, jusqu’à présent, osé comme fille ; mais qu’elle supplie Sa Majesté d’agréer qu’elle le fasse ; qu’elle a un pressentiment qu’elle y réussiroit ; quelques larmes à propos, ou quelques témoignages d’attendrissement naturel ne gâteroient rien ; qu’elle supplie le Roi de l’aider à se conduire dans ce dessein ; qu’elle sait que son père n’est pas content de l’Empereur, et enfin obtenir du Roi la permission d’écrire une lettre qu’elle a en tête de faire, qui ne compromettra ni Sa Majesté, ni elle-même et qu’elle le priera de corriger[49]. »

Soit que la Duchesse de Bourgogne n’ait pas eu le courage d’ouvrir la conversation avec le Roi, soit que celui-ci ne l’ait pas autorisée à entamer ainsi une négociation indirecte, il ne parait pas qu’il ait été donné suite à l’affaire. En effet, la lettre de la Duchesse de Bourgogne que nous avons publiée est antérieure à ce mémoire[50]et les Archives de Turin, où tout était fidèlement conservé, ne contiennent aucune lettre de la Duchesse de Bourgogne à Victor-Amédée qui se rapporte à cette date. Faut-il cependant, comme on l’a voulu, chercher la confirmation de l’accusation portée par Duclos dans certaine phrase d’une lettre adressée par Mme de Maintenon au duc de Noailles. « Je pleurerai toute ma vie Mme la Dauphine, lui écrivait-elle, le 1er avril, mais j’apprends tous les jours des choses qui me font croire qu’elle m’auroit donné de grands déplaisirs. Dieu l’a prise par miséricorde[51]. » Qu’est-ce que Mme de Maintenon entendait exactement par cette phrase un peu dure ? Est-ce au soupçon de trahison qu’elle fait allusion ? Mais, en ce cas, elle ne se serait pas servie d’un mot aussi faible que celui de déplaisirs. Il est probable que, depuis la mort de la Duchesse de Bourgogne, elle avait appris certaines choses que, jusque-là, elle avait ignorées. Peut-être avait-elle trouvé dans la cassette les lettres que la Princesse avait eu autrefois tant de peine à retirer des mains de Mme de Maulevrier et qu’elle aurait eu l’imprudence de conserver par ce sentiment qui rend chers à plus d’une femme les souvenirs d’un passé qu’elle se reproche, sans parvenir à le regretter. Peut-être les langues s’étaient-elles lâchées, et certaines vengeances tardives s’étaient-elles exercées contre la Duchesse de Bourgogne, en ouvrant les yeux de Mme de Maintenon sur des légèretés de conduite qu’elle avait ignorées. Cela eût été très humain ; donc, cela est très probable et suffit à expliquer cette phrase de Mme de Maintenon : « Dieu l’a prise par miséricorde. » Avec les années, elle était devenue austère, et avait oublié le temps où elle-même était suspecte d’un peu de galanterie. Mais cette lettre ne saurait être invoquée à l’appui d’une accusation qui n’a aucun fondement sérieux et que des historiens soi-disant nationaux, tels que Michelet, auraient dû repousser, au lieu de sembler l’accueillir à demi[52].


VI

Une cérémonie restait à accomplir : c’était d’ensevelir le Dauphin et la Dauphine. Leurs entrailles avaient été descendues dans le caveau le jour où l’on avait enseveli le petit Dauphin, mais leurs cercueils étaient demeurés dans le chevet de l’église depuis le jour où ils y avaient été apportés. Deux religieux n’avaient cessé, jour et nuit, de veiller auprès. Le délai de quarante jours étant expiré, et au-delà, le samedi 16 avril les cercueils furent transportés du chevet dans le chœur. Le dimanche 17 on chanta les vêpres des morts auxquelles assistèrent la duchesse du Lude et les dames d’atour et du palais. On ouvrit ensuite le chœur au peuple, depuis six heures et demie jusqu’à huit heures. La cérémonie eut lieu le lundi 18. L’église avait été magnifiquement ornée. La décoration en avait été réglée par Berain qui, tant de fois, avait organisé fêtes et représentations théâtrales données en l’honneur de la Duchesse de Bourgogne. Les moindres détails en sont décrits avec complaisance par le Mercure de France qui consacre douze pages à cette description[53]. « Une magnifique corniche régnait autour du chœur… Au-dessus de cette corniche régnoit une plinthe avec des moulures dorées sur du velours noir et semées de fleurs de lis, larmes, dauphins et croix… De chaque arcade partoient alternativement des rideaux fleursdelisés d’or en dessus, hermines en dessous… Au milieu de l’arcade paroissoit une médaille qui renfermoit une vertu qui s’appliquoit aux qualités de Mgr le Dauphin… Le Mausolée estoit grand et magnifique[54]… Des voûtes partoit un grand dais avec des rideaux ; le tout or et blanc excepté la calotte qui estoit noire et sur laquelle estoient des trophées d’armes… Au-dessus de la calotte estoit un carré surmonté d’une couronne environnée de girandoles, et, tout le long, régnoient des cierges qui faisoient l’effet des feuilles d’acanthe. Sur une estrade de cinq gradins estoit une forme de tombeau tout doré, soutenu de grilles de lion. Sur ce massif estoient les cercueils de Mgr le Dauphin et de Mme la Dauphine recouverts d’un drap d’or. » On ne trouva rien à reprendre à cette décoration sinon, « qu’elle étoit trop brillante pour une cérémonie aussi triste[55]. » Le duc de Berry, le duc d’Orléans et le comte de Charolais menèrent le deuil pour le Dauphin, la duchesse de Berry, la duchesse et Mlle de Bourbon pour la Dauphine. Le service commença à onze heures. Le Parlement, les Cours souveraines et un grand nombre d’évêques y assistaient. L’évêque de Metz officiait. L’oraison funèbre fut prononcée par l’évêque d’Aleth, Maboul. Cette oraison funèbre ne manque, le genre donné, ni d’éloquence ni de goût. Après avoir exalté la vertu et la piété du Dauphin, l’orateur passait à l’éloge de la Dauphine, mais il n’entreprenait point de les mettre sur le même pied, et il marquait, non sans finesse, les différences qui les séparaient. « Mettrai-je, ici, disait-il, la Dauphine dans un parfait parallèle avec le prince son époux ? Elle-même m’en désavoueroit ; et vous aussi, messieurs, souffririez avec peine que j’osasse honorer, par des louanges exagérées, la vertu d’une princesse qui, par tant d’endroits éclatans, en a mérité de véritables, » et il continuait en la louant d’avoir toujours fait remarquer en elle « une foi simple, une soumission sans réserve à tous les oracles de l’Église, une vénération profonde pour toutes les choses saintes, un goût de l’Écriture et des livres de piété qui lui en fit préférer la lecture à ces mensonges ingénieux où, sous prétexte d’amusemens, l’on boit à longs traits le venin subtil des plus dangereuses passions. » « Fidèle, ajoutait-il, aux observances de précepte, on la vit, à toutes les solennités, donner à la Cour le noble exemple d’une religieuse modestie, purifiant souvent son cœur dans la sacrée piscine de la pénitence, participant dans un sage mélange de confiance et de frayeur à ses redoutables mystères, sentant la vanité des plaisirs, se reprochant de les avoir trop aimés ; telle enfin que sa piété prenoit chaque jour avec l’âge de nouveaux accroissemens, et faisoit espérer de la voir bientôt, par une heureuse émulation, marcher à pas égaux avec le Dauphin son époux dans les voies de la vie parfaite[56]. »

L’oraison funèbre qui avait duré cinq quarts d’heure étant terminée, la grand’messe reprit. Elle ne s’acheva qu’à deux heures et demie. Les évêques s’approchèrent alors du caveau. On monta sur l’estrade pour enlever les deux couronnes, le cordon bleu et le manteau royal, et enfin le drap d’or. Les deux cercueils apparurent alors, recouverts chacun d’un poêle noir avec une croix de moire d’argent. Douze gardes du corps s’avancèrent, enlevèrent les cercueils et les apportèrent à l’entrée du caveau. L’évêque de Metz, après avoir prononcé les prières d’usage, jeta un peu de terre préparée à l’avance sur les deux cercueils qui furent lentement descendus dans le caveau pendant que les moines chantaient le Benedictus.

La cérémonie n’était cependant pas terminée. Il restait à accomplir un rite qui remontait aux plus anciennes traditions de la monarchie. Les dignitaires des grands offices devaient déposer sur le cercueil les insignes de leurs fonctions. Le roi d’armes, ayant rassemblé auprès de lui les hérauts d’armes, appela successivement par leurs noms les grands officiers des deux maisons du Dauphin et de la Dauphine.

« Monsieur le marquis de Maillebois, maître de la garde-robe du Roi, apportez le manteau à la Royale de Monseigneur le Dauphin, » et le marquis de Maillebois apporta le manteau.

« Monsieur le duc de Beauvilliers, premier gentilhomme de la chambre de Monseigneur le Dauphin, apportez sa couronne, » et le duc de Beauvillers apporta la couronne.

« Monsieur le marquis de Villacerf, premier maître d’hôtel et vous messieurs les maîtres d’hôtel de Madame la Dauphine, apportez vos bâtons. » Villacerf s’avança le premier, avec son bâton garni d’un crêpe. Le maître d’hôtel ordinaire et les autres maîtres d’hôtel le suivaient. Chacun remit son bâton entre les mains d’un des hérauts d’armes qui se tenaient à l’entrée du caveau. Le roi d’armes continua :

« Monsieur le marquis d’O, qui faites la fonction de premier écuyer de Madame la Dauphine[57], apportez son manteau à la Royale. » Le marquis d’O apporta le manteau.

« Monsieur le maréchal de Tessé, qui faites la fonction de chevalier d’honneur de Madame la Dauphine, apportez la couronne. » Tessé déposa la couronne, puis, se tournant vers ceux qui l’avaient précédé, il dit à haute voix : « Madame la Dauphine est morte. Messieurs les officiers, vous pouvez vous pourvoir. Nous n’avons plus de charges. » « Après quoy le roy d’armes répéta deux fois à haute voix : « Très haut, très puissant et très excellent prince, Monseigneur Louis Dauphin, et très haute, très puissante, très vertueuse princesse Marie-Adélaïde de Savoie sont morts. Priez Dieu pour leurs âmes[58]. »

La cérémonie, qui avait duré six heures, était terminée. La foule émue s’écoula lentement, et personne ne doutait que les deux cercueils confiés au caveau qui, depuis Hugues Capet, recevait la dépouille des princes de la maison de France, n’y dussent demeurer environnés d’honneurs et de respect : donec veniat immutatio, jusqu’au jour du changement, comme disent les inscriptions de nos vieilles cathédrales.


VII

Le lendemain de cette cérémonie, Beauvilliers, fatigué, triste, atteint déjà du mal qui devait, avant deux ans, le conduire au tombeau, vit entrer à Versailles, dans son appartement, Saint-Simon qui, l’embrassant, lui dit : « Vous venez donc d’enterrer la France. » « Il en convint avec moi, ajoute Saint-Simon. Hélas ! s’il étoit au monde, combien plus en seroit-il persuadé aujourd’hui[59] ! »

Avaient-ils tous deux raison ? Ceux-là chez qui le patriotisme prend la forme d’une inquiétude mortelle sur l’avenir de notre pays, répondront sans hésitation que ces paroles de Saint-Simon étaient une prophétie. Assurément, quelque chose de grand fut enterré à Saint-Denis le jour où l’on descendit le cercueil du Duc de Bourgogne dans le caveau où, à la veille de la profanation, reposaient les ossemens de cinquante-quatre princes de sa maison. Ce n’était rien moins que la vieille monarchie, c’est-à-dire l’instrument qui avait forgé la grandeur de la France, l’épée qui avait repoussé ses assaillans, la politique patiente et prudente qui, préparant de loin les choses, avait, moins par la voie de la conquête brutale que par celle de l’annexion consentie, poussé le domaine royal et national, depuis le petit noyau de l’Ile-de-France, à l’Ouest jusqu’à l’Océan, au Sud jusqu’aux Pyrénées, à l’Est jusqu’aux Alpes et au Rhin, et qui, au Nord, l’aurait assurément étendu jusqu’à l’embouchure de l’Escaut, si le temps lui en avait été laissé. Sans doute l’instrument commençait à se fausser ; la pointe de l’épée à s’émousser et sans doute aussi, à l’intérieur, la politique avait fait des fautes. Les ressorts de l’administration étaient tendus à l’excès ; leur dur engrenage broyait des victimes dont la patience était mise à trop rude épreuve ; il était nécessaire de réparer les uns, d’adoucir et de changer les autres. Mais rien ne montre qu’à l’époque où le Duc de Bourgogne aurait dû, suivant le cours ordinaire de la nature, monter sur le trône, il fût trop tard pour corriger ces erreurs, pour porter remède à ces maux, pour changer ces ressorts. Nous croyons avoir montré[60]que le Duc de Bourgogne avait la vue très nette de ces maux et la claire intelligence de quelques-uns de ces remèdes. Si les réformes qu’il se proposait d’entreprendre et qui auraient amené dans l’administration intérieure un incontestable progrès, paraissent, à qui les juge avec nos idées modernes, un peu timides, on peut dire que cette timidité même en aurait facilité le succès et que ce succès aurait insensiblement préparé l’avenir.

Il se peut qu’une certaine étroitesse d’esprit eût provoqué entre sa piété docile et la pensée bouillonnante du siècle des conflits inévitables ; mais il ne faut pas oublier qu’à côté de lui se serait fait sentir l’influence de la Duchesse de Bourgogne. « Ses talens qui se mitonnaient, » pour reprendre une expression de Tessé, ne seraient pas demeurés sans emploi. Elle aurait déployé sur le trône cette volonté habile et ferme qu’elle avait su mettre au service du Duc de Bourgogne lorsqu’elle prit sa défense contre Vendôme, et dont la séduction personnelle était un des principaux moyens d’action. Elle aurait fléchi ce qu’il y avait en lui de trop rigide ; l’austérité du mari tempérée par les grâces de la femme aurait assuré à la France un règne unique et conjuré vraisemblablement la catastrophe que le règne de Louis XV rendit inévitable.

Il a fallu tout un siècle de sophismes dont l’histoire véritable commence à dissiper les brouillards, pour faire dater de cette catastrophe la régénération de la France, alors que, depuis sa rupture avec la monarchie, elle a au contraire perdu son équilibre politique. Depuis cette date, la France a connu bien des vicissitudes. Elle a tour à tour excité l’admiration, l’envie et la sympathie du monde. Elle a repoussé victorieusement l’Europe coalisée ; elle a promené son drapeau de capitales en capitales, et elle a, pour un jour, paru reconstituer à son profit l’empire de Charlemagne. Mais elle a vu trois fois son territoire envahi, et les drapeaux de l’étranger flotter à leur tour dans sa propre capitale. Elle a vu aussi la guillotine transformée, sur la place publique, en instrument de règne, et le palais de ses rois livré aux flammes par la main de ses propres enfans. Aucune de ces épreuves ne l’a définitivement abattue, et, lorsqu’elle semblait tombée le plus bas, elle a toujours fait preuve d’une qualité indomptable qui, à travers toute son histoire, pas plus au lendemain de la guerre de Cent ans que des guerres de religion, ne lui a jamais fait défaut : la vitalité. Du fond de l’abîme, toujours elle a rebondi. Deux fois, au cours du siècle dernier, blessée, semblait-il à mort, elle a solitairement pansé ses blessures ; elle s’est relevée sans appeler personne à son aide, et, par son patient travail comme par la dignité silencieuse de son attitude, quel que fût le régime qu’elle s’était donné, aussi bien sous la Restauration que sous la République, elle a reconquis peu à peu l’estime du monde et lui a appris à compter de nouveau avec elle. Aussi, sans obéir à un patriotisme de commande, et simplement après avoir relu son histoire, est-il permis de répondre que Saint-Simon et Beauvilliers se trompaient : on n’enterre jamais la France.


HAUSSONVILLE.

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1907.
  2. Sourches, t. XIII, p. 301.
  3. Le Journal inédit du baron de Breteuil, qui partageait avec Sainctot les fonctions de maître des cérémonies, se trouve à la Bibliothèque de l’Arsenal. Ce Journal comprend sept volumes, dont la publication présenterait beaucoup d’intérêt, car Breteuil entremêle le récit des cérémonies auxquelles il a présidé de commentaires et de réflexions souvent piquantes.
  4. Sourches, t. XIII, p. 297.
  5. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857, t. X, p. 128 et 129.
  6. Sourches, t. XIII, p. 310.
  7. Mercure de février 1712, p. 10.
  8. Sourches, t. XIII, p. 312.
  9. Journal du baron de Breteuil. Année 1712.
  10. Archives de Turin. Lettere de la Duchessa di Borgogne scritte à la duchessa Giovanna Battesta, sua avola.
  11. Dangeau, t. XIV, p. 101.
  12. Souvenirs sur Mme de Maintenon, t. II, p. 313.
  13. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857, t. X, p. 64.
  14. Dans la dernière de ces lettres inédites du Duc de Bourgogne tirées des Archives d’Alcala auxquelles nous avons fait de fréquens emprunts, il n’y a rien qui corresponde à un avis de ce genre. Cette lettre est du 8 février.
  15. Saint-Simon. Edition Chéruel de 1857, t. X, p. 65.
  16. Sourches, t. XIII, p. 303.
  17. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1837, t. X, p. 139.
  18. Ibid., p. 140.
  19. Œuvres complètes de Fontenelle. Édition de la Haye, 1729, t. III, p. 200.
  20. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857, t. X, p. 151.
  21. Ibid., p. 145.
  22. La comtesse de Verrue passait, lorsqu’elle était à Turin la maîtresse de Victor-Amédée, pour avoir été l’objet d’une tentative d’empoisonnement.
  23. Vie du Régent, par la Mothe de la Hodde, t. I, p. 109. Tous les historiens, Voltaire dans son Siècle de Louis XIV, La Beaumelle dans ses Mémoires sur madame de Maintenon, Duclos dans ses Mémoires secrets, Reboulet dans son Histoire du règne de Louis XIV, le duc de Luynes dans ses Mémoires, s’étendent sur ces accusations, les uns pour les repousser, les autres, comme le duc de Luynes, semblant y ajouter quelque foi. Suivant le duc de Luynes (t. XII, p. 163), le Duc de Bourgogne aurait refusé au cours de sa maladie de recevoir le duc d’Orléans à qui il attribuait la mort de sa femme, et, suivant Saint-Simon (t. X, p. 115), lui-même se serait cru empoisonné. On sait avec quelle violence La Grange-Chancel, dans ses affreuses Philippiques, reproduit ces accusations, et l’on connaît ces vers :
    Nocher des ondes infernales,
    Prépare-toi, sans t’effrayer,
    A passer les ombres royales
    Que Philippe va t’envoyer.
    (Édition Lescure.)
  24. Correspondance de Madame. Traduction Jæglé, t. II, p. 167-168.
  25. Saint-Simon. Édition Chéruel de. 1857, t. XI, p. 346.
  26. Bibliothèque nationale. Fonds italien 1932. Dépêches du 22 février,
  27. La consultation post mortem que M. le professeur Dieulafoy a bien voulu nous délivrer sera publiée par nous in extenso à la suite de ces études lorsque nous les réunirons en volume. Nous ajouterons que M. le docteur Cabanes, qui a fait une étude particulière des morts mystérieuses de l’histoire, conclut également à la mort naturelle
  28. Mercure de février 1712, p. 1.
  29. Madame de Maintenon d’après sa correspondance authentique, t. II, p. 300 et 303.
  30. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857, t. X, p. 91, et, presque dans les mêmes termes. Additions au Journal de Dangeau, t. XIV, p. 86.
  31. Voir t. X, p. 115.
  32. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857, t. X, p. 131.
  33. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 372.
  34. Vie de Mgr de la Mothe-Fénelon, archevêque de Cambrai, p. 255.
  35. Il est remarquable que Saint-Simon se sert presque des mêmes termes : « La France tomba enfin sous ce dernier châtiment. Dieu lui montra un prince qu’elle ne méritoit pas. La terre n’en étoit pas digne ; il étoit mûr déjà pour la bienheureuse éternité. » (T. X, p. 115.)
  36. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 313-374.
  37. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 189-194.
  38. Lettres du maréchal de Tessé publiées par le comte de Rambuteau, p. 367.
  39. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857, t. X, p. 132.
  40. Œuvres complètes de Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. Vil D. 375.
  41. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857, t. X, p. 134.
  42. Madame de Maintenon d’après sa correspondance authentique, t. II, p. 302.
  43. Madame de Maintenon d’après sa correspondance authentique, t. II, p. 297.
  44. Ce mémoire a été reproduit in extenso par Proyart, t. II, p. 296.
  45. Albert Leroy, la France et Rome, p. 410 et suiv.
  46. Collection des Mémoires relatifs à l’Histoire de France par Petitot. et Monmerqué, seconde série, t. 76, p. 8.
  47. Notice sur Duclos en tête de ses Mémoires, p. 37.
  48. Voyez, dans la Revue du 1er juillet 1901, notre article sur le Duc de Bourgogne à l’armée, — le Siège de Turin.
  49. Lettres du maréchal de Tessé publiées par le comte de Rambuteau, p. 346.
  50. Le Mémoire de Tessé ne porte point de date, mais, dans le recueil de sa correspondance, il est intercalé entre une lettre du 10 février et une lettre du 27 avril 1711.
  51. Madame de Maintenon d’après sa correspondance authentique, t. II, p. 307.
  52. Michelet, Histoire de France. Édition de 1874, t. XIV, p. 184 : « On a peine à le croire », dit-il à propos de l’accusation formelle de Duclos, mais il ajoute : « Il est bien probable que, dans une si terrible occasion (le siège de Turin) où il s’agissait de sa vie (la vie de Victor-Amédée), elle l’avertit. »
  53. Mercure de France, avril 1712, p. 228 à 240.
  54. Ce mausolée est gravé en tête du Recueil des vertus de monseigneur le Dauphin, qui contient aussi plusieurs oraisons funèbres.
  55. Dangeau, t. XIV, p. 130.
  56. Oraisons funèbres du Dauphin de France et de la Dauphine. A Amsterdam, 1713, p. 25 et 26.
  57. Dangeau, étant malade, était suppléé dans ses fonctions de chevalier d’honneur par Tessé que d’O suppléait dans les fonctions de premier écuyer.
  58. Mercure de France, avril 1712, passim.
  59. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857, t. X, p. 190. Nous rappelons que Saint Simon écrivit ses Mémoires dans les dernières années de sa vie.
  60. Voyez, dans la Revue du 15 avril 1907 : Les Projets de gouvernement du Duc de Bourgogne.