La Flagellation en Russie - Mémoires d’une danseuse russe/04-01

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Librairie des Bibliophiles parisiens (p. 53-55).

La Flagellation en Russie

Le Spitzruten



P armi les modes de punition les plus cruels qu’on inflige aux prisonniers, mais que des soldats ont eu parfois à subir, l’un des plus redoutés est celui dont nous donnons ici le nom barbare.

Les souffrances endurées par ceux qui y sont soumis sont indicibles et souvent le supplicié tombe avant la fin de sa course tragique, délivré par la mort.

La très simple citation qu’on va lire, le décrit sobrement. C’est un extrait du célèbre ouvrage de G. Kennan : Les Prisonniers en Russie.

J’ai rencontré à Chita, dans la Sibérie Orientale, un officier de l’armée russe, le colonel Novikoff, qui avait été à la tête du bataillon de cosaques chargé de la garde des prisons aux mines de Kara. En 1880, il fut appeler à siéger comme juge dans la cour martiale qui condamna Mme Rossikova, Mlle Anna Alexieva et d’autres « politiques » à Odessa. C’était un homme d’environ quarante-cinq ans, tendrement attaché à sa famille. Il paraissait avoir des idées larges et humaines sur le traitement à appliquer au commun des criminels. Il n’avait rien, me sembla-t-il, de l’homme naturellement cruel ou vindicatif. Eh bien, cet homme si aimable, si courtois et si intelligent, me parla en ces termes des criminels politiques qu’il avait eu à juger dans ce procès : « S’il avait dépendu de moi, je leur aurais infligé à tous le spitzruten. »

Or, il faut savoir que cette punition disciplinaire, réservée jadis en Sibérie aux plus grands malfaiteurs, consistait à faire passer le condamné, nu jusqu’à la ceinture, entre deux rangées de soldats armés de baguettes « pas si épaisses qu’elles ne pussent pénétrer dans le canon d’un mousquet », chacun d’eux devant lui donner un coup. Le nombre des coup infligés varie de deux à cinq mille, deux mille étant le chiffre le plus bas prévu par la loi. À moins que le patient ne fût exceptionnellement vigoureux, il s’affaissait avant d’avoir reçu le nombre de coups prescrit et était transporté directement du théâtre de l’exécution à l’hôpital.