La Femme et la démocratie de nos temps/22

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CHAPITRE XXII.


Ces peuples traitant la politique comme une science ont eu une école pour l’enseigner ; les hommes destinés à s’en occuper étudiaient jeunes sous leur père ; une tradition savante liait le corps choisi : ainsi, Rome, Venise, l’Angleterre. D’autres peuples, plus maîtres et plus jaloux, pensant que le patriotisme, l’esprit public, l’instinct, secondé de l’expérience, suffisaient, ont admis des hommes de tous les rangs : ainsi Athènes, Florence et la France.

Il y a en effet deux belles choses sur la terre : la science, la discipline, l’aristocratie, ce qui porte loin la puissance et la gloire d’un peuple, et l’égalité qui donne à chaque individu sa valeur morale, n’en appelle qu’à lui de lui, et court les chances de la nature ; n’est pas sans raison que la science et l’égalité ont eu leurs partisans ; l’antiquité légua ses querelles aux temps modernes, et la civilisation se divisa sous deux bannières.

Cette démocratie ancienne, qui admettait des esclaves, garde d’ailleurs aux yeux de l’égalité un tort plus grand que n’en commirent jamais les aristocraties modernes. On sait quel était le petit nombre des citoyens, à Athènes, comparé à celui des esclaves : dans le dénombrement qu’on fit sous Périclès, les citoyens n’étaient au nombre que de 14,040.

Des quatre classes où Solon divisa les citoyens d’après leurs possessions, la dernière, composée des mercenaires, ne pouvait avoir aucune charge, mais elle avait droit d’opiner dans les assemblées et les jugemens du peuple, ce qui lui donna beaucoup d’influence. Thémistocle obtint que les archontes pourraient être pris dans le peuple, et plusieurs des premiers réglemens furent négligés. À bien dire, il semble qu’on n’ait voulu à Athènes ni aristocratie, ni frein, ni gouvernement même, et que l’état eût dû appartenir au plus digne, comme l’héritage d’Alexandre. L’unique chambre de la république (car l’aréopage n’était qu’un tribunal), composé de cinq cents membres d’au moins trente ans, était élue chaque année par les dix tribus de l’Attique et d’Athènes. Bien plus, cette chambre ou ce sénat étant divisé en dix classes, selon les dix tribus, chacune à son tour entretenue aux frais du public, avait la présidence pour trente-cinq jours, sous le nom de Prytanes. Ainsi les Prytanes se renouvelaient tous les trente-cinq jours. Bien plus : les Prytanes, au nombre de cinquante, étaient subdivisés en cinq décuries ; chaque semaine, il y avait une nouvelle décurie, et chaque jour, un nouveau décurion, qui aussi chef du sénat : ainsi, chaque année, un nouveau sénat ; chaque mois, de nouvelles Prytanes ; chaque semaine, une nouvelle décurie ; chaque jour, un nouveau chef du sénat et de l’état ! C’est un gouvernement changé à tout instant, où nul de ceux qui le composent ne domine ni ne paraît.

L’assemblée du peuple, réunie quatre fois durant les trente-cinq jours des Prytanes, avait moins de force encore que le sénat : on donnait aux sénateurs, pour droit de présence, une drachme par jour ; et comme le peuple négligeait de venir aux assemblées, on paya aussi sa présence : on lui donna trois oboles (neuf sous), ce qui fit que les pauvres vinrent à ces assemblées en grand nombre. On voit ici que l’autorité ne peut appartenir ni au sénat ni au peuple, qu’elle ne peut appartenir à la loi : la loi est trop faible : les orateurs, les grands hommes s’empareront du bas peuple dans l’assemblée publique ; ils lui feront décider la paix, la guerre, les impôts, entraînant le consentement du sénat. Ici, quelque chose de grand et de poétique : le génie en présence du peuple qu’il charme et subjugue. Du sein de nos puissantes monarchies, nous nous sommes mal imaginé ces petites républiques grecques, ces villes étroites, cette population peu nombreuse, mais douée du ciel, ces lieux champêtres, ce mouvement de la place publique, ces affaires resserrées que de nobles mains et des esprits lumineux ont rendues fameuses ; nous avons vu la Grèce plus riche, plus étendue et moins poétique ; nos vastes territoires, nos villes, notre peuple immense, nous feraient d’abord trouver mesquins les Grecs, leurs villes, leurs armées, et jusqu’aux formes charmantes de leur gracieuse contrée, si l’antiquité pouvait apparaître un moment à nos yeux. À peine Solon donne sa loi, que Pisistrate la menace ; dès lors un parti usurpateur s’établit dans l’état, et remarquons que ce parti fut celui de la démocratie, car ceux qui voulurent dominer le peuple le flattèrent. Thémistocle, sorti du peuple et démocrate, trouva pour adversaire Aristide, du parti de l’aristocratie, qui voulait resserrer le gouvernement. Périclès, descendant de Pisistrate, effrayé de son origine et de la ressemblance de son visage avec celui de ce tyran, embrassa les intérêts de la démocratie contre Cimon, fils de Miltiade, aristocrate qui s’opposait à la grandeur de Périclès : toujours à Athènes ce nom de démocratie revêtit les passions de l’ambition. Mais des hommes comme Thémistocle, et d’autres, n’auraient pas eu le pouvoir à Rome et valurent mieux que Marius, qui, parvenu par tant d’efforts et à travers les dédains des nobles, ensanglanta sa route. Il est vrai que tandis qu’Aristide venait dans les assemblées avec un habit usé et tremblant de froid, Thémistocle volait le trésor ; il fit les fautes reprochées éternellement aux plébéïens, et que l’aristocratie romaine, dans sa décadence, commit avec audace.

Pour parer à la faiblesse des lois et à l’autorité des hommes, on avait trouvé l’ostracisme, qui frappa presque tout ce qu’Athènes eut d’illustre, excepté Périclès. Les démocrates s’efforcèrent à corrompre une nation ingrate qui punit par cette loi ceux qui la servaient, comme ceux qui l’avaient trahie : nul corps, point d’hérédité, point de sénat à vie, pas de familles consulaires, rien qui pût modérer les passions du vulgaire ni du génie. C’est une aristocratie naturelle, mais qui, s’élevant par la faiblesse des lois, ne trouve ni devoirs ni science pour se guider. Telle est pourtant la beauté de l’aristocratie naturelle, que nous nous laissons séduire comme la république, et quand au siècle de Périclès nous voyons les lumières, la philosophie, la science, les lettres, les beaux-arts, jeter un éclat qui plus tard aidera à sortir le monde moderne des ténèbres, nous ne demandons pas plus à Athènes, et nous la saluons avec respect. Et que le temps de cette gloire éclatante fut court ! Depuis Solon jusqu’à Démosthènes, les générations se sont suivies sans s’oublier : tout est enfermé dans le court espace de deux siècles et demi, temps prodigieux où la nature ouvrit son sein pour produire plus que des hommes.

Sparte soutint toujours dans la Grèce les intérêts de l’aristocratie. Lycurgue avait partagé les terres de la Laconie en trente mille parts, qu’il distribua à ceux de la campagne ; et le territoire de Sparte, en neuf mille parts pour les citoyens[1] ; ce qui resta d’inégalité par les immeubles fut combattu par les mœurs ; car les citoyens étant mis de même, dînant ensemble, ayant des habitudes communes, avaient peu d’occasions de se distinguer les uns des autres. La royauté était la seule charge héréditaire. Le sénat se composait de vieillards élus à vie par le peuple, aristocratie naturelle, mais cette fois privilégiée et disciplinée, basée sur l’esprit et la vertu. Les rois et cette aristocratie naturelle firent un gouvernement si vigoureux, qu’on créa les éphores, comme les tribuns de Rome, pour modérer l’autorité des chefs. La discipline publique avait une aussi grande force : Sparte n’était pas une ville, c’était une secte ; et comme les citoyens passaient leur vie ensemble à discourir, laconiser, en grec, voulait dire philosopher ; leur loi n’était pas écrite, mais portée au fond de leur cœur comme défendue de leur sang.

C’était si élevé, si beau, que nous avons prétendu que c’était des faibles ; il ne nous a pas suffi des monumens grecs et visibles, de l’histoire attestée par les contemporains ; c’était trop fort pour nous, et nous l’avons nié. Sparte, d’ailleurs, ne s’offre pas à la mémoire si fertile qu’Athènes en grands hommes, puisqu’elle avait proscrit les beaux-arts, discourait savamment, mais n’écrivait pas ; ses hommes fameux sont le plus souvent ses rois ; peu d’individualités sortent au sein de la secte ; c’est la seule multitude dans l’histoire qui produise ce grand effet ; partout nous voyons le peuple plus ou moins grossier ; à Sparte, il semble toute une race illustre. Sparte pourrait donc être par là l’idéal des plébéïens, si la plèbe avait un idéal. Remarquons comme le climat a fait différer les législateurs dans quelques détails : Lycurgue enterrait les morts dans la ville et voulait habituer les citoyens à toucher un mort sans crainte, tandis que les livres hébreux, les livres zends et d’autres d’Orient, déclarent souillé tout homme qui aura touché un cadavre. À la guerre du Péloponèse, Sparte et Athènes étaient corrompues ; la Grèce n’aurait pu se soutenir que par les fédérations de l’Étrurie ; c’est le danger des petits pays, comme s’il y avait une proportion voulue pour l’Europe.

Un mot sur Rome à présent, si nous l’osons : quel état différent ! quelle autre durée ! quelle autre importance ! Athènes, Sparte, soumettent des populations de dix à vingt mille ames, brillent un jour, un siècle : les brigands du mont Palatin vont dominer la terre par leur génie et leur vertu, juste domination ! Dans tous les genres de mérite ils donneront les plus beaux exemples ; jamais on n’aura vu tant de religion, tant d’amour des dieux domestiques, tant de respect pour la famille, la chasteté, le mariage, la paternité ; jamais plus de dévouement pour la patrie, plus de désintéressement, de sobriété, de modestie ; jamais des hommes si fiers et si modérés ; jamais un sénat si sage et si puissant, avec une si grande commisération des vaincus, et tant de qualités pour dominer. C’était l’aristocratie dans sa gloire. Eût-on pu obtenir de tels résultats sans ces familles illustres qui croyaient en dépôt dans leurs mains la vertu et la grandeur publiques ? La gravité du caractère romain, les circonstances, favorisèrent le sénat ; mais honte à ceux qui parleront sans étude et sans respect des Romains, la seule école où la jeunesse moderne peut trouver des exemples que n’offrent plus ni les mœurs ni les religions !

Si nous jetons un regard sur son histoire, qui d’abord, soulevant le voile du passé, nous dira comment les races transportées de l’Asie se trouvèrent si fières et si poétiques ? Par quelle puissance le soleil dès l’origine du monde éleva-t-il le caractère de l’homme ? Ces races traversent successivement la Méditerranée pour se fixer en Grèce, en Italie ou en Sicile, se refoulant les unes par les autres, s’offrant chacune aux nouveaux arrivans pour la race aborigène, sans qu’on puisse jamais retrouver la race primitive, ni savoir si elle exista réellement. Qui leur inspira des mœurs si nobles ? qui leur enseigna à suivre, à chanter les grands hommes, à en faire les dieux et à les adorer ? Plus on a pénétré dans l’histoire des Étrusques, plus on a trouvé de science et de beauté. Une élégance qui semble appartenir aux rivages de ces mers, se retrouve dans ces populations si différentes de celles du nord. Quand les Romains fondèrent leur ville, les peuples grecs et asiatiques avaient déjà traversé et fécondé le sol ; les Étrusques, les Latins et les Sabins formaient trois fédérations redoutables pour la ville naissante ; si les Romains, sortis de ces peuples, en reçurent en partie leurs mœurs et leurs lumières, si leur position dangereuse leur imposa de les vaincre, par quel bonheur et par quelle gloire leur habileté se proportionnant à leurs besoins, créa-t-elle aussitôt des institutions et une destinée sans égale ?

Il faut reconnaître ici une race douée, aussi belle que l’était la contrée où elle se fixa : rien dans l’Italie n’est à comparer au pays romain, à ses vastes plaines, ses horizons majestueux, l’étendue de son ciel, l’éclat de sa lumière, la fraîcheur de ses cascades, les mouvemens gracieux de son terrain ; le caractère antique, monté au ton des campagnes, ne se retrouve plus aujourd’hui que dans le paysage romain.

Sans entrer dans des détails où se sont perdus quelques savans de nos jours, nous voyons Rome prendre bientôt un caractère à elle, trancher avec le reste de l’Italie, et s’engager dans une voie dont elle ne prévit pas l’issue ; si l’aristocratie et le patronnage étaient dans les mœurs de l’Italie, Rome conquérante leur donna une importance qu’elle imprima à toute chose. On demande : Pourquoi vouloir la puissance ? pour la puissance, car les Romains eurent tout avec elle, hommes, lois, durée, immortelle renommée. La plupart de leurs rois se trouvèrent de grands hommes, remplacés par des chefs non moins admirables, qui imprimèrent la direction à cette forte race ; l’aristocratie, école et appui, dispensatrice des principes et des armes, porta loin les caractères par la discipline et la puissance, les deux plus beaux élémens de la gloire et de la vertu : il fallait former une nation héroïque au milieu des nations héroïques qu’elle devait vaincre ; cette nation trouva en elle son génie, qui ne s’est plus montré sur la terre. Si, vivant sous la protection de l’aristocratie, la plèbe intelligente comprit le mérite et l’utilité du sénat, elle n’en réclama pas moins les armes à la main les droits qui lui manquaient, obtenant successivement magistrats, lois favorables, et toutes les charges : on vit d’un côté la science, la naissance et la richesse former un corps puissant ; de l’autre, on vit le peuple s’unir, combattre, vaincre, dominer sa victoire, et n’oser aborder les charges qu’il avait disputées. Si le sénat était glorieux, le peuple ne le fut pas moins ; chaque parti joua bien le rôle politique qui lui était départi, sans en dépasser, durant long-temps, les limites civiles. C’est ici le plus complet développement des forces morales par où Rome est sans pareille. Et quand elle est si puissante, mais que les vertus s’altèrent, arrive une époque, depuis Pompée jusqu’à Auguste, époque que nulle autre n’égale, combats, hommes, géans au dessus d’Homère. Les passions politiques parvenues au dernier degré rêvent le pouvoir suprême dans l’affaiblissement des lois, avec d’énormes richesses à leur disposition. L’Asie, l’Espagne, les Gaules, paient les intrigues et les suffrages des Romains. Jamais on n’a vu, jamais on ne verra dans notre monde peuplé une telle inégalité, une ville seule engloutissant les richesses, la gloire, le luxe et l’habileté du monde. Des facultés prodigieuses y furent secondées de circonstances égales, de sorte que jamais l’homme n’alla si loin : vertus encore existantes de la république, lettres grecques, secte stoïque fondée à Athènes par Zénon, mais dont les plus grands hommes furent romains ; corruption naissante combattue en vain, par Caton ; brigue pour les charges, achat des voix par les candidats. Ceux qui briguaient le consulat faisaient des emprunts si considérables pour acheter les voix, que l’intérêt de l’argent en montait. Pompée dissimulait son ambition, mais une foule d’hommes secondaires se mettaient en rivalité avec les autres. Milon, Hipseus et Metellus Scipion se disputèrent le consulat avec une fureur jusqu’alors inconnue, chacun ayant sa troupe, et livrant de sanglans combats, Milon dépensant trois patrimoines en largesses, en jeux, en spectacles pour le peuple. Si César brilla par son audace, Cicéron montra une ame et une intelligence supérieures. « Comptez, écrivait-il à Atticus, que je ne traiterai avec César que d’égal à égal. » D’un côté, la gloire des armes et ces batailles fameuses où les Romains combattirent les uns contre les autres ; de l’autre, l’éloquence, la vertu, l’amitié, des citoyens comme Cicéron, Caton, Brutus, Hortensius, Atticus, une estime profonde de ces hommes les uns pour les autres, la gloire obtenue de son vivant avec tous ses honneurs. Cicéron gouverna la Cilicie. « Je rends la justice à Laodicée, écrit-il à Atticus, et Plotins la rend à Rome. Quel contraste ! Mon armée est très faible, ce n’est point là ce que j’aime. Je regrette le grand jour de Rome, la place publique, ma maison, mes amis, voilà ce qui me convient. » Dans une autre lettre il dit à Atticus avec une tendresse admirable : « J’ai un esclave qui vient à Tusculum tous les jours, et si vous vouliez vous pourriez m’écrire tous les jours. » Les événemens sont empreints d’une tristesse profonde ; le sénat romain va errer avec Cicéron sur les rivages de Naples, fuyant César, violateur des lois. La jeunesse, perdue de dettes et de débauche, que ce vainqueur coupable traînait avec lui, laissait à Pompée l’avantage du civisme et de la dignité qui justifiait le nom de Grand donné à sa jeunesse par Sylla. César, modèle des rois par sa clémence, dictateur et s’oubliant en Égypte, subjugué tour à tour par ses diverses passions, secondé par Antoine infâme, César porta sur la loi une main plus hardie qu’habile, quoiqu’une seule voix moderne se soit élevée contre lui[2]. Brutus, conséquent comme Caton, allait venger la vertu sur la terre ; Porcie ne put, sans perdre la tête, savoir son mari en danger : temps plus beaux que ceux de la vertu pure, car le mélange les porte à l’extrême. Enfin, Octave, à dix-huit ans risquera jusqu’au patrimoine de sa mère, et son habileté froide et parfaite le rendra successeur de tous.

Les nations de l’Asie composée de peuples paresseux et innombrables nous offrent quelquefois le talent s’emparant du pouvoir et les usurpateurs commandant des armées de trois cent mille hommes, avec domination et combats gigantesques et merveilleux comme l’orient ; mais trop de circonstances heureuses doivent les favoriser ; le plus souvent ces grandes masses sommeillent et l’individualité est écrasée. C’est en vain que de nos jours on veut élever l’orient au dessus de l’occident et qu’on cherche en son sein des connaissances échappées ; si l’orient, inspiré, religieux, grandiose comme ses rivages, vit naître l’homme et la connaissance, ignorant la liberté et la vie civile, jamais ses plus beaux jours n’égalèrent ceux que depuis a connus l’occident. Dans ses beaux jours, nous voyons en Chine un empereur brûler tous les livres de l’histoire, pour effacer les souvenirs et les droits des rois dépouillés qui s’agitaient ; par un seul ordre, un autre empereur fait renfermer ou périr tous les lettrés : environnée à l’orient et au sud par une mer orageuse, limitée au nord par d’immenses déserts, bornée à l’ouest par des chaînes de montagnes couvertes de glaciers, la Chine se renferma chez elle, plaça ses dieux sur les montagnes, à la manière des Indiens, sans communiquer sa science au monde comme eux.

Si Moïse emprunta beaucoup aux Égyptiens, qui firent son éducation ; si la Bible peut être regardée comme un extrait de ce que l’homme avait fait de beau et de sublime dans des climats divers, dans l’Inde, en Arabie, en Chaldée, avec le progrès de plusieurs siècles de civilisation et de changemens politiques, cependant les Hébreux ont un caractère particulier qui les distingue entre tous ; à nul peuple Dieu n’avait dit : « Je vous serai Dieu et vous serez mon peuple. » La race d’Égypte, forte et mélancolique, leur donna-t-elle l’exaltation religieuse ? La respirèrent-ils sur cette terre de Syrie, travaillée par des miracles ? Ils eurent une aristocratie sacerdotale et royale, mais Moïse imprima au peuple la direction par ces mots : Dieu vous a choisis. Tandis qu’aux Indes, à Rome (comme depuis à Londres, à Vienne) on fit des castes dont l’origine fut rapportée à la conquête ou perdue, Moïse, en disant : « Dieu vous a choisis, » transporta un même peuple de son temps aux nôtres. La pensée de Moïse est une idée mère, car la civilisation nous mène à vivre, comme les Hébreux, selon les volontés toujours mieux connues de la nature.


  1. Les historiens diffèrent sur ce dernier nombre.
  2. Machiavel.