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La Femme affranchie/Deuxième partie/Chapitre IV/VIII

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la réforme qui doit mettre la femme à la place qu’elle a le droit d’occuper.

VIII
la femme mère et tutrice.


L’auteur. Examinons maintenant comment la loi comprend les droits de la mère et de la tutrice.

L’article 372 met l’enfant sous l’autorité des parents jusqu’à sa majorité ou à son émancipation ; mais comme la femme est absorbée dans le mari, l’article 373 réduit le mot parents à signifier le père, qui seul exerce l’autorité paternelle pendant le mariage. La mère tutrice n’exerce pas, remarquez-le, l’autorité maternelle, la loi n’en reconnaît pas.

Ainsi la femme qui, seule dans la reproduction, peut dire : je sais est effacée devant l’homme qui ne peut dire que : je crois.

Pourquoi cela ? Parce que c’est un moyen d’assouplir la femme, d’assurer l’autorité du mari sur elle. Une femme, trop malheureuse, peut encourir le scandale d’une séparation publique pour échapper à son bourreau ; mais on sait qu’elle se résout rarement à quitter ses enfants : elle restera donc, épuisera le calice amer jusqu’à la lie pour demeurer auprès d’eux. Elle ira même jusqu’à subir l’outrage de les voir élever dans sa propre maison par l’indigne favorite de son mari. Souffrez, cédez, humiliez-vous, signez ce contrat d’aliénation de vos biens, ou je vous enlève vos enfants : voilà ce que le mari a le droit de dire à sa femme.

La femme exaspérée se résout-elle à demander la séparation ? Pendant le procès, c’est le mari qui garde l’administration des enfants, à moins que, sur la demande de la famille, le juge ne trouve des motifs sérieux pour les adjuger à la mère.

Ce n’est pas tout : l’enfant peut donner de graves sujets de plainte à ses parents. S’il n’a pas seize ans, le père peut le faire détenir, sans que le président ait le droit de refuser : il n’a ce droit, que lorsque l’enfant a des biens personnels ou a plus de seize années.

Remarquez que, dans ce cas si grave, la mère n’est pas même consultée.

La puissance paternelle de la mère sera-t-elle égale, sur ce point, à celle du père, si elle reste veuve et tutrice ? Non, la mère, pour faire enfermer l’enfant, est toujours tenue de présenter au président une requête appuyée par deux proches parents du défunt.

Le père remarié garde, de droit, la tutelle de ses enfants ; la la mère la perd si elle se remarie sans s’être préalablement fait continuer la tutelle par le conseil de famille.

La jeune femme. Ainsi donc, Madame, aux yeux du législateur, l’enfant appartient plus à son père qu’à sa mère ; il est moins cher à la famille maternelle qu’à la paternelle ; la mère est réputée moins tendre, moins sage que le père ; l’homme est présumé si bon, si juste, si raisonnable, qu’une marâtre même ne saurait l’influencer… En vérité, tout cela est odieux et absurde.

L’auteur. Je ne dis pas non.

Vous savez que le consentement des parents est nécessaire pour le mariage de leurs enfants mineurs ; vous savez encore qu’en cas de dissidence entre le père et la mère ou l’aïeul et l’aïeule, si les premiers sont morts, les articles 148 et 150 déclarent que le consentement du père ou de l’aïeul suffit.

La jeune femme. Je connais cette leçon légale d’ingratitude donnée aux enfants. Mais revenons sur la tutelle, Madame.

L’auteur. Volontiers. La loi dit bien que la tutelle des enfants appartient de droit à l’époux qui survit ; que le père ou la mère exerce l’autorité paternelle ; que l’un comme l’autre a le droit d’administrer les biens du pupille et de s’en attribuer les revenus jusqu’à ce qu’il ait dix-huit ans : mais voyez la différence. Vous savez déjà que les formalités pour faire enfermer l’enfant ne sont pas les mêmes pour la mère tutrice que pour le père tuteur ; vous savez que le père qui se remarie n’a pas besoin de se faire continuer la tutelle par le conseil de famille, tandis que la mère la perd par l’omission de cette formalité.

De plus, le père a le droit de nommer à sa femme survivante un conseil de tutelle pour ses enfants mineurs ; la femme n’a pas ce droit.

L’époux survivant peut nommer un tuteur dans la prévision de son décès avant la majorité des pupilles : la nomination faite par le père est valable ; celle qui est faite par la mère ne l’est que lorsqu’elle est confirmée par le conseil de famille.

La famille maternelle participe du dédain de la loi pour la femme : ainsi l’enfant doublement orphelin tombe de droit sous la tutelle de son aïeul paternel et, à son défaut, sous celle du maternel et ainsi en remontant, dit l’article 402, de manière que l’ascendant paternel soit toujours préféré à l’ascendant maternel du même degré.

Pendant que nous parlons de tutelle, ajoutons que le mari est tuteur de droit de sa femme interdite, mais que la femme d’un interdit n’a que la faculté d’être tutrice et, si elle est nommée, le conseil de famille règle la forme et les conditions de son administration.

La jeune femme. Enfin, Madame, je vois que la loi nous considère et nous traite comme des êtres inférieurs ; qu’elle sacrifie à l’homme non seulement notre dignité de créatures humaines, nos intérêts de travailleuses et de propriétaires, mais encore notre dignité maternelle.

Un fils, suffisamment imbu de la religion du Code civil, doit nécessairement considérer son père comme plus raisonnable, plus sage, plus capable que sa mère. Je ne vois pas trop ce que celle-ci aurait à lui répondre, s’il lui disait : il est vrai que vous avez risqué votre vie pour me mettre au jour, que vous avez passé bien des nuits près de mon berceau, que vous m’avez enveloppé de votre tendresse, appris ce qui est bien et aidé à le pratiquer ; il est vrai que je suis votre bonheur et votre joie ; mais mon père est vivant ; il a seul autorité sur moi ; je n’ai donc pas à vous consulter ; d’ailleurs à quoi bon ? Des hommes sages, des législateurs qui ont bien étudié votre imparfaite, votre débile nature, ont porté des lois qui me prouvent que vous n’êtes propre qu’à mettre au monde des enfants, et à vous occuper des soins du pot au feu.

On vous a toutes jugées si peu sages, si peu prudentes, si peu capables, qu’on vous refuse le droit de rien régir ; qu’on vous soumet eu tout à la volonté de l’homme et que, quand le mari n’est pas là, le juge et la famille interviennent.

Un tel discours, quelque révoltant qu’il paraisse, ne serait-il pas conforme aux sentiments que doit inspirer l’étude du Code civil ?

L’auteur. Parfaitement, Madame : et si, en général, le cœur humain ne valait pas mieux que ce code, les femmes, pour être respectées de leurs enfants, n’auraient qu’un parti à prendre : celui de ne mettre au monde que des bâtards. N’est-il pas surprenant, dites-moi, que des lois faites pour moraliser et contenir, tendent à produire tout le contraire ?

La jeune femme. Et l’on fait si grand bruit de notre Code Civil ! Que sont donc ceux des autres nations ?


IX
RUPTURE DE l’ASSOCIATION CONJUGALE.


L’auteur. On a reconnu de tout temps qu’il y a des cas où les époux doivent être séparés. La révolution établit le divorce ; le premier empire le maintint en le restreignant ; la Restauration, déterminée par l’Église que cela ne regarde pas, l’abolit le 8 mai 1816.

L’expérience prouve surabondamment que l’indissolubilité du mariage est la source permanente de désordres sans nombre ; le plus actif dissolvant de la famille ; et que la séparation du corps, loin de remédier à quelque chose, contribue à la destruction des