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La Femme Auteur, ou les Inconvéniens de la célébrité/Tome 2/VI

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CHAPITRE VI.




Les noces du comte ajoutèrent au chagrin que la marquise nourrissait depuis l’époque de sa rencontre avec M. de Lamerville. L’aspect de l’amour des jeunes époux répandait, malgré elle, un trouble douloureux dans son ame : elle comparait, avec amertume, sa situation à la leur. En vain allait-elle chercher des forces sur la tombe de son père, contre le sentiment qui la dominait, elle y était sans cesse poursuivie par l’image des trois couples fortunés qui l’entouraient. Non, disait-elle ; non, mille ans de gloire ne valent pas un jour de leur pure félicité.

Amélie voyait, avec une vive inquiétude, la tristesse toujours croissante de la marquise : elle avait découvert que cette tristesse était l’effet de l’amour, mais elle ignorait les particularités de cet amour, et n’osait interroger sa bienfaitrice. Une circonstance imprévue lui valut une confidence qu’elle désirait et craignait à la fois d’obtenir.

On envoyait de Paris, à M. de Saint-Elme, tous les ouvrages nouveaux : il les lisait le soir aux dames, tandis qu’elles travaillaient à des ouvrages de leur sexe. Parmi les brochures qui venaient de paraître, se trouvait une épître à l’obscurité. Le comte commença la lecture de cette épître : on y remarquait ces vers :


Que je vous plains, ô vous dont les noms trop célèbres
Ont, immortalisés par d’éclatans revers,
D’une misère illustre effrayé l’univers !
Le mépris inhumain, prêt à compter vos larmes,
De la plainte à vos cœurs a défendu les charmes.
Condamnés à l’éclat, il faut avec grandeur
Porter seuls, et debout, le fardeau du malheur.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Ah ! de l’orgueil séduit, redoutez le délire,
Vous qui voulez aimer, tremblez qu’on vous admire.

Mlle. Guichelin.


Madame de Simiane se leva en faisant une exclamation de douleur, et sortit. La jeune comtesse se précipita sur ses pas. La marquise, touchée des discours, des caresses de son amie, ne lui déguisa rien. Je respire, dit la comtesse, M. de Lamerville est libre ; l’unique obstacle qui vous sépare tient à un injuste préjugé ; il faut travailler à le vaincre. — Eh ! comment y parvenir ? — Je ne le sais pas encore, mais enfin cela ne doit pas être impossible.

La marquise, un peu soulagée par l’entretien qu’elle venait d’avoir avec la comtesse, revint plus calme dans le sallon où Mr. D. venait d’entrer. Cette soirée était celle des incidens. Mr. D. ouvrit le journal ; il contenait le récit d’une bataille dans laquelle M. de Lamerville avait eu deux chevaux tués sous lui, et reçu une blessure. On disait que le général était parti pour prendre les eaux de Baden.

Cette nouvelle fit naître à la jeune comtesse l’idée d’un projet qu’elle voulait confier à Mr. D., sachant bien qu’Anaïs ne se prêterait point à son exécution, si son respectable ami ne l’approuvait.

Amélie se rendit, le lendemain de bon matin, dans l’appartement de Mr. D. : ils s’entretinrent, en détail, de tout ce qui regardait madame de Simiane. L’état de langueur où elle paraissait sur le point de tomber, leur causait les mêmes sollicitudes. Aucun d’eux n’espérait la guérir d’un amour qu’elle avait nourri si long-temps dans le silence. Tous deux pensèrent que le seul moyen d’empêcher qu’il ne lui devînt funeste, était de la mettre en relation avec M. de Lamerville. L’imagination, observa la jeune Saint-Elme, est une enchanteresse qui prête souvent, à un homme célèbre, les vertus, les qualités qu’il n’a pas. Qui sait si le général, vu de près, ne perdra point une partie de l’éclat que lui donne sa haute réputation ? Dans ce cas, notre amie ne jugera le refus qu’il a fait de sa main, que comme une singularité ridicule, et son amour pour lui cessera avec l’admiration qu’il lui inspire. Si le général, au contraire, est un homme aussi accompli qu’on le prétend, que risquons-nous d’engager madame de Simiane d’essayer de lui plaire, sous un nom supposé ? Si elle échoue, sa démarche ne sera point connue ; si elle réussit, elle n’aura pas à rougir, devant son époux, de ce qu’elle aura fait pour son amant.

Le plan de la jeune comtesse approuvé, elle le communiqua à madame de Simiane, qui en parut enchantée. On pensa que Mr. D. ne pouvait accompagner Anaïs, sans risquer de la faire reconnaître. On convint donc qu’elle n’emmènerait à Baden qu’Amélie et Rosine. La discrétion et la fidélité de cette dernière étaient à l’épreuve. La jeune comtesse promit d’obtenir le consentement de Saint-Elme pour ce voyage, sans qu’il pût soupçonner le véritable motif qui le faisait entreprendre. Ces mesures prises, madame de Simiane, qui était réellement très-changée depuis quelques mois, vint à Paris, où son médecin déclara qu’elle avait besoin de prendre les eaux. Amélie pria le comte de la laisser suivre son amie, qui ne pouvait se décider à se séparer d’elle. Saint-Elme ne s’opposa point aux désirs de son épouse, quoiqu’il fût fâché de la voir s’éloigner de lui. Madame de Saint-Elme, le comte et Mr. D., tinrent maison commune en l’absence des deux personnes qui leur étaient si chères.