La Foire aux vanités/17

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CHAPITRE XVII.

Le capitaine Dobbin achète un piano.


S’il est au monde un endroit où la satire et le sentiment puissent se donner rendez-vous, où le risible et le larmoyant se présentent avec le plus bizarre contraste, où l’on ait le droit de se montrer mordant et pathétique avec un parfait à propos, c’est dans une de ces assemblées publiques dont l’annonce remplit chaque jour les dernières colonnes du Times, et où chacun, pour son argent, est appelé à prendre sa part de la bibliothèque, du mobilier, de la vaisselle, de la garde-robe et des vins fins d’Épicure trépassé.

Les restes de mylord Plutus reposent maintenant dans le caveau de la famille. Les statuaires taillent dans le marbre une inscription commémorative et véridique, comme on le sait, de ses vertus et de la douleur de son héritier, désormais en possession de ses biens. Quel convive de la table de Plutus peut passer devant sa maison jadis si hospitalière pour lui, sans laisser échapper un soupir, devant cette maison qui s’illuminait de si joyeuses clartés vers les sept heures du soir, dont les portes étaient toujours toutes grandes ouvertes, et dont les domestiques, tandis qu’on montait l’escalier garni de moelleux tapis, faisaient retentir le nom du visiteur de palier en palier jusqu’à ce qu’il eût pénétré dans l’élégant sanctuaire où le vieux Plutus recevait ses amis ! Il en comptait beaucoup ! Il les traitait si bien ! Combien de gens voyait-on chez lui, spirituels sous ses vaste portiques, moroses dès qu’ils en franchissaient le seuil. Combien de gens aimables et prévenants à l’envi, qui partout ailleurs se détestaient et se seraient égorgés l’un l’autre ! Il avait une certaine arrogance, mais sa cuisine aurait fait avaler bien pis encore. Il était lourd et épais, mais le feu de son vin pétillait dans toutes les conversations.

« À tout prix nous aurons quelques bouteilles de son bourgogne, disent à son cercle ses amis éplorés.

— J’ai acheté cette tabatière à la vente du vieux Plutus, reprend l’un d’eux en la faisant circuler ; c’est le portrait d’une des maîtresses de Louis XV ; joli bijou, n’est-ce pas ? charmante miniature ? »

Puis on se met à causer de la manière dont Plutus le jeune va dissiper l’héritage.

Dans l’hôtel, quelle métamorphose ! la façade a disparu sous une enveloppe d’affiches ; tous les articles y sont inventoriés en lettres majuscules. Un tapis est pendu comme échantillon à l’un des étages supérieurs. Une demi-douzaine de commissionnaires sont échelonnés sur les marches boueuses. La cour est envahie d’hôtes basanés à la figure plus ou moins grecque, qui vous distribuent des cartes imprimées et se proposent pour enchérir à votre compte. De vieilles femmes et des amateurs indécis encombrent les étages du haut, tâtant les couvre-pieds, fourrant les doigts dans la plume, retournant les matelas, ouvrant les tiroirs des chiffonniers. De jeunes et entreprenantes maîtresses de maison viennent mesurer la dimension des rideaux et les miroirs, pour s’assurer qu’ils conviendront à leur nouveau ménage.

M. Martofrap, assis sur une grande table d’acajou dans la salle à manger du bas, agite son marteau d’ivoire et emploie tous les artifices de l’éloquence, de l’enthousiasme, de la prière, de la raison, du désespoir pour allumer les acheteurs. Il décoche un trait satirique à M. Juda sur son engourdissement, provoque du geste M. Lévi. Il implore, commande et beugle jusqu’au moment où il laisse tomber le fatal marteau et passe au lot suivant.

Ô Plutus, qui aurait jamais pensé, lorsque nous étions en cercle autour de votre large table étincelante de vaisselle et de linge damassé, qu’on y verrait un jour figurer, en guise de plat, cet étourdissant brocanteur ?

La vente tirait à sa fin. Déjà on avait vendu le magnifique ameublement du salon, sorti des meilleurs ateliers ; les vins rares, qui avaient coûté des prix fabuleux et avaient été choisis avec le goût que l’on connaissait à leur possesseur ; les services d’argenterie, d’une richesse et d’une ciselure remarquables. Quelques-unes des meilleures bouteilles, renommées parmi tous les amateurs du voisinage, avaient été achetées pour la cave de son maître par le sommelier de notre ami Osborne, esquire de Russell-Square. Un petit lot d’argenterie consistant en objets les plus indispensables, avait été acquis pour le compte de jeunes agents de change de la Cité. Il ne restait plus maintenant pour exciter la tentation du public que des objets de moindre valeur. L’orateur, juché sur la table, s’extasiait sur les mérites d’un tableau qu’il recommandait à l’admiration des assistants. La foule des acheteurs était loin d’être aussi choisie, aussi nombreuse qu’aux vacations précédentes.

« Numéro 369 ! hurlait M. Martofrap. Portrait d’un monsieur sur un éléphant. Qui parle pour le monsieur sur l’éléphant ? Faites voir aux amateurs, monsieur Criarson, qu’ils puissent examiner le chef-d’œuvre. »

Un monsieur grand, pâle, à la tournure militaire, assis tranquillement sur la table d’acajou, ne put s’empêcher de rire quand M. Criarson promena ce précieux morceau sous les yeux du public.

« Montrez l’éléphant au capitaine, Criarson. Eh bien ! monsieur, que disons-nous pour l’éléphant ? »

Le capitaine, au lieu de répondre, rougit, se troubla et détourna la tête pendant que le vendeur renouvelait ses provocations.

« Vingt guinées pour cet objet d’art ? quinze… cinq… qu’on dise un mot ; le monsieur sans l’éléphant vaut à lui seul cinq livres.

— Je m’étonne que l’éléphant ne plie pas sous un pareil fardeau, dit un loustic de profession ; son cavalier est assez gros pour cela. »

En effet le monsieur placé sur l’éléphant faisait l’effet d’un gros et grand gaillard. Un rire universel accueillit cette plaisanterie.

« Ne dépréciez pas la valeur de mon lot, maître Lévi, dit Martofrap ; laissez la compagnie examiner cet objet d’art. La pose de cet intelligent animal est tout à fait conforme à sa nature. Le monsieur en veste de nankin, son fusil à l’épaule, s’en va à la chasse ; dans le lointain, on voit un bananier et une pagode ; c’est probablement quelque endroit célèbre dans nos fameuses possessions des Indes orientales. Combien met-on sur ce lot ? Allons, messieurs, ne restons pas à coucher ici. »

Une personne offrit cinq schellings ; le militaire regarda du côté d’où partait cette offre brillante ; il aperçut alors un autre officier et une jeune dame lui donnant le bras, qui paraissaient se divertir beaucoup de cette scène, et à qui, en définitive, le lot fut adjugé pour une demi-guinée. L’autre amateur fut plus surpris et plus décontenancé que jamais à la vue du couple qui lui faisait face ; il enfonça tout à fait sa tête dans son col d’uniforme et tourna le dos pour ne plus rencontrer cette vision désagréable.

Nous n’avons nulle envie d’entretenir nos lecteurs des autres objets que M. Martofrap eut en ce jour l’honneur d’offrir à l’avidité du public, à l’exception d’un seul toutefois : c’était un petit piano droit qu’on avait descendu des régions élevées de la maison ; le grand piano à queue était déjà vendu. La jeune dame dont nous avons parlé le fit retentir sous ses doigts agiles et déliés, et l’officier, à l’autre bout de la table, se mit à rougir et à tressaillir.

La jeune dame fit pousser par un tiers les enchères du piano. Mais il y avait concurrence. Le juif de l’officier du bout de la table poussait contre le juif des acquéreurs de l’éléphant. Le petit piano fut chaudement disputé ; M. Martofrap stimulait encore l’ardeur des combattants. La lutte se prolongea ainsi quelque temps, mais le capitaine et à la dame à l’éléphant finirent par quitter la lice. Le marteau tomba et le crieur fit entendre ces mots :

« Pour M. Lévi, vingt-cinq quinées. »

Le client de M. Lévi se trouva ainsi propriétaire du petit piano droit. Après cette victoire il reprit sa position normale, et, ses compétiteurs évincés jetant un coup d’œil de son côté, la dame dit à son cavalier :

« Eh mais ! Rawdon, c’est le capitaine Dobbin. »

Peut-être Becky était-elle mécontente du nouveau piano que son mari avait loué pour elle ; peut-être les propriétaires de l’instrument l’avaient-ils fait reprendre, refusant un plus gros crédit ; peut-être enfin attachait-elle un prix tout particulier à celui dont elle avait voulu faire l’emplette, se souvenant du temps où elle en avait joué dans la petite chambre de notre chère Amélia Sedley.

La vente avait lieu dans la vieille maison de Russell-Square, où nous avons passé quelques soirées au commencement de ce récit. Le bon vieux John Sedley était ruiné, sa banqueroute affichée à la Bourse, et par suite il avait fallu procéder à son exécution commerciale.

Le sommelier de M. Osborne était venu acheter le fameux vin de Porto, pour le transporter de l’autre côté de la place. Quant à la boîte de petites cuillers de dessert, à la douzaine de couverts artistement travaillés et vendus au poids, trois jeunes agents de change, MM. Dale, Spiggot et Dale de Treadneedle-Street, qui avaient été en rapports d’affaires avec le vieillard et l’avaient trouvé bon et affable comme tous ceux qui traitaient avec lui, envoyèrent à sa demeure actuelle ce petit débris arraché du naufrage, avec leurs compliments pour la bonne mistress Sedley. Pour le piano d’Amélia, comme elle allait en avoir incessamment besoin et que le capitaine Dobbin ne savait pas plus en jouer que danser sur la corde roide, il est probable qu’il n’avait pas fait là une acquisition pour son usage personnel.

Le soir même il fut porté dans une charmante maisonnette de l’une de ces rues baptisées des noms les plus romantiques, où les habitations ressemblent à de petites maisons de poupées, et où, lorsqu’on regarde des fenêtres du premier étage, on a l’air, pour le passant, d’avoir les pieds au rez-de-chaussée. Les arbres des petits jardins qui s’étalent devant la façade de ces demeures sont couverts d’une éternelle végétation de tabliers d’enfant, de petites chaussettes rouges, de bonnets, etc. (Polyandrie, polygynie.) Malheur à l’oreille qui s’aventure dans ces lieux écartés ! elle sera écorchée par les notes aiguës sortant de mauvaises épinettes et du gosier de femmes qui font gémir les échos d’alentour. Tous les soirs on voit les commis de la Cité aller dans ces réduits coquets se reposer des fatigues du jour. C’était là que M. Clapp, le commis de M. Sedley, avait son domicile, et c’était là que le bon vieillard avait trouvé un asile pour lui, sa femme et sa fille, au moment de la catastrophe.

Joe Sedley, en apprenant le malheur qui frappait sa famille, avait agi comme on devait s’y attendre de la part d’un homme de son tempérament. Il ne vint pas à Londres, mais il écrivit à sa mère de prendre chez ses banquiers tout ce dont elle aurait besoin. Ainsi il était tranquille sur le sort de ses parents ; ils n’avaient plus rien à craindre du côté de la pauvreté ! Ces dispositions prises, Joe Sedley alla à son restaurant de Cheltenham aussi gai que de coutume, à sa promenade en voiture, buvant son bordeaux, jouant son whist, disant ses histoires indiennes ; et sa veuve irlandaise l’amadouait et le flattait comme si de rien n’était.

Ses offres d’argent, malgré le besoin qu’on en avait, firent peu d’impression sur ses parents. Amélia racontait que, la première fois qu’elle vit son père relever la tête depuis son malheur, fut le jour où il reçut de la part du jeune agent de change le paquet de couverts, accompagné de ses compliments. Alors il éclata en sanglots, alors il se mit à pleurer comme un enfant, et parut plus touché que sa femme elle-même, à qui le présent était destiné. Édouard Dale, le plus jeune des associés qui avaient acheté ces couverts en commun, se montrait toujours plein d’égards pour Amélia, et, en dépit du malheur de son père, s’offrait encore pour l’épouser. En 1820, il se maria à miss Louisa Cutts, fille de Cutts, un de nos plus grands facteurs en grains, et sa femme lui apporta une belle fortune. Maintenant il vit retiré dans l’opulence, au milieu d’une nombreuse famille, à son élégante villa de Muswell-Hill. Mais la rencontre d’un excellent cœur ne doit pas nous emporter trop loin du principal sujet de notre histoire.

Nous supposons que le lecteur s’est formé une trop haute idée du bon sens du capitaine et de mistress Rebecca, pour leur jamais attribuer la pensée de faire une visite dans un quartier aussi éloigné que Bloomsbury, s’ils eussent pu soupçonner qu’ils allaient y trouver des personnes non-seulement passées de mode, mais encore ruinées, et dont la connaissance devait être sans profit pour eux. Rebecca fut toute surprise de voir cette opulente demeure où elle avait jadis rencontré si bon accueil, mise au pillage par les acheteurs et les marchands, de trouver à chaque pas de précieux souvenirs de famille livrés à la rapacité et à l’indifférence du public. Un mois après sa fuite, elle s’était souvenue d’Amélia, et Rawdon, accueillant sa proposition avec un rire sournois, s’était montré tout disposé à visiter George Osborne.

« Excellente connaissance, Beck ! disait-il en se donnant un air narquois ; il faudra que je lui vende encore un cheval. Nous ferons aussi quelques parties de billard. C’est ce que j’appelle une amitié utile, madame Crawley, ah ! ah ! »

On aurait tort peut-être de se hâter de conclure d’après ces paroles que Rawdon Crawley trichait de propos délibéré en jouant avec M. Osborne ; il voulait simplement conserver sur lui cette supériorité que chacun est bien aise de faire sentir à son voisin.

La vieille tante n’avait pas l’air très-pressée de se radoucir. Un mois s’était écoulé et M. Bowls continuait à refuser la porte à Rawdon avec la même rigueur. Ses domestiques ne pouvaient pénétrer dans la maison de Park-Lane, ses lettres lui étaient renvoyées sans qu’on eût pris la peine de les ouvrir. Miss Crawley ne sortait point, elle se sentait toujours indisposée. Mistress Bute veillait toujours sur elle et ne la quittait pas d’un instant. Crawley et sa femme auguraient mal de la présence assidue de mistress Bute.

« Eh bien ! je commence à comprendre pourquoi vous vouliez que je fusse toujours avec elle à Crawley-la-Reine, dit Rawdon.

— C’est une femme bien adroite et bien fourbe, fit Rebecca avec un soupir.

— Bah, laissez là les regrets, et je serai tout consolé, » s’écria le capitaine dans un transport amoureux pour sa femme.

Celle-ci pour récompense lui donna un baiser. Elle éprouvait un certain plaisir de la généreuse confiance de son mari.

« Avec un peu de cervelle dans cette tête-là, pensa-t-elle, j’en aurais fait quelque chose. »

Mais elle ne lui laissait jamais entrevoir sa manière de penser sur son compte ; elle écoutait avec une complaisance infatigable ses histoires d’écurie et de régiment ; elle riait de tous ses bons mots ; elle prenait le plus vif intérêt à Jack Spatterdash, dont le cheval s’était abattu ; à Bob Martingale, surpris dans une maison de jeu ; à Tom Cinq-Bars, qui devait courir dans un steeple-chase. Rawdon rentrait-il à la maison, il trouvait Rebecca toujours vive et joyeuse ; voulait-il sortir, elle ne le retenait jamais ; restait-il au logis, elle jouait du piano, chantait pour lui plaire, faisait des sirops qu’il aimait fort, veillait à son dîner, chauffait ses pantoufles et inondait son âme de mille sons empressés. Une femme, suivant ma grand’mère, ne peut être bonne si elle n’est hypocrite. Nous ne savons jamais tout ce que l’autre sexe nous dissimule ; quelle adresse et quels artifices se cachent sous ce masque de franchise et de confiance ; combien de manœuvres sont mises en jeu pour nous plaire, nous tromper, nous désarmer à l’aide de ces sourires en apparence si ouverts. Je ne parle point ici des grandes coquettes, mais de ces modèles domestiques, de ces prodiges de vertu féminine. On voit tous les jours des femmes couvrir avec habileté les sottises d’un mari imbécile, ou apaiser les transports d’un furibond. Une bonne ménagère commencera toujours par être une excellente diplomate.

Ces prévenances avaient métamorphosé Rawdon Crawley ; de vétéran de la débauche il était devenu mari très-soumis et très-heureux. Il était complétement brouillé avec ses anciennes habitudes. À son club, on avait demandé une ou deux fois ce qu’il devenait, puis on avait fini par ne plus s’apercevoir de son absence. Pour lui, ses soirées au coin du feu, avec une femme joyeuse et souriante, une table bien servie, avaient tout le mérite de la nouveauté et du mystère. Il avait eu soin de faire son mariage sans l’annoncer dans le Morning-Post ; autrement il eût été assailli des réclamations étourdissantes de ses créanciers, s’ils avaient su qu’il avait épousé une femme sans fortune.

« Je ne crains point les reproches de mes parents, » disait Becky en riant du bout des lèvres.

Elle était résolue à ne point faire connaître au monde le nouveau rang qu’elle y prenait, tant qu’il n’y aurait pas eu réconciliation avec la vieille tante. Elle vivait ainsi à Brompton sans voir personne, si ce n’est les amis de son mari, admis à l’intimité du petit couvert. Elle les enchantait tous dans ces dîners en petit comité : une conversation pleine d’entrain, puis les jouissances de la musique, charmaient les privilégiés qui avaient part à ces plaisirs. Le major Martingale n’aurait jamais demandé à voir leur acte de mariage. Le capitaine Cinq-Bars ne tarissait pas sur le talent que la maîtresse du logis déployait dans la confection du punch ; le jeune lieutenant Spatterdash, joueur enragé de piquet et fort souvent invité par Crawley, était complétement sous le charme de mistress Crawley : mais la modestie et la prudence n’abandonnaient jamais la nouvelle épouse, et la réputation de Crawley comme brave à trois poils et comme jaloux achevait de protéger complétement sa chère petite femme.

Il existe dans cette ville des hommes de très-bonne race et fort à la mode, qui jamais ne hasardent le pied dans un salon de femmes. Cela explique comment le mariage de Crawley pouvait faire grand bruit dans son comté, où mistress Bute se chargeait d’en répandre la nouvelle, sans être le moins du monde l’objet des préoccupations et des entretiens de la capitale. Quant à Rawdon, il vivait très-largement, mais toujours à crédit. Il avait un actif de dettes fort respectable qui, habilement exploité, pouvait mener un homme pendant encore assez longtemps ; avec des dettes, certains industriels des grandes villes savent couler une vie cent fois plus agréable que beaucoup d’autres avec de l’argent comptant.

Un jour en lisant la gazette, Rawdon trouva l’indication suivante : « Le lieutenant G. Osborne vient d’acheter le brevet de capitaine à Smith, démissionnaire ; » aussitôt il exprima sur l’amant d’Amélia des sentiments d’estime dont la conséquence fut une visite à Russell-Square.

Rawdon et sa femme auraient bien voulu à la vente se rapprocher du capitaine Dobbin et apprendre quelques détails sur la catastrophe qui avait frappé les anciens amis de Rebecca ; mais le capitaine avait disparu dans la foule, et ils ne purent obtenir de renseignements que de l’un des crieurs publics.

« Voyez tous ces museaux crochus, disait Becky, son tableau sous le bras et rentrant dans le buggy d’un pas assez allègre ; ne dirait-on pas des vautours après la bataille ?

— Je ne saurais vous dire, je n’ai jamais assisté à aucune bataille ; demandez à Martingale, qui était en Espagne aide de camp du général Blazes.

— C’était un honnête vieillard que ce M. Sedley, reprit Rebecca. Je suis bien fâché du malheur qui lui arrive.

— Peuh ! agents de change… banqueroutiers… C’est tout un, vous savez, reprit Rawdon en chassant avec son fouet une mouche posée sur l’oreille de son cheval.

— J’aurais aimé à racheter, pour le leur offrir, quelque peu d’argenterie, Rawdon, continua sa femme d’une voix sentimentale ; mais vingt-cinq guinées pour ce petit piano, c’est monstrueusement cher ; nous l’avions choisi avec Amélia au sortir de la pension, chez Broadwood, il en a coûté alors trente-cinq.

— Et votre… comment l’appelez-vous ?… Osborne, je crois… Il va tirer, je suppose, sa révérence à cette fille, maintenant que la famille est ruinée. Ça va chagriner votre petite amie, miss Becky ?

— Bah ! on se console, » dit Becky avec un sourire.

Puis, pendant le reste de la promenade, ils parlèrent de tout autre chose.