La Femme Auteur, ou les Inconvéniens de la célébrité/Tome 2/XII

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CHAPITRE XII.




À son réveil, M. de Lamerville dit à son valet-de-chambre d’aller s’informer si madame de Saint-Elme était remise de son indisposition. Il paraît qu’elle n’était pas grave, répondit le valet-de-chambre ; madame la Comtesse ne s’est pas couchée, et le jour n’avait point encore paru qu’elle était partie. Partie ! par où ? comment ? — Elle est partie en poste. — Où est-elle allée ? — C’est un mystère. — Et la marquise l’a-t-elle suivie ? — Oui, Monsieur. — Elles n’ont pas laissé un mot pour moi ? — Pas un mot. — C’est inconcevable ! — Très-inconcevable. — Eh ! sait-on les motifs de ce brusque départ ? — On ne sait rien, si ce n’est que madame la Comtesse a reçu hier au soir une lettre de Paris. — Des affaires pressantes les auront rappelées ; mais ne pas écrire un mot de politesse ! — En vérité, Monsieur, je crains que ces Dames ne soient pas ce que vous avez cru. — Que veux-tu dire ? — Elles n’étaient recommandées à personne ; leur manière de vivre paraissait singulière ; ne pourraient-elles pas être quelque peu intrigantes ? — Tu n’es qu’un sot, dit le général en colère, laisse-moi. Le valet-de-chambre sortit, sans se permettre la moindre réplique.

Monsieur de Lamerville était si loin d’imaginer la vérité, qu’il ne songea pas même à ce qui s’était passé la veille. Plus il réfléchissait à la conduite de la marquise, moins elle lui paraissait naturelle. Le propos de son valet-de-chambre lui avait fait quelque impression. Que devait être cette femme qui avait reçu ses soins, cette femme dont les prévenances, le trouble, les regards lui avaient dit tant de fois je vous aime, et qui s’éloignait de lui d’une façon si étrange ? Serait-ce, en effet, une intrigante qui aurait formé des desseins sur lui ? Mais alors elle ne s’en serait pas ainsi séparé. Serait-ce une coquette qui s’était fait un malicieux plaisir de se jouer de sa tendresse ? Cela n’était pas possible. Anaïs paraissait si franche ! si tendre ! si modeste ! tout parlait en sa faveur. Il se perdait dans ses conjectures, quand son hôtesse entra chez lui.

Pardonnez-moi, général, dit-elle, si je vous interromps ; mais en visitant l’appartement de mesdames de Senneterre et de Saint-Elme, j’ai trouvé un carton de dessins qu’elles y ont oublié. Comme j’ignore l’adresse où je pourrais le leur faire passer, et que je vous crois mieux instruit que moi, je viens vous le remettre. C’est bon, je m’en charge, dit monsieur de Lamerville.

L’hôtesse sortit ; il ouvrit le carton, et ne fut pas moins surpris que charmé, d’y voir un portrait fait au crayon, qui avait avec lui une ressemblance parfaite. Ce témoignage irrécusable de l’amour d’Anaïs fit, sur-le-champ, évanouir tous ses doutes. Il se rappela le premier soupçon que la vie solitaire qu’elle menait lui avait fait concevoir, et se persuada qu’il était fondé. Quelque grand danger la menace, pensa-t-il ; elle a fui pour l’éviter. Ah ! pourquoi ne s’est-elle pas confiée à moi ? Il sonna son valet-de-chambre, lui ordonna de courir à flanc-étrier sur les traces des dames, et de s’arranger pour les atteindre, sans pourtant compromettre leur sûreté : il lui enjoignit, en outre, de l’instruire chaque jour de ce qu’il aurait appris.

La cruelle agitation d’ame à laquelle madame de Simiane était livrée, ne lui permettait pas de songer à prendre le moindre repos ; elle brûlait d’ailleurs de s’éloigner, le plus promptement possible, de l’homme que désormais elle voulait haïr, se figurant qu’à mesure qu’elle mettrait plus de distance entre elle et lui, son cœur sentirait s’affaiblir cet amour dont elle s’indignait de ne s’être pas encore affranchie. Dans cette idée, elle courut jour et nuit la poste, ce qui fut cause que le valet-de-chambre de M. de Lamerville ne put la joindre qu’à un quart de lieue de Vernon.

Elle descendit de sa voiture dans cet endroit, laissa Rosine continuer sa route jusqu’à la ville, et, suivie de la comtesse, s’enfonça vîte dans un sentier qui conduisait à la solitude de M. de Saint-Elme.

La marquise n’avait pas voulu se faire conduire à Vernon, où elle était connue. Le valet-de-chambre attribua cette précaution à une autre cause, et pour prouver son zèle au général, il repartit pour Baden, aussitôt qu’il eut pris connaissance de la retraite des dames.

Les détails que M. de Lamerville reçut de la bouche de son fidèle serviteur, le confirmèrent dans l’opinion que la marquise avait de puissans motifs de se cacher. La persécution dont il la crut victime augmenta son amour. Le silence qu’elle avait gardé lui parut une preuve de délicatesse ; il sentit une joie généreuse de pouvoir lui offrir la paix, la fortune, le bonheur, et partit en secret pour la retrouver.