La Femme libre/01

La bibliothèque libre.
Collectif
La Femme libre (p. 1-8).

1er NUMÉRO[1]

On souscrit, rue du Caire, n. 17, à l’entresol.
PRIX : 13 C.
Chaque exemplaire.

Pour les renseignemens tous les jours de midi à 4 heures.

LA
FEMME LIBRE.

APOSTOLAT DES FEMMES.

APPEL AUX FEMMES.

Lorsque tous tes peuples s’agitent au nom de Liberté, et que le prolétaire réclame son affranchissement, nous, femmes, resterons-nous passives devant ce grand mouvement d’émancipation sociale qui s’opère sous nos yeux.

Notre sort est-il tellement heureux, que nous n’ayons rien aussi à réclamer ? La femme, jusqu’à présent, a été exploitée tyrannisée. Cette tyrannie, cette exploitation, doit cesser. Nous naissons libres comme l’homme, et la moitié du genre humain ne peut être, sans injustice, asservie à l’autre.

Comprenons donc nos droits ; comprenons notre puissance nous avons la puissance attractive, pouvoir des charmes, arme irrésistible, sachons l’employer.

Refusons pour époux tout homme qui n’est pas asesz généreux pour consentir à partager son pouvoir ; nous ne voulons plus de cette formule, Femme, soyez soumise à votre mari !

Nous voulons le mariage selon l’égalité… Plutôt le célibat que l’esclavage !

Nous sommes libres et égales à l’homme ; un homme puissant et juste l’a proclamé, et il est compris de beaucoup qui le suivent.

Honneur à ces hommes généreux ! Dans l’avenir, une auréole de gloire les attend. Élevons la voix, réclamons notre place dans la cité, dans le temple nouveau qui reconnaît à la femme des droits égaux aux droits de l’homme.

L’association universelle commence ; il n’y aura plus parmi les nations que des rapports industriels, scientifiques et moraux ; l’avenir sera pacifique. Plus de guerre, plus d’antipathie nationale, amour pour tous. Le règne de l’harmonie et de la paix s’établit sur la terre, et le moment est arrivé où la femme doit y avoir sa place.

Liberté, égalité,… c’est-à-dire libre et égale chance de développement pour nos facultés : voilà la conquête que nous avons à faire, et nous ne pouvons l’obtenir qu’à la condition de nous unir toutes en un seul faisceau ; ne formons plus deux camps : celui des femmes du peuple ; celui des femmes privilégiées ; que notre intérêt nous lie. Pour atteindre ce but, que toute jalousie disparaisse parmi nous. Honneur au mérite, place à la capacité, de quelque côté qu’ils se présentent.

Femmes de la classe privilégiée ; vous, qui êtes jeunes, riches et belles, vous vous croyez heureuses lorsque dans vos salons vous respirez l’encens de la flatterie qui vous est prodigué par tous ceux qui vous entourent ; vous régnez : votre règne est de peu de durée ; il finit avec le bal. Rentrées chez vous, vous redevenez esclaves ; vous retrouvez un maître qui vous fait sentir sa puissance, et vous oubliez tous les plaisirs que vous avez goûtés.

Femmes de toutes les classes, vous avez une action puissante à exercer ; vous êtes appelées à répandre le sentiment d’ordre et d’harmonie partout. Faites tourner au profit de la société le charme irrésistible de votre beauté, la douceur de votre parole entraînante, qui doit faire marcher les hommes vers un même but.

Venez inspirer au peuple un saint enthousiasme pour l’œuvre immense qui se prépare.

Venez calmer l’ardeur belliqueuse des jeunes hommes, l’élément de grandeur et de gloire est dans leur cœur. Mais ils ne voient de grandeur et de gloire que le casque en tête et la lance à la main. Nous leur dirons qu’il ne s’agit plus de détruire, mais qu’il s’agit d’édifier.

Les dames romaines décernaient des couronnes aux guerriers ; nous, nous tresserons des fleurs pour ceindre la tête des hommes pacifiques et moraux qui feront marcher l’humanité vers un but social et qui enrichiront le globe par la science et l’industrie.

Jeanne-Victoire.


Les Femmes, jusqu’à présent, ont été esclaves soumises, ou esclaves révoltées, jamais libres.

Les premières pliées à ce naturel de convention qui fait la base de notre éducation, sont esclaves des préjugés sociaux, mais se trouvent protégées par ces mêmes préjugés auxquels elles se soumettent contre tout despotisme individuel.

Les secondes, au contraire, affranchies des entraves de l’opinion générale, ne pouvant invoquer l’égide de cette opinion qu’elles dédaignent, tombent sous la dépendance personnelle des hommes qui, n’étant pas reliés par une morale unitaire, n’ont d’autre sanction à leurs principes et à leurs jugemens isolés que celle du caprice ou du bon plaisir.

Tout en comprenant la nature des femmes qui préfèrent l’abnégation à une satisfaction qui ne serait pas sanctionnée, tout en sachant apprécier l’esprit d’ordre et le noble orgueil qui les rend fidèles au devoir ; nous comprenons aussi la nature de celles qui n’ont pu se soumettre à une loi maintenant privée de cette douce religiosité qui remplit le cœur et rend le devoir plus facile.

Leur révolte fut sainte et légitime, du moment où les hommes violèrent la loi qu’eux-seuls avaient formulée, et ne se souvinrent de sa sublime pureté que pour l’exiger de nous, et nous imposer le joug de son austérité à laquelle ils savent se soustraire.

Dès lors il n’y eut plus de religion, les femmes furent forcées d’employer la ruse pour lutter contre l’égoïsme des hommes ; le préjugé succéda à la saine morale dont il n’eut que le masque, et la débauche de la vie privée augmenta avec la sèche rigidité de la vie extérieure.

Le premier anneau de notre chaîne fut rompu, et notre liberté se continua au milieu de la licence, où durent être entraînées les femmes qui, n’ayant pas conscience de leur insubordination, n’eurent plus aucune règle pour les guider sagement dans le torrent de dissolution qui les emportait et qui fut la plus haute négation d’une morale trop exclusive pour être en harmonie avec les lumières de notre siècle.

S’il a été utile que nous soyons soumises à une loi qui, en nous subalternisant aux hommes, assurait à notre faiblesse des protecteurs contre la force qui alors fut aussi utile pour régir et faire progresser l’humanité ; maintenant qu’il est bien reconnu que le pouvoir brutal tend à disparaître pour être remplacé par le pouvoir moral, il est utile que nous prenions successivement de droit la place que nous occupons de fait. La protection des hommes n’est plus qu’un vain mot, depuis long-temps nos protecteurs ne se servent du pouvoir que leur donne ce titre que pour nous séduire, nous juger et nous condamner ; réduites à nos propres forces, pour résister à leur immoralité nous ne les entraînons dans le vice qu’après y avoir été entraînées par eux…

Gloire aux femmes qui, brisant leur nature et la soumettant aux exigences de la loi chrétienne, out sacrifié à une noble fierté les battemens d’un cœur qui ne pouvait être compris d’un monde qui se joue de la véritable vertu, et la fait consister dans la froide réserve et la molle uniformité. Elles ont conservé cette dignité, résultat d’une satisfaction de conscience que donne toujours le sentiment de l’accomplissement d’un devoir. Elles ont sur les hommes cet ascendant qui commande le respect, et qui, à leur insu, leur fait connaître notre supériorité de mœurs.

Mais aussi gloire aux femmes qui, suivant l’instinct de liberté qui était en elles, ont aplani la route de notre émancipation. Quels que soient les désordres où leur faiblesse a pu les entrainer, se fussent-elles plongées dans la fange, leur nom un jour sera béni ; flétries par l’opinion, on n’a vu en elle que le côté dégradant, à nous il appartient de réhabiliter, à nous il appartient de sonder les profondeurs de ces abîmes de corruption où se trouvent englouties tant d’existences, tant de brillantes espérances… Que tout homme en nous lisant, en nous voyant, s’abstienne de nous juger, s’il ne comprend pas la haute moralité qui nous fait agir, et la foi religieuse qui nous donne la force de vaincre la réserve dont notre éducation nous avait enveloppées, pour venir révéler hautement ces profonds mystères d’un cœur de femme qui, suivant qu’ils sont développés ou réprimés produisent une source féconde des plus sublimes vertus ou un gouffre de vices et de dissimulation…

Dégagées de toute prévention, nous remonterons à la source de cette horrible dépravation qui fait d’une partie de la société un véritable enfer ; là, toutes les ressources de l’esprit, de l’adresse, de la beauté, sont employées à attirer ceux que cette dépravation n’a pas encore atteints, ou qui ne sont encore que sur le bord de l’abîme, horrible repaire où toute la puissance n’est que démoralisatrice et se reproduit sous mille formes différentes ; par la fraude, le vol, l’assassinat, le suicide, la prostitution… Ah ! pitié, pitié, pour les malheureux emportés par le torrent ; et nous, parce que nous avons eu la force d’y résister ou que des circonstances indépendantes de notre volonté nous en ont tenues éloignées, loin de jeter sur la tête des malheureuses victimes un anathème dont elles ne peuvent soulever le poids, notre voix s’élèvera pour elles, nous les protégerons de notre amour et de l’estime que nous sommes en droit d’exiger pour nous, car notre vie a été pure de toute souillure selon la loi chrétienne.

Quelle que soit la vie passée des femmes qui se rangeront sous notre banniere, elles ont, comme nous, droit au respect. car notre bannière est religieuse, et plus d’une, soutenue par nous, ferait, en dévoilant ses douleurs, retomber sur ses accusateurs la boue dont ils essaieraient en vain de la couvrir.

Nous, femmes qui arborons cette bannière, nous nous déclarons libres non point d’enfreindre pour notre vie intime l’ancienne loi morale, nous la pratiquerons jusqu’au moment où une loi nouvelle moins exclusive viendra la remplacer ; mais nous nous déclarons libres de toutes les formes extérieures que nous imposent les convenances.

Pratiquant la morale chrétienne aussi rigoureusement que ceux même qui jugent tout par elle, nous serons liées à eux par nos actes, par notre amour du devoir et de l’ordre. Mais aussi nous serons liées à ceux qui la renient, par l’appréciation que nous savons faire de leur nature, par notre abandon et le désir qui est en nous de les amener à la loi qui, en les réhabilitant fera cesser les maux et les désordres dont ils sont souvent les auteurs.

Ainsi, placées entre ces deux camps si opposés, dont l’un est tout aussi exclusif dans sa régularité, que l’autre dans son désordre, nous emploierons toute notre puissance conciliatrice pour faire cesser l’antagonisme qui est entr’eux, et leur faire apprécier réciproquement leurs vertus et leur valeur, jusqu’au jour où leurs progrès mutuels leur permettront, non point de former un seul et même camp, mais de siéger ensemble dans le temple nouveau et d’être unis par un même amour, un même désir, l’harmonisation de l’intérêt particulier à l’intérêt social ; alors sera produite la loi nouvelle qui donnera satisfaction et règle à chacun d’eux, alors notre apostolat sera fini, la femme par ses œuvres aura élevé sa nature à la hauteur de l’homme ; elle sera son égale, et leur union amènera le régne de Dieu sur la terre.

Jeanne-Désirée.


Cette publication n’est pas une spéculation, c’est une œuvre d’apostolat pour la liberté et l’association des femmes. Ayant senti profondément l’esclavage et la nullité qui pèsent sur notre sexe. Nous élevons la voix pour appeler les femmes. à venir avec nous, réclamer la place que nous devons occuper dans le temple, dans l’état, et dans la famille.

Notre but est l’association. Les femmes n’ayant eu jusqu’ici aucune organisation qui leur permît de se livrer à quelque chose de grand, n’ont pu s’occuper que de petites choses individuelles qui les ont laissées dans l’isolement.

En offrant à leur activité une œuvre sociale à accomplir, un but à atteindre, nous avons foi que beaucoup se rallieront à nous, que d’autres nous imiteront en formant plusieurs groupes agissant chacun suivant les idées de celles qui les formeront, jusqu’au moment où ayant accompli l’œuvre qui leur est propre, ils se réuniront pour ne plus former qu’une seule et même association.

Cette publication n’est donc qu’un moyen pour arriver au but que nous nous proposons. C’est pourquoi nous faisons appel à toutes les femmes, quel que soit leur rang, leur religion, leur opinion, pourvu qu’elles sentent les douleurs de la femme et du peuple, qu’elles viennent se joindre à nous, s’associer à notre œuvre, et partager nos travaux.

Nous sommes Saint-Simoniennes, et c’est précisément pour cela que nous n’avons pas cet esprit exclusif qui repousse tout ce qui n’est pas soi. C’est notre nouvelle religion qui nous fait voir en chaque chose, ce qu’il y a de bon, de grand, et qui nous fait chercher et prendre l’élément progressif partout où il se trouve.

En nous occupant d’une œuvre de régénération, nous ne prétendons pas nous imposer une tâche au-dessus de nos forces, nous tiendrons compte de la position où les femmes se trouvent placées par leur éducation, nous savons que généralement elle ne peut leur donner que des idées étroites et décousues.

Cependant quelques-unes échappent à la loi commune, d’autres passent avec facilité d’une idée très-profonde, à une idée très-légère. C’est pourquoi nous qui comprenons ce qu’il y a de bon dans ces natures, et qui sentons la nécessité de les satisfaire toutes, nous prendrons la forme irrégulière qui est le signe distinctif da caractère de la femme de notre époque.

Nous parlerons morale, politique, industrie, littérature. modes, non point selon l’opinion et la règle reçues ; mais selon notre cœur. Nous tiendrons moins à la science et à l’élégance du style, qu’à la franchise des pensées. Car ce que nous voulons avant tout, c’est que les femmes se débarrassent de leur état de gêne et de contrainte où les tient la société, et qu’elles osent dire dans toute la sincérité de leur cœur, ce qu’elles pressentent, ce qu’elles veulent pour l’avenir.

Marie-Reine.

P. S. Nous n’insérerons que les articles de femmes. Nous invitons celles qui voudront écrire dans cette brochure, à s’adresser à Marie-Reine, directrice, rue du Caire, no  17, de midi à 4 heures, tous les jours excepté le dimanche.

Nous recevrons aussi les lettres particulières relatives aux questions qui seront traitées dans nos publications.

(Afranchir les lettres).


Jeanne-Désirée, Fondatrice,


Marie-Reine, Directrice.


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PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,
PASSAGE DU CAIRE, no  54.
  1. Le second numéro paraîtra le 26 août.