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La Fiancée de Lammermoor/35

La bibliothèque libre.
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, tome 11p. 323-330).



CHAPITRE XXXV.

conclusion.


Quel est celui qui a une âme et un cœur aussi durs que le marbre, pour ne pas monter sa lyre au ton du plus profond chagrin, lorsqu’il a entendu le récit d’un malheur aussi grand ? Voir un brave chevalier, orné de tant de grâces, disparaître tout à coup, s’enfoncer et périr dans un lieu si affreux, pour avoir, cavalier téméraire, couru sur un terrain qu’il ne connaissait pas.
Poème sur le blason, de Risbett, vol. II.


Nous avons anticipé le cours des événements pour parler de la guérison et du sort de Bucklaw, afin de ne pas interrompre le détail des incidents qui suivirent les funérailles de l’infortunée Lucy Ashton. Cette triste cérémonie eut lieu de très-bonne heure, dans une matinée d’automne, par un temps de brouillard, et avec une suite aussi peu nombreuse, aussi peu d’éclat que possible. Seulement quelques-uns des plus proches parents accompagnèrent son corps dans ce cimetière qu’elle avait traversé quelques jours auparavant revêtue de sa parure de fiancée, mais aussi passive alors que l’était maintenant, sous les voiles mortuaires, sa dépouille froide et inanimée. Un terrain adjacent à l’église avait été disposé par sir William Ashton pour servir de sépulture à sa famille ; là, dans un cercueil, sans nom ni date, furent rendus à la poussière les restes de celle qui, aimable, belle et innocente, fut exaspérée jusqu’à la frénésie par une longue suite de cruelles persécutions. Pendant qu’on la déposait dans le caveau, les trois sorcières qui, malgré l’heure choisie, avaient flairé le cadavre, comme les vautours sentent une proie, étaient assises sur la même pierre sépulcrale que le jour du mariage, et tenaient entre elles la conversation que nous allons rapporter.

« Ne vous disais-je pas, commença Ailsie Gourlay, que cette belle noce serait suivie d’un enterrement tout aussi beau ? — Il me semble pourtant, répondit Anne Winnie, qu’il n’y a pas grand’chose de bon à recueillir ici ; seulement un petit denier d’argent[1] distribué à chaque pauvre. Ce n’était guère la peine de venir de si loin pour si peu de chose, avec nos vieilles jambes. — Taisez-vous, folle, reprit Ailsie ; toutes les bonnes choses qu’on pourrait nous donner seraient beaucoup moins douces pour moi que ce moment de vengeance. Les voilà, ceux qui faisaient caracoler leurs chevaux, il n’y a que quatre jours ; ils marchent maintenant, aussi tristes et aussi mélancoliques que nous. Ils étaient tout éclatants d’or et d’argent ; ils sont à présent aussi noirs que la crémaillère. Et miss Lucy Ashton, qui se montrait de mauvaise humeur quand une honnête femme s’approchait d’elle ! aujourd’hui un crapaud peut s’asseoir sur son cercueil, sans qu’elle sente soulever son cœur lorsqu’il coasse. Lady Ashton a maintenant le cœur consumé par le feu de l’enfer ; et sir William, avec ses gibets, ses fagots et ses chaînes, comment trouve-t-il les sortilèges de sa propre maison ? — Est-il donc vrai, demanda la paralytique, que la mariée fut arrachée de son lit, et emportée, à travers la cheminée, par de malins esprits qui tordirent le cou à son fiancé ? — Peu vous importe par qui et comment cela a été fait ? dit Ailsie Gourlay ; je vous dis, moi, que c’est une affaire qui sort du cours naturel des choses : sir William et son épouse, ainsi que tous ceux qui habitent le château, le savent fort bien. — Puisque vous en savez tant là-dessus, dit Winnie, est-il vrai que le portrait du vieux sire Malise Ravenswood descendît sur le plancher du salon, et répandît la terreur au milieu de la compagnie ? — Non, répondit Ailsie ; mais le portrait est venu dans le salon, et je sais bien comment il y est venu : c’était pour les avertir que leur orgueil serait humilié. Dans ce moment même, il se passe encore dans le caveau une chose non moins étrange, mes commères. Vous avez compté douze personnes en deuil, avec crêpe et manteau noir, descendant l’escalier deux à deux ? — De quoi nous aurait servi de les compter ? » dit l’une des vieilles femmes.

« Je les ai comptées, moi, » dit l’autre avec l’empressement d’une personne que ce spectacle avait trop intéressée pour le regarder avec indifférence.

« Mais vous n’avez pas vu, » répliqua Ailsie en se glorifiant de la supériorité de son observation, « qu’il y en a une treizième que l’on n’attendait pas ; et si le vieux proverbe est vrai, il y a quelqu’un dans la compagnie qui ne sera pas long-temps de ce monde. Mais allons-nous-en, commères ; si nous restons ici, je suis sûre qu’on nous accusera de tous les malheurs qui pourront arriver, et je vous prédis qu’il arrivera malheur. »

À ces mots, les trois affreuses sibylles sortirent du cimetière, en croassant comme des corbeaux qui présagent la peste.

En effet, lorsque la cérémonie fut près d’être terminée, ceux qui composaient le convoi remarquèrent qu’il y avait une personne de plus que celles qui avaient été invitées, et ils se communiquèrent tout bas cette observation l’un à l’autre. Le soupçon tomba sur un homme qui, en grand deuil comme les autres, était appuyé, presque dans un état d’insensibilité, contre un des piliers de la voûte sépulcrale. Les parents de la famille Ashton témoignaient, en se parlant à l’oreille, leur surprise et leur mécontentement de la présence inattendue de cet étranger, lorsqu’ils furent interrompus par le colonel, qui conduisait le deuil en l’absence de son père : « Je sais qui est cet homme, leur dit-il à demi-voix ; il a, où il aura bientôt, autant de motifs de s’affliger que nous en avons nous-mêmes. Mais ne vous occupez pas de ce que je vais faire, et ne troublez pas la cérémonie par un éclat inutile. » En parlant ainsi, il s’écarta du groupe de ses parents, et tirant l’étranger par son manteau, il lui dit avec une émotion qu’il s’efforça de réprimer : « Suivez-moi. »

L’étranger, comme se réveillant d’une sorte d’anéantissement, au son de la voix du colonel, obéit machinalement, et tous deux montèrent l’escalier dégradé qui conduisait du caveau au cimetière. Ils furent suivis des autres parents : ceux-ci néanmoins restèrent groupés à l’entrée, observant avec inquiétude les mouvements du colonel et de l’étranger qui, sous l’ombrage d’un if, dans la partie la plus reculée du cimetière, paraissaient avoir une conversation animée.

Le colonel, après avoir conduit l’inconnu dans cet endroit écarté, se tourna tout à coup vers lui, et lui dit d’une voix farouche, mais encore calme : « Je parle probablement au Maître de Ravenswood ? » Il ne reçut aucune réponse. « Je n’en puis douter, » reprit-il avec colère, « je parle au meurtrier de ma sœur ! — Vous ne m’avez que trop bien nommé, » répondit Ravenswood d’une voix sourde et tremblante.

« Si vous vous repentez de ce que vous avez fait, puisse votre repentir vous servir devant Dieu ! avec moi il ne vous servira de rien. Voici la longueur de mon épée, » ajouta-t-il en lui donnant un papier, « ainsi que l’heure et le lieu du rendez-vous. Demain, au lever du soleil, sur le bord de la mer, à l’est de Wolf’s-Hope. »

Le Maître de Ravenswood tenait le papier à la main, et paraissait irrésolu. « Ne poussez pas au dernier degré de désespoir, s’écria-t-il enfin, un malheureux déjà trop à plaindre. Jouissez de la vie aussi long-temps que vous pourrez, et laissez-moi chercher la mort d’une autre main que la vôtre. — Jamais ; non, jamais, répondit le colonel ; vous mourrez de ma main, ou vous compléterez la ruine de ma famille en me perçant le cœur. Si vous refusez le défi loyal que je vous fais, ma juste vengeance vous suivra partout, partout je vous couvrirai d’affronts, jusqu’à ce que le nom de Ravenswood devienne le symbole de tout ce qu’il y a de plus lâche, comme il est déjà celui de tout ce qu’il y a de plus perfide. — C’est ce qu’il ne sera jamais, » dit fièrement Ravenswood. « Si je suis le dernier qui doive le porter, je dois à ceux qui l’ont porté avant moi d’empêcher qu’il s’éteigne dans l’ignominie. J’accepte votre défi, l’heure et le lieu du rendez-vous. Nous serons seuls, je présume ? — Seuls ; et le seul survivant reviendra. — Alors, que Dieu reçoive l’âme de celui qui succombera. — Amen ! Mon esprit de charité peut aller jusqu’à faire ce vœu, même pour l’homme que je déteste le plus mortellement et avec le plus de motifs. Maintenant séparons-nous, car nous serions peut-être interrompus. Les sables sur le bord de la mer, à l’est de Wolf’s-Hope… Au lever du soleil… Nos épées pour seules armes. — Il suffit, je n’y manquerai pas. »

Ils se séparèrent. Le colonel rejoignit le cortège funéraire, et le Maître de Ravenswood reprit son cheval, qu’il avait attaché à un arbre derrière l’église. Le colonel Ashton revint au château avec ses parents, mais dans la soirée il imagina un prétexte pour s’absenter. Ayant pris un costume de voyage, il se rendit à Wolf’s-Hope où il prit son logement pour la nuit dans la petite hôtellerie, afin d’être au lieu du rendez-vous le lendemain de bonne heure.

On ignore comment le Maître de Ravenswood passa le reste de cette malheureuse journée. Il n’arriva que tard dans la nuit au château de Wolf’s-Crag, et fit lever son vieux domestique, Caleb Balderstone, qui avait cessé d’attendre son retour. Des bruits confus et peu exacts au sujet du tragique événement dont le château de Ravenswood avait été le théâtre, étaient déjà parvenus aux oreilles du vieillard, qui était en proie à la plus grande inquiétude en songeant à l’effet qu’ils devaient produire sur l’esprit de son maître.

La conduite de Ravenswood ne fut nullement de nature à calmer ses craintes. Le vieux sommelier l’ayant prié, en tremblant, de prendre quelques rafraîchissements, il ne lui fit d’abord aucune réponse ; puis, tout d’un coup, et d’un ton brusque, ayant demandé du vin, il en but, contre son ordinaire, un grand verre. Voyant qu’Edgar ne voulait rien manger, le vieillard le supplia affectueusement de lui permettre de l’éclairer jusqu’à sa chambre. Ce ne fut qu’après s’être fait répéter trois ou quatre fois cette prière, que Ravenswood fit un signe de consentement, mais sans prononcer une parole. Balderstone l’ayant conduit à un appartement qui avait été convenablement meublé depuis peu, et qu’il occupait d’ordinaire, Ravenswood s’arrêta sur le seuil de la porte.

« Non, » dit-il d’un ton brusque ; « conduisez-moi dans la chambre où mon père mourut ; dans la chambre où elle coucha, la nuit qu’ils passèrent au château. — Qui, monsieur ? » dit Caleb, trop effrayé pour conserver sa présence d’esprit.

« Elle, Lucy Ashton ! Voulez-vous me tuer, imprudent vieillard, en me forçant à prononcer son nom ? »

Caleb aurait voulu faire quelques observations sur l’état de délabrement de la chambre ; mais l’impatience et l’irritation qu’il lisait dans les regards de son maître lui imposèrent silence. Il marcha devant lui, tremblant et sans prononcer une parole, posa la lampe sur la table de la chambre, et se disposait à préparer le lit, lorsque Edgar lui ordonna de se retirer, d’un ton qui n’admettait aucun délai. Le vieillard se retira, non pour prendre du repos, mais pour se mettre en prières. De temps en temps il s’approchait doucement de la porte de la chambre de Ravenswood, pour reconnaître s’il s’était couché ; mais il l’entendait se promener à grands pas, et les profonds gémissements qui accompagnaient le bruit de ses lourdes bottes sur le plancher, donnèrent à Caleb la cruelle certitude que son maître était en proie au plus violent chagrin. Le vieillard, dans son impatience, croyait que le jour n’arriverait jamais. Néanmoins le temps, dont le cours est toujours le même, quoiqu’il paraisse plus rapide ou plus lent aux yeux des mortels, ramena enfin l’aurore, et une rouge lueur se répandit sur la partie de l’Océan qui bordait l’horizon. On était au commencement de novembre, et le temps était beau pour cette saison de l’année ; mais un vent d’est avait soufflé toute la nuit, et la marée, qui montait alors, faisait rouler ses vagues jusqu’au pied des rochers sur lesquels le château était bâti, circonstance qui arrivait rarement.

Dès la pointe du jour, Caleb retourna de nouveau à la porte de la chambre de son maître, et, regardant par une fente, il le vit occupé à mesurer la longueur de deux ou trois épées qu’il avait prises dans un cabinet voisin. En ayant choisi une, il se dit à lui-même : « Elle est plus courte… ; mais peu importe : laissons-lui cet avantage, ce ne sera qu’un de plus.

D’après ces préparatifs, Caleb ne vit que trop bien quel était le projet de son maître, et il savait aussi que toute intervention de sa part serait inutile. Il n’eut que le temps de se retirer de la porte, afin de n’être pas surpris par Edgar, lorsque celui-ci, sortant brusquement de sa chambre, descendit à l’écurie, où le fidèle domestique ne tarda pas à le suivre. Le désordre de ses cheveux et de ses vêtements, joint à la pâleur de son visage, acheva de prouver à Caleb que son maître avait passé la nuit sans prendre aucun repos. Le trouvant occupé à seller son cheval, il lui demanda d’une voix tremblante de lui laisser ce soin ; mais Ravenswood lui fit entendre par un signe qu’il le dispensait de ses services, et conduisit lui-même son cheval dans la cour ; il se préparait à se mettre en selle, lorsque la timidité du vieux domestique cédant à la force de son attachement, sentiment prédominant de son âme, il se précipita tout à coup à ses pieds, et embrassa ses genoux en s’écriant : « Monsieur ! mon cher maître ! tuez-moi si vous voulez, mais ne sortez pas en ce moment ; renoncez au sinistre projet qui vous occupe. Différez seulement d’un jour : le marquis d’Athol doit arriver demain, et tout s’arrangera. — Vous n’avez plus de maître, Caleb, dit Ravenswood cherchant à se dégager de ses mains ; pourquoi vous attacher à un édifice qui s’écroule ? — Je n’ai plus de maître ! » s’écria Caleb en le retenant encore : « j’en aurai un, tant que l’héritier de Ravenswood respirera. Je ne suis qu’un serviteur ; mais j’ai été celui de votre père, celui de votre grand-père ; je suis né dans la famille ; j’ai vécu pour elle, et je mourrai pour elle. Restez seulement chez vous, et tout ira bien. — Tout ira bien ! dit Ravenswood ; pauvre vieillard ! désormais il n’est plus de bonheur pour moi dans la vie, et le moment le plus heureux sera celui qui la terminera : puisse-t-il arriver bientôt ! »

En parlant ainsi, il se dégagea des bras du vieillard, s’élança sur son cheval et sortit du château ; mais, se retournant tout à coup, il jeta au-devant de Caleb, qui accourait vers lui, une bourse pleine d’or.

« Caleb, » dit-il avec un affreux sourire, » je vous fais mon héritier ; » et tournant bride, il descendit précipitamment la colline.

L’or tomba sur le pavé de la cour ; mais le vieillard n’y fit aucune attention, et il se mit à courir pour voir la route que prenait son maître. Edgar tourna à gauche, et suivit un petit sentier dégradé qui conduisait au rivage de la mer : il avait été taillé dans le roc, et aboutissait à une sorte de crique où, dans les anciens temps, on amarrait les barques du château.

Retournant aussitôt à la tour, Caleb monta en toute hâte sur le rempart de l’est, qui commandait la vue entière des sables presque jusqu’au village de Wolf’s-Hope : il vit son maître galoper dans cette direction, de toute la vitesse de son cheval, et la prophétie qui annonçait que le dernier lord de Ravenswood périrait dans les sables mouvants du Kelpy, lui revint tout à coup à la mémoire. Il le vit en effet atteindre l’endroit fatal, et là il cessa de l’apercevoir.

Le colonel Ashton, ne respirant que la vengeance, était déjà au rendez-vous, foulant le gazon avec toute l’ardeur de la colère et jetant des regards d’impatience vers Wolf’s-Crag. Le soleil venait de se lever et montrait à l’orient son large disque au-dessus de la mer, de sorte que le colonel put aisément distinguer un cavalier accourant vers lui avec une rapidité qui prouvait le désir d’une prompte entrevue. Tout à coup le cheval et le cavalier devinrent invisibles comme s’ils s’étaient évanouis dans les airs. Il se crut, un instant, abusé par une vaine apparition ; mais bientôt, s’étant avancé vers cet endroit, il rencontra Caleb Balderstone, qui arrivait du côté opposé. On ne put découvrir aucune trace du cheval ni du cavalier : les vents et les hautes marées avaient considérablement reculé les limites des sables mouvants, et le malheureux Ravenswood, comme l’indiquait la trace des pas du cheval, avait, dans sa précipitation, quitté la chemin qui passait au pied du rocher, pour prendre la route la plus courte et la plus dangereuse. Le seul indice de son sort fut une plume noire qui s’était détachée de son chapeau, et que les flots de la marée montante poussèrent jusqu’aux pieds de Caleb. Le vieillard la ramassa, la fit sécher et la plaça sur son cœur.

On donna l’alarme aux habitants de Wolf’s-Hope, qui accoururent tous, les uns le long du rivage, les autres en bateaux ; mais leurs recherches furent inutiles : les sables mouvants ne lâchent jamais la proie qu’ils ont engloutie.

Notre histoire approche de sa conclusion. Le marquis d’Athol, rempli d’inquiétude par les sinistres nouvelles qui lui étaient parvenues, et voulant soustraire son jeune parent aux suites probables d’une telle catastrophe, avait devancé son voyage : il arriva trop tard pour l’arracher à son sort. Après avoir fait faire de nouvelles mais inutiles recherches, il repartit, et, au milieu du tumulte de la politique et des affaires d’état, il perdit bientôt le souvenir de ce douloureux événement.

Il n’en fut pas de même de Caleb Balderstone. Si l’intérêt eût pu le consoler, il possédait dans sa vieillesse des moyens d’existence bien plus assurés que ceux qu’il devait jamais attendre ; mais pour lui la vie avait perdu tous ses attraits. Toutes ses idées, toutes ses sensations d’orgueil ou de crainte, de plaisir ou de peine, avaient leur source dans ses relations intimes avec une famille qui était maintenant éteinte. Il cessa de se donner un air de hauteur, abandonna ses lieux de réunion ordinaire et ses occupations habituelles, et parut trouver du plaisir à errer dans les appartements du vieux château que le Maître de Ravenswood avait naguère habités. La nourriture qu’il prenait cessa de lui profiter, le sommeil pour lui n’était plus un repos, et, avec une fidélité que montre quelquefois la race canine, mais dont les exemples sont très-rares chez la race humaine, il termina sa vie languissante avant l’expiration de l’année qui suivit la catastrophe que nous venons de raconter.

La famille Ashton ne survécut pas long-temps à celle de Ravenswood, sir William Ashton mourut après son fils aîné, qui fut tué en Flandre ; Henri, qui lui succéda, seul héritier de ses titres et de ses biens, ne voulut jamais se marier. Lady Ashton parvint jusqu’à l’âge le plus avancé, survivant seule aux infortunés dont son caractère implacable avait fait le malheur. Qu’elle se soit repentie intérieurement, qu’elle se soit réconciliée avec le ciel qu’elle avait offensé, nous n’osons ni ne pouvons le nier ; mais elle ne fit jamais paraître aux yeux de ceux qui l’entouraient le moindre symptôme de repentir ou de remords. Elle ne démentit en aucune circonstance le caractère hautain, orgueilleux et opiniâtre qu’elle avait déployé avant ces malheureux événements. Un superbe mausolée en marbre rappelle son nom, ses titres et ses vertus, tandis que ses victimes n’ont ni tombeaux ni épitaphes.


fin de la fiancée de lammermoor.



  1. Silver tippence, deux pence d’argent, petite monnaie qui n’existe plus, et qui valait tout au plus cinq centimes de la nôtre. a. m.