Le Mineur

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Le Mineur
M. Giard & E. Brière (p. 54-56).

LE MINEUR

Enfant conçu dans le délire
D'un mutuel et saint amour,
Pour lui commence le martyre
Avant d'avoir reçu le jour,
Et, dès le ventre de sa mère,
Déjà marqué d'un sceau fatal,
Il trouve au bout de sa carrière
La froide morgue ou l'hôpital.

Travaille, travaille, travaille !
Loin du soleil qui luit si beau,
Travaille, travaille, travaille !
Dans la mine, sombre tombeau.


Hélas ! le jour de sa naissance
Sa mère n'osa le bénir ;
On la vit pleurer en silence :
Elle songeait à l'avenir.
À son premier cri dans ce monde,
Il n'eut, pour apaiser sa faim.
Rien qu'une mamelle inféconde
Où sa bouche s'attache en vain.

Travaille, travaille, travaille !
Loin du soleil qui luit si beau,
Travaille, travaille, travaille !
Dans la mine, sombre tombeau.

Le père, au retour de l'ouvrage,
Prend l'enfant dans ses bras nerveux,
Et dit à sa femme :
Courage ! Je travaillerai comme deux.
La pauvre mère que déchire
La maladie et les douleurs,
À répondu par un sourire
Encor plus triste que ses pleurs.

Travaille, travaille, travaille !
Loin du soleil qui luit si beau,
Travaille, travaille, travaille !
Dans la mine, sombre tombeau.

O puissance de la nature !
L'enfant croît dans ce triste lieu,
Comme une plante sans culture
Qui pousse à la grâce de Dieu.
Sa faible main soulève à peine
La pioche et la pince de fer,
Que le père avec lui l'emmène :
Ils se plongent dans leur enfer.

Travaille, travaille, travaille !
Loin du soleil qui luit si beau,
Travaille, travaille, travaille !
Dans la mine, sombre tombeau.

Dans les entrailles d'une mine,
Séjour à la tombe pareil,
Là travaille l'homme-machine,
Manquant dair pur et de soleil.
Enseveli dans sa retraite.
Il fouille du matin au soir
Et, de temps à autre, l'on jette
À sa faim un peu de pain noir.

Travaille, travaille, travaille !
Loin du soleil qui luit si beau,
Travaille, travaille, travaille !
Dans la mine, sombre tombeau.

Il grandit, nouveau sacrifice !
Il entend l'appel du tambour ;
L'État le prend pour le service.
Sors de ces lieux, affreux séjour,
Où ton corps chétif se déforme,
Allons, conscrit, redresse-toi !
Tu vas revêtir l'uniforme
Et devenir soldat du Roi.

Travaille, travaille, travaille !
Loin du soleil qui luit si beau,
Travaille, travaille, travaille !
Dans la mine, sombre tombeau.

Embrasse ton père et ta mère.
Puis sous les drapeaux prends ton rang ;
Va donc, enfant du prolétaire.
Tu n'as pas d'or, donne ton sang !
Car, vois-tu bien, l'or seul exempte
D'avoir du courage et du cœur.
Celui qui possède une rente
N'a pas besoin d'autre valeur.

Travaille, travaille, travaille !
Loin du soleil qui luit si beau,
Travaille, travaille, travaille !
Dans la mine, sombre tombeau.


Du riche ayant payé la dette,
Tu reviens, las de guerroyer ;
Mais la mort, hôtesse muette,
S'est assise au pauvre foyer.
Ta mère n'est plus et ton père
Gît sur une paille en fumier ;
Bientôt il meurt.
Pour qu'on l'enterre.
Tu donnes ton écu dernier.

Travaille, travaille, travaille !
Loin du soleil qui luit si beau,
Travaille, travaille, travaille !
Dans la mine, sombre tombeau.

Doux miracle de la jeunesse !
L'amour a fait battre ton cœur.
Et, même au sein de la détresse,
Il te fait rêver au bonheur.
Hàte-loi, prends une compagne.
Soi heureux avant de mourir.
Car le mal du mineur te gagne...
Il ne fait pas longtemps souffrir.

Travaille, travaille, travaille !
Loin du soleil qui luit si beau.
Travaille, travaille, travaille !
Dans la mine, sombre tombeau.

Mars 1851.