La Forêt de Fontainebleau/Notes

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NOTES.




NOTE PREMIÈRE.


Peint l’ombelle du ciste en couleurs virginales.


Linné a réuni sous le nom de ciste deux genres nombreux de Tournefort, différens par le port et par le fruit, et que plusieurs modernes ont de nouveau séparés, sous les noms de ciste et d’hélianthème.

Les cistes proprement dits, sont des arbrisseaux qui ont un calice à cinq feuilles, cinq pétales disposés en rose, un grand nombre d’étamines, et pour fruit une capsule à cinq ou dix loges. Ils habitent les pays chauds. On en trouve beaucoup sur les côtes d’Afrique, dans les îles de l’Archipel, en Portugal, en Espagne, dans nos provinces méridionales. Nous les cultivons à Paris pour l’ornement des jardins, et l’hiver, nous les abritons dans l’orangerie.

Leurs fleurs sont très-jolies ; dans quelques espèces elles sont plus grandes que des roses. On en voit de blanches, de jaunes, de rouges ; de blanches bordées de pourpre ou marquées de cinq taches purpurines. Quoique les étamines soient fort nombreuses, les corolles ne doublent point par la culture. Peut-être perdroient-elles, en doublant, de leur élégance et de leur légèreté. Ces fleurs sont de courte durée : leurs pétales trop minces se chiffonnent et se détachent promptement : mais pendant deux mois, lorsque le temps est beau, des fleurs nouvelles succèdent tous les matins à celles qui sont tombées la veille.

Plusieurs cistes ont les feuilles enduites d’une substance visqueuse, odorante et résineuse, connue dans le commerce sous le nom de ladanum. Appliqué extérieurement, il amollit, atténue et résout ; sa teinture extraite par l’esprit-de-vin, se prend intérieurement comme fortifiante et stomachique. Il entre dans la composition des pastilles, et fournit aux parfumeurs une huile odoriférante. Au rapport de Pline et de Dioscoride, les chèvres étoient chargées de recueillir le ladanum. On les envoyoit dans les cisteries, ou plantations de cistes, et l’on ramassoit ensuite la résine attachée aux poils et à la barbe de ces animaux. L’usage actuel des îles de Chipre et de Candie, est de passer sur la fleur des lanières de cuir, et de racler le ladanum dont elles sont enduites.

L’hélianthème, ou fleur du soleil, diffère du ciste par son fruit formé d’une capsule à trois valves. Ce genre renferme un grand nombre d’espèces, les unes annuelles, les autres vivaces et ligneuses. Il y en a cinq à Fontainebleau, l’hélianthème commun qui a plusieurs variétés, le luisant, le fumana, le tacheté et l’ombellifère. Tous, excepté le dernier, ont les fleurs en grappe. Leurs étamines sont douées d’une irritabilité singulière. Touchées avec la pointe d’une épingle, ou même agitées du plus léger souffle, elles s’écartent du pistil qu’elles embrassoient, et se rabattent sur la corolle. Celle-ci est encore plus fugitive que dans les cistes. On voit au lever du soleil les allées de Fontainebleau bordées des jolies fleurs jaunes de l’hélianthème tacheté ; deux heures après la terre est jonchée de leurs pétales. Au reste, de toutes les espèces qui croissent dans l’Europe, la plus belle est l’ombellifère qu’on a nommée aussi hélianthème de Fontainebleau. Ses touffes s’élèvent, à plus de deux pieds, portent des bouquets à trois étages, couverts au mois de juin de fleurs aussi blanches que la neige. Nulle plante ne produit un effet plus pittoresque sur les rochers, ne contraste mieux avec leurs teintes sombres et avec les sites sauvages de la Forêt. C’est dans ces lieux incultes qu’elle aime à croître ; transplantée dans nos jardins, les rameaux s’alongent, les fleurs s’écartent et n’offrent plus cette masse d’un blanc pur qui se faisoit distinguer de loin.




NOTE II.


Attache les dés d’or aux longues digitales.

La digitale a tiré son nom de la forme de ses fleurs, qui ressemblent à un dé à coudre, qu’on auroit un peu échancré. On en trouve deux espèces à Fontainebleau, la purpurine et la jaune. Cette dernière, dont les fleurs sont moins grandes, vient sur les coteaux pierreux de Valvin, où elle se fait remarquer par ses tiges droites que termine un épi de fleurs nombreuses, unilatérales, et d’un jaune pâle. On a beaucoup écrit sur les propriétés de la digitale, principalement en Angleterre, où cette plante a été long-temps en grande estime. Cependant les pharmacopées de Londres et d’Edimbourg en ont tour-à-tour admis et rejeté l’usage. La cause de cette variation se trouve dans la violence connue de ses effets. On ne peut donc être trop circonspect dans l’emploi d’un pareil remède. Comme il est arrivé de prendre les feuilles de la digitale pour celle du verbascum ou bouillon-blanc, j’ajouterai que ces deux plantes ont bien quelque ressemblance avant de monter en tiges, mais que les feuilles de l’une sont rudes et celles de l’autre molles au toucher, qu’enfin pour plus d’assurance il suffit de les goûter ; la digitale est d’une amertume désagréable, le bouillon-blanc n’a qu’une saveur herbacée.



NOTE III.


L’oiseau qui des vieux troncs aime à sonder les flancs,
Proclame son approche (de la pluie) aux bois relentissans.

S’il est des êtres qu’on doive consulter sur les changemens de l’air, c’est sans doute le peuple tout aérien qui se joue au milieu des vagues de l’atmosphère, et qui, par sa conformation comme par ses habitudes, semble destiné à en éprouver plus vivement les impressions. Aussi les oiseaux ont toujours été en possession de fournir les pronostics des temps pluvieux ou sereins. On trouve à ce sujet un grand nombre d’observations chez les anciens, dans l’Histoire naturelle de Buffon, et sur-tout dans la mémoire de nos paysans. En voici quelques-unes dont la réunion pourra faire plaisir au lecteur. Le coq de bruyère annonce le beau temps, quand il se pose sur la cime des arbres et sur leurs nouvelles pousses ; le mauvais temps, quand il se rabat sur les branches inférieures et qu’il s’y tapit. Triste et immobile au bord des marais, le héron prédit les frimas ; plus remuant et plus clameux qu’à l’ordinaire, il promet la pluie. Le paon la présage lorsqu’il grimpe plus haut que de coutume, ou qu’il répète ses cris discordans. S’il doit pleuvoir, l’ortolan de roseaux gagne les hauteurs, le pinson prend un accent particulier et désagréable, le chant de la mésange ressemble au grincement d’une lime ou d’un verrou : on voit les noires corneilles quitter en troupe la pâture, et presser leur vol bruyant vers la futaie antique ou la tour abandonnée : alors les martinets, descendant de la région des nuages, volent en foule autour des clochers, et l’hirondelle rase en babillant la surface des fleuves : alors aussi le pivert, appelé dans plusieurs provinces le procureur du moulin, jette un cri plaintif et traîné qu’on entend de très-loin.




NOTE IV.


Le barbillon bleuâtre, ou la brême enfumée,
La lote au foie exquis, la carpe renommée,
La perche aux mailles d’or, à l’aviron vermeil,
Et l’anguille qui fuit les rayons du soleil.


Le barbeau, cyprinus barbus, a pris son nom des quatre barbillons dont sa mâchoire supérieure est garnie, et qui le distinguent dans le genre nombreux des carpes. Il aime les courans et les fonds de cailloux. C’est sur les bords escarpés et entre les grosses pierres qu’il se tient ordinairement caché. Le printemps est pour lui la saison du frai : alors il remonte les fleuves, et dépose ses œufs sur les pierres du fond, dans l’endroit le plus rapide. Sa chair est légère, blanche et de bon goût.

On reconnoît la brême, cyprinus brama, à ses nageoires noirâtres. Elle se plaît dans les rivières d’un cours tranquille, sur des lits de marne et de glaise. Elle cherche au printemps les rivages unis, couverts de joncs et d’autres plantes, pour y déposer ses œufs. Comme elle est très-avide de vers, elle mord aisément à l’hameçon. Sa chair est estimée.

Une tête de grenouille sur un corps d’anguille donneroit une assez juste idée de la lote, gadus lota. Sa peau est visqueuse et glisse entre les doigts. Au lieu d’habiter l’Océan, comme le reste de sa famille, elle passe sa vie dans l’eau douce à de grandes distances des mers. Elle se met en embuscade dans des creux et sous des pierres, où faisant remuer comme de petits vers les barbillons de sa mâchoire inférieure, elle attire la proie qui rôde aux environs. Elle fraie en hiver. Son foie qui devient volumineux, est regardé comme un mets très-délicat.

Le caractère distinctif de la carpe, cyprinus carpio, est d’avoir le troisième rayon dentelé aux nageoires de l’anus et du dos. Ce poisson paroît être originaire du midi de l’Europe. On connoît l’époque de sa naturalisation dans plusieurs contrées : l’Angleterre reçut les premières carpes en 1514 ; le Danemarck en 1560. Elles commencent à dégénérer en Suède, et rapetissent à mesure qu’on avance vers le Nord. La carpe peut sauter en même temps à six pieds de distance et par-dessus une grille de six pieds de haut. C’est sur-tout au temps du frai qu’elle fait usage de cette force prodigieuse pour se rendre dans les étangs auxquels les rivières communiquent. On a compté 621,600 œufs dans une carpe de neuf livres ; on en prit une près de Francfort sur l’Oder, en 1711, qui avoit deux aunes de long, une de large, et qui pesoit soixante et dix livres. Il y a dans les canaux de Fontainebleau des mères si vieilles que leur tête est couverte de mousse ; elles y sont depuis François Ier.

La perche, perca fluviatilis, est un des plus beaux poissons de nos climats. Quinze dards sur la première nageoire du dos la font respecter de ses ennemis. Elle nage avec la rapidité du brochet, et reste à une certaine hauteur dans l’eau, ce qu’il est bon d’observer quand on veut faire une pêche heureuse à la ligne. Dans les temps chauds elle vient aussi à la surface pour attraper les cousins. Sa chair est blanche, ferme, d’un goût excellent, et convient aux estomacs foibles. Avec sa peau on prépare une colle qui surpasse de beaucoup celle des autres poissons.

L’anguille, muræna anguilla, se distingue dans le genre des murènes par l’absence des taches sur le corps et l’avancement de la mâchoire inférieure. Au printemps, lorsque plusieurs poissons des mers viennent frayer dans nos rivières, elle aime au contraire à passer dans l’eau salée. On la trouve par-tout : les fleuves lui conviennent aussi bien que les lacs et les étangs ; cependant on ne la prend presque jamais dans le Danube ni dans le Volga. Elle se cache le jour, et ne chasse que la nuit. Comme elle est très-sensible au froid, elle se retire sous la vase en automne, et ne reparoît qu’avec la douce température du printemps. Sa peau est souple et transparente : quelques tribus tartares l’emploient au lieu de vitres. Dans plusieurs cantons les paysans s’en servent pour, attacher leurs fléaux, parce qu’elle est plus forte que le meilleur cuir. L’anguille occupe aujourd’hui sur nos tables la même place à-peu-près que la murêne tenoit sur celles des Romains.

N. B. Je n’ai pas cru devoir parler des vipères de Fontainebleau dont on a fait si grand bruit l’automne dernière. J’en ai plusieurs fois cherché dans cette même saison, et à peine en ai-je rencontré une ou deux. D’ailleurs ces reptiles n’attaquent point l’homme, du moins sans provocation, et je ne doute pas que le retour des sangliers dans la forêt ne les fasse à-peu-près disparoître.



FIN.