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La Femme Auteur, ou les Inconvéniens de la célébrité/Tome 2/I

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CHAPITRE PREMIER.




La vie ressemble à une coupe d’eau limpide, qui se trouble à mesure qu’on la boit. Anaïs n’avait encore éprouvé aucun de ces chagrins qui amènent à leur suite la défiance. La mort de ses parens avait brisé son cœur sans le flétrir. Un homme sensible et respectable était devenu son consolateur et son appui. Les premiers pas qu’elle avait faits dans la carrière des arts, avaient été marqués par des succès. Elle n’avait souffert ni de l’injustice ni de l’ingratitude de personne. À peine venait-elle de faire le sacrifice généreux de sa fortune à la mémoire de son époux, qu’elle en avait retrouvé une dans celle de son ami. Rien n’avait terni pour elle la fraîcheur des illusions de la jeunesse. Elle s’était abandonnée avec délices à celles de l’amour ; mais l’amour allait lui ravir cette douce confiance qui prête tant de charmes à tous les sentimens. La nature ne lui présentera plus un aussi riant aspect. Les rêves de la gloire, les plaisirs de l’amitié ne lui suffiront plus. Elle avait entrevu une félicité plus vive, plus entière ; et sans en avoir joui un instant, elle allait la regretter sans cesse.

La marquise avait senti se réveiller, sur la tombe de son père, ce juste sentiment d’orgueil qui parle si fortement à l’ame des personnes d’un esprit supérieur, lorsqu’elles se croient offensées. Ce sentiment lui donna le courage momentané de renoncer à un amour sans espérance, et le désir d’imprimer plus d’éclat à son nom. Ce désir, qui n’était que l’effet d’un noble dépit, trompa madame de Simiane ; elle crut ne plus aimer, et quand elle vint retrouver Mr. D., ses traits offraient l’empreinte d’une dignité calme, qui le surprit et le charma.

Vous avez dû être étonné, lui dit-elle, de l’impression que j’ai reçue de la lettre qui vous est arrivée ce matin. Je vais vous révéler ce que je vous ai tu long-temps, ce que long-temps je me tus à moi-même. J’aimais monsieur de Lamerville ; mon souhait le plus ardent était de lui plaire, de lui appartenir. La gloire dont il s’est couvert, les éloges que son oncle m’a faits de lui, l’admiration générale qu’il inspire, et peut-être aussi le besoin de ce rare bonheur dont l’image frappa mes yeux dans mon enfance, bonheur que je n’aurais jamais cru payer trop cher, tout a conspiré à livrer mon cœur à M. de Lamerville. J’aurais tout sacrifié pour obtenir le sien ; oui, tout, excepté mon attachement pour vous. (Mr. D. la remercia par un regard). Elle continua : Depuis quelque temps il était le mobile secret qui dirigeait mes actions ; le souvenir de mon père ne se mêlait plus que légèrement à mes travaux. C’était surtout pour cet étranger que je voulais embellir mon front du laurier des Muses. La disposition que le duc avait faite en ma faveur, accrut le penchant que je nourrissais pour son neveu. J’étais loin d’imaginer qu’il pût refuser ma main : en l’aimant je crus aimer mon époux. Oh ! quel avenir enchanteur se découvrait à moi ! Je voyais l’amitié, la gloire, l’amour m’enchaîner de leurs triples liens de fleurs ; mais le ciel n’a point voulu que tant de biens fussent à la fois le partage d’une simple mortelle : je dois me soumettre à ses lois. Voici le portrait qui me fut donné par le duc, à l’instant de sa mort : veuillez le faire rendre, le plus tôt possible, à M. de Lamerville, avec les tableaux de famille qu’il réclame. Quant à ce funeste héritage qu’on m’abandonne si facilement, ne m’approuverez-vous pas de le remettre à celui qui avait plus de droit que moi d’en jouir. — Gardez-vous bien de cet acte public de désintéressement, on pourrait soupçonner qu’il a pour objet d’engager le général à céder aux désirs de feu son oncle. Croyez-moi, mon Anaïs, prenez sur-le-champ possession de la fortune qui vous est léguée, sauf à ne la regarder que comme un dépôt dont vous vous dessaisirez avec honneur quand vous aurez fait un nouveau choix. — Je renonce à l’amour, dit madame de Simiane ; mais M. de Lamerville, ajouta-t-elle en soupirant, n’a sans doute pas renoncé au mariage, ainsi je lui garderai les biens de son oncle, pour présent de noces ; j’en accumulerai scrupuleusement tous les revenus, et je les lui rendrai aussi à cette époque.

Mr. D. s’entretint avec Anaïs, des affaires de la succession de M. de Lamerville : les soins de sa liquidation l’obligeaient de passer quelques mois à Paris. Madame de Simiane consentit d’autant plus volontiers à l’y suivre, qu’on allait entrer dans l’hiver. Comme elle ne voulait pas habiter l’hôtel qui avait appartenu au feu duc, elle envoya Félix louer une maison petite, mais commode, dans le faubourg Saint-Germain, et fut s’y établir avec son ami.