La Femme et la démocratie de nos temps/3

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CHAPITRE III.


Les femmes qui surent s’isoler et résister, avaient-elles présent à la pensée ce type de supériorité de femme que les religions ont différemment revêtu ? Elles secouèrent le préjugé, elles le secouèrent, oui ! mais leur plût-il d’avoir à supporter le blâme vulgaire ? Si aujourd’hui une femme, portant là une idée, attache un mérite à sa hardiesse, dans les longues années qui ont précédé, quel fut le sort des femmes ? Parce qu’elles avaient l’esprit, parce qu’elles savaient aimer un homme, remplir leur destinée ; parce que nul préjugé n’avait courbé leur front, ces femmes ont été en butte à un mépris lointain, il est vrai, mais grossier et stupide. Ô vous qui avez défendu la patrie, vous qui fûtes proscrits pour avoir bien fait ; vous qui avez souffert dans les temps passés, vous aujourd’hui qui gémissez et mourez dans les cachots et les forteresses de l’Autriche, dans les mines de la Sibérie ; vous dont le malheur illustre n’a trouvé en Europe que des larmes, vous avez du moins trouvé des larmes ; mais les femmes dévouées et héroïques n’en trouvèrent pas. Si les plus intrépides se consolèrent assez par l’amour qui se suffit trop, combien d’autres plus timides regrettèrent leurs frères, leurs enfans, leurs amis, qui, soumis au préjugé, les blâmèrent ! Que de gêne ces femmes timides trouvèrent à toute chose ! Galantes et frivoles, elles se seraient fait pardonner ; honnêtes et sensibles, elles furent victimes. Nous parlons de la France ; mais dans une contrée voisine, de l’autre côté de ce bras de mer qui sépare deux peuples si différens, combien les femmes sont opprimées ! Si là une d’elles, par le droit de la nature, en appelle de ses premières affections mal engagées et se lie dans un nouvel engagement, cette femme, séparée de ses premiers enfans, bannie de la société, reléguée dans sa maison, voit encore ce qu’on appelle sa faute rejaillir sur ses filles. Parce qu’elle avait souffert dans une première union, on l’a fait souffrir pour toujours ; on l’a punie dans ses enfans : supplice affreux qu’une morale impie a trop employé. Et ici arrêtons-nous, nous femme et mère, devant cette morale atroce qui poussa tant de malheureuses filles à tuer leurs enfans. Qu’on dise si les préjugés pouvaient avoir un plus criminel résultat. Jadis on a exposé les enfans ; en Asie on les expose encore ; dans l’Inde on tue les filles ; mais ici, c’est la mère tremblante, vaincue dans sa force, la force maternelle, la mère, à ce moment terrible où les entrailles se déchirent et parlent un si grand langage, c’est la mère qui va, au milieu des tortures et de l’affaiblissement physique, au milieu du sang qui signale pour elle les hautes opérations de la nature, c’est la mère qui va porter sa main incertaine et languissante sur cette frêle et tendre créature où Dieu l’attacha par des liens sacrés et déchirans. Fondateurs des lois, voilez vos fronts pour ce fait, et si, pour récompenser cette femme de son malheur, vous n’avez trouvé que la mort, laissez-nous chercher dans l’amélioration des mœurs s’il n’est rien de plus moral, de plus humain, de plus digne de celui qui inventa la maternité et l’accouchement. Vous avez choisi l’être le plus sensible de la création, vous l’avez placé entre les passions et la honte, vous l’avez épouvanté au moment d’un mal physique effroyable et sublime, et si, au lieu de céder à la nature, il a cédé à la honte, vous l’avez tué honteusement.

Les esclaves aussi connurent de grands malheurs ; les religieux furent martyrisés : des forfaits, sous tous les points du ciel, semblèrent accuser la nature ; mais n’exagérons rien : dans le premier et rude mouvement du monde, bien des êtres durent être brisés.

Une pensée éclatante se présente partout et nous confond ; nous ne la justifions souvent qu’en lui supposant des mystères ; mais elle mesure notre bonheur au prix que nous faisons d’elle.