La Faim

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La Faim
M. Giard & E. Brière (p. 56-57).

LA FAIM

Du pain, du pain !
Voilà le refrain
Que chante la faim.
Vive le pain !

Rois de notre république,
Occupez-vous un peu moins
De la grande politique,
Un peu plus de nos besoins.
Du pain, du pain, etc.

Chefs de sectes et d'écoles,
Ce travers vous est commun
De n'avoir que des paroles
Pour les estomacs à jeun.

La jalousie inféconde
N'excite pas nos désirs,
Gardez, ô puissants du monde,
Votre luxe et vos plaisirs.

Et cependant, quand la fête
Vous enivre de ses bruits,
Sur l'aile de la tempête
La faim entre en nos réduits.



Quand vos filles et vos femmes
S'épanouissent au bal,
Les nôtres, les pauvres âmes,
Tremblent d'un frisson fatal.

O vous qui dansez, légères,
Aux sons d'accords enivrants,
Savez-vous ce qu'à leurs mères
Disent nos petits enfants :
Du pain, du pain, etc.

Près des palais, la misère
A planté son étendard ;
Riches, des biens de la terre,
Chacun doit avoir sa part.

Modernes Sardanapales,
Que direz-vous, lorsqu'enfin
Surgiront nos faces pâles,
Au beau milieu du festin.[1]

Il sera trop tard, mes princes,
Pour faire de beaux discours ;
Quand leurs ventres sont trop minces,
Les hommes deviennent sourds.

Du pain, du pain !
Voilà le refrain
Que chante la faim,
Vive le pain !

  1. Ces vers annoncent le drame de Marsolleau « Mais quelqu’un troubla la fête… »