La Farce de Maître Pathelin, traduction Fournier, 1872/Prologue

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Anonyme
Traduction par Édouard Fournier.
Librairie des Bibliophiles (p. 15-26).
PROLOGUE


LA COMÉDIE — LA FARCE

La comédie.

Donc vous êtes la Farce, et vous osez le dire
Ici !

La farce.

Ici !Pourquoi donc pas, puisqu’ici j’ose rire,
Et comme on riait au bon temps,
Non comme vous, du bout des dents.
Madame de la Comédie ?

La comédie.

Vous comparer à moi ! Vous êtes bien hardie !
Vous le prenez là…

La farce.

Vous le prenez là…Comme il faut.
C’est vous qui le prenez trop haut.
Vous n’êtes que mon écolière.

La comédie.

Ah ! je vous trouve enfin par trop familière

La farce.

Quand nous allions, souvenez-vous,
Tenant bras dessus, bras dessous,
Toutes les deux l’ami de Molière,
Vous n’étiez pas si cavalière
Avec moi : caresse, douceur,
Sourire, accueillaient votre sœur.

La comédie.

Vous ma sœur !

La farce.

Vous ma sœur ! Certes, et l’aînée
De beaucoup. Je suis même née
— Mais ceci tout bas entre nous —
Un peu plus française que vous.

La comédie.

Par exemple ! je suis alors…

La farce.

Par exemple ! je suis alors…Une étrangère,

Que fit admettre à la légère
La mode, qu’on prit pour le goût.
Vous venez un peu de partout :
Grecs, Latins de la Renaissance,
Furent de votre connaissance
Intime, et, sous prétexte d’art,
Vous barbouillèrent de leur fard.
Il vous en reste sur la joue.
Moi, le latin me désavoue,
Hélas ! pauvre Caquet bon-bec,
Et je ne comprends pas le grec.
Vos grâces se sont arrangées
De leurs vieilles fleurs mélangées ;
Puis en vos premières saisons
Vous y joignîtes les façons
D’une intrigante d’Italie.
Puis…

La comédie.

Puis…Encor !

La farce.

Puis… Encor ! Certes, car j’oublie
Ce que vous avez d’espagnol !
Moi, je suis la fille du sol ;
J’ai — la plus fière en serait vaine —
Du sang de France en chaque veine.
Le seul vrai rire où je me plais
Rit dans Molière et Rabelais ;
Je vis de l’air, des folles courses,
Et n’ai pour fard que l’eau des sources.

L’esprit gaulois qui me lança
À travers pays me dit : « Çà,
Parle, chante, mords et fais rire. »
Un coin de borne pour écrire
Tout : pièces, rôles, écriteaux ;
Pour scène, deux mauvais tréteaux ;
Pour décors, quelques pans de toile,
Et pour lustre, la belle étoile :
Tel fut, en gros comme en détail,
Mon théâtre, nu, mais sans bail.

La comédie.

Qui jouait ?

La farce.

Qui jouait ? Tout le monde…

La comédie.

Qui jouait ? Tout le monde… Ah ! troupe…

La farce.

Qui jouait ? Tout le monde… Ah ! troupe…Toujours prête.

La comédie.

Et vous couriez ?

La farce.

Et vous couriez ? Partout.

La comédie.

Et vous couriez ? Partout.Vous aviez ?

La farce.

Et vous couriez ? Partout. Vous aviez ? La charrette.
Le rire marquait nos relais.
Jusque chez les clercs du Palais,
Je vins… aux halles…

La comédie.

Je vins… aux halles…Pouah !

La farce.

Je vins… aux halles… Pouah ! Soit ! cela sent la crotte

La comédie.

Un peu.

La farce.

Un peu.La craint-on lorsqu’on trotte,
Le pied léger, en jupon court ?
Et, vif comme moi, mon vers court.

La comédie.

Ta, ta, ta, ta, ta, ta, ta, ta ! quel rhythme étrange !

La farce.

Le mien.

La comédie.

Le mien.Toujours ?

La farce.

Le mien. Toujours ? Toujours.

La comédie.

Le mien. Toujours ? Toujours.Changez.

La farce.

Le mien. Toujours ? Toujours. Changez.Pour perdre au change ?
Non, gardez votre alexandrin.
Je ne vais pas du même train
Que le Cid ou le Misanthrope,
Je prends donc le vers qui galope.

La comédie.

Et que nous direz-vous sur ce rhythme au galop ?

La farce.

Pathelin.

La comédie.

Pathelin.L’Avocat ! Ah ! je le connais trop.

La farce.

Non.

La comédie.

Non.Comment ?

La farce.

Non. Comment ? Soit dit sans reproche :
Moi, c’est celui de la Bazoche,
Le vrai, que j’apporte céans,
Qui devança de deux cents ans
Molière. Je veux qu’il renaisse,
Pour bien fixer le droit d’aînesse
Que l’on conteste à l’art français.
Il viendra battre en ce procès

L’art allemand, dont l’humble étrenne
N’était qu’une farce foraine,
Quand Pathelin riait ici ;
Et l’art de l’Angleterre aussi,
Car il vint bien avant Shakespeare,
Il a, soyons fiers de le dire,
Ce vieux vin que rien n’a gâté,
Quatre siècles, tout bien compté.

La comédie.

Grand merci de la nouveauté !

La farce.

Mais, dame ! il faudra qu’on le prenne,
Comme le fruit, d’après sa graine,
Tel qu’il est, retors et matois,
Avec son style, et ses patois.

La comédie.

Ses patois !

La farce.

Ses patois ! Le drôle en dégoise
Sept coup sur coup, qu’il entrecroise.
Qu’il mêle et brouille, fin et dru,
Chacun avec l’accent du cru.

La comédie.

Bizarrerie !

La farce.

Bizarrerie ! Indispensable :
La farce alors, la véritable,

Eut toujours son coin de jargon.
De là même lui vint son nom.
Pour être vraie et réussie,
Il fallait qu’elle fût farcie,
— Notez ce mot — de quelques vers
Pris à des baragouins divers.

La comédie.

Avec un avocat la partie était belle :
Sept langues à la fois ! pour cette kirielle
De mots, de tons, d’accents de toutes les couleurs,
On ne pouvait trouver mieux qu’un de ces parleurs
Dont il faut qu’au palais la voix nous assourdisse
Et qui n’ont jamais trop de bruits à leur service.
Et la pièce ? Y voit-on du moins un peu d’amour ?

La farce.

Non.

La comédie.

Non.Non ! Décidément, vous n’êtes pas du jour.
Donc, vieux mot, vieil esprit, vieux types, et le reste.

La farce.

Vieux mots, c’est vrai.

La comédie.

Vieux mots, c’est vrai.Gros et menus.

La farce.

Vieux mots, c’est vrai. Gros et menus.Gros surtout.

La comédie.

Vieux mots, c’est vrai. Gros et menus. Gros surtout.Peste I

La farce.

Entendrez-vous sans vous fâcher :
« Rigoler » ?

La comédie.

« Rigoler » ? Diable !

La farce.

« Rigoler » ? Diable ! « Remoucher » ?

La comédie.

Oh !

La farce.

Oh ! C’est du temps.

La comédie.

Oh ! C’est du temps.La langue était familière.

La farce.

D’autres encore…

La comédie.

D’autres encore…Oh ! oh !

La farce.

D’autres encore… Oh ! oh ! Mais qui sont dans Molière.

La comédie.

Soit.

La farce.

Soit.Un dernier petit détail —
Pour vous épargner le travail
Dont le plus érudit s’effraye :
— Alors, le sou, noble monnaie,
Qu’on fit bien déchoir de son rang,
Valait ce que vaut notre franc ;
Pour reçu d’or, valeur courante,
Il en fallait aligner trente.
Cela dit, suivez jusqu’au bout,
Et, s’il se peut, prenez en goût
Notre farce. Dans la lumière
De sa naïveté première
On veut la remettre aujourd’hui.
Plus rien ne lui viendra d’autrui.
On la verra comme elle est née.
Sa robe un peu vieille et fanée
Avait perdu de ses couleurs,
On en a ravivé les fleurs,
Mais d’une main tendre, discrète.
Pour quelques mots qui sont partis
S’il en est d’autres qu’on lui prête
Ils sont de leur mieux assortis.
En s’ingéniant pour la rendre
Telle que jadis elle a plu,
Il fallait la faire comprendre :
C’est tout ce que l’on a voulu.
La voici donc, je vous le jure,
En l’état de simple nature,
Sans oripeaux, sans falbalas,

Mais aussi sans morale, hélas !
On y va corsaire à corsaire,
Et le vol s’y fait fanfaron.
Si la morale est nécessaire,
Je n’en verrai qu’une sincère :
Celle du troisième larron.

La comédie.

Et l’auteur ? Quel est il ? vous devez, je suppose
Le savoir…

La farce.

Le savoir…Non.

La comédie.

Le savoir… Non.Serait-ce une énigme ?

La farce.

Le savoir… Non. Serait-ce une énigme ? Sans clé.
Je n’en parle pas, et pour cause :
Lui-même, hélas ! n’a pas parlé,

La comédie.

François Villon ?

La farce.

François Villon ? Qui sait ? le drôle
Eut tout de l’œuvre : adresse, esprit ;
Fripon, il eût joué le rôle,
Et poëte, il l’aurait écrit.
Bref, entre beaucoup on balance,

Chaque ville voudrait le sien ;
Ne lui faisons pas violence.
Pour le laisser dans son silence,
Le mieux est de n’en dire rien.

La comédie.

Et de commencer.

La farce.

Et de commencer.Je commence.

La comédie.

Amuserez-vous ?

La farce.

Amuserez-vous ? Je le pense.

La comédie.

Moi j’en doute.

La farce.

Moi j’en doute.Nous verrons bien.


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