La Fleur d’Or/À un Religieux

La bibliothèque libre.
La Fleur d’OrAlphonse Lemerre, éditeurvol. 3 (p. 79-81).


À un Religieux


 
Tu n’as point redouté le cloître solitaire,
Le silence, et la règle invariable, austère,
Les macérations de la chair et du cœur,
Et quatre fois par jour les stations au chœur.
Tu prononças tes vœux ferme et tout d’une haleine ;
Et, lorsqu’on te vêtit de la robe de laine,
Qu’on rasa tes cheveux, sur ce front tonsuré
Sans pâlir tu jetas l’habillement sacré.
Aujourd’hui doux et calme au milieu de tes frères,
Ensemble vous passez les heures en prières.
Et vous errez, le soir, à l’ombre du jardin,
Comme ces saints reclus que peignait Pérugin,
Qui marchaient deux à deux entourés d’auréoles,
Et la paix de leur cœur coulant dans leurs paroles.
 
Si jeune, avec un cœur plein de joie et de feu,
D’ordinaire à ce monde on ne dit point adieu ;
On lutte plus longtemps ; sous une robe noire
On a peur d’étouffer tout amour, toute gloire ;
On se confie au temps, à ses amis, au sort,
Quelquefois en secret on espère en la mort :

Quand tout fait faute, heureux qui sur toi se replie,
Ô résignation, grande et sainte folie !
Hélas ! il est au monde, au milieu de nous tous,
Des êtres que le sort a brisés de ses coups,
Cœurs résignés aussi, mais sans feu, sans extase,
Esprits ou corps souffrants que leur mal seul embrase,
Ces fiers infortunés passent silencieux,
Graves, froids et cachant leurs pleurs à tous les yeux :
Ils savent qu’aujourd’hui toute plainte importune,
Mais qu’on est trop vengé par la douleur commune ;
Ils savent, si le mal les poigne, y mettre un frein,
Offrir à tout venant un visage serein,
Et trouver sans efforts l’expression choisie
Pour discourir sur Dieu, l’âme et la poésie.
Oh ! cent fois plus heureux au fond de ton couvent,
Sous les frais oliviers où tu t’en vas rêvant,
Dans ton cloître de pierre, au fond de ta cellule,
Mille fois plus heureux, si tu peux sans scrupule
Te dire tout à Dieu ; si l’arbre de la foi
Où tu vins t’appuyer n’a point fléchi sous toi ;
Si, comme au premier jour, humble, tendre et fidèle,
Tu suis avec candeur Jésus ton doux modèle ;
Si tu ne glisses pas dans son étroit sentier ;
Si sa mystique chair te nourrit tout entier !

Quand tu partis (ce fut ta dernière faiblesse),
Sur le refuge ouvert à ta longue vieillesse
Tu voulus un ciel chaud, un air pur et joyeux,
Pour t’égayer un jour, pauvre religieux !
Renonçant à l’amour de toute créature,
Du moins tu voulus vivre encor dans la nature.
Près du beau fleuve Arno, sous le ciel florentin,

 
Tu choisis ton abri. C’est là que le matin
S’emplit de bruits charmants ; et que la luciole,
Le soir, le long des eaux mollement glisse et vole ;
Là des citronniers d’or couronnant la cité,
Des palais, et des tours, et le fleuve argenté,
Le noble fleuve Arno qui dans sa transparence
Reflète avec orgueil les vieux ponts de Florence !