La Figure de proue/Au Palais du frère du Dey

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Eugène Fasquelle (p. 73-76).

Barbaresques

Au Palais du frère du Dey

        Au palais du frère du Dey,
Comme nous regardions par les fenêtres sombres
Descendre vers la mer les jardins rayés d’ombres,
Nous sentions le présent peu à peu s’éluder.
Un fantôme rôdait, de songe et de science,
Et le marbre, le bois, les ors et la faïence
Étaient autour de nous, à jamais possédés.

        Par ces splendeurs mahométanes,
Ainsi, dans ce palais, la nostalgique Alger
Persistait, comme, assise en colliers d’oranger,
Une dernière, molle et fatale sultane ;
Et, le long des bassins et colonnes des cours,
Nous cherchions cette perle humaine d’anciens jours,
Sous le feuillage large où naissent les bananes.


        Nous fûmes, regardant de près,
Parmi les rangs d’arums et d’iris des allées,
Admirant l’air, le ciel au-dessus des vallées,
La Méditerranée à travers les cyprès
Et sa lointaine coupe arrondie et si bleue,
— Comme jadis se promenait la race feue
Qui n’avait point prévu ceux qui viendraient après.

Et de ce lieu nous emportâmes
Seulement le fragile et funèbre trésor
D’une rose trouvée au pied d’un rosier mort,
Rose fanée ainsi que se fanent les femmes,
Les cités sur la mer, les races et les temps,
Et qui garde, arrachée aux rameaux mécontents,
L’odeur des vieilles fleurs et des anciennes âmes…