La Femme Auteur, ou les Inconvéniens de la célébrité/Tome 1/XVIII

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CHAPITRE XVIII.




Le mariage de Georgette fut célébré la semaine suivante. Deux jours après cette fête, les jeunes époux partirent de leur village, pour conduire Ambroise s’installer aux Invalides. Tous trois passèrent par Villemonble, pour témoigner leur gratitude à la marquise : ils reçurent de nouveaux présens, et donnèrent de nouvelles bénédictions.

Les noces de Rosine ne tardèrent pas à suivre celles de Georgette. M. de Lamerville et madame de Simiane leur firent l’honneur de leur servir de parens. Le duc, enchanté du bonheur de Félix, paraissait rajeuni. Que ne puis-je, dit-il à voix basse à la marquise, que ne puis-je vous accompagner ainsi aux autels avec mon Amador. Anaïs ne souriait qu’à demi à ce discours. L’auguste cérémonie dont elle était témoin, lui rappelait celle qui l’avait engagée, sept ans auparavant, à M. de Simiane. Son père, alors, son tendre père marchait à ses côtés, sa mère la soutenait de son regard ; elle croyait trouver un protecteur, un amant, un ami dans l’époux qu’elle recevait de leur main. Cet époux n’avait été pour elle qu’un hôte poli ; son père et sa mère étaient descendus, prématurément, dans la tombe. Si jeune encore, elle avait déjà vu tant mourir ! Elle était sur le point d’accuser la Providence, mais ses yeux rencontrèrent ceux de Mr. D., qui se fixaient sur elle avec anxiété ; elle se reprocha la secrète ingratitude dont elle venait d’être coupable envers lui, et parvint à surmonter sa tristesse.

M. de Lamerville ayant fait venir son notaire à Villemonble, pour dresser le contrat de mariage de Félix, profita de cette occasion pour lui dicter ses dernières volontés : cette précaution fut prise à temps ; ce vénérable vieillard mourut bientôt après, d’une attaque de goutte dans l’estomac. À l’approche de son heure dernière, il remit à madame de Simiane le portrait de son neveu, en lui disant : c’est à vous désormais qu’il doit appartenir : puis, s’adressant à Mr. D… J’ai compté sur vous, poursuivit-il, pour veiller à l’exécution de mon testament. Quoique vous ne connaissiez pas mon neveu, j’espère que vous l’aimerez par amitié pour moi ; promettez-moi, au nom de notre ancien attachement, que vous travaillerez de tous vos efforts à l’accomplissement de mes vœux. Mr. D… fit à son ami la promesse qu’il désirait ; le duc le remercia d’une voix faible, prit la main d’Anaïs, l’approcha de ses lèvres éteintes, et rendit le dernier soupir.

M. de Lamerville avait constitué son neveu Amador de Lamerville son légataire universel, sous la condition expresse qu’il épouserait madame de Simiane. Si son neveu se refusait à ce mariage, madame de Simiane devenait, de droit, légataire universelle à sa place : Mr. D… était exécuteur testamentaire.

On fit des obsèques magnifiques à M. de Lamerville ; tous les habitans de Villemonble les suivirent en fondant en larmes : il n’y en avait pas un qui ne fût redevable d’un bienfait à celui qui n’était plus.

La marquise chargea Félix de faire une note exacte des indigens auxquels son maître distribuait des secours, afin de les leur continuer. Elle ordonna qu’on construisît un mausolée au duc, à peu de distance de celui qu’elle avait fait élever à ses parens : Il voulut aussi mon bonheur, pensa-t-elle, je lui dois aussi un hommage et des regrets !

La mort de M. de Lamerville avait sensiblement affligé Mr. D… ; il perdait en lui la dernière personne avec laquelle il avait été intimement lié. Cet événement le livrait à de sombres réflexions ; il se répétait souvent : Heureux celui qui meurt dans son adolescence ! il n’eut personne à pleurer, et tout le monde le pleure !

Mr. D… écrivit une lettre affectueuse au général en lui envoyant une copie du testament de son oncle. Comme la réponse ne pouvait arriver de suite, et qu’il avait reçu des nouvelles qui rendaient sa présence nécessaire à Vernon, où il avait une propriété assez considérable, il se décida d’y aller. Madame de Simiane, qui n’était pas dans une situation d’esprit assez tranquille, pour ne pas être effrayée d’une solitude entière, le suivit dans ce petit voyage.