La Flagellation en Russie - Mémoires d’une danseuse russe/06-12

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Librairie des Bibliophiles parisiens (p. 189-195).

CHAPITRE XII


La Maison de Correction



L e soir, huit heures sonnant, madame K… m’emporta dans son coupé. Je tremblais de tous mes membres pendant le trajet qui dura un long quart d’heure. La voiture s’arrêta devant le perron d’une grande maison, située, autant que je pus m’en rendre compte par l’absence de véhicules, dans un quartier isolé. La porte s’entre-bâilla dès que nous fûmes sur le palier et se referma derrière nous, sans que personne parût dans le vestibule, bien éclairé cependant.

Après avoir gravi, la mort dans l’âme, un large escalier, je fus introduite, avec ma maîtresse, dans une salle éclairée par dix lustres qui jetaient autour d’eux une clarté éblouissante. Mon premier regard fut pour une grande fille inclinée sur un prie-dieu, troussée jusqu’à la ceinture, presque nue, qu’une femme de haute taille fouettait avec une nagaïka qu’elle maniait avec un art consommé. La fille qu’elle fouettait ainsi gesticulait et se tordait, manifestant par des sanglots qu’elle devait joliment sentir la cuisson.

Je m’étonnais qu’avec de pareils soubresauts elle ne renversât pas le prie-dieu, et que ses dessous, dans une inclinaison du corps, ne retombassent pas. Parbleu ! Tous les prie-dieu qui étaient là, comme d’ailleurs tous les lourds fauteuils qui servaient d’échafaud, étaient vissés au parquet et munis de tout ce qu’il faut pour ficeler la coupable ; je m’en aperçus quand on attacha la seconde, car on ne délivra pas tout de suite la première.

Les lustres éclairaient de leur vive clarté les chairs palpitantes de la fouettée, tandis qu’on troussait la seconde, car il y avait là une série de jolies filles à fouetter, amenées par des femmes à l’aspect peu rassurant, à l’exception de ma maîtresse, dont l’élégance détonnait dans ce milieu. Je devais être la plus jeune de la bande.

La seconde était une blonde râblée dont la grosse croupe se présentait, très cambrée, aux cordes tressées qui servirent encore pour celle-ci. La même fouetteuse les appliqua, toujours avec la même sévérité, cinglant avec vigueur le gros derrière qui se démenait furieusement. La pauvre fille geignait pitoyablement, torturée par les cordes qui retombaient de plus en plus fort. Après la cinquantième cinglée, on détacha la première. Je regardai ce qu’elle devenait. Elle regagna, en se mordant les lèvres pour ne pas crier, sa place auprès de la femme qui l’avait amenée.

Elle dut rester debout, ne pouvant s’asseoir dans l’état où se trouvait son postérieur endommagé. Celle-ci, pensai-je, n’est pas de la catégorie des filles réservées aux débauchés.

Je ne pensais pas si bien dire. Il y en avait, en effet, dans le nombre, qui avaient été amenées là par leurs mères qui se contentaient de gagner de l’argent en exhibant aussi indécemment les charmes de leurs filles. D’autres amenaient des ouvrières qu’elles n’osaient pas vendre de crainte de déplaire aux maîtres qui les leur avaient confiées.

On en troussa et on en fessa ainsi une demi-douzaine attachées à des fauteuils et à des prie-dieu, les autres troussées et tenues par leurs maîtresses. Mais toutes restaient exposées aux regards des curieux sous l’éclat des lumières, pendant qu’on fouettait la suivante. Je m’étonnais d’un pareil luxe d’illumination pour une séance de fouet.

Il y avait, paraît-il, d’autres yeux que les nôtres qui se repaissaient de ce spectacle affriolant derrière la cloison située juste en face des postérieurs fouettés. C’était de ces débauchés que la maîtresse de cette maison tirait le plus clair de ses bénéfices.

Quand elle pouvait trouver une de ces victimes à vendre, elle en donnait un bon prix. Pour une fille neuve, elle doublait la somme, la triplait, la quintuplait même quand le sujet en valait la peine et qu’elle avait sous la main un amateur qui ne regardait pas au prix. Elle avait vu fouetter Xenia et savait qu’on pouvait la livrer sans inconvénient à un jeune débauché qui la paierait un bon prix quand il aurait assisté à la danse de sa belle croupe… Elle ne m’avait pas vue dans la posture du fouet, mais, moi, je venais là pour recevoir une correction soignée.

Quand la sixième eut reçu son contingent, la directrice du tribunal correctionnel, qui avait passé la nagaïka à ses aides pour les deux dernières, prit des verges pour la septième, une grande fille de vingt-six à vingt-sept ans qu’on venait d’amener, de traîner plutôt, toute nue avec un bâillon large et épais sur la bouche. Je me demandais pourquoi ce bâillon ? J’en connus bientôt la raison.

Je ne sais quel crime avait pu commettre la coupable, mais une longue et forte verge, qu’avait choisie la fouetteuse, retomba avec une violence telle entre les deux épaules, que le sang afflua à la peau. Elle descendit ainsi, cinglant cruellement le dos jusqu’à la chute des reins, empourprant tout le buste. Quand elle fut au bas des reins, elle asséna un coup furieux qui souligna d’un trait sanglant la ligne de démarcation.

Sur les fesses, les coups redoublèrent de violence, faisant rebondir la croupe martyrisée. Puis ce fut le tour des cuisses et des jambes nues. Quand elle fut aux talons, la verge était usée.

Elle en prit une autre de même dimension, revint à la croupe, reprenant sous la ligne de démarcation. Le premier coup découpa une ligne sanglante. La verge descendit, puis remonta, voyageant avec une cruauté révoltante sur la peau amollie. Chaque coup entaillait la chair. Des hanches au bas des fesses, ce fut un vrai carnage.

On laissa la malheureuse exposée comme les autres, se tordre nue et toute en sang, le bâillon l’empêchant de manifester par des cris la violence de sa douleur.

Quelques-unes furent encore fouettées. Puis ce fut le tour d’une jolie fille de quatorze ans, assez bien roulée pour son âge, qui reçut trente coups de martinet en roulant des hanches, comme si elle jouait un rôle appris. Ses cris cependant affirmaient que la fessée n’avait rien de plaisant pour elle.

C’était sa mère qui, sachant que sa fille promettait d’être une véritable beauté, la menait là assez fréquemment pour retirer un joli bénéfice par l’exposition de sa chair nubile. Elle escomptait surtout celui qu’elle en retirerait le jour où quelque débauché lui ferait des offres honnêtes.

Après cette fille, ce fut moi qui passai par les mains de la maîtresse.

La modiste me tint troussée sous son bras, pendant que la fouetteuse m’appliquait cinquante coups de corde. Du premier au dernier, je ressentis une vive souffrance. Moi qui suis endurante, je n’avais pas reçu dix cinglées, que je me tordis comme un ver, criant comme une brûlée. La fouetteuse semblait effleurer la peau, et cependant les cordes qui me tannaient le cuir me causaient une affreuse cuisson.

Quand on me baissa les jupes, le jeune groom était bien vengé.