La Farce de Maître Pathelin, traduction Fournier, 1872/Préface

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Anonyme
Traduction par Édouard Fournier.
Librairie des Bibliophiles (p. 9-14).

PRÉFACE



Notre intention était de faire précéder d’un travail historique aussi complet que possible la « restitution » ou « traduction en vers modernes » de la Farce de Pathelin, que vient de jouer la Comédie-Française, et que nous publions ici.

Nous y avons renoncé pour plusieurs raisons, dont les principales sont le manque d’espace et le manque de temps.

Le succès de la représentation a été incontestable ; il est de notre devoir de prouver qu’il n’a pas été surpris, en nous hâtant de donner au public les moyens de juger que la pièce applaudie par lui est bien celle du XVe siècle, et que notre seule tâche a été de la « restituer ».

Or il n’y a qu’une prompte publication, faite, comme l’est celle-ci, avec les deux textes en regard, qui puisse lui donner ce moyen de contrôle immédiat.

Nous avons par conséquent tout sacrifié l’exigence d’une publicité sans ajournement possible, à la promptitude de mise au jour.

Notre travail ici n’est pas d’érudition, mais de littérature, il ne faut donc que quelques explications historiques.

Plusieurs bons juges qui ont entendu notre Prologue nous assurent qu’il y suffit, et nous les en croyons.

Il s’est, nous dit-on, fort bien fait comprendre, mais certainement la verve de Mlle  Marte Royer, qui joue la Farce avec tant d’esprit et d’éclat, en compagnie de Mlle  Lloyd, la Comédie, qui lui donne la réplique si bien et de si haut, doit y être pour beaucoup.

L’étude érudite que comporte le Pathelin ne pouvait être qu’ailleurs, aussi est-ce ailleurs que nous l’avons mise. Au même moment où paraîtra ce petit volume, nous en publierons un autre, bien plus considérable, le Théâtre français avant la Renaissance, lequel se trouve Pathelin, avec l’escorte de notice et de notes dont il a besoin quand du théâtre il passe dans l’histoire, et avec l’accompagnement d’autres farces du même temps, mais non du même mérite, qui, par la comparaison, ne feront que mieux ressortir sa supériorité.

Cette supériorité, qui en fit la fortune il y a quatre siècles, vient encore d’en faire le succès. Il est, nous le répétons incontestable, et il nous cause le plus vif plaisir, non parce que nous y sommes pour quelque chose, mais parce que le public, en applaudissant, a bien voulu consacrer la véritable conquête dont cette « restitution » dote le théâtre français.

Les lettrés, qui doivent tous connaître et comprendre la pièce même, n’en feront peut-être pas grand cas ; mais, pour les spectateurs ordinaires, elle aura certainement son prix.

Jusqu’ici, ils pouvaient penser que la farce de Maître Pathelin était une comédie du XVIIIe siècle, due tout entière à Brueys, qui la mit en prose sans l’avoir beaucoup comprise, et rajeunie, il y a quinze ans à peu près, en opéra-comique.

Aujourd’hui ils sauront que la comédie et l’opéra-comique viennent l’un et l’autre de la vieille farce, et que celle-ci a quatre cents ans d’âge, c’est-à-dire deux siècles de plus que Corneille et Molière.

Ces deux siècles sont la conquête dont nous parlions. Notre théâtre devient ainsi l’aîné, l’ancêtre de tous les théâtres européens, et non pas un aîné, un ancêtre barbare, mais un véritable Français déjà.

Nous n’avons rien négligé pour le faire comprendre, et ce qu’il nous a fallu de peine ne peut se calculer ; mais nous sommes récompensé au delà de nos vœux : on a compris, la conquête est faite ; l’esprit français, qui s’est reconnu, est remonté d’un bond a deux siècles plus loin que Molière.

Au lieu de dater son théâtre du temps de Louis XIII, il le datera du règne de Louis XI, peut être même de celui de Charles VII.

Pour nous, en effet, la vraie date du Pathelin doit être là, tout près de l’invasion anglaise, comme son réveil, hélas ! tout près de l’invasion allemande.

Nous rentrons avec lui en pleine possession des origines de notre esprit.

Ne nous en éloignons plus, soyons définitivement nous mêmes.

Un pays qui laisse envahir son génie par les œuvres de l’esprit des autres, et son originalité par l’imitation des littératures étrangères, se prépare inévitablement à l’autre invasion.

Nous ne resterons pas sur cette idée sinistre, nous reviendrons pour finir au succès de Pathelin ressuscité.

Il le doit, ce succès, à lui-même, et à la façon dont la Comédie-Française l’a fait revivre, avec l’admirable mise en scène de M. Perrin, la verve étonnante de Mlle  Jouassain-Guillemette, l’adorable bonhomie de Barré-Guillaume, l’art madré d’Ernest Coquelin Aignelet, l’incomparable ahurissement de Kime-le Juge, le talent de Got, monté pour le rôle de Pathelin jusqu’au suprême du génie comique, en ses nuances d’esprit, de verve, de gaieté et de fantaisie les plus diverses.

DISTRIBUTION DES RÔLES
à la comédie-francaise

PROLOGUE
LA FARCE, Mmes Royer.
LA COMÉDIE, Lloyd.


PIECE
PATHELIN, MM. Got.
GUILLAUME, Barré.
LE JUGE, Kime.
AIGNELET, Coquelin cadet.
GUILLEMETTE, Mme  Jouassain.