La Fleur d’Or/Væ Victis

La bibliothèque libre.
La Fleur d’OrAlphonse Lemerre, éditeurvol. 3 (p. 142-143).


Væ Victis


Pour moi, je regarde ces Vénètes
(de la Gaule) comme les fondateurs
de Venise dans le golfe Adriatique.
Strab., liv. iv.


Lècho des temps passés n’est-il pas mort en vous,
Gaulois-Italiens ? Savcz-vous qui vous êtes ?
De graves érudits vont répétant chez nous :
« Oui, les Vénitiens sont enfants des Vénètes. »
Et moi, de votre gloire amoureux et jaloux,
Comme un frère je pleure ici sur vos défaites.
 
Tous ces hommes du Nord au visage épaté
Ce soir nous observaient, et lui, brave jeune homme,
Élevé dans l’orgueil de sa belle cité :
« Oh ! Venise avilie, et vous, Florence et Rome ! »
Vinrent d’autres soldats leur baguette à la main,
Lui, pâle, m’entraîna par un autre chemin :

« Oui, fuyons, taisons-nous, car nous n’avons plus d’armes.
Ils ont pris nos couteaux, car nos couteaux tuaient.
Le dirai-je (et ses yeux se gonflèrent de larmes) ?
Nous hommes d’un sang noble, ô dieux ! ils nous frappaient.

Væ victis ! mot cruel qui durement s’expie !
Le sais-tu, Brenn[1] féroce, ô sauvage insensé ?
Ainsi tu t’écriais, le fer sur l’Italie ;
Hélas ! sur tes enfants l’anathème a passé.
Vous donc, vainqueurs nouveaux, plus de parole impie :
Ce dard revient frapper le bras qui l’a lancé.

Oui, malheur aux vaincus, car le plus fort abuse,
Il aime sous ses pieds à fouler tous les cœurs :
Mais le joug le plus dur pourtant faiblit et s’use,
L’esclave s’affranchit ou par force ou par ruse.
Tôt ou tard malheur aux vainqueurs !…
Ô changement du sort ! ô justice confuse !
Flux, reflux éternels et de sang et de pleurs !



  1. Brenn, chef, d’où Brennus.