La Fille du Ciel/03
ACTE TROISIÈME
Avant le lever du rideau, on a entendu des coups de feu sur la scène. À la tombée de la nuit, l’intérieur de la citadelle impériale de Nang-King à moitié démantelée par les Tartares. Haute muraille à créneaux, derrière laquelle on entend sonner des trompes et hurler des soldats qui s’éloignent. Au fond et à gauche, une porte de bronze dont les battants sont arc-boutés par des madriers, et qui est surmontée d’un donjon noir, à trois étages de toits cornus. Au milieu de la scène, un bûcher en bois de charpente et en fagots. Au fond et vers la droite, la muraille crénelée se prolonge ; on aperçoit des terrasses et, tout au loin, la silhouette du palais qui se détache sur le ciel encore jaune du couchant. Du haut de la muraille, au-dessus de la porte, des soldats chinois tirent les derniers coups de feu contre les assiégeants invisibles.
Scène PREMIÈRE
Des blessés sanglants gisent çà et là parmi les décombres. L’Impératrice est au milieu de la scène, vêtue en guerrière, casquée, tenant une arme dans sa main qui saigne. Prince-Fidèle est sur le haut du rempart avec les soldats. Porte-Flèche, blessé à mort, gît à gauche, sur le devant de la scène.
Assez, mes braves amis !… Ne tirez plus sur des fuyards… Gardons la poudre pour l’assaut suprême. (Les soldats cessent de tirer.) Ils s’en vont !… Une fois encore nous voici délivrés !…
Ah ! délivrés, oui !… Délivrés pour quelques minutes du moins… le temps de nous recueillir avant la mort. (Elle s’assied sur une pierre. Aux filles d’honneur qui s’empressent autour d’elle.) Voyez plutôt à ceux qui souffrent trop, par terre. Je n’ai rien, moi : une main qui saigne, cela ne compte pas… Voyez ce qu’ils demandent, allez à leur secours… Le poison, les buires, vous les avez, n’est-ce pas ?
Nous les avons, bonne souveraine…
Ce qu’ils veulent, sans doute, c’est mourir… Aux plus blessés, vous verserez la liqueur de la Grande Délivrance… Épargnez-la cependant, car, hélas ! nous n’en avons pas pour tous… Le contenu de la petite tasse de jade enchaînée au flacon, pour un homme, c’est la dose qu’il faut… Allez, mes chères filles, leur porter le sommeil : là est votre devoir à cette heure… (À Cinnamome.) Toi, Cinnamome, reste auprès de moi, et tu me verseras de tes mains le breuvage… Sur cette pierre, ici, tout près, pose ta buire, avec ma coupe impériale.
Cinnamome obéit. Les autres filles d’honneur se répandent parmi les blessés, se penchent sur eux, et à voix basse leur offrent le breuvage. On continue d’entendre au lointain des coups de feu.
Seigneur, voulez-vous mourir ?… Et aussitôt après vous, je viderai moi aussi la coupe… Voulez-vous mourir, seigneur ?
Non, ma belle fleur tremblante, ma belle fleur des lacs !… Avant que vous soyez venue là, je le voulais… À présent, je ne le veux plus… Laissez-moi rester un peu encore parmi les vivants, pour m’enivrer de cette parole d’amour que vous venez de dire… Secourez ceux qui souffrent plus que moi, sans une amie… et puis vous reviendrez, j’appuierai ma tête sur vos genoux, avant de m’en aller chez les Ombres…
Qu’il soit fait tout ce que vous commanderez, cher seigneur… Près de vous, oui, je vais revenir…
Elle va se pencher sur d’autres blessés, suivie des yeux par le mourant. Les soldats, au fond, agrandissent le bûcher, apportant des poutres, des fagots, des branches. Une rumeur à droite, dans la coulisse, par où de nouveaux soldats arrivent.
Qu’est-ce, là-bas ?
C’est notre envoyé Ouan-Tsi, qui a pu se rapprocher de nos murs, et nous rapportera les nouvelles du dehors… Nous lui avons jeté les cordes, et le voici de retour.
Ah !… Qu’il vienne !… (Aux soldats qui, derrière elle, chargent toujours le bûcher.) Reposez-vous, mes amis !… C’est bien plus qu’il ne faut, allez, pour consumer mon corps… Pourquoi donc faire le bûcher si grand ?
Pourquoi nous voulons tant de flamme… Le Prince-Fidèle vous le dira, Majesté, en vous présentant notre requête suprême.
Scène II
Relève-toi, va !… Plus de prosternements. Nous voici tous égaux. Il n’y a plus qu’une seule et même grandeur, celle que nous donne, pareillement et à tous, la noblesse du sacrifice… (Ouan-Tsi se relève.) Maintenant, parle… N’atténue rien… D’ailleurs, je devine…
Eh bien ! oui, c’est fini, ô ma souveraine !… Votre palais seul tient encore.
Oh ! pas pour longtemps…
Les abords de vos murailles sont évacués… Jusqu’à la fin de la nuit peut-être, ils nous laisseront vivre…
Le reste de la ville, les citadelles de l’Ouest ?…
Aux mains des Tartares, tout !… Cette défroque d’un ennemi, seule, m’a sauvé… Dans les rues, on brûle, on pille, on égorge… Quelques milliers de femmes ont réussi à se jeter dans le fleuve… Les autres, on les viole, en même temps qu’on les étrangle… Le sang coule sur les pavés, autant que l’eau du ciel après l’orage… Chaque ruisseau déverse au fleuve comme un grand éventail rouge… Tout le long des rues, les morts, les torses encore chauds, se vident de leur sang, par l’entaille du cou tranché… Bonne souveraine, pour venir, j’ai enjambé mille cadavres… Mes pieds s’embarrassaient dans les longues chevelures, traînant après elles des têtes coupées… Majesté, c’est la fin !… (Il s’agenouille à nouveau.) Et maintenant pardonnez-moi d’être le messager de malheur.
Un brave et fidèle messager, que je remercie… Relève-toi, t’ai-je dit, et, parmi mes derniers soldats, reprends ton poste suprême… (Ouan-Tsi se relève et se mêle aux soldats, qui, au fond de la scène, continuent de dresser le bûcher. À Cinnamome, en lui indiquant la buire et la tasse d’or :) Allons, Cinnamome, c’est l’heure.
Oh ! Majesté, pas encore.
Les autres filles d’honneur, qui étaient disséminées parmi les blessés, ont entendu et reviennent en silence se grouper autour de la souveraine.
Aimes-tu mieux qu’ils me prennent vivante ?… L’homme qui était là, tu as entendu ce qu’il vient de dire.
Mais le palais tient toujours !
L’armée du Sud peut venir nous délivrer.
Nous venger peut-être… plus tard… Mais nous délivrer… Enfant, qui veux-tu qui nous délivre ? (À elle-même.) Ah ! le secours mystérieux, que si follement j’espérais… « L’étoile, avait dit le bel espion trompeur, l’étoile qui devait si bien veiller sur moi, quand tout fléchirait devant le triomphe du Dragon. » Enfant, qui veux-tu qui nous délivre ?… Plus de poudre, plus de vivres, plus d’eau, plus rien ; nous avons jeté les pierres de nos créneaux ; les portes cèdent, les murailles croulent… (À Cinnanmome.) Donne, va, c’est l’heure !…
Parfois, quand on croit tout perdu, le destin change.
Ô notre souveraine bien-aimée, ne hâtez pas l’irréparable.
L’irréparable serait de trop tarder. Elle fait un signe impérieux à Cinnamome, qui verse le poison dans la coupe. Mais on entend une rumeur, au faîte du rempart où vient de remonter le Prince-Fidèle, au-dessus de la porte barricadée. Le jour continue de baisser.) Qu’est-ce encore ?
Un petit groupe de Tartares, venus témérairement sans armes, là, jusqu’au pied des murs… L’un d’eux, l’air tranquille et superbe, se dit envoyé par leur Empereur… Une communication suprême à Votre Majesté… Sur un rouleau de soie jaune, à la lueur d’une torche qu’on vient d’allumer, il montre le sceau impérial des Tsin.
Une communication ? De l’Usurpateur à votre souveraine, une communication ?… Mais l’idée seule n’en est-elle pas une insulte ? Qu’on leur fasse grâce de la vie, à ces audacieux, mais que, sur l’heure, ils se retirent !
Celui qui a si haute mine, il me semble l’avoir déjà vu…
Déjà vu ? Où cela donc ?
Souveraine, il me semble… Cet inconnu qui vint le jour du sacre… J’en suis sûr, c’est lui…
Pourquoi parler bas ?… Prince, vous m’offensez presque, avec ce ton de confidence, lorsqu’il s’agit de cet homme… Vous voulez dire celui qui se présenta par imposture comme notre vice-roi du Sud… celui-là, n’est-ce pas ?
Oui !
Eh bien, qu’on l’amène alors… Jetez-lui les cordes nouées, et qu’il comparaisse ici devant moi… (On jette du haut du mur les échelles de corde.) Cache le poison, Cinnamome, et la buire d’or… Il n’a pas besoin de savoir, celui qui arrive… Est-ce que la fumée n’a pas noirci mon visage ?…
Votre Majesté est pâle et belle… Et ses yeux en ce moment resplendissent comme des astres…
Les nouveaux venus émergent au-dessus du rempart, l’Empereur tartare d’abord, ensuite Puits-des-Bois et trois autres personnages vêtus comme eux en guerriers tartares, mais sans armes.
Scène III
L’Empereur s’avance tandis que les quatre guerriers de sa suite restent en arrière. Sur un signe de l’Impératrice, les filles d’honneur et les autres assistants reculent jusqu’au fond de la scène.
Ô souveraine, ô guerrière ! Puissent, un jour, s’éclaircir pour vous les destins noirs !
Ah ! laissons les formules vaines ! Les minutes nous sont avarement comptées… Bas les masques, et parlons vite : qui êtes-vous ? Un Tartare, hélas ! n’est-ce pas ?… Sans cela, vous n’auriez pu franchir leur cercle de fer… Un Tartare, dites ?
Oui !
Un espion, alors, quand vous vîntes le jour du sacre ? Rien qu’un espion, hélas !
Non ! Un qui jouait sa vie, ce jour-là, comme à présent, pour sauver la vôtre.
Ah ! ma vie n’importe plus, et le droit de la sauver n’appartient à personne… Auprès de l’Usurpateur qui règne à Pékin, quel rôle est le vôtre ?… Ministre secret pour les aventureuses besognes ? Non, grand dignitaire plutôt, dites ?
Oui.
Et prince ?
Eh ! qu’importe qui je suis ! C’est de Votre Majesté qu’il s’agit, non de moi-même. Daignez entendre ce que l’Empereur…
Où est-il votre Empereur ? À la tête de ses armées ?
Mais… non, dans son palais, là-bas… Les rites, je ne vous l’apprendrai point, ne lui permettent pas d’en sortir.
Pendant tout ce dialogue, on ne cesse d’entendre, dans les lointains de la ville, le canon de la bataille.
Les rites, ah ! les rites !… Vous voyez ce que j’en fais, des rites, moi qui suis la fille des Ming, la fille du Ciel et l’Invisible… Je parais au milieu de mes soldats, je me bats comme eux !… Et c’est lui, votre Empereur-fantôme, qui ose m’envoyer un message ?
Un message de grâce, on ose toujours…
Dites plutôt qu’un message de grâce, c’est ce que l’on devrait oser le moins, lorsqu’on est lui et qu’il s’agit de moi !… Ah ! en effet, ils s’y entendent, les Tartares, à faire grâce !… Vous venez de traverser ma ville de Nang-King, et vous avez vu ? C’est beau, n’est-ce pas, leur œuvre ?…
Hélas ! J’ai vu, oui, avec horreur… Mais, je puis l’attester sur ma vie, tels n’étaient pas les ordres qu’il avait donnés, mon souverain…
Ah !… Un souverain alors qui n’a même pas la force de se faire obéir !… D’autres que vous, en effet, me l’avaient dit… Je le haïssais déjà, de cette indéracinable haine de race que vous savez ; à présent le mépris s’y ajoute. Oh ! cet Empereur, qui fume l’opium dans son palais de momie, tandis que ses hordes de soldats vont à leur gré, à travers les provinces, laissant des traînées rouges et des charniers pour les vautours !…
Et si, par impossible, je m’humiliais jusqu’à l’accepter, sa grâce, qui me la garantirait après tout, puisqu’on ne lui obéit pas ?… Contre cette armée de bêtes fauves, qui était là tout à l’heure, et va revenir hurler la mort derrière cette muraille, qui donc le ferait respecter, l’ordre de grâce de votre Empereur-fantôme ?… Mais qui ?
Moi !
Vous ! (Plus douce et plus troublée.) Vous ! Peut-être en effet, car vous ne semblez pas de ceux à qui l’on ose désobéir… Du reste, votre superbe audace, de reparaître à cette heure !… Mais, si elle ne trompe pas, la loyauté que je lis dans vos yeux, cessez le jeu que vous faites, et, cette fois, répondez : Qui êtes-vous ?
Qui je suis ? Jusqu’ici rien ; inexistant comme une fumée dans de l’ombre ; rien, mais demain tout, peut-être si vous vouliez… demain tout, et rayonnant à vos côtés comme un soleil dans de l’éther bleu…
Ah ! vous vous souvenez trop de mon indulgence, naguère, à tolérer vos énigmes. Dans le parfum de l’encens, dans la pompe et les atours, j’avais la faiblesse d’une femme. Aujourd’hui, non, vous me retrouvez plus haute et plus inaccessible, précisément parce que je suis vaincue et que je vais mourir.
Oh ! souveraine, jamais vous ne me fûtes plus sacrée… Ne vous offensez pas de mes paroles et pour un temps encore laissez-moi mon masque et mon mystère. Écoutez seulement ceci : échappé de ce même palais où, il y a quinze jours à peine, vous m’étiez apparue dans la splendeur impériale, je courais vers Pékin, pour demander à l’Empereur, que vous haïssez tant, d’arrêter l’horrible guerre. En route, j’ai su qu’elles marchaient comme la foudre, nos armées tartares, et j’ai rebroussé, de toute la vitesse de mon navire et de mes chevaux, pour les donner de moi-même, les ordres d’apaisement et de trêve ; j’en avais le droit, tenez : voici le sceau qui m’accorde, au nom des Tsin, les pleins pouvoirs. Vous l’avez dit, je ne suis pas de ceux à qui l’on ose désobéir… du moins en face, quand c’est moi-même qui parle… J’ai appris maintenant comment on ordonne et comment on impose… Daignez seulement permettre aux vôtres de faire les signaux qui demandent grâce… rien qu’un pavillon hissé là sur une tour… et pas une de leurs têtes ne tombera, je le jure…
Pour m’offrir cela, prince, il faut que vous ne soyez pas de sang impérial… La Fille du Ciel n’accepte point la merci d’un Tartare !…
Scène IV
Une armée, là-bas, là-bas !… Ils reviennent, les Tartares ! Des milliers, des milliers… Dans le crépuscule, au loin, c’est, comme une traînée noire…
La distance ?
Au tournant du fleuve, leur avant-garde arrive… Ils remontent par la longue avenue de Sitche-Men.
Allons, leur dernier assaut… Au tournant du fleuve seulement… Donc, il nous reste une demi-heure…
Ils allument des torches… Et maintenant j’entends sonner leurs trompes de guerre.
C’est bien !… Nous serons prêts…
Souveraine !
Pour moi, non !… J’ai dit ma volonté. Il suffit !… (Désignant les soldats.) Mais tous ces braves-là, qui tombent d’épuisement, de faim et de soif… (À Prince-Fidèle.) Eh bien ! oui, pour eux, qu’on les fasse, les signaux qui demandent grâce.
Les signaux qui demandent grâce ?…
Oui, j’ai bien dit cela, ô mon noble sujet ! Je l’ai bien dit !… Ma mort doit suffire aux vainqueurs. Puisqu’il n’y a plus d’espoir, à quoi bon ce carnage de la fin ?… Les signaux, qu’on les fasse.
Pas un seul des combattants ne se rendra.
Cependant, si je l’ordonne !… Ne suis-je déjà plus l’Impératrice ?
Soumis en toutes choses à votre volonté, à cet ordre-là seulement vos soldats n’obéiront pas.
Est-ce vrai ?… Est-ce vrai ?… Mes amis, à présent, je l’exige, vous m’entendez !… Oh ! vous m’épargnerez cet excès d’angoisse, vous, mes chers révoltés !… Vous ne voudrez pas que je sois emportée dans l’autre monde sur les flots de votre sang…
Majesté, le Prince a déjà répondu pour nous tous ! Non, nous ne voulons pas de grâce.
Ah ! vous le voyez, me voici comme votre Empereur tartare : on ne m’obéit pas !… Allez le lui dire, à votre maître… Et en même temps, vous lui conterez comment on sait mourir dans le palais des Ming… Allez, Seigneur, vous avez votre congé.
Souveraine !… Et si c’était moi, à présent, qui l’implorais la grâce… la grâce de rester ici et de tomber à vos côtés…
L’honneur de tomber aux côtés de l’Impératrice, je ne l’accorde qu’à ces braves, — qui sont de ma race, entendez-vous, — et qui ont prodigué leur sang pour me défendre. Allez, Seigneur, j’ai dit. (Se rapprochant de lui, parlant très bas et vite, cette fois, comme une affolée.) Un seul mot encore pourtant… Mon fils, autour de qui l’armée du Sud tient toujours… Mon fils… puisque vous semblez tout oser et tout pouvoir… essaieriez-vous de le délivrer, lui ?… Mais non… quand c’est la mère qui parle en moi, je déraisonne et ne sais plus… Essayer cela, ce serait trahir le maître que vous devez servir…
Je ne sers point de maître, je suis au-dessus des trahisons, libre comme les Dieux et seul devant ma conscience… J’essaierai… Je vivrai pour essayer…
Faites ainsi !… Et, à ce prix-là… plus tard, dans les nuages où tous les morts se retrouvent et se fondent… mes Mânes ne seront point hostiles aux vôtres… Maintenant, allez. Seigneur… Nos dernières minutes nous sont nécessaires… (À Prince-Fidèle en lui faisant signe d’emmener l’Empereur tartare.) Prince, l’audience est close.
Venez, Seigneur. Vous avez entendu notre souveraine vous donner congé.
Non, ouvrez cette porte : nous en avons le temps. Une dernière fois, je veux que l’on sorte de mon palais comme si j’avais encore la liberté et la puissance… Ouvrez ! (Des soldats se précipitent, font tomber les madriers et ouvrent à deux battants la porte.) Rendez les honneurs au messager de grâce !…
Oui, messager de grâce, malgré vous et quand même !… Se retournant sur le seuil et parlant comme un illuminé.) Du haut des nuées de l’orage sombre, le Dragon saura descendre… Et dans ses serres, il recueillera doucement, malgré lui, le beau Phénix qui avait voulu mourir…
Il sort suivi des quatre guerriers tartares. Les soldats barricadent à nouveau la porte avec des madriers et des pierres.
Scène V
Quel est cet homme… qui ressemble à un Dieu ?
En tremblant nous le regardions de loin…
Ses yeux rayonnaient d’amour sublime…
Mais Votre Majesté, si bonne envers tous, semblait hautaine envers lui.
« Soyez attentive et anxieuse comme si vous portiez dans vos mains un vase trop rempli d’eau, dont pas une goutte ne doit tomber. »
Les torches de leur avant-garde arrivent au tournant de l’avenue de l’Est… On commence d’entendre rouler les chariots de leur artillerie…
Déjà, au tournant de l’avenue de l’Est !… Pour venir à nous, la mort a des ailes… (Elle prend elle-même la coupe emplie de poison que Cinnamome avait cachée derrière une pierre.) Allons, c’est l’heure !… (Aux filles d’honneur qui l’entourent, désignant le bûcher.) Quand le breuvage aura fait son œuvre, vous m’étendrez ici, et, dès que la flamme montera, bien haute et claire, alors, votre service à jamais terminé auprès de votre souveraine, vous viderez aussi le bol d’or, pour me suivre… Elle laisse redescendre le bol de poison qu’elle avait commencé d’élever jusqu’à ses lèvres. Prince-Fidèle… j’aurais voulu lui dire adieu… Qu’il vienne !…
Pendant le dialogue précédent, Prince-Fidèle, au fond de la scène, une torche à la main, dirigeait un groupe de soldats armés de leviers et de pioches.
Là-bas, n’est-ce pas lui ?
Prince-Fidèle fait signe aux soldats de déplacer un rocher, qui démasque une étroite porte de bronze.
Ah ! j’ai compris…
Que fait-il ?…
Ce qui devrait être fait… Jugeant, lui aussi, que l’heure est venue pour moi de m’endormir, il préparait ma couche ; ces galeries souterraines abritent mon tombeau. (La porte de bronze s’ouvre. La Perle se jette à genoux et cache son visage. Lotus-d’Or, restée un peu en dehors du groupe, s’est agenouillée près de Porte-Flèche et lui parle bas, en lui soutenant le front.) Inutile à présent, ce tombeau orgueilleux, dès longtemps édifié dans le mystère… Là plutôt, là parmi la belle flamme et la tumultueuse fumée, mon âme s’envolera vers les nuages… Rien de moi ne restera, que les mains d’un Tartare puissent profaner ; ils m’auront cernée vainement, je leur échappe dans l’air…
Mais, souveraine, puisqu’il est caché, ce tombeau, puisqu’il est inviolable, laissez au moins vos filles vous ensevelir là, dans la magnificence… Laissez, de grâce, bien-aimée souveraine !… Cette flamme, pourquoi cette flamme ?… Non, c’est trop horrible.
Enfant, ignores-tu donc l’histoire de notre race ?… Mon ancêtre, vaincu ici même, vaincu comme je le suis, et qui s’était donné la mort… Une heure après, sa tombe violée, son corps dans la rue, jeté en pâture aux chiens et aux vautours… Allons, j’ai dit ma volonté… Prince-Fidèle, va l’appeler ; il s’épuise à d’inutiles besognes ; son sang tiens, coule… inondant sa robe… Sa blessure s’est rouverte, il n’y prend pas garde… Au moins qu’il ait le temps de recevoir mon adieu… Va ! je le veux…
Élégance se relève et fait quelques pas vers le Prince. Pendant le dialogue précédent, Prince-Fidèle a fait allumer d’autres torches et les soldats qui les portent sont entrés dans le souterrain.
Prince !… L’Impératrice…
Prince-Fidèle s’approche aussitôt de l’Impératrice.
Scène VI
Prince, je voulais vous dire adieu, et que ma dernière parole fût pour vous, avec mon remerciement suprême.
Non, ma divine Impératrice, non !… L’heure du repos, hélas ! n’est pas venue, ni pour vous, ni pour moi… Non ! votre lourde tâche n’est pas achevée encore !…
Ma tâche, dites-vous, n’est pas terminée ?… Mais le palais n’est plus que ruines, les portes cèdent, les murailles croulent… Cette fois, nous ne tiendrons pas dix minutes… C’est la fin !…
Eh ! je ne le sais que trop, qu’il n’y a plus d’espérance !…
Alors, laissez !… Puisqu’ils reviennent, les Tartares !… Tenez, je commence à les entendre sonner, moi aussi, leurs trompes de guerre !… Qu’elle soit prise vivante, votre Impératrice, ou seulement qu’on trouve encore son cadavre pour le jeter aux corbeaux, ce n’est pas ce que vous voulez, je pense ?
Écoutez, de grâce !… (Il fait signe d’approcher à Lumière-Voilée qui venait d’apparaître au fond de la scène. L’Impératrice a déposé la coupe sur une pierre.) L’héroïque et dernier effort que nous comptions vous demander, nous avions différé de vous le faire connaître… Souffrez que votre conseiller vous le dise, de notre part à tous.
Majesté, deux cent mille soldats sont morts pour vous… Ces quelques centaines, qui restent ici dans nos murs, tout à l’heure vont encore sacrifier leur vie. Voulez-vous donc qu’ils meurent pour une cause perdue… (Il fait signe au chef des soldats de s’approcher.) Daignez permettre à leur chef de vous implorer avec nous.
Fièrement et sans regret, nous la donnons, notre vie, pour la souveraine… qu’Elle fasse aussi ce que nous attendons de son courage, plus grand mille fois que celui de ses humbles défenseurs…
Ô Majesté, il faut les envier, ces hommes, qui vont mourir si glorieusement et si vite… Notre devoir, à nous, est autre ; il est plus long, il est plus terrible.
Notre devoir, plus long et plus terrible ?… Alors, qu’attendez-vous de moi ?… Dites-le, ce qu’il faut faire ; l’Impératrice vous obéira, mais dites-le, je ne comprends plus…
Ce qu’il faut faire, ô ma souveraine bien-aimée, il faut s’enfuir et vivre !…
Ah ! non !… Tout ce que vous me demanderez… Mais lâchement prendre la fuite, non !
S’enfuir, hélas ! oui… Échapper à l’ennemi, lui enlever l’enjeu de la guerre… Et ainsi, la partie qu’il gagne ne lui fait rien gagner ; la victoire n’est plus la victoire ; bientôt le sang de nos héros enivre d’autres héros ; une nouvelle armée se groupe autour de la Fille du Ciel, et la guerre recommence.
Et le sang coule encore… Et la Terre désertée peuple le royaume des Ombres… Non, assez de morts… J’ai peur, à la fin, peur d’être une souveraine meurtrière et fatale… Tout ce sang, tout ce sang versé pour moi, il me semble que j’ai les mains rouges…
Il est inépuisable, le sang de vos sujets… et leur dévouement est sans limite…
Mais mon courage est à bout… (Désignant les soldats, qui entassent toujours le bois du bûcher.) Prince, j’aimerais mourir avec ceux-ci…
Vivez, pour que leur mort ne soit point stérile… Vivez pour ramener notre jeune Empereur, que l’armée du Sud nous garde ; vivez pour nous tous et pour lui…
Mon fils !… Ah ! ne prononcez pas ce nom-là… Pour m’entraîner, n’essayez pas de faire jouer cette corde, c’est la seule que je vous défends de toucher. À l’instant précis où vous me l’avez arraché, j’ai eu la certitude que je ne reverrais jamais, jamais le cher petit visage, jamais les chers yeux… Je trouve la force de tout entendre, excepté si l’on me parle de lui…, car, alors, voyez-vous, je redeviens une mère, rien qu’une mère, comme les autres femmes… et je ne peux plus, je ne peux plus… (Elle détourne la tête, et sa phrase finit par des sanglots.) Oh ! ne pas s’appartenir, ne pouvoir même pas laisser sur le chemin le fardeau de sa vie !… Être l’idole impersonnelle, dont tout un peuple dispose à son gré ; être le triste fétiche que chacun veille des yeux comme les tablettes de ses ancêtres sur l’autel familial !…
Vous êtes la bannière étincelante, la déesse toujours radieuse, vers qui nous tournons les yeux dans la détresse suprême… Et vous ferez ce que des millions de sujets vous demandent, par la bouche de ces quelques braves qui vont mourir.
Il se jette contre leur avant-garde, l’homme qui était ici tout à l’heure, le messager de grâce… Avec les trois autres qui l’accompagnaient, il se jette contre leur avant-garde, comme pour les arrêter !… Oui… il veut les arrêter, c’est bien cela. Et il semble commander en maître, et semer parmi eux l’épouvante…
Bien !… Qu’on ne me parle plus de cet homme. Et toi, tu pourras bientôt descendre, pauvre veilleur dont la tâche est finie, et te joindre à tes frères d’armes pour mourir. Que nous importe à présent ce qu’ils font, les Tartares ?… Nous ne sommes déjà plus de ce monde… (À Prince-Fidèle.) Mais encore faut-il que ce soit possible, ce que vous demandez !… De toutes parts investis !… Fuir par où, fuir comment ?… Où se cacher ? Où ?
Les soldats qui ont descellé le rocher sont restés devant la porte de bronze, tenant toujours les pioches et les leviers, et ils ont l’air d’attendre.
Là, dans ce tombeau !… Et, sur le ciment tout préparé qui scellera les roches, nous jetterons de la poussière… quand vous serez entrée…
Dans mon tombeau, murée vivante… Soit ! Et après ?
Il y a ce couloir souterrain qui passe par les caveaux où dorment votre père et votre époux ; vous le savez comme moi, il va déboucher parmi les broussailles, dans la campagne, au pied de la colline des Supplices…
S’il n’est pas obstrué déjà par la terre, oui !… Et, tout autour de la colline des Supplices, les Tartares sont campés.
Nous attendrons qu’ils n’y soient plus…
Et de l’air pour nos poitrines, de l’air dans ces caveaux des morts, en trouverons-nous ?
Je le crois, oui… Mais emportons toujours ce breuvage, que tout à l’heure vous vouliez boire.
Et s’ils nous prennent là, les Tartares, s’il nous prennent comme des bêtes de nuit forcées dans leur terrier ?… Rappelez-vous, ils avaient violé la tombe de mon aïeul…
Elle n’était pas cachée comme la vôtre.
Et des vêtements ensuite, pour fuir dans la campagne où l’ennemi rôde. (Touchant sa robe de guerrière.) Pas avec ceux-là ?
Des dépouilles d’ennemis nous serviront à souhait… La terre doit en être jonchée…
Pour vêtir votre Impératrice, des loques arrachées à quelque cadavre qui se décompose… Soit ! même à cela je consens… Mais, pour vivre, dans ces couloirs de tombeau, pour durer, quand on n’est pas encore des ombres, il faut manger, vous savez bien !… Les derniers grains de riz, je les ai partagés ce matin avec vous et mes soldats !… Alors, quoi ?…
Les gâteaux sacrés, là, sur la table des morts.
Horreur et sacrilège !
Il n’y a pas de sacrilège, quand il s’agit de sauver la Dynastie Lumineuse… Les Mânes augustes viendront eux-mêmes vous convier au repas ; notre sacrifice nous les rendra indulgents et favorables.
Ainsi, je serai celle qui vivra dans les froides ténèbres, avec l’incertitude d’en sortir jamais ; je serai celle qui se traînera comme une larve dans les souterrains peuplés de fantômes, mangeant à tâtons les offrandes pieuses qui se dessèchent sur les autels des morts… Oh ! oui, c’est plus épouvantable que de mourir ici… Alors, j’accepte… Emmenez-moi, je suis résignée !…
Ils ont arrêté leur marche, les Tartares… Un petit groupe seul s’avance en courant, sans armes, portant des écriteaux sur des hampes… Malgré l’obscurité, on dirait les signes qui accordent grâce.
Ah ! la grâce imposée… serait plus insultante encore… Dans ma tombe emmurez-moi, prince, avant qu’ils soient ici !…
Votre conseiller et moi-même, nous vous suivrons dans ces demeures (Désignant les filles d’honneur), et peut-être deux de ces jeunes filles, si elles se sentent assez fortes pour l’épreuve.
Scène VII
C’est cela… Ma suite, ma funèbre cour et sans doute mon dernier cortège : quatre personnes… (Aux filles d’honneur.) Quelles seront les deux d’entre vous, mes filles, qui auront le courage de me suivre dans les noirs sentiers, là-bas ?…
Toutes, nous sommes prêtes… Que Votre Majesté daigne prononcer deux noms.
Élégance, Cinnamome… (Élégance et Cinnamomee s’approchent de l’Impératrice.) Toutes, vous m’êtes chères, mais j’ai appelé celles qui, dans l’adversité, m’ont montré un cœur plus viril. (Aux autres.) Et vous, mes fraîches fleurs si tôt fauchées, que l’eau de la Grande Délivrance vous mène hors de ce monde, très doucement, à travers la paix d’un sommeil.
Aux blessés nous l’avons toute versée.
Nos buires sont vides.
Le bûcher nous effraie… Mais nous savons comment mourir, bonne souveraine.
Le lac du jardin est profond, au pied de l’île des Jades.
Quand nous aurons conduit Votre Majesté jusqu’au seuil du sentier noir, en nous donnant la main, nous irons au bord du lac.
Sur la vase où nous dormirons tranquilles, les lotus nous enlaceront de leurs racines, et nous revivrons dans leurs fleurs…
Et toi, Lotus-d’Or ?
Ô Majesté, acceptez ici même mon suprême salut… M’éloigner de lui, laisser retomber son front, pardonnez-moi si je n’en ai pas le courage…
On commence d’entendre au dehors les trompes des Tartares, leurs gongs et une clameur qui se rapproche.
Tenez, pauvres fiancés sans lendemain, voici le cadeau de noces de votre Impératrice. (Elle verse du breuvage empoisonné plein sa coupe d’or et le leur donne.) Adieu ! Soyez unis par delà les nuages… (À Prince-Fidèle.) Allons, Prince, montrez-moi le chemin… Me voici tout à fait prête.
Prince, parlez pour nous.
Vos soldats. Majesté, implorent une dernière grâce…
Il est donc encore en mon pouvoir d’accorder une grâce… Oh ! tout, tout ce qu’ils voudront.
Vous demandiez pourquoi tant de bois qu’ils accumulaient : c’était pour eux-mêmes. Ils veulent mourir là avant l’entrée des Tartares… Et cette grâce suprême qu’ils implorent, c’est que vous allumiez vous-même leur bûcher.
Le chef des soldats s’agenouille et tend à l’Impératrice une torche enflammée.
Ô mes bien-aimés soldats ! Sachez tous que votre Impératrice vous suivra bientôt dans la mort ! Elle n’accepte de vous l’ordre de fuir que pour essayer de vous venger ; mais si des temps meilleurs surviennent pour la Dynastie Lumineuse, elle refusera de les vivre ; devant vous tous, elle en fait ici le serment : sa tâche implacable une fois terminée, elle se hâtera de vous rejoindre chez les Ombres…
Ô victimes surhumaines ! Ô vaincus auréolés de gloire ! Ô mon héroïque armée !… Un jour viendra où l’histoire de votre fin sublime sera gravée dans le jade impérial, en lettres d’or, pour que la postérité pleure sur vous. (Elle jette la torche dans le bûcher) et que l’éclat de votre bûcher éblouisse le monde, éternellement !…
Le bûcher prend feu. Les soldats se jettent en chantant dans les flammes.
Qu’il vive, notre Roi !
Qu’il vive heureux et longtemps !
(Un nuage de fumée noire commence de les envelopper. On entend se rapprocher un gong qui résonne à coups espacés et la voix d’un héraut tartare.
Ordre de l’Empereur. Respectez ceci !
Le rocher, replacé comme nous avons dit ! Murez vite ! Et beaucoup de terre jetée sur le ciment frais, beaucoup de poussière…
Le chef des soldats va rejoindre les quelques hommes qui attendent devant le tombeau, tenant les pioches et les leviers. L’Impératrice, Prince-Fidèle, Lumière-Voilée, Élégance et Cinnamome se dirigent vers la porte de bronze. Les autres filles d’honneur suivent en se donnant la main, elles s’agenouillent en arrivant près de la porte.
Entrez d’abord. Je passe la dernière : ce sont mes funérailles !… Et puis, je veux encore une fois les regarder, mes héros, et là-bas, mon beau palais qui se dessine toujours. (Aux filles d’honneur agenouillées.) Vous, mes filles chéries, relevez-vous, ne vous attardez pas, le lac où vous allez n’est pas proche d’ici…
Les filles d’honneur s’en vont, en se donnant la main, et on entend leurs sanglots. L’Impératrice franchit la porte et puis se retourne sur le seuil comme une hallucinée, regardant la flamme du bûcher qui commence de monter, et levant les bras en grands gestes extasiés.
Ah ! la belle flamme rouge !… Ah ! la belle fumée qui tourbillonne !… Il fait clair dans mon palais, pour le dernier soir. Et je les vois, leurs nobles âmes, qui montent, qui montent, dans le tournoiement des spirales brunes !…
Dix mille années ! Dix mille années !
Allez, mes braves !… Montez, montez, volez, vers le ciel des ancêtres, planez là-haut chez le Dieu des nuages !…
Dix mille années ! Dix mille années !
Et moi, je suis une morte comme vous, sachez-le bien ! C’est plus tard seulement que je prendrai mon essor ; mais déjà je suis une morte, — morte à tout ce qui ne sera pas vengeance, fureur de bataille, haine sans merci !… Et je referme sur moi ma porte de bronze ! (Aux soldats proches qui tiennent les leviers.) Scellez-la bien, mes amis, sur votre Impératrice ! Roulez le grand rocher !… Murez-la bien dans son tombeau, la morte vivante !…
Elle referme sur elle-même le battant de la petite porte de bronze. Le chef des soldats, avec quelques hommes qui restent, replacent le rocher, jettent en hâte le ciment et la poussière.
Ordre de l’Empereur ! Respectez ceci : à tous, sans condition, grâce de la vie et de la liberté !… Ouvrez et n’ayez point de crainte !… À tous l’Empereur fait grâce !…
Trop tard, l’insulte de votre pardon !… Avant que vous ayez enfoncé nos portes, il n’y aura plus ici que des morts !
Ouvrez et n’ayez point de crainte !… À tous, notre Empereur accorde la vie.
Non, pas même des morts pour la recevoir votre grâce ! Plus rien que des cendres.
Et notre beau Phénix, faute de pouvoir déployer ses ailes, se sera dérobé à vous sous la terre !…
Dix mille années à la Dynastie Lumineuse !… Dix mille années !
La flamme et la fumée envahissent tout.