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La Ferme à Goron/10

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Tresse & Stock (p. 99-102).


X



Avec un sourire malicieux, Mme Goron avait reçu la visite de l’huissier venu pour lui apporter la sommation de l’usurier de Caudebec. C’est ça qui lui était égal ! Cyrille était assez bête pour en avoir le rouge à la figure ! Ça n’était pas déshonorant, après tout ! Et quand elle aurait raconté à Jumièges la série d’événements qui les amenait là, on la plaindrait simplement, et il ne ferait pas bon à l’homme d’affaires et à l’usurier qui les avaient mis dedans, de venir se promener dans le pays.

L’huissier avait ordre de ne saisir que la ferme et non ce qu’il y avait dessus. C’était au propriétaire Goron qu’ils en voulaient.

Alors Mme Goron comprit le jeu de l’usurier. Les affaires allant mal partout, il espérait que la ferme ne trouverait pas beaucoup d’amateurs.

Le jour où la vente publique en serait faite, par autorité de justice, les enchères ne seraient pas poussées. Alors l’usurier l’achèterait à bon compte. Il rentrerait d’abord dans les dix mille francs prêtés, puis, aurait pour presque rien une propriété superbe !

Une rage la prit à cette pensée. Mais il n’était pas possible de faire autrement que subir ce joug. Le notaire, à qui elle s’était ouverte de ses embarras, lui avait dit que, malgré toutes ses recherches, il n’avait pu découvrir un prêteur.

Et il lui avait fait sagement comprendre que c’était s’enfoncer plus aisément dans la ruine, si elle voulait s’obstiner à faire valoir.

Quand un bras est malade de la gangrène, il vaut mieux le couper, lui avait-il dit.

En mettant au plus mal, la ferme serait toujours vendue dans les quarante mille francs.

Après la restitution des dix mille francs au préteur de Caudebec, il resterait aux Goron trente mille francs en bon argent, plus ce qui rentrerait des billets souscrits par le jeune médecin.

Cette somme placée sur l’État — et le notaire se chargeait de l’opération — leur rapporterait quinze cents francs de rente.

Pour attendre l’échéance du premier trimestre, ils vivraient avec ce que donnerait la vente des quelques bestiaux restant sur la ferme.

N’était-ce pas mieux ? Plus de crainte de manquer de tout, ainsi qu’il leur était arrivé à cause du départ d’un fermier. Plus d’ennuis d’aucune sorte. Tout compte fait, avec les réparations et les impositions, la ferme ne leur valait pas plus de revenu qu’ils n’en auraient maintenant avec les titres.

En somme, l’expérience de Mme Goron aurait pu lui coûter plus cher. Cyrille lui-même en convenait et s’était tranquillisé.