La Femme affranchie/Deuxième partie/Chapitre IV/VII

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CHAPITRE IV.

(Suite du précédent.)

VII

CONTRAT DE MARIAGE


L’auteur. On peut faire un contrat de mariage sous l’un de ces quatre régimes : Communauté, Dotal, Sans séparation de biens, Séparation de biens.

Suivez avec la plus grande attention le sommaire que je vais vous donner de chacun d’eux.

Sous le régime de la Communauté, le mari administre seul les biens communs.

Ces biens se composent du mobilier, même de celui qui échoit par succession ou donation, à moins que le donataire n’ait exprimé une volonté contraire ;

Deuxièmement : de tous les fruits, intérêts de quelque nature qu’ils soient ;

Troisièmement : de tous les immeubles acquis pendant le mariage.

Le mari peut vendre, aliéner, hypothéquer toutes ces choses, sans le concours de la femme ; il a même la faculté de disposer par don des effets mobiliers.

Il administre encore les biens personnels de la femme et peut, avec son consentement, aliéner ses immeubles.

La femme a-t-elle une dette antérieure sans titre authentique ou date certaine ? Ce n’est pas sur les biens de la communauté que cette dette est payée, mais sur l’immeuble propre à la femme ; si cette dette provient d’une succession immobilière, l’on n’en poursuit le recouvrement que sur les immeubles de la succession ; si la dette est celle du mari, l’on peut s’adresser aux biens de la communauté.

Les amendes encourues par le mari peuvent se poursuivre contre les biens de la communauté ; celles de la femme ne le sont que sur la nue propriété de ses biens personnels.

Tous les actes faits par l’homme engagent la communauté, mais ceux de la femme, même autorisée par justice, n’engagent pas les biens communs, si ce n’est pour le commerce qu’elle exerce avec l’autorisation du mari.

Enfin, en l’absence du mari, c’est à dire quand on ne sait s’il est vivant ou mort, la femme ne peut ni s’obliger, ni engager les biens communs.

Voilà, Madame le droit commun de la France, le régime sous lequel on est réputé marié quand on n’a pas fait de contrat.

La jeune femme. Je vois que sous votre droit commun de la France, la femme est une nullité, une exploitée, une paria ;

Que son mari peut faire don du mobilier commun à sa maîtresse et mettre l’épouse sur la paille ;

Que le mari peut lui ôter ses vêtements de rechange, ses bijoux, pour en parer sa maîtresse ;

Et comme on lui ordonne l’obéissance, et qu’on la met sous le pouvoir de l’homme qui peut être brutal, il est clair qu’elle ne s’avisera pas de refuser l’engagement, l’aliénation, la vente de ses biens personnels, et exposera de la sorte elle et ses enfants à manquer de tout.

Et comme la femme n’est pas la nullité que suppose la loi ; qu'au contraire, elle travaille et augmente l’avoir commun ; que c’est souvent à elle qu’il est dû, le mari peut disposer du fruit de ce travail pour payer ses dettes, ses amendes, entretenir des femmes et se livrer à tous les désordres.

Parmi le peuple, on ne fait guère de contrat : donc un mari brutal et mauvais sujet peut vendre le petit ménage et les modestes ornements de la femme, autant de fois que celle-ci aura pu s’en procurer de nouveaux par son labeur personnel.

L’auteur. Je ne le nie pas ; mais ne pourrait-on dire que le législateur n’a pu supposer un mari capable d’abuser de son pouvoir légal ?

La jeune femme. Nous ne pouvons admettre une aussi pitoyable raison.

Les lois sont faites pour prévenir le mal : elles supposent donc la possibilité de le commettre : on n’en ferait pas pour des saints.

Quand une loi autorise la tyrannie et l’exploitation du faible, c’est une loi détestable ; car elle démoralise le fort, en l’exposant à devenir despote et cruel ; elle démoralise le faible, en le forçant à l’hypocrisie, en lui ôtant le sentiment de sa valeur et en brisant en lui tout ressort.

Elle éteint chez tous les deux la notion du droit et de la corrélation du droit et du devoir dans les rapports entre semblables.

L’auteur. Vous avez parfaitement raison.

Pour finir ce que nous avons à dire du régime de la communauté, ajoutons qu’il est permis à la femme de stipuler dans son contrat qu’en cas de dissolution de la communauté, elle pourra reprendre non seulement ses biens réservés propres, mais encore tout ou partie de ceux qu’elle à mis en commun, déduction faite de ses dettes personnelles.

Lorsque cette stipulation n’existe pas au contrat, la femme, lors de la dissolution de la communauté, a le droit d’y renoncer, et, si elle l’a imprudemment acceptée, elle n’est tenue de payer les dettes que jusqu’à concurrence de la portion du bien qu’elle en retirerait.


La jeune femme. Cette lueur de justice n’est qu’une illusion puisque, en cas de dettes faites par le mari, la femme peut perdre tout ou partie de ce qui lui reviendrait ; puisque, d’autre part, elle peut perdre son avoir personnel en signant l’aliénation de ses biens pour aider son mari.

Renonçons à ce régime, Madame ; dans la communauté entre époux, telle que l’entend la loi, la femme est livrée pieds et poings liés à l’homme quel qu’il soit. Marions-nous sans communauté.

L’auteur. Entendons-nous : si le contrat porte que les époux se marient sans communauté, voici ce qui a lieu.

Le mari administre seul les biens meubles et immeubles de sa femme, absolument comme sous le régime de la communauté ;

Les revenus de ces biens sont affectés aux dépenses du ménage ;

Les immeubles de la femme peuvent être aliénés avec l’autorisation du mari ou de la justice, comme sous le régime de la communauté.

La seule compensation est que la femme peut statuer qu’elle pourra, sur ses seules quittances, recevoir annuellement une certaine portion de ses revenus pour ses besoins personnels.

Si elle ne participe point aux dettes, elle ne participe point aux gains que ses revenus ont pu mettre son mari en état de réaliser. Avec ces revenus, il peut s’enrichir et se faire une fortune à part, à laquelle sa femme n’aura jamais aucun droit. Convenez que c’est payer un peu cher l’avantage d’avoir quelque somme en propre, et de ne pas s’humilier à tendre la main au détenteur de votre fortune, comme on est obligée de le faire sous le régime de la communauté où la femme peut manquer de tout au milieu d’une fortune qui est la sienne propre.

La jeune femme. Ce régime ne vaut rien. Passons à celui de la séparation de biens. N’est-il pas meilleur ?

L’auteur. En effet ; car, sous ce régime, la femme administre seule ses biens meubles et immeubles, dispose de ses revenus, à moins de stipulations contraires, et en donne un tiers pour soutenir les frais du ménage.

Mais elle ne peut ni aliéner, ni hypothéquer ses immeubles sans l’autorisation de son mari ou de la justice.

Si, d’autre part, c’est le mari qui administre ses biens, ce qu’il serait fort difficile d’empêcher, lorsqu’il le voudrait, il n’est comptable envers elle que des fruits présents.

La jeune femme. Est-ce que le régime dotal vaut mieux pour nous que celui de la séparation de biens ?

L’auteur. Vous allez en juger vous-même.

Quand on déclare, et il faut le déclarer, qu’on se marie sous le régime dotal, il n’y a de dotal que le bien déclaré tel ; les autres sont dits paraphernaux ou extra-dotaux.

En principe, et à moins qu’il ne soit autrement convenu, les biens dotaux sont inaliénables ; le mari seul les administre, et, comme dans le contrat sans communauté, la femme peut toucher certaines sommes sur ses seules quittances.

Les biens paraphernaux sont, comme dans le contrat sous le régime de la séparation de biens, administrés par la femme, qui en touche seule les revenus, et ils peuvent être aliénés avec l’autorisation du mari ou de la justice.

Si le mari administre ces biens sur une procuration de sa femme, il est tenu envers elle comme tout autre mandataire ;

S’il administre sans mandat et sans opposition, il n’est tenu de représenter, quand il en est requis, que les fruits existants ;

S’il administre, malgré l’opposition de la femme, il doit compte de tous les fruits depuis l’époque de sa gestion usurpée.

Les époux peuvent stipuler une société d’acquêts, c’est à dire une association pour choses acquises pendant la durée du mariage. Je n’ai pas besoin de vous dire que cette communauté est administrée par le mari seul.

La jeune femme. Mais pour se marier sous le régime de la séparation de biens ou sous le régime dotal, ne faut-il pas des immeubles ?

L’auteur. Non ; le bien dotal et le bien séparé peuvent être de l’argent.

La jeune femme. Les femmes, traitées en serves sous le régime de la communauté, le sont en mineures sous le régime dotal avec paraphernaux et sous celui de la séparation de biens.

Si un mari était assez raisonnable pour rougir à la pensée de flétrir sa compagne du stigmate de la servitude, n’y aurait-il pas moyen de faire d’autres stipulations ?

L’auteur. L’homme ne peut réhabiliter sa compagne ; la loi le lui interdit par l’article 1388, qui déclare que les époux ne peuvent déroger aux droits résultant de la puissance maritale sur la personne de la femme et des enfants, on qui appartiennent au mari comme chef.

Aussi un notaire qui rédigerait le contrat suivant :

Art. ler. Les époux se reconnaissent une dignité égale, parce qu’ils sont au même titre des créatures humaines.

Art. 2. Ils se reconnaissent mutuellement les mêmes droits sur les enfants qui naîtront d’eux et, dans leurs différends, prendront des arbitres.

Art. 3. Chacun des époux se réserve une partie de ses biens dont il disposera sans l’autorisation de l’autre ;

Art. 4. Les époux mettent en commun telle part déterminée de leur apport pour soutenir les frais du ménage, pourvoir à l’éducation des enfants et aux nécessités du travail commun ;

Art. 5. Ce bien commun ne peut être engagé sans le consentement des époux ;

Art. 6. Convaincus en leur âme et conscience qu’on ne peut aliéner sa personne, sa dignité, son libre arbitre, les époux ne se reconnaissent aucune puissance l’un sur l’autre ; ils confient la durée et le respect du lien qui les unit à l’affection qui peut seule le légitimer.

Un notaire, dis-je, qui aurait rédigé ce contrat, serait dépouillé de sa charge, puis confié aux aliénistes, et le contrat serait nul comme contraire à la loi, aux bonnes mœurs et à l’ordre public.

Comprenez-vous, Madame, pourquoi les femmes, beaucoup plus intelligentes et indépendantes qu’autrefois, se marient beaucoup moins ?

Comprenez-vous pourquoi les filles du peuple, qui ont vu si souvent leurs mères malheureuses et dépouillées de leur pauvre avoir, se soucient beaucoup moins de se marier ?

On blâme les femmes !… C’est la loi qu’il faut blâmer et réformer.

Car les mauvaises lois produisent les mauvaises mœurs.

La jeune femme. Ce que vous dites là est bien vrai : sur vingt ménages, il n’y en a quelquefois pas un où l’on n’entende dire à la femme : Ah ! si j’avais su !

Si l’on nous mariait moins jeunes et que nous connussions la loi, assurément les mariages deviendraient de moins en moins nombreux.

Pour en finir avec cet examen de la loi, encore une question, Madame. Est-ce que l’apport de la femme n’a pas hypothèque sur les biens du mari ?

L’auteur. Sur quels biens la femme ouvrière reprendra-t-elle son ménage vendu ?

Sur quels biens les femmes de négociants dont la dot a servi à payer le fonds du mari, reprendront-elles cette dot en cas de mauvaises affaires ?

Demandez aux femmes légalement séparées la valeur de cette hypothèque, ou plutôt de cette disposition de la loi : elles vous en diront de belles !

La jeune femme. J’ai connu des femmes de commerçants en faillite : elles se plaignent que la loi les traite plus rigoureusement que les autres.

L’auteur. Le Mariage étant donné ce qu’il est, le législateur a parfaitement fait d’empêcher qu’il ne se transformât en une ligue contre l’intérêt de tous.

La jeune femme. Jusqu’à ce que la loi qui régit le contrat de mariage soit réformée, sous lequel de ces deux régimes : le dotal ou celui de la séparation de biens, conseillez-vous aux femmes de se marier ?

L’auteur. Si les conjoints ne sont pas dans les affaires et que la femme apporte des biens-fonds considérables, le mieux peut-être serait qu’elle se mariât sous le régime dotal avec autorisation de recevoir une forte somme annuelle ; si les parents lui connaissaient de la fermeté, ils pourraient lui constituer en outre des paraphernaux, et stipuler toujours une société d’acquêts.

Dans tout autre situation, je conseille aux femmes de se marier sous le régime de la séparation de biens. La femme, maîtresse de ses fonds, peut les confier à son mari et s’associer avec lui comme avec tout autre. J’ai connu une jeune femme commerçante qui s’y est prise ainsi : elle s’est constitué son apport en argent comme bien propre, puis, quand elle a été mariée, elle a prêté cette somme à son mari qui s’est engagé à payer tant d’intérêts. Comme elle avait en outre un emploi dans la maison, elle reçut des émoluments proportionnes.

La jeune femme. Mais si la femme est ouvrière ?

L’auteur. Il n’y a pas de différence. C’est presque toujours la femme qui apporte le petit ménage, et elle y tient d’autant. plus qu’il lui a coûté bien des jours et des nuits de labeur ; il est donc très important que le mari ne puisse ni le vendre, ni le donner ; comme il est important qu’il ne puisse la contraindre à lui donner l’argent qu’elle a confié franc à franc à la caisse d’épargne. Il faut donc qu’elle ne se marie pas, comme elle le fait, sans contrat ; car elle serait à la merci de son conjoint, étant réputée mariée sous le régime de la communauté.

Des notaires se permettent de résister ; quand on déclare vouloir se marier sous tout autre régime que celui de la communauté : ils n’en ont pas le droit ; vous pouvez les forcer ; officiers de la loi, ils ne sont pas là pour la critiquer.

Mesdames, riches et pauvres, il est de votre intérêt et de celui de vos enfants de connaître les affaires ; de rester maîtresses de votre avoir ; votre dignité l’exige. Votre devoir est d’instruire vos filles de la situation que leur fait la loi dans le mariage, afin qu’elles évitent leur ruine, et qu’elles travaillent à la réforme qui doit mettre la femme à la place qu’elle a le droit d’occuper.

VIII
la femme mère et tutrice.


L’auteur. Examinons maintenant comment la loi comprend les droits de la mère et de la tutrice.

L’article 372 met l’enfant sous l’autorité des parents jusqu’à sa majorité ou à son émancipation ; mais comme la femme est absorbée dans le mari, l’article 373 réduit le mot parents à signifier le père, qui seul exerce l’autorité paternelle pendant le mariage. La mère tutrice n’exerce pas, remarquez-le, l’autorité maternelle, la loi n’en reconnaît pas.

Ainsi la femme qui, seule dans la reproduction, peut dire : je sais est effacée devant l’homme qui ne peut dire que : je crois.

Pourquoi cela ? Parce que c’est un moyen d’assouplir la femme, d’assurer l’autorité du mari sur elle. Une femme, trop malheureuse, peut encourir le scandale d’une séparation publique pour échapper à son bourreau ; mais on sait qu’elle se résout rarement à quitter ses enfants : elle restera donc, épuisera le calice amer jusqu’à la lie pour demeurer auprès d’eux. Elle ira même jusqu’à subir l’outrage de les voir élever dans sa propre maison par l’indigne favorite de son mari. Souffrez, cédez, humiliez-vous, signez ce contrat d’aliénation de vos biens, ou je vous enlève vos enfants : voilà ce que le mari a le droit de dire à sa femme.