La Femme et la démocratie de nos temps/27

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CHAPITRE XXVII.


Proclamons notre fidélité à la royauté actuelle de France et à celle qui reste en Europe. À Dieu ne plaise que nous voulions ébranler les seuls appuis qui, aujourd’hui, tiennent encore le ciel sur nos têtes !

Mais c’est une royauté transitoire et mourante, protectrice d’un avenir où elle n’assistera plus.

Le sceptre sera rendu au plus digne, et le mot d’Alexandre est une vérité éternelle. Quand sera-t-il rendu ? Comment ? Nous l’ignorons encore. On n’arrête pas l’élévation humaine, on ne la fait pas reculer ; on peut la plier aux exigences du moment, mais c’est pour la voir ressaisir tôt ou tard son but. Croire que l’homme a su jadis réaliser ses plus précieux instincts et qu’il ne le saura pas à l’âge de la civilisation, c’est absurde. Nulle institution n’a été si haute et nulle ne s’est traînée si bas que la royauté : des rois misérables, perdant la tradition, en furent réduits à leur propre force, qui, n’étant rien, se dégrada et les conduisit à une honte où de simples hommes ne pouvaient pas arriver. Quand la vertu était oubliée, les vrais chefs devaient la rétablir ; ils se présentèrent ; l’empereur Napoléon fut couronné ; mais les plus grands hommes, nous l’avons remarqué, succombent s’ils ne sont pas soutenus, et l’on ne doit pas plus les obliger de soumettre les nations par la violence que les leur livrer sans condition.

La vieille royauté, en se dégradant, devint une injure pour le talent. Voici, par exemple, Jacques Ier et Bacon en présence, l’un le rebut de la société et de la nature, l’autre un des plus grands hommes qui aient paru, faibles tous deux, l’un sans excuse, l’autre méritant des autels. Quand Bacon, entraîné par les bassesses de la cour, l’influence des valets, qui étaient les maîtres sous Jacques Ier, les longues difficultés que l’envie opposa à sa carrière, et une ambition si noble d’abord qu’il ne fallait pas moins que ce règne pour la corrompre ; quand Bacon s’égara[1], il n’en méritait pas moins le respect pour son génie, sa vie laborieuse, ses expériences scientifiques, ses découvertes, sa puissance presque divine qui le plaçait au dessus des hommes ; le roi reste sur un trône qu’il ruine et précipite, et Bacon est puni ; le roi meurt en paix, et Bacon meurt de chagrin, disant : « Je laisse mon nom et ma mémoire aux nations étrangères. Et à mes concitoyens après quelque temps. »

Si les descendans des vrais rois durent rougir de se trouver si indignes d’eux, les rois nouveaux, héros après l’action, ne doivent-ils pas rougir aussi ? Le Roi des Français a répondu à la voix du pays qui cherchait un sauveur dans des circonstances dangereuses, il était Français et de race ; mais Léopold en Belgique ! mais Othon en Grèce ! Quels rois ridicules ! Ne le sentent-ils pas ? Osent-ils recevoir les hommages de soldats qu’ils n’ont pas commandés, de peuples qu’ils n’ont pas affranchis ? Le jour viendra où un juste sentiment de ridicule rendra aux rois la pudeur ; on aura honte de porter un diadème sans l’avoir mérité ; un autre Léopold se retirera modestement en désignant des Flamands plus dignes que lui ; un autre Othon, avec un front rougissant, s’inclinera devant les héros grecs, en suppliant son père de ne pas l’accabler de confusion ; il lui dira : « Irais-je régner sur ces guerriers, descendans des dieux, qui viennent, suivis de leurs palikars superbes, discuter les affaires dans un hangar de bois de sapin ? Aurais-je leur attitude martiale et fière ? leur voix émue, ferme, harmonieuse ? leurs traits intelligens et grecs ? Ma timide jeunesse imposera-t-elle à leur valeur ? Oserais-je, comme ces chefs héroïques, délibérer armé ? Mes chevaux, comme les leurs, henniront-ils à la porte pour reprendre le chemin des montagnes ? »

Les Grecs opposeront peut-être que nous sommes des races modernes et du Nord, que nous n’avons pas les grands hommes qu’avait l’antiquité. C’est là une infériorité que nous ne voudrions pas reconnaître ; mais comment douter que nos populations nombreuses ne nous donnent les hommes que nous demanderons ? Une science politique nouvelle doit les mettre en avant. Tout état social a sa science plus ou moins forte. L’homme n’atteint la beauté que par la science ; son instinct peut lui dire ce qui est beau, mais des combinaisons seules lui font fixer le beau, en saisir et consacrer les conditions.

Respectons le présent comme le seul moyen d’atteindre un avenir digne de nos travaux, de nos espérances et de l’étendue de notre empire.


  1. Il s’est égaré d’ailleurs beaucoup moins qu’on n’a d’abord prétendu.