La Ferme à Goron/14

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Tresse & Stock (p. 131-135).


XIV



Çavait été un joli potin dans le pays. Les blagueurs faisaient des gorges chaudes à propos de cet événement.

Sans compter, ajoutaient les mauvaises langues, que le curé ne l’avait pas volé. Pour ramasser les écus que lui rapporte un enterrement, il avait consenti à donner la cérémonie religieuse à un homme qui s’était peut être suicidé. C’est le bon Dieu qui l’avait puni. Le noyé était retourné à l’eau. C’était justice. Le curé avait pris un bain, c’était bien fait. Et ce pauvre Goron qui avait peur de l’eau, qui y retournait, malgré tout le monde et qui y resterait !

Car son fils, resté à la ferme avec la veuve, avait, lui aussi, drôlement agi.

L’émotion calmée, après deux jours, on lui avait proposé de repêcher le cercueil de son père. D’abord il n’avait pas dit non.

Mais les recherches du père Sandré et d’un pêcheur, armés de crocs, n’avaient pas abouti. Le courant avait certainement emporté le cercueil à quelques centaines de mètres. On avait eu beau chercher pendant des journées, on n’avait rien trouvé.

La seule façon de réussir était de faire venir du Havre des scaphandriers, qui, avec leurs appareils, descendraient au fond du fleuve et, s’y promenant comme dans un champ, découvriraient certainement la dépouille du pauvre père Goron.

Mais cela coûtait des prix fous. Et les Goron ne pouvaient, en ce moment, se livrer à de pareilles dépenses.

Ce qui n’avait pas marché tout seul, non plus, c’était le règlement des comptes avec le curé qui avait envoyé une note pour se faire payer de la cérémonie religieuse et de la fosse creusée.

— De quoi ? avait dit le fils Goron. Est-ce que vous avez dit la messe, avec le derrière mouillé, comme vous étiez ? Quant à la fosse, elle est creusée, c’est vrai. Mais, est-ce que papa est dedans ?

Et il n’avait pas déboursé un centime. D’ailleurs, avec la meilleure volonté du monde, il lui était difficile de se dessaisir d’une somme quelconque. Il n’était que trop vrai que le notaire avait disparu en emportant l’argent que sa mère allait chercher le jour où son père était mort.

Mme Goron n’avait pas perdu la tête. Devant cet effondrement de son bien-être et de son bonheur, la paysanne qui était en elle s’était réveillée.

Et, vite, elle avait bâti son plan :

Se proposer à l’usurier comme fermière de son ancienne propriété. Y faire venir son fils et sa famille qui, se trouvant dans la gêne, acceptaient cette situation. Y travailler avec acharnement, non plus en amateurs, mais en paysans, durs au travail, économes. Ils arriveraient parbleu bien à vivre, payer le loyer et mettre de l’argent de côté.

Comme il fallait acheter des bestiaux, des instruments de travail, elle y emploierait l’argent que devait encore le médecin. La guigne qui la poursuivait semblait être partie avec ce pauvre Cyrille. Peut-être, un jour, pourrait-elle, avant de mourir, laisser à son fils la ferme reconquise et rachetée à l’usurier. Ses parents, à elle, avaient bien fait ainsi.