La Fièvre d’or/15

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Amyot (p. 181-195).
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XI

COMMERCE.

Nous avons dit dans un précédent chapitre dans quel but se présentait Valentin à la place de son ami : il voulait tâcher de découvrir pour quelle raison doña Angela désirait si ardemment revoir Louis ; quant à don Cornelio, il était persuadé intimement que son mérite personnel avait tout fait, et que la jeune fille n’avait d’autre intérêt que celui de se rapprocher de lui.

D’un autre côté, le chasseur, averti par Curumilla, n’était pas fâché de voir l’homme avec lequel, à une autre époque de sa vie, il avait en des rapports indirects, rapports qui, d’un moment à l’autre, pouvaient devenir plus intimes à cause de la nouvelle position du général et des projets de don Luis.

Les deux étrangers se présentèrent hardiment ; leur maintien était convenable, sans forfanterie comme sans bassesse, tel, enfin, qu’on devait l’attendre d’hommes longtemps éprouvés par les hasards sans nombre d’une vie aventureuse.

Le général s’attendait probablement à voir paraître des gens aux manières triviales et aux traits communs ; à la vue des deux hommes, dont la mâle et loyale physionomie le frappa, il tressaillit imperceptiblement, se leva, les salua avec courtoisie et les invita poliment à prendre place sur les siéges qu’il avait d’avance fait préparer pour eux.

Doña Angela ne savait que penser après les paroles si positives de don Cornelio. L’absence de don Luis et son remplacement par un homme qu’elle ne connaissait pas lui paraissaient inexplicables ; cependant, sans se rendre bien compte du sentiment qui l’agitait, elle devinait, sous cette substitution, un mystère qu’elle cherchait vainement à approfondir.

Violanta était aussi confuse et aussi étonnée que sa maîtresse.

Seul, le capitaine était demeuré assez indifférent à ce qui se passait. Le vieux soldat, profitant habilement de ce que la bouteille de refino avait été placée à sa portée, s’était versé un grand verre d’aquardiente qu’il buvait à petits coups, en attendant patiemment qu’il plût au général d’entamer la conversation.

Voilà dans quelle position se trouvaient placés nos divers personnages vis-à-vis les uns des autres.

Lorsque enfin, sur son invitation réitérée, les chasseurs se furent assis, le général prit la parole.

— Vous me pardonnerez, messieurs, dit-il, de vous avoir dérangés en vous obligeant de vous rendre ici, tandis que c’était moi au contraire qui devais me présenter à votre cuarto, puisque c’est moi qui désire causer avec vous.

— Général, répondit Valentin en s’inclinant respectueusement, mon ami et moi, nous aurions été désespérés de vous occasionner le moindre ennui ; croyez que nous serons toujours heureux d’obéir à vos ordres, quels qu’ils soient.

Après cet échange mutuel de politesse, les interlocuteurs se saluèrent de nouveau.

Nul peuple au monde ne pousse plus loin que le Mexicain la doucereuse félinerie des manières, s’il était permis d’employer cette expression.

— Qui de vous deux, messieurs, reprit gracieusement le général, est le señor don Cornelio ?

— C’est moi, caballero, répondit l’Espagnol en s’inclinant.

— Ainsi, continua don Sebastian en se tournant vers le chasseur avec un sourire aimable, ce caballero est don Luis ?

— Pardonnez-moi, général, répondit nettement le Français, mon nom est Valentin.

Le général se redressa.

— Comment ! fit-il avec étonnement, et où est donc le señor don Luis ?

— Il lui est impossible de se rendre à vos ordres, général.

— Parce que ?

— Parce que, répondit Valentin en jetant à la dérobée un regard sur la jeune fille, qui, bien qu’elle parût fort occupée à causer à voix basse avec sa camérista, ne perdait pas un mot de ce qui se disait, parce que don Luis, ignorant, général, qu’il aurait ce matin même, l’honneur d’être reçu par Votre Excellence, est parti au lever du soleil, à franc étrier, pour San-Francisco.

Doña Angela devint pâle comme une morte et fut sur le point de s’évanouir à cette nouvelle ; cependant elle surmonta l’émotion qu’elle éprouvait et redevint calme en apparence ; elle voulait tout savoir.

Cette émotion, quelque passagère qu’en eût été la durée, n’avait pas échappé à Valentin. Le général tournait à peu près le dos à sa fille, il était donc impossible qu’il s’aperçût de quoi que ce fût.

— C’est fâcheux, répondit-il.

— Vous m’en voyez désespéré, général.

— Son absence sera de courte durée, sans doute ?

— Il ne reviendra pas.

Valentin prononça ces paroles sèchement.

L’émotion qu’éprouva doña Angela fut si vive qu’elle ne put retenir un léger cri de douleur.

— Qu’avez-vous donc, Niña ? lui demanda son père en se retournant brusquement, que signifie ce cri ?

— Je me suis coupée, répondit-elle de l’air le plus naïvement innocent qu’il fut possible.

— Oh ! oh ! s’écria le père avec inquiétude, dangereusement ?

— Non, une égratignure à peine ; pardonnez-moi, mon père, je suis une sotte.

Le général n’en demanda pas davantage, et reprit son entretien avec le Français.

— Je suis contrarié de ce contre-temps, dit-il, j’avais à entretenir votre ami d’une affaire fort sérieuse.

— Qu’à cela ne tienne ! me voilà ; mon ami, en partant, m’a laissé ses pleins pouvoirs pour agir en son nom ; vous pouvez donc parler, général, si toutefois vous ne me jugez pas indigne de votre confiance.

— Une telle supposition serait me faire injure, monsieur.

Valentin salua.

— Mon Dieu, caballero, reprit le général, l’affaire que je désirais traiter avec votre ami est sérieuse, sans doute, mais si vos pleins pouvoirs s’étendent aux affaires commerciales, je ne vois pas pourquoi je ne traiterais pas aussi bien avec vous qu’avec lui.

— Parlez donc en toute sûreté, alors, général, car je suis l’associé de don Luis.

— Voici la chose en deux mots :

— Pardon, s’écria tout à coup doña Angela, avec un petit air résolu qui en imposa au général lui-même, avant que vous parliez commerce avec ce señor, je désirerais, mon père, lui faire quelques questions.

Le général se retourna avec étonnement, et fixant sur sa fille un regard interrogateur.

— Que pouvez-vous donc avoir à demander à ce caballero ? lui dit-il.

— Vous le saurez bientôt, mon cher père, répondit-elle avec un léger accent de raillerie, si vous me voulez permettre de lui adresser les trois ou quatre questions que je veux lui faire.

— Parlez donc, petite folle, s’écria le général en haussant les épaules, parlez et finissez-en de suite.

— Merci, mon père ; votre autorisation n’est peut-être pas fort gracieusement octroyée, mais je ne vous en garderai pas rancune.

— Puisque vous le permettez, général, je suis aux ordres de madame.

— D’abord, monsieur, avant tout, promettez-moi une chose.

— Laquelle, señorita ?

— De répondre franchement et loyalement aux questions que je vais vous adresser.

— Que signifient ces folies, Angela ? s’écria le général avec impatience ; est-ce le moment et l’endroit ? est-il convenable pour…

— Mon père, interrompit résolument la jeune fille, vous m’avez permis de parler.

— D’accord, mais non pas de la façon dont vous semblez vouloir le faire.

— Ayez un peu de patience, mon père.

— Bah ! fit le capitaine en intervenant, laissez-la parler à sa guise. Allez, mon enfant, allez.

— J’attends la réponse de monsieur, dit-elle.

— Je vous fais la promesse que vous me demandez, senorita, répondit Valentin.

— Je retiens votre parole. Quel est le nom de votre ami, monsieur ?

— Duquel, señorita ?

— De celui que vous remplacez.

— Il se nomme le comte Louis-Édouard-Maxime de Prébois-Crancé.

— Il est Français ?

— Né à Paris.

— Vous le connaissez depuis longtemps ?

— Depuis sa naissance, señorita, ma mère a été sa nourrice.

— Ah ! fit-elle avec satisfaction, alors vous êtes bien véritablement son ami.

— Je suis son frère de lait.

— Il ne doit pas avoir de secrets pour vous ?

— Je ne le crois pas.

— Bien.

— Ah çà ! s’écria le général, mais ceci devient intolérable ; que signifie cet interrogatoire que vous faites subir à ce caballero, et auquel il a la bonté de se prêter si complaisamment ? Vive Dieu ! Niña, je demande pardon pour vous à ce señor, car votre conduite à son égard est inqualifiable.

— Qu’a-t-elle donc de choquant, mon père, mon intention est bonne, et je suis certaine que vous-même en conviendrez lorsque vous saurez pourquoi j’ai adressé à ce caballero ces questions si simples, et qui cependant vous paraissent si extraordinaires.

— Eh bien ! voyons, quelle est cette raison ?

— La voici : il y a trois ans, lors du voyage que vous fîtes de Guadalajara au Tepic, n’avez-vous pas été, à un endroit nommé le Mal paso, attaqué par des salteadores ?

— En effet, mais qu’a de commun, je vous prie…

— Attendez, fit-elle gaiement, deux hommes arrivèrent à votre secours.

— Oui, et je n’ai pas honte, d’avouer que, sans eux, j’aurais probablement été non-seulement dévalisé, mais encore assassiné par les bandits ; malheureusement ces hommes refusèrent obstinément de me faire connaître leurs noms. Toutes mes recherches jusqu’à présent ont été infructueuses, je n’ai pu les retrouver, et par conséquent leur prouver ma reconnaissance, ce qui, je vous le jure, me chagrine fort.

— Oui, mon père, je sais que souvent devant moi, vous avez regretté de ne pouvoir rencontrer l’homme courageux auquel vous devez la vie et auquel, moi, pauvre enfant que j’étais alors, j’ai dû plus peut-être.

La jeune fille prononça ces paroles avec une voix attendrie qui émut tous les assistants.

— Malheureusement, reprit le général au bout d’un instant, voilà trois ans que cette aventure a eu lieu, qui sait ce qu’est devenu cet homme, à présent ?

— Moi, mon père.

— Vous ! Angela, s’écria-t-il avec étonnement, c’est imposable.

— Mon père, les questions que j’ai adressées à ce caballero, questions auxquelles il a mis tant de complaisance à répondre, n’avaient qu’un but, acquérir une certitude en corroborant les réponses que je recevrais avec certains renseignements que j’ai obtenus d’autre part.

— Ainsi ?

— L’homme qui vous a sauvé la vie est le comte don Luis de Prébois-Crancé, celui qui est parti ce matin même pour la Californie.

— Oh ! s’écria le général avec agitation, c’est impossible ; vous vous trompez, ma fille.

— Pardonnez-moi, général, plusieurs fois mon ami m’a raconté cette affaire dans tous ses détails, observa Valentin ; à quoi bon chercher à cacher plus longtemps une chose que vous savez maintenant ?

— Et pour lever tous vos doutes, si, ce que je ne crois pas, il vous en restait quelques-uns, mon père, devant la loyale affirmation de ce caballero, regardez l’homme que voilà, ajouta-t-elle en désignant l’Espagnol, ne reconnaissez-vous pas don Cornelio, notre ancien compagnon de voyage, qui chantait continuellement, en s’accompagnant sur la jarana, le romance del rey Rodrigo ?

Le général examina attentivement le jeune homme.

— C’est vrai, dit-il au bout d’un instant, je reconnais à présent ce caballero, que j’ai abandonné blessé, sur sa prière, entre les mains de mon généreux libérateur.

— Que je n’ai plus quitté depuis, appuya don Cornelio.

— Ah ! fit le général ; mais pourquoi cette obstination de dm Luis à ne vouloir pas se faire connaître ? Croyait-il donc que pour moi la reconnaissance serait un poids trop lourd à porter ?

— Ne supposez pas une idée semblable à mon ami, général, s’écria vivement Valentin ; don Luis a cru et il croit encore que le service qu’il vous a rendu était trop minime pour y attacher une aussi grande importance.

Caspita ! lorsqu’il m’a sauvé l’honneur ! Mais maintenant, je le connais, il ne m’échappera pas plus longtemps ; je saurai bien le retrouver tôt ou tard et lui prouver que nous autres Mexicains nous avons la mémoire aussi longue pour le bien que pour le mal. Je suis son débiteur, et, vive Dieu ! je lui paierai ma dette.

— Bien, mon père ! s’écria la jeune fille en se précipitant dans ses bras et l’embrassant avec effusion.

— Assez, petite folle, assez, que diable ! tu m’étouffes… Mais dis-moi donc un peu, petite rusée, je soupçonne que, dans tout cela, tu t’es légèrement moquée de moi.

— Oh ! mon père, fit-elle en rougissant.

— Pourriez-vous, mademoiselle, m’expliquer comment vous avez obtenu tous ces renseignements ? Je vous avoue que cela m’intrigue assez et que je serais heureux de le savoir.

Doña Angela se mit à rire pour cacher son embarras ; mais, prenant soudain son parti avec cette décision qui faisait le fond de son caractère :

— Je vais vous le dire, si vous me promettez de ne pas me gronder trop fort, dit-elle.

— Allez toujours, nous verrons après.

— Je vous ai menti ce matin, mon père, fit-elle en baissant les yeux.

— Je m’en doute ; continuez.

— Si vous froncez ainsi les sourcils, et si vous prenez votre air méchant, je vous avertis que je ne dirai rien.

— Et vous aurez raison, Niña, appuya le capitaine.

Le général sourit.

— Allons, bon, fit-il, voilà encore que vous prenez son parti, vous !

Caspita ! je le crois bien !

— Allons, allons, soyez tranquille, je ne me fâcherai pas ; d’autant plus que je soupçonne la bonne pièce qui se tient là, derrière, avec son air sournois, d’être pour quelque chose dans le complot, dit-il en regardant Violanta, qui ne savait quelle contenance tenir.

— Vous avez deviné, mon père, j’ai parfaitement dormi cette nuit, rien n’a troublé mon sommeil.

— Voyez-vous cela, la petite dissimulée.

— Seulement, hier au soir, j’ai entendu résonner une jarana accompagnant le romance del rey Rodrigo ; je me suis souvenue de notre ancien compagnon de voyage, qui ne chantait jamais autre chose. Je ne sais comment cela s’est fait, mais je me suis persuadée que c’était lui qui chantait en ce moment dans la patio du meson, je l’ai envoyé prier de venir me trouver par Violanta. Alors…

— Alors, il vous a tout dit ?

— Oui, mon père, comme je savais le désir que vous éprouviez de connaître votre libérateur, je voulais vous surprendre en vous le faisant trouver au moment où vous vous y attendiez le moins ; malheureusement le hasard s’est jeté à la traverse de mes projets et est venu renverser toutes mes combinaisons.

— C’est bien fait pour vous, Niña, cela vous apprendra à avoir des secrets pour votre père ; mais console-toi, mon enfant, nous le retrouverons, et alors il faudra bien qu’il nous laisse lui exprimer notre reconnaissance, que le temps, loin de diminuer, n’a fait que rendre plus vive.

La jeune fille, sans répondre, alla toute pensive se rasseoir.

Le général se tourna vers Valentin :

— À nous deux, caballero, lui dit-il. Vous êtes propriétaire du troupeau de bêtes à cornes que vous conduisez ?

— Oui, général ; seulement je ne suis pas seul.

— Quels sont vos associés ?

— Don Luis et le caballero ici présent.

— Fort bien. Voulez-vous vous défaire avantageusement de votre troupeau ?

— C’est mon intention.

— Combien avez-vous de têtes ?

— Sept cent soixante-dix.

— Et vous les conduisez ?

— À San-Francisco.

Caramba ! c’est une rude besogne.

— Nous avons l’intention de louer des peones pour piquer les animaux.

— Mais si vous trouviez à les vendre ici ?

— Je le préférerais.

— Eh bien ! moi j’ai besoin de bestiaux ; les miens ont été volés en grande partie par les Apaches, ces pillards infernaux. Si vous y consentez, nous ferons une cote mal taillée ; votre troupeau me convient ; mon majordome l’a vu, je vous l’achète en bloc.

— Je ne demande pas mieux.

— Nous disons sept cent soixante-dix têtes, n’est-ce pas ?

— Oui.

— À vingt-cinq piastres par animal, cela fait dix-neuf mille deux cent cinquante piastres, si je ne me trompe. Cela vous convient-il ?

— Non, général, répondit carrément Valentin.

Don Sebastian le regarda avec étonnement.

— Pourquoi cela ? dit-il.

— Parce que je vous volerais.

— Hum, ceci est mon affaire.

— C’est possible, général, mais ce n’est pas la mienne à moi.

— Que voulez-vous dire ?

— Je veux dire que le bétail coûte, l’un dans l’autre, dix-huit piastres à San-Francisco, et que je ne puis le vendre vingt-cinq ici.

— Bah ! bah ! j’ai la prétention de me connaître en ganado aussi bien que qui que ce soit, et si je vous offre ce prix de votre troupeau c’est qu’il le vaut.

— Non, général, il ne le vaut pas, vous le savez aussi bien que moi, dit résolûment le chasseur ; je vous remercie de votre générosité, mais je ne puis l’accepter, mon ami m’en voudrait d’avoir fait un tel marché.

— Ainsi, vous refusez ?

— Je refuse.

— Voilà qui est étrange et ne s’est jamais vu, un marchand refuser de gagner sur sa marchandise.

— Pardonnez-moi, général, je ne refuse pas de faire un bénéfice honnête, je ne veux pas vous voler, voilà tout.

— Sur ma parole, vous êtes le premier que je vois comprendre le commerce de cette façon.

— C’est que probablement, général, vous n’avez jamais fait d’affaires avec les Français.

— Il faut en passer par où vous voulez. Combien demandez-vous de vos bêtes ?

— Dix-neuf piastres par tête, ce qui, je vous le jure, me donne encore un fort beau bénéfice.

— Soit ! cela fait ?…

— Quatorze mille six cent trente piastres.

— Très-bien ! Si cela vous convient, je vous donnerai une lettre de change de pareille somme sur la maison Toribi, Dellaporta et Co, de Guaymas.

— Parfaitement.

— Vous entendez, capitaine, le troupeau est à nous.

— Bon ! ce soir il sera en route pour l’hacienda.

— Quand comptez-vous partir ? señores.

— Aussitôt que nos affaires seront terminées ici, général ; nous avons hâte de rejoindre notre ami.

— Dans une heure, la lettre de change sera prête.

Valentin s’inclina.

— Seulement, continua le général, dites bien à don Luis que je me considère toujours comme son débiteur, et que s’il vient dans la Soñora quelque jour, je le lui prouverai.

— Peut-être y sera-t-il bientôt, répondit le chasseur en lançant un regard de côté à doña Angela, qui rougit.

— Je le désire. Maintenant, messieurs, disposez de moi ; si je puis vous être utile, souvenez-vous que je vous suis tout acquis.

— Recevez mes remercîments, général.

Après avoir échangé quelques paroles encore, ils se séparèrent.

En passant devant doña Angela, Valentin la salua respectueusement.

— Don Luis a toujours votre reliquaire, murmura-t-il si bas qu’elle devina ces paroles plutôt qu’elle ne les entendit.

— Merci, répondit-elle ; vous êtes bon.

— Elle aime Louis, se dit Valentin en retournant à son cuarto, accompagné par don Cornelio.

— Cet homme est un fou ! refuser de gagner cinq mille piastres, dit le général à don Isidro, dès qu’il fut seul avec lui.

— Peut-être, répondit celui-ci d’un air pensif ; je crois plutôt que c’est un ennemi.

Le général haussa les épaules avec dédain, et ne daigna pas attacher la moindre importance à cette insinuation.

Le soir même Valentin et ses deux compagnons quittaient San José et se dirigeaient vers Guaymas, sans avoir revu le général ni doña Angela.

Il va sans dire que le chasseur emportait avec lui la lettre de change de quatorze mille six cent trente piastres, parfaitement en règle.