La Femme Auteur, ou les Inconvéniens de la célébrité/Tome 1/XVI

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CHAPITRE XVI.




La rencontre du vieil invalide avait fait une vive impression sur madame de Simiane : entraînée par sa bienfaisance naturelle, et par une impulsion secrète, elle résolut de n’être pas moins généreuse qu’Amador, et de contribuer à améliorer le sort de l’indigente famille du bon soldat. Occupée de cette idée, elle se rendit dès le lendemain à Aulnay ; elle trouva le brave Ambroise assis à la porte de Claudine, il jouait avec ses deux petits enfans, qu’il tenait sur ses genoux ; dès qu’il aperçut la marquise, il les posa vîte à terre, s’avança vers elle, et la conduisit dans la cabane, qu’il fit retentir des éclats de sa joie. Claudine interdite, mais enchantée de cette visite inattendue, présenta à la marquise un vieux fauteuil de tapisserie, seul meuble qui, avec des bancs de sapin, une vieille table et une mauvaise couchette, garnissaient une très-petite chambre, dont l’extrême propreté déguisait la misère. Ambroise avait à peine exprimé à madame de Simiane combien il était reconnaissant de sa démarche, qu’elle vit entrer une jolie brune de dix-sept à dix-huit ans, portant sur ses épaules une charge de bois. — Georgette, lui dit la pauvre veuve, approche-toi, viens saluer madame ; c’est elle dont notre père fit hier l’heureuse rencontre, et dont il nous vantait la bonté, en nous disant qu’elle égalait celle de son général. — Georgette salua respectueusement la marquise. — À présent, ajouta Claudine, va traire notre vache ; j’espère, dit-elle, que Madame voudra bien accepter un verre de lait chaud, que je puis lui offrir, grâces aux bienfaits de M. de Lamerville. Ah ! quel homme que ce M. de Lamerville ! généreux, sensible et brave ; toute l’armée, dit-on, répète à l’envi ses louanges. Avec quelle ferveur je prie le ciel qu’il bénisse le protecteur de mon vieux père ! — Madame de Simiane, émue jusqu’aux larmes, et de cet éloge, et du ton avec lequel Claudine le prononça, lui serra affectueusement la main en s’écriant : Ah ! que ne peut-il jouir comme moi de la touchante expression de votre reconnaissance ! Dans ce moment, Georgette revint avec une jatte pleine de lait. Ambroise, qui l’avait suivie, rapportait quelques fruits et un pain de seigle. Pendant que madame de Simiane partageait avec eux ce goûté frugal, l’invalide parlait avec transport de ses campagnes et de son général ; il ne faisait que répéter ce qu’il en avait dit la veille, et pourtant Anaïs ne se lassait pas de l’entendre.

La chute du jour l’avertit de songer à la retraite ; elle ne voulait cependant pas sortir de la chaumière sans trouver les moyens d’être utile à ses habitans : elle s’informa de leur manière d’exister, et demanda à Georgette quelles étaient ses occupations. J’aide ma mère dans les soins du ménage, dit la jeune fille, puis je travaille aux champs, ou je vais chercher du bois dans la forêt. — Vous devez être bien lasse le soir. — Oh ! je vous en réponds. — Et vous gagnez peut-être peu de chose ? — Très-peu. — Voulez-vous venir avec moi, je vous occuperai à des travaux plus doux, et vous gagnerez davantage. — Je vous remercie, Madame, mais que deviendrait ma mère ? je ne puis l’abandonner. — Je demeure près d’ici, vous viendrez souvent la voir. — Oh ! souvent, ce n’est pas soir et matin. — Vous pourriez réserver pour elle une partie de vos épargnes ; je ne la laisserais d’ailleurs manquer de rien. — Cela est bien tentant, mais Henry, que dirait-il ? nous ne pourrions plus nous voir. — Quel est cet Henry ? — Mon prétendu, Madame. — Vous l’aimez beaucoup ? — Je l’aime… comme j’aime ma mère, c’est tout dire. — Quel est son état ? — Il est laboureur. — Quand devez-vous l’épouser ? — Oh ! pas de sitôt, par malheur ; il lui faut bien deux moissons avant qu’il ait amassé de quoi monter notre ménage, parce qu’il a soin de son père qui est infirme et vieux. — Vous chérissez ce père ? — Certainement ; n’est-ce pas à lui que je dois mon Henry ? — Mais quand vous épouserez Henry, vous quitterez votre mère. — Non, vraiment, Madame ; ma mère, Henry, le vieux père et moi, nous vivrons tous ensemble. — Vos sentimens me plaisent, Georgette ; j’avancerai le moment de cette réunion ; voilà vingt-cinq louis que je vous donne ; je veux que la noce ait lieu promptement. — Georgette, étonnée de son bonheur, balbutie quelques mots et baise mille fois les mains de la marquise ; Claudine reste muette de joie, Ambroise tombe à genoux et s’écrie : Mon Dieu, je te rends grâces d’avoir assez vécu pour assister au mariage de ma Georgette ! Récompense, mon Dieu, sa généreuse bienfaitrice, en lui accordant un époux digne d’elle ! Ah ! si mon général pouvait être cet époux ! Ce vœu fait tressaillir Anaïs, elle s’élance hors de la chaumière, et part environnée des bénédictions de l’honnête famille.