La Femme Auteur, ou les Inconvéniens de la célébrité/Tome 2/V

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CHAPITRE V.




Le lendemain de la visite de Georgette, le comte de Saint-Elme arriva l’après-dînée à Villemonble. Vous m’avez permis, dit-il à la marquise, de venir passer quelques jours dans votre retraite ; j’accours jouir avec transport de cette permission dont je suis digne maintenant. Mon cœur, libre enfin d’amour et de regrets, ne calomnie plus la nature et les arts ; je sentirai encore mieux leurs charmes auprès de vous : voulez-vous me recevoir ? La marquise répondit à M. de Saint-Elme par un compliment flatteur, et lui demanda s’il avait encore entendu parler de Mme de Rostange. — Oublions cette femme méprisable, dit-il ; je me félicite du caprice qui l’a livrée à M. de Lamerville : il m’a évité les douleurs et la honte dont elle a couvert son second époux, le comte de Rinaldy. Ce seigneur trompé, comme je le fus, par les larmes feintes et la feinte douceur de Florestine, lui a donné son nom et sa fortune. Elle a déshonoré l’un, dissipé l’autre. M. de Rinaldy est mort fou ; son indigne veuve, jetée en prison pour dettes, eut recours à un lord qui avait été son premier amant, et qui se trouvait à Paris. Ce lord ayant acquis la certitude qu’elle lui était de nouveau infidèle, l’a poignardée dans un accès de fureur, et s’est ensuite tué lui-même d’un coup de pistolet.

La marquise présenta le comte à Mr. D…, et le conduisit se promener dans son parc, dont il lui tardait de parcourir les charmans détours. Il s’extasiait sur les beautés nouvelles qu’il y découvrait. Comme il s’approchait d’une grotte bâtie en granit, du haut de laquelle tombait une cascade d’eaux vives, il s’écria : Oui, telle était jadis l’habitation des Nymphes ! Au même instant, il vit sortir de cette grotte une jeune personne vêtue d’une robe de mousseline ; ses cheveux noirs étaient entourés d’une guirlande d’œillets blancs ; elle portait à sa main une corbeille de fleurs. Elle jeta un regard furtif sur madame de Simiane, vit qu’elle n’était pas seule, et s’enfuit d’un pas rapide et léger à travers les bosquets. — Est-ce Flore qui vient de m’apparaître ? demanda M. de St.-Elme. ― La marquise lui raconta l’histoire de mademoiselle de Waldemar. Le mépris que Saint-Elme avait pour Florestine s’en accrut ; il parut touché de pitié pour Clémence, d’intérêt pour sa sœur. Je vous envie, dit-il à la marquise, le bonheur que vous avez eu de sauver de l’abandon cette jeune personne. Ils s’entretinrent long-temps d’Amélie, et revinrent au château. L’orpheline était dans le sallon, occupée à lire un passage de la Bible : elle se leva, quitta son livre, et essuya quelques pleurs qui coulaient sur ses joues. — Que lisiez-vous donc, ma chère, qui vous a si fortement attendrie ? demanda la marquise. — L’histoire de Ruth. — Et cela vous émeut à ce point ? dit le comte. — Objet de la bienfaisance, répondit Amélie, tout ce qui m’en parle s’adresse directement à mon cœur. — Touchante sensibilité ! prononçа le comte.

Il était tard ; on servit le souper. M. de St.-Elme, placé entre madame de Simiane et Amélie, avait, sans s’en apercevoir, plus de petits soins pour cette dernière que pour l’autre ; et quand l’heure de se retirer fut venue, il adressa à l’orpheline un regard qui lui disait : « Vous avez acquis en moi plus qu’un ami. »

Il y eut un orage violent cette nuit. La pluie tomba toute la journée le lendemain : il fut impossible de songer à la promenade. On se rassembla le soir pour faire une lecture en commun. Connaissez-vous la comédie de Nanine ? demanda Saint-Elme à mademoiselle de Waldemar. — Non, Monsieur. — Si la marquise y consent, je la lirai. — Je ne demande pas mieux, répondit madame de Simiane.

Le comte avait un organe agréable et flexible ; il lut cette pièce avec art, et mit beaucoup de chaleur dans le rôle d’Olban, qu’il voulait faire ressortir. L’orpheline quittait quelquefois sa broderie pour prêter plus d’attention au lecteur. Quand la lecture fut achevée, Saint-Elme questionna Amélie sur le personnage de la pièce qui lui plaisait le plus. Celui de la marquise, répondit Amélie ; sa tendresse pour Nanine est constante et désintéressée. — N’aimez-vous pas d’Olban ? — Il a banni Nanine sur un simple soupçon. — Il était amoureux, jaloux, voilà son excuse. — Elle était pauvre, dépendante, il devait craindre d’être injuste envers elle. — Ainsi, à la place de Nanine, vous n’auriez pas eu pour le comte l’aimable indulgence qu’elle montra. — Oh ! je la trouve naturelle, il était le fils de sa bienfaitrice. — Que ne suis-je votre frère ! dit Saint-Elme à madame de Simiane.

Mr. D. arriva. L’entretien changea de sujet. Cependant, Saint-Elme trouva le moyen de placer quelques mots à double entente, dont le véritable sens ne fut pas perdu pour Amélie.

Le comte ne devait rester qu’une semaine à Villemonble : il y était depuis un mois et ne songeait pas à le quitter. S’il avait adoré Florestine, il idolâtrait Amélie. Il ne s’était pas permis de lui parler de son amour ; mais il le lui avait déclaré de cent manières. Elle trouvait chaque matin dans son appartement les fleurs qu’elle aimait. Les arbres de la forêt étaient couverts de son chiffre uni à celui du comte. Il faisait quelquefois dans la conversation le portrait de la femme dont il souhaiterait d’être l’époux, et ce portrait était toujours celui de l’orpheline. Cependant elle n’avait laissé apercevoir aucune préférence pour Saint-Elme ; l’image de l’infortunée Clémence la tenait en garde contre un amour séducteur. Un accident qui n’eut aucune suite fâcheuse mit en défaut sa prudence. Le comte fit une chute ; on le rapporta au château avec le pied démis. Les alarmes de mademoiselle de Waldemar dévoilèrent le secret qu’elle renfermait dans son cœur. L’heureux Saint-Elme partit confier son amour et ses projets à sa mère. Elle revint avec lui à Villemonble. Amélie lui plut, elle la donna pour épouse à son fils.