La France Juive (édition populaire)/Livre 6/Chapitre 4

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Victor Palmé (p. 463-493).


CHAPITRE QUATRIÈME

LES JUIFS (suite)


La police nouvelle. — Le Paris d’Ignotus. — Les innocents devant les tribunaux. — La magistrature franc-maçonnique et juive. — Quelques types de magistrats. — Beyne. — Les amours de Laferrière. — La chasse au prêtre. — Nos pauvres Frères. — L’affaire Saint-Edme. — Deux députés convaincus de concussion. — As-tu fini ?


I


Nous sommes ici, d’ailleurs, dans la pure tradition jacobine. La mort seule semble capable d’expier la plus légère offense contre l’auguste personne du Jacobin ou de la Jacobine.

Léonard Bourdon, le crapuleux proconsul dont Taine nous a raconté les exploits, est insulté un soir, à Orléans, en sortant d’un mauvais lieu, et reçoit quelques horions dans une rixe entre ivrognes. Savez-vous combien d’êtres humains furent immolés pour ce fait ? Neuf. Un de ces malheureux avait dix-neuf enfants, dont quatre servaient aux armées. Les parents de ces infortunés vinrent supplier, en pleurant, la Convention de faire grâce ; la Convention resta impassible, et les condamnés furent conduits au supplice en chemise rouge.

Une jeune fille de vingt ans, Cécile Renault, se présente chez le concierge de Robespierre avec deux petits couteaux dans sa poche. On tue son père, son frère, sa sœur, sa tante, et l’on enveloppe dans le procès cinquante-six personnes, que l’on guillotine, toujours en chemise rouge. C’était si beau, que Fouquier-Tinville, pour aller voir passer le cortège, retarda ce jour-là son dîner.

Les écrivains républicains, qui trouvent cela admirable et qui ont poussé des cris de joie à l’assassinat de Morin, se déclarent tous partisans de l’abolition de la peine de mort. Quels Pasquins !

Que faire contre cette persécution ? Rien. C’est la persécution perfectionnée que prévoyait Desmoulins lorsqu’il écrivait : « Ce sont les despotes maladroits qui se servent des baïonnettes ; l’art de la tyrannie est de faire la même chose avec des juges. »

Le régime autoritaire, cette centralisation toute-puissante, déjà si lourde quand la machine gouvernementale était dirigée par des hommes qui avaient un fragment de conscience, qui, tout au moins, se rattachaient aux traditions françaises, est devenu un effroyable instrument d’oppression entre les mains des vagabonds d’hier, d’étrangers fraîchement naturalisés, de Juifs vindicatifs et haineux. Magistrats, commissaires, agents, tout cela est uni par la communauté d’origine ; tous ont fait à peu près les mêmes métiers autrefois, ont vécu entre deux peurs des mêmes industries suspectes. Si vous aviez à vous plaindre de quelque abus de pouvoir, je ne pense pas que vous trouviez grande protection auprès de Cartier, l’ancien homme de confiance de Crémieux, qui déclare, dans une réunion électorale, que « Dieu, la famille et la propriété sont des balançoires. »

Quant aux commissaires, il n’est pas de jour où, à la suite de quelque aventure trop éclatante, l’un d’eux ne quitte son cabinet pour une cellule à Mazas. L’un, magistrat et marchand de vin à la fois, est poursuivi pour escroquerie. L’autre, un nommé Rougeau, — celui-là opérait à Saint-Denis, — réclame 160 francs au lieu de 10 francs à l’un de ses administrés : il n’est sauvé que par l’intervention de Lœw et de Camille Sée[1]. Le commissaire de Viviers tire un coup de revolver sur un habitant paisible de sa commune, et est arrêté au moment où il s’élançait sur lui, probablement pour lui arracher sa montre. Au mois de décembre 1883, le commissaire de police d’Orbec, Hébert, est condamné par la cour d’assises du Calvados à trois ans de prison pour attentat à la pudeur[2].

Cardinal, le commissaire de police de Vitré, est plus étonnant encore : il se charge de procurer des nuits d’amour à ses amis, et il choisit au hasard parmi les femmes les plus irréprochables de la ville. Un soir, son compagnon d'orgie, Leroy, rédacteur en chef du Radical de Rennes, lui témoigne le désir de sacrifier à Vénus. Cardinal n’hésite pas : il fait ouvrir au nom de la loi la maison d’une honnête femme, Mme Porée, dont le mari, employé à la gare, était absent, jette le bouillant républicain dans les bras de cette dame réveillée en sursaut et saisie d’épouvante, et se retire. La femme crie, se défend, roue de coups l’ivrogne qui veut la prendre de force. Finalement, l’affaire s’ébruite, et, au mois de décembre 1885, la Cour d’appel de Rennes, statuant sous la présidence de M. de Kerbertin, condamne Cardinal à six mois et Leroy à un mois de prison.

Broussier, d’abord commissaire de police à Guines, où il avait commis d’innombrables vols, avait été envoyé par le ministre à Vendôme avec de l’avancement. Là, il trouva tout simple de se rendre à la gare, d’éventrer un sac de dépêches et d’emporter les lettres chargées. Le jury de Loir-et-Cher le condamna à cinq mois de prison au mois de février 1886. « Je suis toujours commissaire de police, dit-il au président : le ministère m’a accepté pour les colonies. » Il ira rejoindre son poste à l’expiration de sa peine, et probablement avant.


II


Il serait dommage d’omettre Joyeux, le commissaire de police du quartier de la Folie-Méricourt. Cette affaire Laplacette, dont tous les journaux ont retenti au mois de mai 1884, est une des plus émouvantes, une de celles qui montrent le mieux combien notre société est dure aux petits. Ce Laplacette, entrepreneur de ventes à crédit, deux ou trois fois millionnaire, avait tout simplement rétabli, pour ses employés, la chaîne de l’esclavage antique, mais en la rendant plus lourde encore.

Pour éviter que ses courtiers ne l’abandonnassent, ce patron, républicain, puisqu’on était sur le point de le décorer, avait trouvé un moyen ingénieux. Dès qu’une légère erreur se reproduisait dans le compte de ses employés, dès qu’il leur manquait deux ou trois francs de timbres, il les accusait d’abus de confiance, et les effrayait avec les mandats de comparution en blanc que lui remettait son complice et son associé, le commissaire Joyeux. Les malheureux étaient amenés dans un local qu’on appelait la cage, dans lequel se tenait en permanence le secrétaire du commissaire, prêt à verbaliser au cas où l’employé aurait répondu par un mot grossier aux injures dont l’accablait Laplacette. Là, affolés par l’idée de la prison, terrifiés par cet appareil, ils signaient une déclaration par laquelle ils reconnaissaient avoir volé leur patron.

Les signataires étaient désormais à la discrétion de Laplacette. Six mois, un an ou deux après, quand les affaires allaient mal ou que la nécessité de frapper l’esprit du personnel se faisait sentir, on prenait au hasard un de ces infortunés, comme on prenait un esclave pour les murènes, et on le livrait aux tribunaux, qui le condamnaient sur son propre aveu. On mettait le nom sur un tableau, que l’on appelait le tableau d’avancement, afin que cet exemple terrorisât les autres.

Quatre-vingts pauvres diables furent ainsi exécutés ! quatre-vingts existences d’hommes furent souillées, flétries, brisées à jamais ! Et les autres ! ceux qui avaient sans cesse cette épée de Damoclès sur la tête, vous figurez-vous ce qu’ils devaient souffrir ?

Joyeux ne fut pas poursuivi, il ne fut pas même révoqué ; il fut admis par Camescasse à faire valoir ses droits à une honorable retraite…

Tous ces gens-là, encore une fois, se ménagent entre eux : car ils se connaissent, les uns sur les autres, des histoires à s’envoyer tous aux galères.

Custodes ipsos quis custodiet ? s’écrie l’honnête homme éperdu, envoyant les gardiens de la sécurité publique s’allier à d’anciens communards pour dépouiller le pauvre monde.

Au mois de février 1884. Provendier, officier de paix du neuvième arrondissement, tristement compromis dans l’effraction du domicile des Capucins, et déjà poursuivi pour avoir détourné les fonds destinés aux agents placés sous ses ordres, comparaît devant la cour d’assises de la Seine ; il est condamné à deux ans de prison pour faux commis de complicité avec un de ses amis, le sieur Gilson. Le sieur Gilson avait eu une part considérable dans le pillage de l’église Saint-Ambroise sous la Commune.

Un autre officier de paix, Goût, est arrêté au mois d’octobre 1884, et condamné à un an de prison pour avoir extorqué des sommes importantes aux directeurs des Cercles, en se servant du nom de Puybaraud, le chef de cabinet du préfet de police.

Cotton d’Englesqueville, qui avait montré tant d’acharnement dans l’expulsion des Dominicains, devient fou. Successivement procureur impérial à Ajaccio, juge à la cour de Pau et conseiller à la cour de Caen. il avait dû quitter la magistrature, et, après avoir exercé divers métiers, il était en dernier lieu courtier en chevaux : c’est là qu’on l’alla chercher pour en faire un commissaire de police. Poursuivi par le remords, il se croyait en butte aux attaques de malfaiteurs invisibles, et avait prétendu qu’un individu, resté inconnu, avait déposé une bombe dans son appartement ; quelques heures avant sa mort, il envoya à la préfecture une dépêche qui portait ces mots : « Mazas en débris ; Louise Michel et les Capucins ont fait sauter Paris. » Margarot, le maire de Nîmes, un des trente-trois membres du Suprême Conseil, qui, allié aux Protestants, avait montré une véritable frénésie dans tous les actes de persécution religieuse, se suicida au mois d’avril 1885, à la suite de vilaines affaires d’argent.

Il y aurait des choses très intéressantes à dire sur le châtiment des crocheteurs. Presque tous ceux qui ont été mêlés à ces scènes, finissent dans des catastrophes. Le serrurier de Lille qui avait consenti, au refus de tous ses camarades, à prêter son aide au préfet, fabrique une machine infernale et se tue ensuite.

Au mois de février 1885, un nommé Astruc, qui avait figuré au premier rang lors de l’exécution des décrets à Montpellier, est condamné par la cour d’assises à trois ans de prison pour complicité de vol.

Tous ceux qui ont été crocheter la Trappe des Dombes, au Plant, sont morts dans l’année, dans des conditions fort tristes[3].

Sans doute, les faits s’expliquent assez naturellement, au point de vue humain. Ce n’est pas dans l’élite de la population que le pouvoir a pu trouver des auxiliaires ; et, si tous les pendards ne sont pas pendus, ils finissent toujours, en continuant le cours de leurs exploits, par heurter trop violemment la loi pour qu’on puisse étouffer l’affaire. C’est, je crois, Joseph de Maistre qui a dit qu’ « il y avait plus de coquins courant après les châtiments que de châtiments courant après les coquins. » Malgré tout, les uns et les autres se rencontrent quelquefois.

On devine les scrupules que peuvent éprouver, comme fonctionnaires, des gens qui ont tant à se faire pardonner. Un commissaire de police d’Angers, Poilu, est chargé, au mois de novembre 1881, d’une instruction contre un prêtre. La plupart des témoins déposent en faveur de l’accusé, et sont tout étonnés quand on leur relit leurs dépositions au tribunal, de voir qu’on leur avait fait dire absolument tout le contraire de ce qu’ils pensaient. L’ingénieux Poilu les avait tout simplement appelés à son bureau, et, sous un prétexte quelconque, leur avait fait signer une feuille en blanc. La Chambre des mises en accusation, saisie de l’affaire, écarta l’intention frauduleuse, en constatant seulement que le magistrat avait systématiquement omis de relater les témoignages favorables à l’accusé !


III


On comprend ce que peut faire de ravages, dans un pays organisé comme le nôtre, la force publique confiée à de tels hommes.

Sur ce point, l’historien de l’avenir fera bien de consulter les chroniques d’Ignotus.

Ce qui restera de ce peintre moderne, ce sont ses études sociales ; ses peintures de ce Paris nouveau, monstrueux, invraisemblable ; ses dramatiques analyses de ce monde renversé, où les gens de bien sont maintenant à la merci des criminels de tous les pays. Réunissez ces travaux fragmentaires en un volume ; joignez-y le livre de M. Maxime Du Camp ; ajoutez-y le présent livre, qui dit ce que ces hommes, soucieux de ne pas se faire d’ennemis, n’osent pas dire ; complétez le tout par le livre que quelqu’un, sans nul doute, est en train de préparer dans un coin et qui contiendra ce que je n’ai pas voulu dire : les détails intimes que chacun se raconte à l’oreille, les révélations sur les tripotages secrets, sur la vie privée, sur les dessous honteux de ce gouvernement de scélérats. Et, si la capitale disparaît dans un formidable cataclysme, vous aurez les matériaux suffisants pour reconstituer la ville géante qui, hier, s’appelait la cité reine, et qui, demain, sera la cité mendiante, la cité découronnée, déshonorée, désespérée.

Maxime Du Camp vous donne, dans son livre froid comme les pierres, dans ce livre d’une littérature toute édilitaire, le décor admirable et pompeux, le cadre monumental et grandiose de la ville impériale ; mais, dans cette œuvre faite presque exclusivement avec des documents officiels, le mouvement et la vie n’existent pas. Dans Ignotus, vous trouverez peint au naturel, ad vivum, le monde bizarre qui s’est installé impudemment dans cette ruine toute neuve d’un monde écroulé, comme les bohémiens s’installent deux ou trois fois l’an dans le jardin des Tuileries, pendant leurs loques aux statues des consulaires, rapiéçant leur chaussure trouée au pied des déesses de marbre, allumant les réchauds de leur nauséabonde cuisine sous les arbres augustes que nos rois avaient plantés pour verser la fraîcheur et l’ombrage aux passants.

Assidu du palais et avocat lui-même, quoiqu’il n’ait que peu plaidé, Ignotus décompose très bien la façon dont fonctionne la persécution judiciaire ; il explique fort lucidement comment l’innocent est condamné d’avance, même avec une sorte d’apparence de justice, dès que le magistrat Franc-Maçon est d’accord avec ceux qui ont organisé une affaire, soit dans un intérêt électoral, soit dans un but de chantage.

Les études sur le huis-clos, le secret, les attentats à la pudeur, sont d’un penseur et d’un légiste.


L’enfant, dit très bien l’écrivain, n’a pas conscience fort nette de la réalité des choses. De même que le bébé naissant étend le bras pour toucher les objets les plus éloignés, — de même l’enfant ne distingue que peu à peu la matérialité des actes. Il les confond, présents ou passés. Il ne met pas une grande différence entre ce qu’il a vu ou entendu. Parfois il croit avoir entendu ce qu’il a vu — et vu ce qu’il a entendu.

Or cet enfant est le témoin qui, d’ordinaire, est regardé comme le plus croyable et qui est le plus cru. Il y a cet adage criminel : « Plus le témoin est petit, plus il pèse ! »


C’est là-dessus que comptent les Francs-Maçons, qui excellent dans ces préparations de procès d’attentats à la pudeur. On fait croire l’enfant à la réalité de certains faits qui n’ont jamais existé ; on lui fait apprendre une leçon qu’il répète par vanité, pour ne pas avoir l’air de manquer de mémoire. Sous ce rapport, les organisateurs sont d’une habileté incroyable dans le choix de leurs sujets.

Parmi d’innombrables affaires de ce genre, dont le .récit allongerait indéfiniment ce livre, je prends au hasard l’affaire de l’abbé Mulot.

L’abbé Mulot, curé de Saint-Leu, à Amiens, était un vénérable prêtre de 71 ans, qui avait traversé la vie en faisant le bien. Pendant le choléra de 1866, il avait bravé cent fois la mort, en prodiguant ses soins aux malades, et les habitants du faubourg de Ham s’étaient cotisés pour lui offrir une couronne d’or à titre de souvenir.

Quand on demanda à un témoin, M. Hocquet, maire de la commune de Templeux-le-Guérard, où l’abbé Mulot avait été curé, quelle était alors sa réputation, il répondit simplement : « Si j’avais voulu amener ici quatre cents personnes de Templeux pour téihoigner en faveur de M. l’abbé Mulot, elles seraient venues en masse. »

L’abbé Mulot avait dû défendre les droits de l’Église contre la ville d’Amiens. Dauphin, le protecteur et l’ami d’Erlanger, l’associé de Boulan (de l’Assurance financière), et Goblet, qui vaut encore moins que lui, avaient été indignés d’une telle audace. Il fut résolu qu’on perdrait le pauvre prêtre, qu’ « on monterait un coup », pour employer l’expression d’un des témoins. Une institutrice, qui, avant d’appartenir à l’enseignement, avait fait partie d’un cirque ambulant, vint raconter que des enfants auraient reçu du curé ce qu’ils appelaient des « leçons naturalistes. »


IV


Le procès eut lieu au mois de juin 1882. M. Robinet de Cléry, chargé de la défense de l’accusé, fut magnifique ; mais, ne l’eût-il pas été. que la cause de la vérité aurait triomphé quand même. Le président du tribunal était un honnête homme et un homme d’esprit. Après deux ou trois questions, il sut à quoi s’en tenir sur l’innocence des enfants : ils avaient en effet figuré déjà deux ou trois fois dans des affaires d’attentat aux mœurs. C’était une spécialité chez eux ; la Franc-Maçonnerie les promenait de département en département. L’arrêt fut très explicite sur ce point :


En ce qui concerne l’outrage public à la pudeur :

Attendu que, s’ils avaient existé, les gestes indécents, objets de cette seconde inculpation, en raison même de leur gravité, n’auraient pas manqué, dès le premier jour, d’être dévoilés par les enfants, dont deux, au moins, avaient été antérieurement mêlées, comme victimes ou comme témoins, dans des procès de mœurs ;

Attendu néanmoins que, lors de l’enquête de M. l’inspecteur Camus, il n’a été en aucune façon question de ces actes, et que c’est le lendemain, devant M. le commissaire de police, que deux enfants ont commencé à en parler ;

Attendu que la défense, pour infirmer ces témoignages, a justement relevé les nombreuses contradictions qui existent entre les déclarations des différentes petites filles, non seulement sur les gestes dont il s’agit, mais encore sur d’autres circonstances accessoires de la scène, contradictions d’autant plus inexplicables que les faits se seraient accomplis sous leurs yeux, dans un espace relativement très restreint ;

Attendu que l’instruction et les débats ont, du reste, révélè la pression exercée par une personne (l’institutrice laïque Mehl) sur les enfants, et dont l’animosité contre l’inculpé ne saurait être mise en doute ;

Attendu que la moralité inattaquable de l’abbé Mulot et tout son passé protestent contre ce nouveau chef de prévention ;

Par ces motifs :

Le tribunal renvoie l’abbé Mulot des fins de la poursuite, sans dépens.


Une enthousiaste ovation fut faite au sortir de l’audience au malheureux vieillard, qui, très fort devant la persécution, faillit s’évanouir de joie en voyant combien il était aimé. Un de nos confrères, M. Nicolas Boussu, ouvrit dans son journal le Courrier de la Somme une souscription, qui fut presque aussitôt couverte et qui servit à l’achat d’un calice d’or.

L’institutrice flétrie par le tribunal reçut naturellement l’avancement qu’elle méritait : elle fut appelée à une position à Paris.

Nous nous sommes arrêtés assez longuement à ce procès, car il peut être considéré comme le procès-type de la Franc-Maçonnerie.

La date explique l’acquittement, comme l’acquittement explique la loi sur la magistrature. Aujourd’hui l’abbé Mulot serait certainement condamné à cinq ans de prison.

Ignotus voyait très juste lorsqu’il écrivait :


Que deviendra la sécurité de chacun, quand la magistrature appartiendra à des êtres déclassés ? Nous arriverons aux heures les plus sombres de la décadence romaine. Le nouveau magistrat sera l’instrument des vengeances ou des appétits particuliers. La foule sera maîtresse du prétoire. Déjà vous avez vu un curé, qui depuis a été acquitté, — arrêté préventivement et mené en prison entre deux gendarmes… à pied, un jour de dimanche, à la sortie de la grand’messe. N’y avait-il point là pression de la foule sur des magistrats secondaires ?

Ce qui arrive aujourd’hui aux curés, adviendra demain ou après-demain aux laïques.

Maintenant, le jury est choisi par deux degrés différents d’examinateurs : 1° l’assemblée des maires ; 2° l’assemblée composée des conseillers généraux et présidée par le président du tribunal civil. Que sera-ce quand ce président sera un magistrat de dernière catégorie ?

Que sera-ce — quand le parquet sera composé d’hommes méprisables ? quand le droit excessif d’arrêter préventivement un citoyen sera dans des mains vénales ? quand le prévenu pourra être mis au secret, selon la fantaisie de quelque juge d’instruction, à qui aujourd’hui vous ne confieriez pas votre bourse ? quand le jugement aura lieu à huis-clos, sans le contrôle de l’opinion publique ?

En ce temps-là, les accusations d’outrage à la pudeur seront plus nombreuses que jamais. Les femmes seront les plus formidables instruments de la Révolution sociale, — de même que d’autres femmes en sont aujourd’hui les plus redoutables adversaires.

Que sera-ce quand la balance de la Justice deviendra une balance d’épicier, où le déshonneur sera vendu à prix d’argent, comme le sel et le poivre ?

Dieu est remplacé par le procureur général vis-à-vis des foules. Que sera-ce quand le procureur général sera l’élu et l’instrument des passions les plus basses ?

Il ne faut pas croire qu’en ce temps-là les simples citoyens pourront se dégager des luttes politiques. Ce serait folie que de le croire. Nul ne pourra regarder de sa fenêtre ce qui se passe dans la rue — comme dans un jour de Mardi-Gras. Les ruisseaux de la rue monteront dans les maisons !


On s’explique l’acharnement que mit la Franc-Maçonnerie juive à décapiter la magistrature. Les anciens magistrats étaient pour les Juifs, même d’une nature relativement supérieure, un perpétuel sujet d’étonnement ; ils avaient devant cette pauvreté volontaire la même impression de sourde colère que devant la pauvreté du moine ; ils suffoquaient devant ces hommes qui rendaient la justice pour rien, dans l’impartialité de leur conscience, quand ils auraient pu tant gagner à la vendre.

Isaac Pereire racontait souvent, comme une des surprises de sa vie, la visite qu’il avait faite à un premier président qu’il était obligé de voir, pour un procès d’une importance considérable. Le riche financier avait fait atteler, il s’était rendu chez le magistrat.

— Monsieur X ?

Au cinquième, la porte à droite.

Profondément surpris, absolument essoufflé, Pereire avait gravi les cinq étages, et il avait trouvé, dans l’acajou le plus banal, un homme éminent qui s’était montré aussi au courant des questions financières que son visiteur.

Pereire, qui, en sa qualité de Juif Portugais, était accessible à certains sentiments élevés que les Juifs Allemands n’auront jamais, était demeuré frappé de la simple grandeur de cet homme pauvre, qui, voué à la plus haute des fonctions sociales après celle du prêtre, vivait au cinquième, tout en décidant de procès ou il s’agissait de millions. Le châtelain d’Armainvilliers, le ploutocrate heureux avait senti ce jour-là qu’il y avait quelque chose au-dessus de l’argent.

Il est évident qu’un magistrat de cette trempe n’aurait jamais consenti, comme Humbert, pour faire réussir les opérations de la banque juive cosmopolite, à faire arrêter les directeurs de l’Union générale la veille de la réunion d’une assemblée d’actionnaires qui pouvait tout sauver.


V


Les Juifs employèrent tous les moyens pour arriver à se débarrasser de ces magistrats qui les gênaient.

Il se passa, au moment du vote de la loi au Sénat, des faits inouïs. Les Francs-Maçons allèrent voler des bulletins dans les pupitres de leurs collègues, et les déposèrent en leur nom. A la séance du lundi 30 juillet 1883, M. Barthélémy Saint-Hilaire vient déclarer qu’il avilit reçu de M. Martel le mandat de voter contre l’article 15, et qu’un sénateur s’est permis de jeter dans l’urne un vote contraire. M. de Kerdrel fait la même déclaration pour M. Dieudé-Defly. Il y a là, comme le constate M. Buffet, un faux en écriture publique. Qu’importe ? Les Francs-Maçons font un signe à Humbert, qui présidait ce jour-là, et celui-ci, qui ricane lorsqu’on parle devant lui de conscience ou d’honnêteté, affirme cyniquement que le vote est régulier. Le Sénat romain des derniers temps n’offre guère de spectacle plus abject[4].

Grâce aux deux Sémites Millaud et Naquet, le tour était joué : les magistrats chrétiens furent remplacés par des Juifs, comme les Béer, les Alphanderry, les Eliacin Naquet, les Léon, les Bloch, les Katz, les Pontremols, les Rosenfeld, les Anspach, les Sommer, les Dalmbert, les Durand, etc., etc.

Figurez-vous un Chrétien arrivant devant un de ces Juifs ! Quelle satisfaction celui-ci éprouvera à pouvoir appliquer son code à lui ! quel sourire mauvais illuminera son visage, lorsqu’il pourra ruiner un malheureux goy, en pratiquant les préceptes donnés par rabbi Ismaëi dans le Talmud, au traité Baba-Kamina, chapitre Ha Gozel (le Voleur) :

« Si un Chrétien et un Israélite viennent devant toi pour un différend, si tu peux faire que l’Israélite ait gain de cause suivant la loi juive, fais-le, et dis au Chrétien : Telle est notre législation ; ou bien, suivant la loi du Chrétien, fais gagner l’Israélite et dis au Chrétien : Telle est votre législation. Si, au contraire, tu ne peux pas faire gagner l’Israélite d’une manière ou d’une autre, on emploiera contre le Chrétien des astuces et des fraudes[5]. »

Ce qu’est cette magistrature, des scandales quotidiens se chargent de nous l’apprendre. Les magistrats vivent avec les accusés, ils ont les mêmes maîtresses, ils trinquent avec ceux qu’ils auront à poursuivre ou à juger. On entend dans les prétoires des dialogues comme celui-ci, qui est véritablement exquis et que beaucoup de journaux ont reproduit. La scène se passe au mois de juin 1884, devant la cour d’assises de l’Aude, où l’accusé, le sieur Guibal, fut condamné à mort pour l’assassinat d’une fille, Marie Coquillière. Le président demande à l’accusé l’emploi de son temps.


Je suis arrivé le 1er septembre à Perpignan.

Je suis allé voir ma nièce, qui était la maîtresse du substitut du procureur de la République.

J’ai dîné avec elle, une de ses amies, — qui n’était autre que Marie Cerbère, — M. le substitut et M. le procureur de la République.

Après, nous sommes allés tous ensemble assister aux courses de taureaux.

Je voulais partir ; mais ces messieurs insistèrent pour me faire rester, et nous fûmes à l’Alcazar.

M. le président Roussel. — Vous avez une famille Lien honnête !

Une de vos nièces vit avec le procureur de la République ; une autre, avec le substitut de Perpignan.

— Oui, Monsieur, répond fièrement l’accusé.


Les débats de la cour d’assises du Gard, au mois de mai 1885, nous ont révélé les crimes du Dr Vigouroux, le Faiseur d’anges de Langogne, une prétendue victime du 2 Décembre, qui avait été nommé juge de paix pour ce fait. Ce vieux satyre souille sa nièce Philomène en présence de sa femme, et chaque année il met un petit cadavre d’enfant issu de ses œuvres dans une valise ; puis, muni de son diplôme de docteur et arguant de ses fonctions de juge de paix, il va faire la déclaration à une mairie quelconque en se retranchant derrière le secret professionnel et en prétendant qu’il a trouvé le corps dans un wagon. Un dernier trait d’audace le perd : il apporte tranquillement un nouveau petit cadavre à une mairie où il avait déjà fait une déclaration analogue ; on l’arrête ; il meurt en prison, et la nièce seule est poursuivie.

L’affaire Guillot nous a montré ce qu’est le vol provincial dans notre République ; l’affaire Vigoureux, comme une fenêtre tout à coup ouverte sur un lupanar qui serait en même temps un cimetière, nous montre ce qu’est la débauche provinciale dont tous les adeptes sont protégés par le secret franc-maçonnique.

Comme premier président de la cour d’appel, nous avons Périvier, qui passe sa vie avec le Dreyfus des guanos dont il est appelé à juger le procès et qui dit en pleine audience : « A notre époque, qu’est-ce qui n’a pas posé un lapin ? »

Comme conseiller, à la Cour d’appel également, nous avons Margue. Je crois que le besoin ne se fait pas sentir de marcher de ce côté.


VI


Un volume entier ne suffirait pas à énumérer les faits de cette nature. Fidèle à mon système, je prends ceux-ci, parce qu’ils appartiennent au domaine commun, qu’il est impossible de les contester. Qui de nous n’aurait à citer des histoires plus révoltantes et plus surprenantes ?

C’est encore une figure ae magistrat bien curieuse que celle de Clerget-Allemand, président du tribunal civil de Mâcon et particulièrement protégé par Martin-Feuillée[6].


Son aspect était fruste, ses allures revêches ; son langage toujours dur lui avait fait donner le surnom pittoresque de « Gueule-d’Acier ». Il ne prenait un ton plus doux vis-à-vis de ses subordonnés qu’en s’invitant à dîner chez eux — ce qu’il appelait modestement pâturer.


Cet homme aimable mourut au mois de juillet 1885, et un juge des nouvelles couches, du nom de Martin, dans le discours qu’il prononça sur cette tombe, offrit le défunt en exemple aux populations comme le modèle de toutes les vertus civiques.

Hélas ! comme pour Guillot, la douleur ne tarda pas à se changer en une stupéfaction générale.


On apprit alors, en effet, que ce magistrat avait exploité le pays sur la plus large échelle. Dénué de toutes ressources autres que son traitement, qu’il se faisait d’ordinaire payer d’avance, il avait mis à contribution, et comme en coupe réglée, nombre de gens, et notamment les officiers ministériels qui étaient sous sa dépendance : notaires, avoués, huissiers mêmes, ont été victimes de ses manœuvres et de ses soustractions.

Voici comment il procédait : il allait chez un notaire, et, après avoir parlé de ses propriétés ravagées par le phylloxéra — propriétés qui n’existaient que dans son imagination — il alléguait un embarras d’argent momentané, et demandait à emprunter 3,000. fr. C’était le taux pour les notaires. Le notaire, craignant de se brouiller avec le président du tribunal, s’exécutait bon gré, mal gré.

Quinze jours après, M. Clerget frappait à la porte d’une autre étude, recommençait son boniment, et terminait par la demande invariable de 3, 000 fr. Le notaire, heureux d’obliger le président, et croyant être le seul à être « honoré » de cette confiance, allongeait les trois billets de mille.

Six notaires de Mâcon furent ainsi pris. L’un d’eux reçut même deux fois la visite du président. A 3, 000 fr. la visite, coût : 6, 000 fr. Ces soi-disant prêts étaient faits par billets avec intérêts ; mais l’honnête président ne se préoccupait pas plus des intérêts que du reste. L’un des notaires victimes de cet emprunteur lui écrivit un jour pour réclamer le payement des intérêts. Il ne reçut pas de réponse. Seulement, quelque temps après, il apprit qu’il était commis par le président à une liquidation sur laquelle il ne comptait pas : « Ah ! voilà mes intérêts ! » s’écria-t-il. Il est juste de dire que M. le président Clerget était très large en fait de taxes. Il avait coutume de dire qu’il fallait prendre l’argent là où il y en avait. — Les notaires de Mâcon s’en sont bien aperçus.

Les avoués et les huissiers n’ont pas été plus épargnés.


Beyne, procureur de la République à Mont-de-Marsan, contraint une jeune fille, Noémie Pesquidoux, à se livrer à lui, en lui promettant l’impunité pour un léger délit dont elle est accusée, et en la menaçant de toutes les sévérités de la loi si elle refuse ses propositions malhonnêtes. La jeune fille, devenue enceinte des œuvres de ce vertueux magistrat, est obligée de l’assigner pour obtenir des aliments pour son enfant. Beyne fait poursuivre l’huissier Souques, qui s’est permis de l’assigner. Finalement, l’affaire excite un tel scandale, qu’on se décide à révoquer cet étrange champion de la morale qui en fut quitte, devant la Cour d’appei de Pau, pour une condamnation à mille francs d’amende pour dénonciation calomnieuse.

Tout Paris a retenti des scandaleux démêlés de M. Édouard Laferrière avec une de ses anciennes maîtresses. Le Conseiller d’État[7] avait séduit une jeune fille, puis l’avait abandonnée pour se marier richement. Ce sont là les mœurs de ses pareils, et il ne faut point s’étonner de cela. D’ordinaire cependant, les plus débauchés eux-mêmes liquident ces situations proprement. Ce Franc-Maçon, membre zélé de la loge du Réveil maçonnique de Boulogne-sur-Mer, ne trouva rien de plus simple que de dépouiller celle qu’il venait de quitter, et de la faire séquestrer pour l’empêcher de protester.

Le complice de Laferrière était Clément, que nous retrouvons à chaque pas dans notre récit et qui répond : Présent ! toutes les fois qu’il y a un domicile à violer, un attentat sans danger à commettre, une illégalité à accomplir.

Avouez que nos pauvres expulsés peuvent avoir quelque joie, lorsqu’ils contemplent l’assemblage infâme que forment les trois hommes qui ont été le plus activement mêlés à l’exécution des décrets. Cazot, l’homme de la loi, est poursuivi par les actionnaires après la faillite de la Société d’Alais-au-Rhône, et obligé de donner sa démission de président de la Cour de cassation. Laferrière, le représentant de la jurisprudence, fait enfoncer les portes de son ancienne compagne pour rentrer en possession de lettres compromettantes. Clément, le magistrat judiciaire, moitié Lebel et moitié Lecoq, ceint l’écharpe tricolore pour aller liquider les amours des conseillers d’État.

Comment les hommes qui gouvernent auraient-ils aucun scrupule envers les catholiques, qu’ils poursuivent d’une haine implacable, lorsqu’ils n’hésitent pas à assassiner ceux qui, partageant certaines de leurs doctrines, ont conservé un fond d’honnêteté, trouvent leurs mœurs mauvaises et leurs procédés condamnables ?

La mort du malheureux Saint-Elme est certainement une des pages les plus inouïes de l’histoire de ce temps. L’infortuné appartenait à une opinion qui n’est pas la mienne, et l'on ne m’accusera pas d’obéir à l’esprit de parti en parlant de lui ; mais cette exécution d’un écrivain par des sbires, en plein dix-neuvième siècle, est faite pour exciter l’indignation de tous.


VII


Rédacteur d’un journal avancé, le Sampiero, Saint-Elme avait combattu avec infiniment de courage l’opportunisme, qui, en Corse, avait fini par s’implanter, en s’appuyant sur ces êtres avides et corrompus que contient toujours une population même foncièrement probe et loyale comme celle de la Corse. Il s’était élevé contre la conduite du préfet Trémontels, qui, selon son expression, « avait fait de la préfecture une maison de tolérance et une succursale de la forêt de Bondy. »

Emmanuel Arène vit sa candidature perdue et essaya de prendre, de Paris, des attitudes de capitan prêt à franchir les monts et les plaines pour châtier les insolents qui se permettaient de marcher dans son ombre.

Saint-Elme, qui avait été officier, répondit tranquillement à ce matamore qu’il était disposé à faire la moitié du chemin et qu’il viendrait jusqu’à Marseille.

Arène épouvanté se jeta dans les bras de Veil-Picard et de Waldcck-Rousseau. Les fonds secrets furent mis à contribution, et, quelques jours après, une tentative d’assassinat avait lieu sur l’écrivain redouté. Les assassins étaient des agents de police déguisés en bourgeois. Saint-Elme, dès qu’il fut remis de ses blessures, essaya de demander une explication au préfet[8], qui tenait ses assises au café Solferino, et avait installé là son cabinet. Le préfet le fit assommer à coups de barre de fer par le concierge de la préfecture, aidé par le maître de l’établissement. Pour être sûr que l’attentat réussirait, le procureur de la République avait défendu à cet homme menacé de tous les côtés d’avoir des armes sur lui, et, toutes les fois qu’il savait qu’il devait être attaqué, il le faisait fouiller et désarmer pour qu’il ne pût se défendre.

Le procès du journaliste, longtemps retardé par son état de maladie, fut profondément émouvant. On le transporta à l’audience sur une civière, moribond. Près de lui se tenait la pauvre femme enceinte qui avait voulu accompagner son mari, et qui essuyait avec un mouchoir la sueur déjà glacée qui coulait de son front.

Alors on vit cette chose qu’on n’avait jamais vue en France : tandis que les assassins, sûrs de l’impunité, se pavanaient dans la salle, un horrible coquin, l’avocat général Bissaud, insultant, raillant cet homme qui râlait déjà, affirmant que les assassins avaient bien agi et que Saint-Elme « jouait la comédie ».

De la foule sortit une protestation indignée pendant que Bissaud s’asseyait en ricanant. Saint-Elme fit un effort pour répondre à cet infâme ; il n’y put parvenir. Quelques heures après, il était mort.

Ces faits monstrueux sont dans toutes les mémoires. La discussion à la Chambre de l’interpellation de l’extrême gauche sur les affaires de Corse jeta sur nos mœurs publiques une aveuglante lumière. Assassinat par des bravî payés par le préfet, fraudes électorales, corruptions de tout genre, secours distribués pour la perte dun bétail qui n’avait jamais existé, tout était là.

M. de Douville-Maillefeu, en voyant monter vers le gouvernement cette marée de boue, semble avoir éprouvé cette admiration qu’on éprouve devant certains déchaînements de la mer, et cria avec une sorte de transport : « Qu’on dise tout ! que la honte coule à pleins bords ! »

La Chambre n’eut même pas un blâme platonique pour les Trémontels et les Bissaud, et vota l’ordre du jour pur et simple.

Rien ne fut singulier comme l’attitude de Brisson l’incorruptible. Toutes les fois qu’on essaye de dénoncer à la tribune quelques-unes de ces prévarications de ministres ou d’hommes publics, qui sont évidentes sans qu’on puisse les prouver matériellement, il s’écrie : « Donnez des preuves ! » Cette fois il existait un témoignage irrécusable des concussions des représentants de la Corse, Emmanuel Arène[9] et Peraldi. Le président changea brusquement son fusil d’épaule, et déclara à tous ceux qui voulurent traiter cette question que « les interpellations de collègue à collègue étaient défendues. »

Aucun doute cependant n'était possible. L’ancien chef de la comptabilité de la compagnie Morelli, M. Semeriva, avait affirmé que MM. Arène et Peraldi, recevaient un subside mensuel pour les avantages qu’ils avaient fait obtenir à la Compagnie, grâce à leur position de députés. Selon lui, le feuillet 105 du copie de lettres de la Compagnie contenait une lettre ainsi conçue :

(Folio 105). Marseille, le 24 août 1883.   

Monsieur Peraldi, député de la Corse,
rue de Monsigny, à Paris.

Nous avons l'honneur de vous adresser ci-joint, sous pli recommandé, la somme de 750 fr, en billets de banque de 100 et un de 50 fr., montant de votre traitement du mois d’août.

Veuillez, etc. Signé : Semeriva.   

M. Semeriva soutenait en outre que les livres de la Compagnie portaient, à la date du 14 décembre 1884, la mention suivante :

Indemnité à Peraldi, mois de novembre 1883 : sept cent cinquante francs.

Indemnité à Arène, mois de novembre 1883 : mille francs.

Peraldi se défendit faiblement, et pour toute excuse se contenta de dire qu’il était notaire ; ce qui frappa d’étonnement les gens qui ne pouvaient comprendre ce que les panonceaux venaient faire là.

Quant à Arène, il nia violemment. S’il était honnête, il n’avait, pour être disculpé immédiatement, qu’à demander à un tribunal d’honneur de constater si les feuillets portaient la mention en question.

Il s’en garda bien, et le groupe de l’Union républicaine continua à réchauffer ce jeune concussionnaire dans son sein.


VIII


La Franc-Maçonnerie n’est pas satisfaite encore : elle rêve de perfectionner le mécanisme de la persécution. Ainsi que l’a démontré M. Guillot, dans un ouvrage dont la sincérité fait honneur à ce juge d’instruction, le nouveau code d’instruction criminelle enlève tout recours au citoyen victime de l’arbitraire.

Il y a là, encore une fois, un véritable système, une forme de gouvernement qui restera dans l’histoire. Au lieu de s’appuyer sur les gens de violence et de force, comme le fit la Terreur, le régime actuel s’appuie exclusivement sur les gens de ruse, de dol et d’indélicatesse ; il les groupe en une manière de syndicat, il leur ouvre un certain crédit sur la loi, et les tient par la menace de fermer ce crédit ; il concède une sorte d’impunité subordonnée à certaines conditions de dévouement ; il accorde deux ou trois délits à commettre au choix, comme on accorde un bureau de tabac.

Ce que n’ont indiqué ni Ignotus, ni M. Guillot, ni tous ceux qui se sont occupés de la persécution exercée par la magistrature franç-maçonnique, c’est l’état psychologique de tous ces persécutés grands et petits, qui rend leurs tortures mille fois plus atroces qu’elles ne le seraient pour nous, et en même temps les met presque hors d’état de se défendre.

Le malheur de ces persécutés honnêtes est de rester des civilisés, de croire qu’on vit encore sous le régime des lois, que les magistrats sont de vrais magistrats ; que la police, l’administration, la justice, fonctionnent régulièrement. L’accusation dont ils sont l’objet, prend pour eux l’importance qu’elle aurait dans une situation normale.

Je me souviens toujours d’une jolie histoire que m’a contée Alexandre Dumas.

Il rencontre un jour dans un salon une femme qui, après avoir rôti le balai vingt ans, avait fini par se faufiler dans le vrai monde ou dans quelque chose qui y ressemblait.

Cette femme traite Dumas et son œuvre du haut en bas ; elle lui reproche de n’avoir jamais décrit que des milieux malsains, de n’avoir jamais mis en scène une honnête femme.

Dumas écoutait. Sans doute, si ce reproche lui avait été adressé par quelque jeune fille innocente, il eût souri de cette façon de juger son œuvre, et n’eût pas répondu ; si celle qui lui parlait eût succombé à l’entraînement du cœur, si elle eût été victime d’une de ces passions profondes devant lesquelles l’être est si faible : l’auteur du Demi-Monde se fût certainement tu encore, car, si l’esprit est dur chez lui, le cœur a des tendresses que le vulgaire ne connaît pas. Tel n’était pas le cas ici. Celle qui s’exprimait ainsi avait été une prostituée, elle avait reçu de l’argent pour se livrer ; c’est la prostitution qui avait payé l’hôtel dans lequel elle habitait, les chevaux qui la portaient au Bois, les tableaux de maître qui garnissaient sa demeure, la parure qui ornait sa décrépitude élégante.

Elle continuait à parler de la vertu, à flétrir les filles corrompues et les écrivains corrupteurs.

Soudain, Dumas fixa sur elle son regard bleu si aigu ; puis, lui frappant vigoureusement sur le ventre :

— As-tu fini ? dit-il simplement.

Un flot de larmes vint aux yeux de la créature…

As-tu fini ? est un mot qui sert. Les plus éhontés parmi nos républicains tripoteurs, nos magistrats déshonorés, nos administrateurs familiers avec tous les crimes, hésitent parfois à s’en prendre directement à un Parisien accoutumé à ne se gêner qu’avec ce qui est honnête : ils craignent cet as-tu fini ? gouailleur, mépriseur, vengeur, qui rappellerait à ces impudents tout leur passé d’infamies.

Les prêtres, les braves gens, les vieillards, habitués à respecter les conventions sociales, ne savent pas dire : As-tu fini ? Malesherbes ne l’a pas dit à Fouquier-Tinville ; et c’est un des spectacles les plus affreusement comiques qui se puissent imaginer, que celui de tous ces grands Parlementaires, de tous ces personnages austères et vénérables, s’abaissant à donner des raisons aux misérables couverts de sang qui remplissaient alors les prétoires.

Tombées dans quelque embûche, atteintes au cœur par quelque campagne organisée contre elles, les victimes de la Franc-Maçonnerie s’en vont ruminer leur infortune dans un coin. Le mari quelquefois regarde sa vieille compagne, et tous deux se sont compris : ils pensent à la même chose, au malheur d’avoir trop vécu, à la carrière brisée, au nom que naïvement ils se figurent déshonoré.

Quel livre à faire sur ces souffrances intimes, sur ces drames qui se passent dans chaque ville et presque dans chaque village ! Ce livre, un seul parmi nous aurait pu l’écrire, poignant, navrant, sincère, tel qu’il devrait être en un mot : c’est Alphonse Daudet ; il l’écrira peut-être.

Quel livre plus tentant, pour une âme généreuse ? Il y a des simples et des humbles qui sont bien émouvants à regarder aux prises avec cette formidable machine gouvernementale mise en mouvement par des mécaniciens scélérats. Quoi de plus impressionnant que l’histoire de ce pauvre organiste de la cathédrale d’Uzès, que tous les journaux ont contée ? C’est une sorte de conseiller Krespel, un de ces maîtres de chapelle à moitié fantastiques comme en a peint Hoffmann. Il vit en dehors du monde réel dans un rêve musical, il sourit en marchant aux mélodies divines qu’il entend chanter en lui. Les leçons qu’il a en ville et dans un couvent, assurent le nécessaire à ce doux chimérique, qui vit de peu. Noël approche, et il compte ce jour-là faire entendre un morceau qui sera digne des maîtres immortels, de Paesiello et de Palestrina. « Vous écouterez cela, » dit-il ; et sa bonne figure s’illumine et rayonne.

Les Francs-Maçons de la ville, qui se réunissent dans un petit établissement comme celui qu’a décrit Goncourt dans la Fille Élisa, ont juré de perdre ce naïf, cet ingénu. Le juge d’instruction se voit déjà garde des sceaux, s’il peut faire condamner cet innocent. Le musicien est arrêté sous une inculpation abominable.

On obtient un premier succès. La supérieure de l’établissement de Saint-Maur tombe morte quand on vient lui raconter ce qui se prépare. Comment de telles choses auraient-elles pu se passer ? Il y a impossibilité matérielle. Une sœur est toujours présente aux leçons de musique, auxquelles assistent les parents.

Le prisonnier n’en reste pas moins au secret pendant trois mois, se débattant en vain contre cette horrible accusation. Trois fois l’instruction est close, faute d’une base quelconque aux imputations ; trois fois la Franc-Maçonnerie la fait reprendre. Enfin, la Cour d’assises acquitte le malheureux musicien, contre lequel il n’y a pas l’omble d’une preuve. « C’est égal, dit un des meneurs de l’affaire : nous l’avons tout de même empêché de faire jouer sa musique à la cathédrale. »

  1. Dans la séance du 21 janvier 1884, M. Delattre raconta devant la Chambre une quinzaine de vols, d’abus de pouvoir, de détournements accomplis par ce personnage ; Margue, qui brille maintenant à la Cour d’appel de Paris, répondit que c’était fort bien, et la gauche fut de son avis.
  2. Parmi les gardiens de la paix poursuivis au mois d’août 1884, pour avoir frappé un malheureux vieillard du nom de Mignoguet, qui mourut à la suite de ces violences, nous voyons figurer un agent du nom de Mayer (encore un !), précédemment condamné pour coups et blessures. Condamné à 200 francs d’amende, il fut définitivement acquitté en appel. Un autre gardien de la paix juif, Cyrille Jacob, assomma, le 14 septembre 1884, le concierge de la maison qu’il habitait, rue Oberkampf, 47, et en fut quitte pour deux mois de prison et cinq francs d’amende.
  3. Qui ne se rappelle les dithyrambes entonnés par une certaine presse prétendue conservatrice, à propos de ce Barrême, disparu dans un de ces drames obscurs qui abondent à notre prétendue époque de publicité, où l’on n’a jamais vu tant de mystères, pour l’excellente raison que l’on ne pourrait toucher à rien de ce qui approche le gouvernement sans remuer des montagnes d’immondices ? Ce Barrême, que l’on nous offrait comme « le modèle des vertus publiques et privées », avait joué dans l’exécution des décrets un rôle d’autant plus odieux que, tant qu’il avait cru au succès des Monarchistes, il avait affiché des sentiments religieux exagérés.
      Le journal la Croix a donné quelques détails sur le crochetage, opéré par Barrême, du monastère de Beauchéne, près Bressuire.
      « La population franchement catholique de ce pays de Vendée s’était portée en foule pour protester contre cet acte infâme. Pendant que le préfet excitait par sa présence et ses paroles l’ouvrier chargé de faire jouer le rossignol, une brave Vendéenne s’approche de lui et lui envoie, dans un certain endroit, son pied armé d’un solide sabot. La foule était menaçante : le préfet eut peur, et ne se retourna même pas pour savoir qui venait de lui faire cette gratification. Il emporta sans rien dire le coup, et la bonne femme son sabot.
      « Pour moi, dans la mort de Barrême, je reconnais la main de Dieu appesantie d’une manière terrible contre un persécuteur excommunié, »
  4. Ce fut le Juif Millaud, on le sait, qui enleva le vote en votant pour le Juif Naquet, qui, n’ayant pas encore donné sa démission de député, ne pouvait valablement prendre part à un vote au Sénat. Millaud espérait, grâce à ce tour de Scapin, être nommé d’emblée premier président à la cour de Lyon, à la place de l’intègre président Millevoye ; mais au dernier moment Martin-Feuillée lui-même sentit son cœur défaillir, et recula devant un pareil choix.
      Notez que l’indélicatesse de ce Juif qui dépose un vote frauduleux dans une question aussi importante, n’est blâmée par aucun des hommes de son parti.
      La République, d’ailleurs, a introduit dans les mœurs parlementaires les habitudes des tapis-francs : on vole les bulletins, on fait des faux, on contrefait les écritures, sans que le président, que ce soit Brisson, Floquet ou Le Royer, songe à intervenir.
      M. Laguerre, dans la séance du 29 décembre 1885, qualifie d’ « escroquerie » le vote de M. Franconie ; M. Raoul Duval déclare que certains votes constituent « des faux en écriture publique, passibles de la cour d’assises » ; le comte de l’Aigle constate que la Chambre est « une caverne de brigands ». Pauvre France !
  5. La Revue des Études juives, qui reproduit ces citations du Talmud, reconnaît elle-même que la traduction est « exacte, précise, très scientifique, et le sens du passage en général bien saisi »,
      L’abbé Chabauty dit à ce sujet que, maintenant que la magistrature est devenue juiVe, « les catholiques devront veiller soigneusement à n'avoir aucun procès avec les Juifs ou avec leurs prosélytes, les Francs-Maçons. » Voilà un conseil qui vaut de l’or.
      Des centaines de faits démontrent quelle haine anime ces magistrats juifs contre le Christ et ceux qui l’adorent. Au mois d’août 1885, un jeune homme brise une croix. Devant le tribunal de Corbeil, le malheureux répond « crânement » — c’est la Lanterne qui parle — qu’il a agi ainsi parce qu’il n’aime pas les croix. Le substitut Cahen prend en main sa défense : «Si c’était, dit-il textuellement, un objet d’art, un tableau de prix, je demanderais une condamnation sévère ; mais une croix !… » Le président, M. Birague d’Apremont, qui a survécu, je ne sais comment, à l’épuration, rappelle, en quelques paroles indignées, ce Juif à la pudeur. Le substitut, sûr d’être félicité par ses chefs, réplique insolemment et dénonce le président à la Lanterne, qui couvre le magistrat d’injures et Cahen de fleurs.
  6. Figaro, 12 août 1885.
  7. M. Laferrière a été nommé depuis vice-président du Conseil d’État.
  8. Ce préfet, qui se faisait pompeusement appeler de Trémontels, s’appelait tout simplement André. Avant d’être préfet de la Corse, il avait été préfet de l’Aveyron, et il paraît que dans ce poste il aurait commis de nombreux détournements à l’aide de mandats fictifs. C’est du moins ce qu’affirma le fonctionnaire qui lui succéda dans l’Aveyron, M. Démangeât, dans une lettre adressée à la Nouvelle Presse et publiée par elle le 12 novembre 1884 : « Je refusai à maintes reprises, dit M. Démangeât, et malgré de nombreuses lettres de rappel de M. Leguay, directeur des affaires départementales, qui connaissait le dossier, de justifier des comptes injustifiables. »
      Il est vrai que, dans la discussion d’une interpellation qui eut lieu à la Chambre, le 10 novembre 1884, à propos de la révocation du même Démangeât comme inspecteur général des prisons, Asmodée Laroze, sous-secrélaire d’État à l’intérieur, fit planer des doutes sur la probité de ce dernier, qui fut réintégré dans l’administration sous le ministère Brisson.
      Waldeck-Rousseau avait déclaré solennellement à la Chambre, qu’il avait mis M. de Trémontels en demeure de faire un procès devant le jury, pour se laver complètement. Trémontels a craint des révélations écrasantes, et l’affaire en est restée là.
  9. Cet Emmanuel Arène, qui se fait passer volontiers pour un descendant d’Arena, est le fils d’un quincaillier Juif de Marseille, qui vint s’établir à Ajaccio.