La Fenaison (Verhaeren)
LA FENAISON
Bidons au poing, paniers au dos,
Un linge humide enveloppant la gourde,
S’en vont, vers l’horizon,
Les gens qui font leur fenaison,
Les carrefours pierreux et blancs
Tracent leur croix par l’étendue.
Aucune ombre n’est suspendue,
Nuage en marche, sur l’Escaut.
Apparaissent, vides et flasques.
Le corps virant de droite à gauche,
Fauchent ;
Fourches hautes, les femmes
Remuent, ainsi que des drapeaux en flamme.
À la lueur
Des serpes et des piques ;
L’odeur humaine envahit l’air ;
Les bras sont forts, les aciers clairs
Se redressent dans la poussière :
L’Escaut ondule en vagues de lumière,
Les blés roulent, de l’un à l’autre bout,
L’or des reflets et l’or des moires.
À cruche pleine, on verse à boire.
Les servantes vers le fleuve s’en vont
Moites des flancs, moites des seins,
Et maculant le drap de leurs corsages pleins
Les corps s’allongent pour la sieste ;
Mais aussitôt que les heures prestes
Réveillent, tout à coup, le travail engourdi,
L’ahan reprend.
Et c’est jusques au soir les mêmes gestes,
La même ardeur, le même acharnement, debout
Dans la torride violence,
On suit, à fleur de sol, les empreintes laissées
Du vol circulaire des faux.
Les foins, de jour en jour, tassent leurs monts plus haut.
Et pour les emporter voici les attelages
Si lourds et si compacts et si monumentaux,
Qu’à leur rentrée on croira voir, le soir, par les hameaux,
Entre les toits balancera le poids
La fille la plus forte et le plus fier des gars
Se camperont en haut du tas,
Les corps noyés dans l’or et la poussière,
La crasse et la sueur plaquant leur peau,
Et brandissant, ainsi que des hérauts,
Au-dessus de leurs fronts durs et têtus, la faux