La Forêt de Fontainebleau/Avertissement

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AVERTISSEMENT.




La Forêt de Fontainebleau, au centre de laquelle s’élèvent la ville et le château du même nom, est située près de la Seine, à quatorze lieues de Paris. Elle faisoit partie du Gâtinois, sous le gouvernement général de l’Isle-de-France ; on l’a depuis comprise dans le département de Seine et Marne.

Son nom actuel vient de la fontaine de Bleau ou Belle-eau, dont la source, ornée de grottes et de rocailles par François Ier et par Henri IV, coule à cette heure bien simplement dans un bassin rond au milieu du Jardin des Pins. Elle s’est long-temps appelée Forêt de Bierre, du nom de Bier, chef normand, qui, s’y étant cantonné du temps de Charles-le-Chauve, ravageoit de-là tous les environs.

Le plus ancien titre où il en soit parlé comme d’une habitation royale, c’est une chartre de Louis VII, datée du château de Fontainebleau en 1141.

Ses successeurs ont tous fréquenté plus ou moins cette Forêt : Philippe Auguste s’y plaisoit ; Saint Louis l’appeloit ses déserts.

C’est à Fontainebleau que Charles-le-Sage commença le recueil devenu si fameux sous le nom de Bibliothèque du Roi.

François Ier disoit par préférence qu’il alloit chez lui, en parlant du château de Fontainebleau. Il le rebâtit tout entier, et y reçut Charles-Quint en 1539.

Henri IV ajouta de nouveaux bâtimens à ceux de François Ier, fit faire le grand canal, le grand parc, et vit naître en ce lieu quatre de ses enfans.

En 1644 y arriva Henriette sa fille, reine d’Angleterre, célèbre par ses malheurs, par son courage, et par l’éloquence de Bossuet.

En 1657, Louis XIV y reçut Christine, reine de Suède.

Le 11 décembre 1686, la France y perdit le grand Condé.

Enfin en 1690, on y vit encore une reine d’Angleterre et le roi son époux, tous deux fugitifs et si royalement accueillis.

La Forêt contient trente-quatre mille arpens : elle est bordée au levant par la Seine, et coupée en tout sens par de grandes chaînes de rochers. On trouve ici des terreins couverts des plus beaux bois, là d’arides sablons où l’herbe même refuse de croître. Souvent au sortir d’une vallée fertile, on se voit tout-à-coup à l’entrée d’un désert inhabitable.

Le lieu le plus romantique est la solitude de Franchart. Pour y arriver, il faut traverser des montagnes escarpées et des sables brûlans ; mais une fois dans cette gorge profonde, l’œil des deux côtés ne voit que rochers monstrueux : de loin en loin quelques arbres, sortis de leurs fentes, semblent plutôt rejetés que nourris par la terre. C’est là que vers la fin du douzième siècle vint se cacher un saint ermite, nommé Guillaume : bientôt il s’y forma un monastère, dont les débris servent aujourd’hui de logement à un garde de la Forêt. Parmi les rochers de cet ermitage, il en est un que la dévotion du peuple a rendu célèbre sous le nom de la Roche qui pleure. L’été comme l’hiver, il en dégoutte une eau qui passe pour guérir diverses maladies.

Après le désert de Franchart, il faut visiter la belle plantation des pins de Riga. On la doit aux soins de M. le Monnier, premier médecin du roi, homme que ses vertus, sa fidélité, et sa profonde connoissance de la nature, rendent également recommandable aux gens de bien et aux savans.

Quiconque ne dédaigne pas de voir les plantes qui le nourrissent, se plaira à parcourir les cultures d’Avon : c’est un immense potager formé aux dépens de la Forêt, toujours couvert de légumes, et rafraîchi par un ruisseau qui, sorti de la fontaine de Bleau, a d’abord arrosé les jardins du palais et rempli le grand canal.

Cette promenade mène à la Seine, et de-là au village de Samois, d’où l’œil peut embrasser ou deviner les sinuosités de la rivière, jouir des bois qui en ombragent les rives, voir le hameau d’Hérici, ses vignobles, et les ruines pittoresques d’un ancien pont. C’est par-là que j’ai terminé ce petit ouvrage.

Je suppose en commençant que, transporté à Fontainebleau dans une journée de printemps, ravi et comme enivré à l’aspect d’une si belle nature, je remonte aux temps où les hommes se sont établis dans la Forêt : puis, de ces âges reculés, jetant un regard dans l’avenir, je semble contempler d’avance l’élite de la nation qui viendra l’habiter. Mais parmi les époques glorieuses de notre histoire, j’en choisis trois qui ont un caractère plus tranchant et des rapports plus marqués avec Fontainebleau, les règnes de François Ier, de Henri IV et de Louis XIV. J’oppose à ces temps de grandeur la catastrophe de la maison royale, et je cours me rejeter dans les bras de la nature.

Je considère alors la Forêt sous le rapport de ses plantes, de ses grès cristallisés, les seuls jusqu’à présent connus dans le monde, de ses oiseaux et de ses quadrupèdes.

Ensuite je conduis le lecteur dans les endroits les plus remarquables, tels que le désert de Franchart, les collines plantées d’arbres verts, les hautes-futaies, les bouleaux et les fertiles marais d’Avon.

Enfin descendant avec le ruisseau qui arrose ces marais et va se perdre dans la Seine, je peins ce beau fleuve dont les eaux baignent toute la partie orientale du bois, et je décris quelques-uns des poissons qu’on y pêche le plus communément. On sait que Pope a chanté la Forêt de Windsor. Nos plans diffèrent autant que les deux Forêts : puisse une autre route mener l’auteur de cet ouvrage au même but, l’approbation du public !