La Forêt de Fontainebleau/Poëme

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LA FORÊT
DE
FONTAINEBLEAU,


POËME.


Bois de Fontainebleau, frais et rians déserts,
Enfin je me revois sous vos ombrages verts.
Heureux trois fois le jour qui m’arrache à la ville !
Cet air pur, ces gazons, cette voûte mobile,
Ces troncs multipliés élancés vers les cieux,
Ici tout plaît au cœur, tout enchante les yeux.
De chaque arbre s’exhale une sève de vie :
Sous leurs vastes rameaux habite le génie ;
Et l’inspiration, amante des forêts,
A l’ame du poète y parle de plus près.

Quel mortel le premier dans ces réduits sauvages,
De l’industrie humaine éleva les ouvrages ?

Qui peupla ces rochers, et vint dans des marais
Former de cinq châteaux un superbe palais[1] ?
Nymphes de qui la main fit croître ces beaux chênes,
Partagez sans regret vos antiques domaines ;
Leurs coteaux inconnus se verront ennoblis ;
Vous deviendrez l’honneur de l’empire des lys ;
Ses rois vous chériront : dès que le sagittaire
Aux plaisirs de Diane invitera la terre,
Vous verrez accourir au sein de vos vallons
Et la cour des Valois et la cour des Bourbons.

Là fixant les beaux arts que l’Italie admire,
François dans nos climats étendra leur empire.
Là viendra Charles-Quint. Ces deux fiers ennemis,
Par l’estime et la paix désarmés, réunis,
Dans de pompeux tournois et des joûtes brillantes
Oublîront un moment leurs querelles sanglantes.

Henri quatre vainqueur, de monumens nouveaux
Embellira vos parcs, ornera vos châteaux.

Souvent vous le verrez, cachant son diadême,
Avec le laboureur s’entretenir lui-même,
Dîner sous la cabane, ou seul avec Rosny,
Du bonheur de son peuple occuper son ami.

De myrte et de laurier, nymphes, ceignez vos têtes ;
Formez des chœurs de danse et préparez des fêtes ;
Louis, accompagné par la gloire et l’amour,
Louis va de vos bois habiter le séjour.
Pareil à Jupiter, il semble sur ses traces
Amener de l’Olympe et les dieux et les graces.
A travers vos rochers, sur un coursier brûlant,
Condé se précipite et suit le daim tremblant.
Moins ardent, moins rapide est l’oiseau du tonnerre.
On le voit dans ses jeux tel qu’il est à la guerre.
Par des chemins plus doux les belles de la cour
Vont joindre les chasseurs, escortent leur retour,
Et le front ombragé de cent plumes flottantes,
Galoppent au milieu des fanfares bruyantes.

Mais que dis-je ? ô douleur ! ces beaux jours sont passés.
Grandeurs, gloire, plaisirs, vous êtes éclipsés.

La fortune ennemie a de ses mains fatales
Renversé du palais les enseignes royales.
Ces murs silencieux, que la foudre a frappés,
D’un long et triste deuil semblent enveloppés ;
L’aquilon vient mugir sous leurs voûtes antiques,
Et la feuille des bois roule dans leurs portiques.

Qui pourroit aux malheurs égaler les regrets !
O nature ! épaissis l’ombre de tes forêts,
Et loin de ces grandeurs en butte à tant d’outrages,
Viens entourer mes yeux de tes seules images.

Des bords de l’Océan aux neiges du Simplon,
Et de l’Adour aux lieux où le Rhin perd son nom,
Sur un sol embelli de pompes végétales,
Cette belle Forêt ne craint point de rivales.
Là d’abord, au lever de la lune des fleurs,
Se rend la Botanique avec ses jeunes sœurs :
Habit court et léger, ruban à la ceinture,
Brodequins, blanc chapeau, composent leur parure.
Flore qui sous leurs mains voit prospérer ses dons,
Déploie en leur faveur mille odorans festons,

Peint l’ombelle du ciste en couleurs virginales[2],
Attache les dés d’or aux longues digitales[3],
Monte sur les rochers, et de lychens fleuris
Couvre leur front sauvage et leurs flancs rembrunis.

Forçons ces rocs épais à nous ouvrir leurs veines,
A révéler au jour leurs beautés souterraines,
Ces lits d’un sable doux, ces fertiles berceaux
Où croît la stalagmite et naissentles cristaux.
Le grès, nouveau Protée, en cubes s’y parlage,
S’y découpe en dentelle, y jaillit en feuillage,
Et présente à ma main les modestes trésors
Dont mon humble foyer couronne ses rebords.

Ici, je l’avoûrai, jamais l’or n’étincelle.
Mais ne nous plaignons pas. Le sol qui le recèle,
Dégradé, tourmenté par d’avares travaux,
Avec ce don brillant reçoit tous les fléaux.
Voyez, s’il habitoit sous ces vertes collines,
Quels ravages profonds, quelles vastes ruines,

Des forges, des fourneaux, des tourbillons de feux,
Les vapeurs de l’Erèbe et ses spectres hideux !
La flamme eût dévoré ce magnifique ombrage ;
Plus de bois, plus d’oiseaux ; un silence sauvage
Flétriroit les beaux lieux où résonnent leurs chants.

Mais non : venez, amis de ces êtres charmans,
Et sans étudier sur de tristes tablettes
La momie emplumée et les doctes squelettes,
Venez dans la Forêt voir ce peuple léger
Sous les toits du printemps aimer et voltiger.
Chaque espèce a ses mœurs. Au sein de la charmille
L’un cache le berceau de sa jeune famille[4] ;
L’autre, pour ses petits, a déjà destiné[5]
La roche héréditaire où lui-même il est né.
A l’aubépine en fleurs le bouvreuil est fidèle,
Et sur l’orme élevé bâtit la tourterelle.

Heureux qui dans ces bois, errant dès son réveil,
Peut sous l’ombre amoureuse achever le soleil,

Puis, par de longs sentiers regagnant sa retraite,
Entend l’hymne du soir, que chaque arbre répète !
Souvent le rouge-gorge avec sa douce voix
Le suit de branche en branche aux limites du bois,
Approche en voletant, se fait déjà connaître,
Et prélude à ces mois où près de la fenêtre
Il implore l’abri des toits hospitaliers,
Et commensal aimable entre dans nos foyers.

Lorsque de la Forêt vous parcourez l’enceinte,
D’un orage imprévu ne craignez pas l’atteinte :
L’oiseau qui des vieux troncs aime à sonder les flancs[6],
Proclame son approche aux bois retentissans ;
L’aigre cri du pinson le prédit dès la veille ;
La mésange enrouée importune l’oreille ;
Et d’un vol inquiet l’ortolan de roseaux
Quitte le marécage et gagne les coteaux.

Là, le tigre jamais n’a semé l’épouvante ;
Là, Thisbé n’eût point vu la lionne sanglante :

Mais l’agile chevreuil, mais les daims mouchetés
Passent devant vos yeux, sautent à vos côtés ;
Et roi majestueux de ces douces peuplades,
Le cerf vient embellir vos longues promenades.

Percez donc sans terreur les sentiers tortueux,
Cet Océan de sable, étincelant de feux,
Ces rocs, d’où le bouleau lève une tête aride,
Et venez contempler une autre Thébaïde[7].
Quel calme à son aspect s’empare de mes sens !
Des enfans du désert les vestiges présens,
La fontaine où leurs mains puisoient une onde pure,
Ce modique jardin, ces débris de clôture,
L’enceinte où résonnoient leurs chants religieux ;
Qu’avec plaisir ma vue embrasse tous ces lieux !
Le temps ne peut donc pas désenchanter la terre
Qu’honora la vertu d’un simple solitaire !
Une mère éplorée y vient encor chercher,
Pour les douleurs d’un fils, les larmes du rocher[8].
Le peuple des hameaux en foule y vient encore,

Si-tôt que le froment a vu sa fleur éclore[9],
Invoquer à genoux le père des humains,
Et lui recommander les épis incertains.
Tant ils pensent qu’autour de ce pieux asyle
La prière est plus forte et le ciel plus facile !

O nuit mélancolique ! ineffables momens
Où seul et recueilli parmices monumens,
Aux rayons de la lune errans sur leurs décombres,
Je crus de mes amis reconnoître les ombres !
Je leur tendois les bras, et je sentois mes yeux
S’emplir en les voyant de pleurs délicieux.
Sur les rochers bientôt je m’élance après elles,
Et les suivant de l’œil aux voûtes éternelles,
Il me sembloit aussi m’élever sans efforts ;
Je voyois s’agrandir tous les célestes corps ;
J’admirois de Vénus les cimes lumineuses,
Et Jupiter grondant sous ses vagues fougueuses[10] ;
J’osois du froid Saturne aborder les anneaux,
Voler de sphère en sphère à des astres nouveaux,

Et par-delà les cieux, dans ses clartés profondes,
Entrevoir, adorer le Dieu de tous les mondes.

Un peuple d’arbres verts nous appelle à son tour.
Né près de la Baltique, il orne ce séjour,
Occupe les coteaux rebutés par nos chênes,
Et prospère au milieu de stériles arènes.
Honneur à Lemonnier qui, sur cet heureux bord[11],
A fait croître et fleurir les parures du Nord !
Par lui Fontainebleau voit malgré la froidure,
Au front de ses rochers éclater la verdure ;
Et nos ports n’auront point compté cinquante hivers,
Les mâts qu’il a semés vogueront sur les mers.

De-là portons nos pas vers ces tiges hautaines,
Des Nemours, des Bayard nobles contemporaines :
A leur grandeur superbe, à leur pompeux contour,
Du règne végétal reconnoissez la cour.
Non loin, vêtus de blanc ainsi que des bergères,
Habitent des bouleaux les familles légères ;

Et ce contraste heureux rappelle au fond d’un bois
Le tableau du village et le séjour des rois.

Puis-je oublier d’Avon la plaine fructueuse ?
Jadis du sanglier retraite limoneuse,
Par les daims et les cerfs seulement fréquenté,
Avon charme et nourrit aujourd’hui la cité,
Et même de Paris voit les marchés superbes
Emporter sur les flots le tribut de ses herbes.
Par des sentiers étroits, le matin et le soir,
Circulent en tous lieux la bèche et l’arrosoir.
Quelques buissons de rose, un lilas, un troëne,
Des possesseurs divers séparent le domaine.
Tout est vie et fraîcheur. De leur pampre couverts
A peine on apperçoit les raisins encor verts,
Les raisins, qui dorés par le soleil d’automne[12],
Une seconde fois séduiroient Erigone.

Le ruisseau, dont la source au haut de ce vallon[13]
Embellit la Forêt et lui donne son nom,

De jardins en jardins murmure et se promène
Jusqu’au pompeux rivage où serpente la Seine.
Ce fleuve qui s’égare en amoureux détours
Semble pour ces beaux lieux multiplier son cours ;
Le nocher les admire, et de leur vaste ombrage
Dans les flots transparens fend la mobile image.
De Samois, d’Hérici, je vois les monts vineux,
Et les débris du pont qui les joignoit tous deux.
Tandis que du pêcheur la truble suspendue[14]
Vogue autour des piliers et sous l’arche rompue,
Aux coudriers voisins j’emprunte un long rameau,
Je prépare ma ligne, et vais tenter sous l’eau
Le barbillon bleuâtre, ou la brême enfumée,
La lote au foie exquis, la carpe renommée,
La perche aux mailles d’or, à l’aviron vermeil[15],
Et l’anguille qui fuit les rayons du soleil.
Heureux jour où s’unit l’utile et l’agréable !
Ce soir, près du foyer, je verrai sur la table

Le produit de ma pêche, à la ronde fêté,
Du souper de famille éveiller la gaîté ;
Et demain, sous un chêne, aux accords de ma lyre,
Je redirai les vers que la Forêt m’inspire.


Solus puniceis facilis contendere mullis.
Nam neque gustus iners ; solidoque in corpore partes
Segmentis coeunt, sed dissociantur aristis.


» Pourrois-je oublier la perche, délice des tables, seule, entre
» les enfans des fleuves, égale aux poissons de l’Océan, seule
» rivale du surmulet vermeil ? Sa chair est d’un goût relevé,
» ferme, et se lève par tranches que divisent les arêtes ».


Ausone, Poëme de la Moselle.
  1. Le palais est composé de cinq châteaux réunis par des cours et des galeries.
  2. Cistus umbellatus.
  3. Digitalis lutea.
  4. Le verdier.
  5. Le tarier.
  6. Le pivert.
  7. L’ermitage et la vallée de Franchart.
  8. La roche qui pleure.
  9. Le mardi de la Pentecôte.
  10. Les vastes reflux des mers de Jupiter.
  11. M. Lemonnier, premier médecin de Louis XVI.
  12. Le chasselas de Fontainebleau.
  13. La fontaine de Bleau.
  14. Filet attaché carrément au bout d’une perche.
  15. Nec te delicias mensarum, perca, silebo,
    Amnigenos inter pisces dignande marinis,