La Femme libre/02

La bibliothèque libre.

LA FEMME LIBRE.
2e NUMÉRO.

S’adresser, pour les renseignemens et l’achat des brochures, de midi à 4 heures, rue du Caire, n. 17, à l’entresol.
23 AOÛT.

On reçoit les souscriptions des personnes qui prennent intérêt à notre œuvre.

Prix : 15 cent.

APOSTOLAT
DES FEMMES.

AUX FEMMES CHRÉTIENNES.

Nous avons fait un appel à toutes les femmes pour les exciter à se joindre à nous afin de travailler à notre affranchissement. Mais, aujourd’hui, je vais parler plus spécialement à celles que le mot de liberté effraie, qui, par leur éducation, leur caractère, sont chrétiennes. Il en est parmi elles, qui nous repoussent franchement, d’autres qui acceptent en secret nos idées, et qui, par rapport au monde, n’osent les approuver hautement. Pour les dernières, je les plains sincèrement, car elles sont bien esclaves. Nous mettrons en usage tous les moyens qui sont en notre pouvoir pour les engager à sortir de cet état de gêne qui les force à employer la ruse et le mensonge. C’est donc à vous, femmes chrétiennes, que je m’adresse. Vous refusez la liberté, vous craignez le désordre ; ah ! je conçois vos craintes, je les ai partagées. Quand un homme grand et puissant proclamait que les femmes devaient être libres, je refusais la liberté : mais tout en la refusant, je réfléchis, j’examinais, et je reconnus que ce n’est point la liberté qui amène la licence mais bien plutôt l’esclavage : Lorsqu’on a long-temps subi un joug, on se lasse de le porter, on le secoue, c’est ce qui a eu lieu en religion, en morale, en politique. Depuis longtemps, le monde s’élève contre la loi chrétienne, et le désordre existe, ce n’est pas nous qui viendrons l’augmenter. Une autre idée sur laquelle je veux attirer votre attention, c’est qu’avec les goûts et le caractère qui doivent le plus trouver satisfaction et bonheur dans la société telle qu’elle est organisée, vous n’avez pas été sans y éprouver des chagrins, résultat de la fausse éducation qu’on nous donne. Mais réfléchissez combien celles qui, par leur caractère, différent absolument de vous, ont dû souffrir davantage, surtout si ce caractère s’est trouvé dans une fille du peuple. Oh ! alors, la malheureuse, il a fallu qu’elle dévore ses pleurs et qu’elle les renferme en elle-même. Quelques-unes ont eu cette force, d’autres ne l’ont pas eue, et on leur à jeté anathème ; on n’a pas réfléchi à la position où elles se trouvaient placées. Femmes qui avez de la charité, sans doute vous avez gémi sur le sort de ces femmes jeunes et belles qui sont plongées dans ces abimes de vices. Mais combien ne devez-vous pas plus souffrir lorsque vous pensez que ces malheureuses ont été perdues par vos époux, vos frères, vos fils ? Qu’elles aussi avaient été pures, qu’elles avaient rêvé les joies d’un amour vertueux et les plaisirs des fêtes ; mais elles étaient pauvres, la misère était là avec sa hideuse figure qui venait détruire tous ces rêves de bonheur ; puis elles voyaient des femmes qui n’étaient pas plus belles qu’elles, et qui cependant jouissaient de tous les plaisirs, étaient parées de tout ce qu’il y avait de plus beau, tandis qu’à peine elles avaient un vêtement et du pain. Au milieu de leur désespoir, des hommes sont venus à elles, ils leur ont parlé d’amour, de bonheur, elles ont cru à leurs paroles, elles se sont vendues croyant se donner, le monde les a repoussées… elles ont été perdues !… Oh ! femmes, c’est au nom de Dieu que je vous invite à concourir à l’œuvre que nous entreprenons pour sauver à notre sexe la honte et l’humiliation qu’il subit par la prostitution. Quoiqu’elle ne pèse que sur une faible partie de nous, nous ne devons pas moins en ressentir toutes les douleurs, nous devons les sentir plus profondément que celles qui y sont plongées, car elles s’étourdissent sur leur position, tandis que nous pouvons l’envisager entièrement. Eh bien, femmes ! venez, car DIEU est là où s’accomplit une œuvre sociale ; DIEU est là où l’on pense à sauver du précipice ceux qui sont prêts à y tomber. Nous en avons beaucoup à sauver, car beaucoup de femmes rêvent la gloire et cherchent par quels moyens elles pourront y arriver. N’en trouvant aucun, elles pourraient faire fausse route et prendre pour de la gloire ce qui ne serait que le plaisir d’un moment. Oh ! qu’elles viennent parmi nous, il y a de la gloire à acquérir. Et vous qui n’aimez que les joies douces de l’intimité, vous trouverez aussi satisfaction pour vos sentimens dans la reconnaissance de toutes celles que vous aurez sauvées des mépris du monde, que vous aurez consolées et dont vous aurez séché les larmes, car elles vous aimeront, et votre nom sera béni par elles. C’est ainsi que parmi nous il y a place pour toutes

Marie-Reine.

CROISADE PACIFIQUE.

Femmes ! le temps est venu où, pouvant nous appuyer sur une religion qui sera aussi déclarée divine quand tous la comprendront. Nous devons unir nos voix à celle de ces hommes généreux, qui nous ont consacré leur vie entière, et réclamer sous leurs auspices notre affranchissement définitif, dire ce que nous entendons par liberté, comment nous la voulons, et l’usage que nous en saurons faire pour le bonheur de l’humanité…

Mais avant que d’oser apprendre au monde ce que nous concevons pour l’avenir, quelle foule de préjugés le passé n’a-t-il pas accumulé sur nous, et ces mêmes préjugés étant regardés comme le palladium de la société, les premières femmes qui oseront avancer la main pour les détruire, devront avant tout, faire à leur sexe le sacrifice de leur réputation. Les possesseurs de femmes ne sont-ils pas par cela même, tous disposés à continuer les mille calomnies qui ont été débitées sur la société Saint-Simonienne. N’a-t-on pas dit qu’en politique nous voulions établir la loi agraire ; en entendant les femmes parler de liberté, ne dira-t-on pas que nous demandons l’avilissant pêle-mêle. Oh ! non, ce ne serait pas en détruisant ce qu’il y a de plus précieux dans la liberté, et de plus délicat dans l’amour, que nous justifierions la prétention d’être les femmes et les hommes les plus moraux et les plus religieux de notre temps.

Que ces hommes se rassurent donc ; l’esclave seule, ruse, trompe, et proteste par le désordre.

Que de gens ne cessent de nous dire qu’il n’y a pas de pays où les femmes soient plus libres qu’en celui-ci, cela est vrai, la belle et progressive France sera toujours à la tête de l’humanité ; mais nos droits en sont-ils plus reconnus ? et n’est-ce pas à nos caresses souvent trompeuses ; à notre souplesse, enfin à ces mille petites ruses que nous devons la position où nous nous trouvons.

N’entendons-nous pas encore dans le mariage civil le mot de protection. Oh ! si tous les hommes n’estimant pas la force au-dessus de tout, nous respectaient dans nos personnes et dans nos volontés, ce mot de protection ne devrait-il pas être remplacé par le mot égalité, et dans les mariages chrétiens, cette phrase de droit divin : Femmes soyez soumises à vos maris, n’est-elle pas encore plus surannée. Que dans un temps de barbarie et de servitude, les prêtres chrétiens adorateurs d’un Dieu pur esprit, nous aient imposé cette loi, je le conçois, la puissance force étant et justifiant tout, c’était alors nous protéger, que d’établir ce droit de propriété sur nous. Après avoir passé par les religions du paganisme où nous étions généralement considérées comme des instrumens de plaisir, c’était reprendre un peu de dignité que d’être unie à un seul homme par l’indissoluble mariage chrétien, par ce titre d’épouse légitime, de mère de famille.

Mais ce qui était tolérable alors, l’est-il encore aujourd’hui ?… Quel aveuglement de croire que l’humanité doit éternellement marcher sur la décision prise dans un siècle obscur et ignorant

Je prêche donc en ce jour une nouvelle croisade pacifique contre le despotisme, contre l’écrasant joug des préjugés, qui condamne indistinctement, et empêche les faibles de se relever, et surtout contre cette injurieuse croyance qui subalternise et déclare notre sexe inférieur à l’autre.

J’adjure cette belle jeunesse de France, si ardente, si généreuse pour tout ce qui lui paraît grand, de se rapprocher de nos religieux défenseurs, de soutenir comme eux la justice de notre cause, et comme eux aussi, de nous entourer de respect : de commander le silence, car notre voix est faible et timide… et cependant nous avons beaucoup à dire ! !

Suzanne.

AFFRANCHISSEMENT DES FEMMES

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Il est bien naturel et bien légal ce désir que nous avons de nous rendre libres et de nous débarrasser des entraves qu’apportèrent jusqu’à présent sur notre route les mœurs et les convenances ; et quoi qu’on en dise, il est grand et sublime pour une femme de ne vouloir ni esclavage ni déshonneur, et d’élever la voix contre ce monde qui ne lui offre que l’un ou l’autre. Selon lui une femme doit se renfermer dans le cercle de la vie domestique et dans les fêtes et les plaisirs qu’il lui permet : il lui impose tant de contrainte et tant de gêne que le plus souvent ses plaisirs et ses fêtes ne sont que des corvées ! Et à présent qu’il nous entend parler de liberté, nous, femmes, il s’indigne, parce que, hors l’esclavage, il ne connaît que la prostitution ! Erreur : la liberté que nous voulons repousse l’une autant que l’autre. Nous sentons vivement les peines et les privations de tous genres qui nous attendent si nous courbons la tête sous le joug des préjugés ; mais nous sentons aussi que le bonheur n’est pas où beaucoup le croient. Nous ne nous effrayons pas de l’anathème que plusieurs lanceront contre nous, fortes comme nous sommes de la conviction intime qu’un jour ils avoueront qu’ils s’étaient étrangement trompés en croyant voir dans notre amour pour la liberté un penchant vers la licence. Maintenant ils jugent d’après leurs principes, et leurs principes n’ont eu pour conséquences que le mensonge et l’effronterie. Pouvait-il en être autrement, quand pesaient sur nous des obligations que notre nature nous rendait inobservables ; et comment serions-nous fausses quand on ne nous fera plus un crime d’être ce que Dieu nous a faites, des femmes aimantes ? Et, par la même raison, comment l’effronterie trouverait-elle place chez nous, quand on ne nous fera plus un devoir de cette froide réserve, si gênante pour certains caractères ? La liberté donnera l’essor au génie de la femme, à toutes ses facultés intellectuelles ; elle sera belle de franchise et de candeur ; et à mesure qu’elle s’éloignera de ce monde de ruse et de mensonge, elle s’éloignera des vices où il l’a entraînée. Bientôt elle ne connaîtra plus que de douces obligations ; et n’étant plus forcée de marcher dans la voie étroite, elle ne sera plus en danger de tomber dans le gouffre de dissolution. Alors disparaîtront ces abîmes de vices où sont englouties tant de femmes ; mais elles n’y sont tombées que parce que ceux qui se scandalisent de notre liberté les y ont précipitées. Ils n’ont pas craint la licence pour les malheureuses qu’ils ont séduites et à qui ils ont ôté tout retour au bonheur et au respect, et ils la craignent pour celles qui veulent s’affranchir de leur tyrannie et de leur exploitation ; et tel qui nous désapprouve en public nous approuverait en secret si nous usions de notre liberté pour favoriser ses projets de séduction. Quelle confiance accorder à des opinions si contradictoires ? Pour moi, je n’en accorde aucune, et je n’ai jamais été la dupe de la bienveillance qu’affectent ceux qui veulent me faire envisager ma liberté comme un opprobre.

Vous, donc qui souffrez de la contrainte que vous impose la société ; vous, qui avez un cœur si aimant et qui voyez ce cœur méconnu, peut-être outragé par des mépris qu’il ne mérita jamais, secouez le joug, répondez à l’appel qui vous a été fait par des hommes qui se sacrifient pour vous affranchir. N’en croyez pas la renommée, connaissez-les avant de les juger. Moi aussi je les ai raillés, car j’avais écouté leurs délateurs ; mais la première parole qu’ils m’ont adressée a fait tomber cet échafaudage de calomnies, et maintenant je les bénis et les révère, car ils ont embrassé la cause du faible et de l’opprimé. Et maintenant qu’ils sont accusés d’immoralité, si on adressait à leurs juges les paroles qu’adressa Jésus aux accusateurs de la femme adultère, comme elle ils s’en retourneraient absous. Venez donc dire au monde que ses lois vous font souffrir ; venez accuser le monde de vos désordres si vous en avez eus. Ne vous effrayez pas des combats que nous aurons à livrer et des obstacles que nous aurons à vaincre : gloire et bonheur sont au bout de la carrière.

Joséphine Félicité.

PROCÈS DES ST.-SIMONIENS

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Ce sera décidément le 27, que le PÈRE ENFANTIN et ses apôtres, traverseront la capitale pour se rendre au Tribunal. Cette cause ne peut manquer d’intéresser, elle est celle des femmes et du peuple, elle est celle des hommes généreux de tous les partis, de toutes les religions, elle est enfin la cause de l’humanité. À l’époque de dissolvation dans laquelle nous nous trouvons, où toutes les croyances en affaiblissant perdent de leur exclusivisme, et cherchent, au milieu de l’obscurité qui les entoure, la route qui doit les conduire au but commun qu’elles se proposent, où le patriotisme n’est plus seulement cet amour étroit du pays où l’on est né ; mais bien cet amour vaste de tous les peuples, cette divine communion des hommes éclairés et aimans de toutes les nations qui ne considèrent la leur que comme une portion de la grande patrie ; il est inoui de voir sur le banc des accusés des hommes dont les paroles, les écrits, le dévouement ont eu puissance d’inspirer à ceux qui les connaissent, l’union, la confiance ; et dont l’universalité des vues et l’étendue d’amour fait d’eux, ce point central qui servira un jour d’appui et réunira en lui tous les élémens de progrès qui agitent en ce moment la société.

Nous nous félicitons d’avoir fondé notre apostolat au moment de ce procès, nous en suivrons le cours, et le récit que nous en ferons nous mettra à même de porter aussi notre jugement. C’est surtout lorsqu’il s’agit d’une accusation d’immoralité, que la parole des femmes doit être comptée pour quelque chose. Y a-t-il un seul homme qui, en examinant sa conscience, puisse se constituer juge dans une question aussi délicate ; quel est celui qui osera prononcer affirmativement sur des théories qui honorent l’homme aussi moral qu’audacieux qui a eu le courage de les exposer, et qui se déclarant passif à l’égard des femmes, attend religieusement qu’elles viennent les sanctionner ou les rejeter ? Les hommes au temps où nous vivons, sont-ils, en fait de moralité, tellement supérieurs à nous, qu’ils se croient encore obligés de prendre fait et cause pour nous, et de nous soutenir dans cette voie ? Nous les déchargeons de ce soin, et nous avons assez bonne opinion de notre sexe, pour être persuadées que la liberté ne l’entraînera pas à la licence, et qu’en fait de relations morales, nous sommes plus compétentes que les hommes pour juger.

Jeanne-Désirée.

P. S. Nous n’insérons que des articles de femmes, nous invitons celles qui voudront écrire dans cette brochure, à s’adresser à Marie-Reine, directrice, rue du Caire, no  17, de midi à 4 heures, tous les jours excepté le dimanche.

Nous recevons aussi les lettres particulières relatives aux questions qui seront traitées dans nos publications.

(Affranchir les lettres et envois.)

Marie-Reine, Directrice.


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PARIS. — IMPRIMERIE DE AUGUSTE AUFFRAY,
PASSAGE DU CAIRE, no  54.