La Flagellation en Russie - Mémoires d’une danseuse russe/06-13

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Librairie des Bibliophiles parisiens (p. 196-200).

CHAPITRE XIII


La belle Tania



M adame nous conduisit un soir, Tania et moi, à la maison de correction. Tania était une grande fille de quinze ans, très développée déjà pour son âge, et qui ne recevait jamais de coups de cordes sans trembler à l’avance de tous ses membres.

On nous introduisit dans la salle du fouet. Douze filles furent fouettées sous nos yeux avant qu’arrivât notre tour. La directrice, qui avait confié un moment la nagaïka, vint prendre Tania par la main. Elle tremblait comme une feuille. Deux aides durent l’emporter jusqu’à un lourd fauteuil, où, malgré sa résistance, elle fut vite troussée et ficelée par les bras et les jambes, le corps horizontal, les genoux écartés.

Elle avait une croupe superbe et cette position en augmentait l’ampleur. On aurait dit que des fourmis lui couraient sous la peau faite d’un satin luisant à s’y mirer. L’épiderme tremblait de peur.

— Votre résistance, dit la fouetteuse, vous vaudra dix coups de verge en supplément pour vous apprendre à obéir sans résister. C’est donc quarante bonnes cinglées que je vais avoir le plaisir d’appliquer sur votre postérieur révolté. Je vous en devais trente pour le compte de votre maîtresse qui m’a recommandé d’employer la verge pour vous dompter. Les dix autres dont je vais gratifier votre peau, je les prends à mon compte. Vous voyez que votre révolte va vous coûter plus cher que vous ne pensiez.

En lui adressant ce speech, elle brandissait des bouleaux, effleurant la peau qui frissonnait. Elle leva le bras, la verge siffla en traversant l’espace, passant à deux doigts de la croupe qui bondit comme si elle avait été touchée, en même temps qu’un cri s’échappait du gosier contracté par la peur. Un sourire passa sur les lèvres des assistants.

— Si vous chantez avant qu’on vous touche, que sera-ce donc quand je vous tannerai la peau ? Tenez, maintenant.

Les verges repassèrent encore en sifflant à deux doigts de l’épiderme. Le même bond et le même cri se reproduisirent. Alors la verge relevée retomba sur les fesses, mais cette fois, ce n’était plus une menace, c’était bien la réalité, et la peau en garda le vivant témoignage signé en rouge vif, tandis qu’un cri strident, parti du cœur cette fois, en témoignait aussi.

La fouetteuse donnait la verge comme elle se servait de tous les instruments de torture ; elle avait la même méthode, zébrant les deux fesses à la fois de lignes rouges. La chanson de la fustigée s’accentuait, la danse de la croupe devenait le jeu le plus plaisant qu’on pût voir. Elle bondissait, se tordait, manifestant par toutes ces contorsions qu’elle ressentait vivement les piqûres.

La modiste me troussa ensuite, me tenant sous son bras, pendant que la fouetteuse m’appliquait trente coups de martinet.

Tania, tant que dura mon supplice, fut laissée dans la même position, continuant la même chanson, pendant que son postérieur dansait la même sarabande.

— Je vous la laisse jusqu’à demain, dit la modiste. Je ne puis pas emporter dans mon coupé cette boîte à musique qui ferait arrêter tous les passants. Vous me la ferez ramener demain matin. Je pense que d’ici-là, elle aura eu le temps de se consoler.

— Bien, bien, je vais la faire conduire dans un cachot bien noir. Elle en aura pour toute la nuit.

Je surpris un coup d’œil d’intelligence entre les deux femmes et compris le genre de cachot dont on venait de parler. Tania ne paraissait pas trop rassurée ; elle demandait à s’en retourner avec nous, protestant qu’elle ne crierait pas. Mais on la laissa attachée et la modiste m’entraîna dans la voiture qui nous attendait à la porte.

Le lendemain, Tania ne reparut pas. Je pus, dans la journée, raconter à une de mes compagnes les plus avisées ce qui s’était passé. Tania ne reparut ni le surlendemain, ni les jours suivants.

Elle resta huit jours sans se montrer à l’atelier. Quand elle revint, ce fut pour nous faire admirer l’élégante toilette qu’elle tenait, nous dit-elle, d’un oncle qui la protégeait. Nous lui rîmes au nez, sachant bien que son oncle était un vieux général en retraite auquel il fallait des primeurs.

Son luxe dura trois mois. Le vieux général la garda quinze jours. Il lui donna de quoi vivre pendant quelque temps, en lui disant d’aller se faire… pendre ailleurs.

Quand elle eut croqué le magot avec un hussard de la garde impériale, elle dut revenir pousser l’aiguille. C’était une excellente recrue pour la maison de correction.

Elle avait appris pendant les trois mois de vie libre bien des choses qu’on ignore à son âge, et, malgré son appréhension de la fessée préalable, elle obligeait assez souvent la maîtresse qui ne demandait pas mieux, y trouvant trop son compte, à la conduire à la maison de correction pour des actes d’indiscipline voulus. Elle n’en revenait pas souvent dans la même voiture, mais elle ne trouvait plus guère que des amants d’une nuit.