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La France juive/Livre Cinquième/2

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(vol 2p. 159-194).


Le club et les courses se chargent des hommes ; la toilette ruine les femmes. Les couturiers et les couturières sont presque tous d’origine juive ; c’est un Juif, Dreyfus, qui est président de leur chambre syndicale. Ils ont déployé sur ce point un génie véritablement charmant, sinon complètement inventif. Félix fait bien joli, Kahn, qui succéda à Mme Laferrière, ne faisait pas mal, mais Sarah Mayer qui a « conçu » les deux robes de Mlle Legault, dans les Rois en exil, a une imagination bien heureuse ; c’est à elle encore, nous apprend le Figaro, «  que Mlle Legault doit le succès de ses dernières créations dans les Affolés et le Prétexte. » A Mme Rodrigues cependant le pompon ! Elle ne coud pas les robes comme on avait coutume jadis, aux temps barbares elle les édite, du moins c’est le terme qu’employait mon aimable collaboratrice Etincelle, qui m’envoyait souvent des communications bien surprenantes dans cet ordre, lorsque je rédigeais avec elle dans un journal élégant, dum Athenæ florerent

Le Juif n’a pu se défendre de mêler à cela sa pointe de gros sel. Les joailliers avaient fait porter aux hommes des petits cochons, on a affublé les femmes du monde d’espèces de selles postérieures, qui les font ressembler à l’animal qu’on a appelé « le vaisseau du désert » et qui en serait plutôt le Polichinelle. On a placé les poches derrière le dos, ce qui donne à la plus gracieuse femme, cherchant son mouchoir, l’aspect malséant d’un dindon qui se gratte. Aucune de nos Parisiennes n’a rien compris à cette ironie. Le sentiment de l’élégance, de cette élégance faite de goût, de mesure, d’esprit, serait-on tenté de dire, est mort chez la femme française ; elle prend les modes telles que les font les damen confection de Vienne.

Je voudrais dépeindre ces modes, comme les Goncourt ont dépeint celles du Directoire, mais je suis fort embarrassé ; je me perds dans ces miroitements, ces scintillements, ces éblouissements… Quelle étoffe préférez-vous ?

Nous avons le brocard, le surah, le crêpe de Chine, la moire de Lyon, la soie écrue, le velours frappé, la peluche et le satin merveilleux. Comme couleur nous pouvons vous offrir la couleur bistre, lave, neutre, mastic, noisette, nymphe émue, souris effrayée, ambre laiteux, fer, acier, gris de lin, flamme de punch, rouge Titien. Aimez-vous les casaques Buffon, les cagoules Torquemada, les corsages Lamballe, la jaquette Milady avec boutons vieil argent ?

La toilette de rue a une tendance 1830, celle de foyer reste Renaissance, celle de temple se rapproche des Merveilleuses. Le Louis XV bourgeois est à la mode à la ville, le Louis XV noble est adopté en soirée, le vert hongrois est aussi fort bien vu. Que diriez-vous, pour petits dîners, de fourreaux de velours à deux traines se décolletant en cœur ou restant hermétiquement fermés à la quakeresse ? La robe Lawrence fait fureur, mais le costume Dubarry a des partisans, d’autres préfèrent le petit damier Devonshire, mais à la condition, bien entendu, de le compléter par la vigogne plucheuse. Pour toilette de courses nous nous contenterons du jupon voile de religieuse.

Je vous entends, vous voudriez que je vous parle de la robe de roses — un rêve ! Se sont écrié les enthousiastes. C’est un jupon de satin ou de moire recouvert d’une jupe à traîne en satin blanc, ou ciel pâli, qui s’ouvre de côté sur un des lès du jupon entièrement couvert de roses comme un buisson printanier.

La robe et la traîne sont ombrées de roses ainsi que les bords entr’ouverts. Le corsage décolleté en pointe se garnit d’une guirlande de roses.

Les préoccupations de la toilette suivent nos étranges chrétiennes en des jours qui devraient leur inspirer de tout autres sentiments. Le violet est la couleur adoptée pour le Jeudi-Saint, « Au jupon, des ruches de taffetas déchiqueté sous la tunique de laine très molle, aux plis sculpturaux, garnie de guipures violettes également en laine. A la capote, des dentelles égayées de branches de lilas. » Le Vendredi-Saint, le grand deuil est de rigueur ; on adopte la robe genre « tailleur » en serge noire garnie d’un galon de laine noire. « Pas de bijoux. Chapeau noir, très simple, avec grand voile de crêpe. »

Comme coiffure, nous n’avons que l’embarras du choix. Voici l’immense Gainsborough à large auréole incliné en abat-jour, le Ketty-Bell se relevant crânement de côté sous des plis soyeux, le chapeau Sylvia garni de velours noir ou foncé, le chapeau Béarnais avec pompons vieil or, la capote Mignon à aigrette ducale, la capote Diane de Poitiers a diadème de velours et gros réseau de perles laissant apercevoir les cheveux. N’oublions ni le Yokohama, ni le Lesdiguières, ni le chapeau Riccobini doublé de velours vert et orné d’une nuée de pompons multicolores, ni le Récamier se relevant en peigne sur le chignon ou tombant en bavolet côtelé, ni le Khroumir en grosse paille, orné de fleurs en étoffe orientale.

A quoi peuvent servir toutes ces ruineuses fanfreluches, puisqu’il n’y a plus de Cour, plus de société ? Ne pourrait-on pas se mettre en pet en l’air et en robe montante pour aller manger de temps en temps un sandwich chez des gens, dont les aïeux, dans leur judengasse de Francfort, devaient se montrer accommodants sur la tenue de ceux qui les allaient visiter ?

Les femmes du monde ne comprennent point cela. La sauvagerie et l’extrême civilisation se rejoignent. La sauvagesse des iles Fidgy se croirait perdue si on lui ôtait son collier de coquillages ; la Parisienne élégante aimerait mieux renoncer à sa famille, à sa Patrie, à son Dieu que de porter une toilette qui ne fût pas d’une des faiseuses que les journaux juifs ont mises à la mode.

Un journal a donné ce qu’il appelle le budget d’une honnête femme à notre époque et ce docnment, établi sur des bases très modérées, peut être regardé comme assez exact.

Il va sans dire, écrit-il, que je prends la femme, chez elle, ayant trousseau complet, dentelles, bijoux, garde-robe, entourée enfin de tout ce qu’il faut et souvent de plus qu’il ne faut. Dans ce budget, il n’est donc question que de l’entretien, pour ainsi dire, de ce capital de tranfreluches et de fanfioles.

Il se décompose ainsi :

Couturière Fr. 12.000
Modiste 3.000
Lingère 4.000
Cordonnier 1.500
Ganterie, bas, rubans, nœuds, cravates, filets, bibelots, crêpe-line 6.000
Dentelles d’usage 3.000
Parfumerie, couleur, fleurs 4.500
Ombrelles, parapluies 500
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_________Total 34.500

Il convient d’ajouter à ces 34.500 francs le blanchissage, qui peut être évalué a 600 francs par mois, le teinturier, pour la lingerie de soie, bas, etc., à 300 francs, et le nettoyage et le raccommodage à 200 francs. Ce qui fait 13.200 francs par an.

Total 47.700 francs.

Devant ces prodigalités n’est-on point tenté de dire avec le grand orateur catholique : « Quoi, misérable, ne sens-tu pas que la cruauté de ton luxe arrache l’âme a cent orphelins auxquels la Providence dîvine avait assigné la vie sur ce fonds ? »

Quel bien ces femmes pourraient faire si elles s’entendaient pour ne dépenser par an que la moitié de l’argent qu’elles gaspillent en superfluités vaines qui durent à peine un jour ; qui, défraîchies, frippées sont abandonnées le lendemain à la camériste[1] ! Elles n’y songent pas une minute ; l’idée de privation, de sacrifice personnel ne leur vient même pas. Aucune d’elles n’a, à ce point de vue, la moitié de la valeur morale de Louise Michel. La pauvre et généreuse égarée se promenait pieds nus sur le pont du navire qui la transportait à la Nouvelle-Calédonie, elle avait donné ses bas à une vieille femme ! Sur l’argent que lui avaient rapporté des conférences en Belgique, où on lui avait jeté des bancs à la tête, elle remit un tiers aux familles de détenus politiques, un tiers à sa mère et garda le reste pour elle.

Le Christ apparaîtrait, le front tout sanglant, aux femmes que vous voyez agenouillées le dimanche à la Madeleine ou à Sainte-Clotilde et leur demanderait de renoncer pour lui à un costume Watteau, à une loge à l’Opéra, à quelque coûteuse fantaisie, que sur cent une seule peut-être répondrait : « J’y consens. »

Chez les femmes en vue aucune apparence de ces bons mouvements de l’âme qui réparaient autrefois bien des faiblesses. Aucune n’a l’idée d’interroger ces mannequins vivants obligés de revêtir quelques minutes, pour les quitter à regret, ces atours qui leur font envie, aucune ne songe à causer avec ces petites ouvrières, si intéressantes parfois, ces jupières, ces corsagières, ces garnisseuses, ces manchières, à s’enquérir de ce qu’elles gagnent, de la façon dont elles vivent[2].

Nulle trace de pitié non plus pour ces pauvres vendeuses des grands magasins qui, au moment des ventes exceptionnelles, restent dix ou douze heures debout, impitoyablement mises à l’amende quand elles s’asseyent en dehors des repas. Nulle attention à ces malheureuses qui, aux époques douloureuses de l’existence féminine, toutes pâles, sentant les objets tourbillonner autour d’elles, se tiennent aux meubles pour ne pas tomber. La pensée qui attendrit parfois le cœur dur des Protestants de Dickens : « Si j’étais comme cela ! » ne vient pas à nos chrétiennes ; elles ne songent pas à faire ce qu’ont fait les femmes d’Amérique qui, un jour, se sont entendues et ont dit aux propriétaires des grands magasins : « Nous voulons que nos sœurs les employées aient le droit de s’asseoir. »

L’amour de la toilette n’est plus cette coquetterie relativement innocente et gentille qu’ont eue les filles d’Eve à tous les siècles, c’est une sorte d’idée fixe, de vice impérieux et sombre comme le vice du baron Hulot. Ceux, qui servent ce culte idolâtrique sont l’objet d’un respect mêlé de crainte ; ils se prennent eux-mêmes au sérieux. Je me souviens d’une exhibition d’une garde-robe royale. Les privilégiées étaient placées sur une estrade en des fauteuils qui ressemblaient à des trônes et Worth, solennellement, criait, en agitant son mètre comme un magicien aurait fait d’une baguette : « Allons ! la série des robes de chambre avancez ! » Tout cela se fait gravement, pompeusement. Des femmes regardées comme intelligentes se soumettent à des séances de quatre à cinq heures, à la veille d’un événement mondain, comme l’inauguration d’un nouveau théâtre, pour étudier l’effet du bleu, du rosé, du blanc, sur des robes qu’on éclaire successivement à la lampe, au gaz, à la lumière électrique.

Elles n’ont même pas la pensée de faire profiter des chrétiennes de l’argent qu’elles dépensent. Un groupe de femmes dont le nom, en dehors des cocodettes bruyantes, a une influence mondaine, honnête et méritée, aurait pu réunir en un atelier ces jeunes filles laborieuses pour lesquelles la vie est si rude, les former en association, leur commander des vêtements simples. L’élan est si vite donné à Paris que, le lendemain, la mode aurait été de porter des toilettes modestes et de se fournir à cette association féminine.

Loin de concevoir un tel projet, les femmes du monde se regardent comme les obligées des faiseuses célèbres qui consentent à les habiller. La fête de la couturière est un événement, ses clientes lui envoient des cartes, des bouquets, des cadeaux ; la maison est encombrée des le matin. Il y a là un tableau de genre tout fait, que la plume d’un essayiste parisien nous retracera peut-être quelque jour.

Comme tous ceux qui sont possédés d’une folie, les femmes supportent tout à la condition que cette folie soit satisfaite, elles sont à la merci de leurs fournisseurs ; c’est l’histoire des filles qui vont pleurer à la porte de ceux qui les battent. On n’a pas l’idée de la façon dont les meilleures clientes sont traitées à la moindre réclamation. Worth, enrichi par les prodigalités de tant de malheureuses éperdues de vanité, fit imprimer une liste où les plus beaux noms de France étaient marqués de la lettre A, qui signifiait escrocs, ou les autres étaient désignés par la lettre B, indiquant l’abus de confiance probable à la suite de dépenses au-dessus des ressources. La liste, mise entre les mains de toutes les ouvrières, traîna bientôt dans toutes les antichambres, on en colporta des exemplaires dans tous les bureaux de rédaction[3]. Dans un autre pays, l’étranger qui se fût permis cette insolence eût été mis à l’index ; il ne se fût pas trouvé une honnête femme qui consentît à revenir chez lui. Worth ne perdit pas une seule de ses clientes !

Ce que nous disons des couturières s’applique à toutes les dépenses de luxe. Les principaux marchands de chevaux, les confiseurs à la mode sont Juifs. Le Père Ludovic a bien vu quel puissant levier devrait être la consommation. Avec une organisation intelligente, chaque catholique pourrait faire profiter, à la défense de sa cause, l’argent qui sort de sa poche, aider par le travail ceux qui pensent comme lui, n’avoir que des fournisseurs qui partagent ses idées ou qui du moins n’attaquent pas ses droits.

Rien n’eût été plus facile et, dans certains quartiers où les conservateurs font vivre beaucoup de monde autour d’eux, l’influence eût été très vite sensible. Un groupement se fût fait très rapidement entre gens qui jugent de même. Les conservateurs n’y ont pas songé une minute, non par libéralisme exagéré, croyez-le bien, mais par indifférence, par ignavie, parce qu’ils sont même incapables du léger effort, de l’attention momentanée qu’il faudrait pour cela.

Les catholiques, sans entrailles pour les leurs, semblent réserver leurs faveurs pour ceux qui traînent le Christ dans la boue. Tout le monde sait le nom de l’industriel dont le P. Ludovic a parlé dans le livre qui a pour titre : Association chrétienne des honnêtes gens sur le terrain des affaires. Le religieux n’a point voulu le nommer, par charité chrétienne d’abord et ensuite dans la crainte de voir tout le faubourg Saint-Germain s’adresser à lui de préférence. Comme ce capucin connaît le Paris actuel !

L’industriel dont je parle, écrit le Père Ludovic, a osé imprimer les paroles suivantes :

« L’Eglise catholique a généralement payé avec la canonisation les principaux crimes, folies et forfaits que des hallucinés ou des misérables ont commis à son profit, pendant les huit à dix siècles de l’organisation de sa puissance matérielle.

« En résumé, dans la longue liste des Saints, les honnêtes gens sont les exceptions.

« Le faux Dieu, individu à grande barbe, est le fétiche au nom duquel les despotes cléricaux et politiques de ce bas monde règnent sur les masses. »

Un fort volume in-8e de 536 pages est rempli tout entier de blasphèmes semblables contre Dieu, contre Jésus-Christ, contre la sainte Vierge et les Saints. Il est fait des calomnies atroces contre l’Eglise, le clergé séculier et régulier et contre les chrétiens pratiquants. Il est dit, par exemple, que le mot de crétin vient de Christin ou Chrétien et qu’en effet les crétins seuls peuvent être chrétiens. Il y a dans le livre des excitations haineuses adressées au gouvernement de la République pour le pousser à prendre quantité de mesures de persécution contre l’Eglise catholique.|95}}

Eh bien ! Cet industriel n’a pas eu de clients plus fidèles et plus dévoués à ses intérêts que certains catholiques notables, chefs autorisés des royalistes et des hommes d’œuvres.

De grandes dames, fort pieuses, recommandaient partout et recommandent encore cet impie.

Elles communient chaque matin et, après avoir reçu dans leur cœur le Dieu de l’Eucharistie et lui avoir promis de le servir, elles appellent le jour même cet athée haineux, le comblent d’honneur, et lui font des commandes qu’elles payent grassement.

Voilà où mène l’ignorance, car l’ignorance seule explique ces énormités. Quand j’ai révélé à quelques-uns de ces catholiques ce que faisait cet industriel avec leur argent, ils ont tous répondu : « Je ne le savais pas »

Soit : vous ne le saviez pas ; mais aviez-vous le droit de ne pas le savoir ? Et puisque des faits de cette nature se reproduise chaque jour et partout dans nos villes de France, avons-nous le droit de rester plus longtemps dans l’ignorance de ce que valent, au point de vue moral et religieux, les divers fournisseurs qui s’enrichissent avec notre argent[4] ?

L’ignorance, comme le dit très justement le P. Ludovic, est la seule excuse que puissent invoquer les chrétiens assez singulièrement organisés pour ne s’intéresser jamais à ceux qui ont la même foi qu’eux et enrichir au contraire ceux qui sont leurs plus mortels ennemis. Mais le Clergé n’a-t-il pas une certaine responsabilité dans cette ignorance ?

L’Eglise, autrefois, a constamment suivi l’homme dans la vie réelle pour l’éclairer et le guider. On reconstituerait les mœurs, et jusqu’aux costumes du passé avec les sermons des orateurs sacrés du Moyen Age. Saint Bernard, saint Norbert, Vital de Mortain, Raoul Ardent, Hugues de Saint-Victor, Hildebert sont mieux informés des moindres détails de l’existence du XIIe siècle, qu’un chroniqueur d’aujourd’hui de ce qui se passe sur le boulevard. Pierre de Limoges a fait d’innombrables discours sur les coiffures. Etienne de Bourbon vous parle comme un couriériste mondain des robes du XIIIe siècle, des mi-parties, des-entaillées ou languées, des rigotées ou des haligotées. Les Maillard, les Cleré, les Menot ont continué plus tard ces traditions et Bourdaloue est, certes, aussi précieux pour l’étude de la Cour et de la Ville au temps de Louis XIV que La Bruyère et Molière.

Aujourd’hui, les prédicateurs remontent en sens contraire le courant qui porte les écrivains vers une étude plus sincère et plus serrée des hommes et des chôses de leur époque. Ils évitent les questions à l’ordre du jour, l’actualité vivante ; ils se contentent de défendre des dogmes que nul ne songe même à discuter parmi ceux qui fréquentent les églises. A écouter ce qu’ils disent il semble qu’ils prêchent pour des gens qui sont morts depuis trois cents ans. Je n’ai entendu affirmer qu’une fois, avec éloquence, les devoirs des privilégiés de la fortune et flétrir les imbéciles excès du luxe et c’était dans une église du quartier Mouffetard !

Les curés des paroisses riches ne veulent point qu’on parle chez eux des Cercles, des courses, des excentricités de toilette. Hommes de bonne compagnie pour la plupart, d’une irréprochable conduite, ils sont reçus avec égards dans des maisons où la chair est bonne et c’est la chaire-chrétienne, à son tour, qui doit répondre par ses ménagements aux politesses dont ils ont été l’objet.

Ce qui est particulièrement curieux, c’est que, nulle part, au milieu de ce gaspillage, vous n’apercevrez ce bel entrain, cette joyeuse insouciance du lendemain, ce scepticisme spirituel qui fait comprendre que certaines époques s « soient ruées dans le plaisir en disant : Après nous, le déluge ! Ces dépenses folles et que rien ne justifie se concilient avec des affectations de sentiments religieux, des soupirs sur les persécutions, des lamentations sur les enfants qu’on prive de Dieu.

Ce contraste est une des choses qui étonnent le plus les Juifs, dont l’esprit étroit a de la netteté et de la précision. Je me rappelle avoir entendu fortuitement la conversation qu’avait une dame, fort en vue dans les œuvres de charité, avec sa couturière qui lui essayait une robe. C’était abracadabrant. La brave femme mêlait ses gémissements sur l’école athée à des recommandations insensées sur sa toilette.

— Quelle époque ! Quelle génération on nous prépare, ma chère madame X… ! Alors on détache maintenant les traînes ?

— Oh ! C’est parfaitement décidé…

— Ce sont ces pauvres âmes d’enfants que je plains… Avec un semis de roses, ce ne serait pas mal.

— Certainement, madame la comtesse, certainement…

— Les malheureux ! Ils enlèvent jusqu’au crucifix… Des pans restreints et pas de quilles !

Puis elle partit, toujours pleurant sur le malheur des temps et, sur le seuil, se ravisant, elle dit : décidément, mettez des quilles ! La couturière pouffait, et il y avait de quoi ; son rire, longtemps comprimé, retentit sonore quand la porte fut fermée.

— Avec ce qu’elle dépense en un an, fit-elle, elle sauverait toutes les âmes d’enfants de son quartier !

Tout ce monde est plein de chrétiens dans le genre de ceux dont parle Tertullien : Plerosque in ventum et si placuerit christianos ; ce que Bossuet traduit : « Chrétiens en l’air et fidèles si vous voulez. »

Ce qu’il y a de douleurs derrière ce luxe sans raison, absolument bête, est incroyable. Flaubert me disait un jour que c’était nous qui devrions être les médecins de certaines maladies morales, car il n’y a que nous qui les ayons étudiées. Il y a du vrai dans cette opinion. Ce qu’un Parisien sait sans avoir cherché à l’apprendre est inimaginable. Le hasard, à chaque instant, nous montre l’envers de ces existences si brillantes en apparence. Il existe, d’ailleurs, a Paris, cinq ou six prêteuses d’argent, avec lesquelles il suffit de discuter une heure pour connaître à fond le secret de cette société. Hommes et femmes viennent là, écrivent des lettres invraisemblables d’humilité, traitent l’usurière de « chère amie ; » lui prodiguent les douces paroles.

Quelques femmes du monde louent un petit appartement, y font transporter sans bruit quelques vieux meubles du château, les portraits de famille eux-mêmes, essayent de les négocier. La mère et la fille sont d’accord parfois pour ce commerce. Souvent le mari, plus sensé, est resté au château, il vit là, loin du hight life, entre une cuisinière sur le retour et quelques barriques de vin. On le fait venir, on s’efforce de le décider à vendre le domaine ; il arrive, flanqué de la servante pour ne pas faiblir, il résiste, et ce sage, qu’on traite d’être sans humanité, s’en va en disant : « Ne criez pas, ma chère, vous serez bien contente de retrouver cela. »

J’ai vu une famille de vieille noblesse envoyer chaque jour chercher, chez la crémière d’à côté, un horrible bouillon noir et sentant la graisse. Au bout de quelque temps ils en devaient pour cinq cents francs ! La femme, qui portait un nom célèbre dans l’histoire de la Révolution, un nom chanté par les poètes, immortalisé à la fois par l’héroïsme et par la piété, avait une note de dix mille francs chez sa couturière et s’en allait à travers Paris pour les chercher avec ce mouvement d’oiseau de grande race qui ne sait pas marcher à pied. Au milieu des querelles et des récriminations grandissait une belle jeune fille élégante et svelte. N’obéissant qu’à leur bon cœur, ces pauvres gens avaient recueilli un moine expulsé, et rien n’était baroque comme ce chapelain en appartement, bénissant ce repas pris à la gargotte, en tête à tête avec une bonne non payée, qui hurlait les refrains de café-concert qu’elle allait récolter chaque soir.

Quelques femmes demandent aux poisons la joie factice, le bonheur de voir quelques minutes la vie en rose ; elles se morphinent, ce sont les morphinées, les morphinomanes, hôtes éphémères d’un paradis artificiel qui ne fait que rendre la réalité plus cruelle.

Parfois on tombe tout à fait. Cette jeune femme adorable, cette ravissante Aryenne, au galbe virginal et fier, que vous n’effleurez même pas d’un regard trop intense pour ne point enlever le pur duvet de ce fruit en train de mûrir, se vend à quelqu’un de ces cosmopolites affreux, galeux, sentant mauvais, qui ont crié des oranges sur le port de Tunis ou d’Alexandrie, ou qui ont été garçons d’auberge en quelque village de Russie, comme ce Garfounkell, quarante fois millionnaire, qui avait laissé sa femme là-bas pour mener la grande existence ici.

Tout aboutit au Juif, en effet. Nous le verrons plus loin pressurant la misère populaire avec les agences d’achat de reconnaissances du Mont-de-Piété ; il est le bailleur de fonds, le prêteur réel des usuriers qui obligent les gens du monde. Il sait, à une minute près, la durée du souffle de toutes ces pauvres petites grenouilles qui s’efforcent de se grossir pour égaler les grosses fortunes israélites. Quand l’haleine commence à manquer, il arrive et il est le bien venu.

Ce qui est plus inquiétant que tout le reste, peut-être, c’est cet abaissement de la femme française. Aux époques de décadence, on l’a constaté, la femme monte tandis que l’homme descend ; cette fois il ne s’est rien produit de pareil. On aurait pu espérer qu’après la guerre il se serait formé un groupe de Françaises, exerçant une influence active comme femmes, comme sœurs, comme amies, s’efforçant d’inspirer à tous des idées patriotiques, se servant de leur beauté, de leur sourire, de leur charme pour relever les cœurs, pour éveiller le désir de nobles actions. Quelle magnifique mission dans un pays où la femme a toujours joué un si grand rôle ! La duchesse de Chevreuse semble avoir eu un instant cette généreuse ambition, elle a essayé de réunir toutes les femmes dans le culte de Jeanne d’Arc, de faire, de la pure héroïne, le symbole du relèvement national ; c’est pour cela que les journaux francs-maçons et juifs se sont acharnés après elle, mais sa voix, d’ailleurs, est restée sans écho.

« Courtisane ou ménagère, disait Proudhon, pour la femme il n’y a pas de milieu. « Sœur de Charité ou cocodette, tel est, dans les classes supérieures, le dilemme de la femme française actuelle. Beaucoup, riches, belles, ayant tout pour être heureuses, quittent tout pour se donner au divin Epoux, pour se consacrer à une vie de dévouement et de sacrifice ; mais, sauf quelques exceptions, on n’aperçoit, parmi celles qui demeurent dans le monde, aucune image de ces femmes charmantes et fortes, intelligentes et vaillantes dont nous esquissions le chimérique portrait tout à l’heure, de ces femmes ayant le sentiment de l’honneur de la race, de la fonction sociale à remplir par les privilégiés de la fortune, résolues à communiquer à ceux qu’elles aiment l’horreur de tout ce qui est avilissant ou dégradant.

Il n’existe plus, d’ailleurs, de salons qui aient encore une autorité un peu considérable. Les réunions mondaines où l’on cherchait jadis, avant tout, le plaisir de se retrouver ensemble, de causer, d’échanger des idées, sont devenues, des que les banquiers ont pris la tête du mouvement, des solennités théâtrales, des fêtes d’apparat dont les frais épouvantent les familles riches elles-mêmes, qui ne peuvent lutter avec le faste d’Israël.

La médisance spirituelle, l’allusion fine d’autrefois, ont fait place au potin grossier que l’on craint toujours de voir passer de la conversation dans le journal du boulevard. Les étrangers et les Juifs ont introduit, dans les habitudes de la bonne société, les plaisanteries de manants, les farces de fumiste. La marquise de X… était dans une ville d’eaux, hors de France, lorsqu’à deux heures du matin on l’entend tout à coup crier : « Au feu ! » On accourt et l’on aperçoit un rastaquouère, bien connu de tous qui, fuyant devant les flammes, s’élance hors de la chambre avec ses vêtements à la main. Pendant six mois on envoie à tout Paris des cartes sur lesquelles on lit : Mme de X… et son rastaquouère. La comtesse de Z… reste en place, après un dîner, au moment où les dames se retirent discrètement ; elle répond qu’elle est au-dessus des faiblesses de l’humaine nature. Pendant six mois encore, d’autres cartes circulent, sur lesquelles on lit : Mme de Z… ne… Mme de Z… est un ange. Tous les matins la belle élégante reçoit, avec une exactitude désespérante, une magnifique botte d’asperges !

On voit que tout ceci n’est pas d’un goût bien délicat. Les histoires de ce genre, qu’il serait facile de multiplier, les récits d’adultères, de séparations, d’accommodements entre le mari et l’amant, n’auraient qu’un intérêt de scandale et ne rentreraient pas dans le cadre de ce travail, qui est exclusivement une étude sociale.

La mondaine n’a même plus le respect de sa propre beauté, la haine instinctive de tout ce qui déforme ou enlaidit, de tout ce qui blesse les lois d’une certaine élégance supérieure qui est une des manifestations de l’art ; elle aime au contraire l’étrange et le baroque, le bas, ce qui la rapproche un peu de l’animalité.

Quelle vision encore du Paris contemporain que ce bal des bêtes, donné au mois de mai 1885 par la princesse de Sagan ! Cette fois c’était bien à l’àme de la femme française elle même que le gouvernement s’attaquait ; on venait de profaner le sanctuaire de la douce et poétique patronne de Paris, de Geneviève, la sainte et la bergère dont le nom rayonne sur les commencements de notre histoire avec une fraîcheur d’aurore. A défaut d’une foi bien vive, la plus élémentaire délicatesse, une pensée de solidarité féminine, auraient dû commander à de grandes dames comme la duchesse de Bisaccia, qu’Etincelle appelle en toute occasion « une chrétienne incomparable » de ne pas choisir ce moment pour se déguiser en animal. Ces gens-là se disputèrent le petit carton où était représentée l’entrée d’un bal avec cette inscription : « Un animal, 1 franc ; un animal et sa dame, 2 francs. »

Il ne s’agit pas ici de rastaquouères, d’étrangers. Tout l’armorial de France, toute la vraie noblesse est présente à cette fête sans nom, à cette espèce de prostitution de soi-même qui, dit justement l’Univers, inspire une sorte d’épouvante.

Le Gaulois nous donne d’abord le nom des convives du dîner :

Comte et comtesse F. de Contant, duc et duchesse de Gramont, vicomte et vicomtesse de Turenne, baron et baronne de Vaufre-land, comte et comtesse de Castries, vicomte et vicomtesse de Chavagnac, prince et princesse de Léon, comte et comtesse H. d’Amilly, marquis et marquise des Moastiers, comte et comtesse de Vogué, comte B. de Boisgelin, comte R. de Fitz-James, —comte et comtesse A. de la Rochefoucauld, baron et baronne de Noirmont, M. et Mme d’Espeuilles, comte et comtesse de Mieulle, vicomte et vicomtesse des Garets, doc et duchesse de Bisaccia, marquise de Galliffet, lady Dalhousie, comte et comtesse de Kersaint, M. et Mme O’Connor, marquise de Talleyrand, M. et Mme Lambert, comte et comtesse de Saint-Gilles, M. Haas, conte de Gontaut-Biron, vicomte G. Costa de Beauregard, colonel Gibert, baron Seilliere, baron de la Redorte, H. Ridgway, conte R. de Gontaut-Biron, Allain de Montgommery, comte et comtesse de Maleyssie, comte et comtesse de Chevigné, marquis de Massa, prince de Lucinge, comte Philippe de Beaumont, comte de Brissac, comte de Kergolay, de Haro, comte Jean de Beaumont, comte Pierre des Moustiers, duc et duchesse de Frias, vicomte de Bondy, marquis et marquise de Mailly, marquis et marquise de Beville, etc., etc.

Il énumère ensuite un par un tous les figurants de cette saturnale et nous fait assister à leurs ébats :

Des coqs marchent en se pavanant par les salons. Nous reconnaissons, sous ces crêtes, les vicomte Roger de Chabrol, M. d’Heursel, le vicomte de Dampierre, le vicomte de Contades, le comte Antoine de la Foret de Divonne, le comte de Las Cases.

Et les canards ne manquent point non plus. Un long bec en spatule s’allonge sur les fronts de M. le comte de Béthune, du baron de Gargan, du comte Platter, de bien d’autres. L’un d’eux a eu l’idée d’offrir à la princesse un journal ingénieux : le Canard, créé pour la circonstance et mort avec elle. Le comte d’Esquille s’est mis une tête de chouette en décoration. Le comte Albert de la Foret de Divonne est en héron, le comte François en dindon. Le vicomte de Leusse a une tête de pie, le vicomte d’Andlau une tête de chouette.

Le duc de Gramont passe au bras de M. de Gramedo. Tous deux sont en pierrot, — la tête de la bête et le corps du Pierrot des Funambules.

Deux frères se sont associés pour représenter une girafe : le comte François de Gontaut forme le devant, et son frère l’arrière-train.

Un M. de Germiny a un succès fou. Il s’est habillé en singe et divertit l’assistance par ses grimaces. Se déguiser en singe quand on porte un nom qui a reçu jadis une si navrante publicité, ne faut-il pas vraiment pour cela avoir la tête à l’envers ?

Mme de la Rochefoucauld-Bisaccia est en pélican.

M. d’Espeuilles passe en souris, le comte de Tocqueville en renard, le vicomte Blin de Bourdon en bengali, le comte d’Antioche en lion, le vicomte de Rambuteau en coq, le comte R. de la Rochefoucauld en loutre.

Mme Thouvenel est en chauve-souris, le comte de Berthier en chat blanc, la comtesse de Grouchy en souris blanche, la duchesse de Frias en cardinal, M. de GallifFet fils en serin, Réné Raoul Dural en renard, la comtesse de Mieulle en oiseau bleu, dit oiseau-mouche ; la comtesse de Blacas en poulette. M. de Ravignan, tête de chien.

Nous reconnaissons dans la foule le prince François de Broglie, tête de dindon ; le comte de Gontaut-Biron, en caniche blanc ; la marquise de Croix, en martin-pêcheur ; la marquise de la Ferronays en hirondelle ; la comtesse Fernand de la Ferronays, en mouette ; la comtesse de Vogué, en oiseau de paradis ; la contesse de Maleyssie, en demoiselle.

Mme la vicomtesse de Florian, en or et vert avec des ailes, représente une libellule. La comtesse de Brias a de grandes ailes en plumes bleu et jaune colibri.

Toute la Juiverie est naturellement là, riant aux éclats de l’avilissement de cette malheureuse aristocratie.

La baronne Gustave de Rothschild est en chauve-souris.

Mme Lambert Rothschield est en panthère, jupe de tulle bleu perlée or et perles fines, corsage et la traîne en velours brodé, imitant la peau de panthère, couvrant le derrière de la jupe et se terminant en lambrequin Louis XIII.

Tête de panthère sur les cheveux, retenue au milieu par un croissant de diamants.

Mme Michel Ephrussi en coq de roche : tulle orange plissé entièrement et drapé par des écharpes tulle, même nuance, arrêtées par des coqs de roche ; milieu du dos de la jupe velours noir, arrêté de chaque côté par deux grandes ailes noires encadrant le corsage en plumes orange formant le corps de l’oiseau.

Il serait dommage de rien retrancher au récit du ballet des abeilles.

Il est un peu plus de minuit… l’heure des crimes, des apparitions — et des merveilles aussi.

Un roulement de tambour fait savoir aux populations qu’une surprise s’apprête. On s’élance, on se pousse un peu, on se presse beaucoup et l’on monte sur les chaises pour mieux voir.

Quelqu’un dit : « Cela manque d’échelles… mon royaume pour une échelle ! »

En effet, voici le ballet qui commence :

Au fond de la galerie des fêtes, une énorme ruche se dresse ; qui dit ruche dit : abeilles, à moins que la ruche ne soit déserte, et, heureusement, ce n’est point ici le cas. Elle est habitée et délicieusement.

Un essaim d’abeilles : corselets de satin marron rayé jaune jupes de tulle, lamé or, tabliers marron pailletés d’or, ailes en gaze d’or, casque en or avec antennes, qui répondent aux noms de Mmes la comtesse de Chavagnac, la baronne de Vaufreland, la comtesse François de Gontaut, la duchesse de Gramont, la comtesse Aimery de La Rochefoucauld, la marquise d’Espeuilles, la comtesse de Kersaint, la marquise de Galliflet, la princesse de Léon, la marquise d’Amilly, la comtesse Gabrielle de Castries vont, viennent, butinent, trottinent. Elles sont trop charmantes pour qu’on les laisse s’envoler, et messieurs les bourdons sont là pour s’y opposer. Ce sont : MM. le marquis d’Amilly, le comte Philipe de Beaumont, le comte Jean de Beaumont, le comte de Jaiviac, le comte Bruno de Boisgelin, Allain de Montgommery, le conte de Haro, le marquis des Moustiers, le vicomte desGarets, le Ticomte de Mieulles, prince de Lucinge.

Leur uniforme est fort galant : culottes de satin marron, pour-point en satin marron à deux tons, formant les anneaux.

MM. les bourdons, qui viennent de s’éveiller avec l’aube, font le tour de la ruche, sur laquelle ils jettent des regards de connaisseurs en arrêt devant des chefs-d’œuvre. Les abeilles, que l’aurore aux doigts de rosé a fait sortir de la ruche, s’approchent des bourdons galants et, après une poursuite, abeilles et bourdons sa mêlent.

La reine des abeilles (comtesse de Gontaut) choisit un roi : c’est au comte Jean de Beaumont qu’échoit cette fève… chorégraphique, et le couple s’envole en tourbillonnant au milieu des groupes de danseurs et de danseuses, parmi lesquels on remarque la comtesse de la Rochefoucauld, la duchesse de Gramont et la marquise de Galliffet.

Voilà ce que faisaient des chrétiennes, au mois de mai 1885, pour fêter la profanation de l’église Sainte-Geneviève[5] ! Il n’y a là nulle indiscrétion, nulle allusion à des scandales connus de tous, nul rappel des histoires plus ou moins piquantes ou plus ou moins tristes, qui courent partout, il y a le récit d’un journal complaisant, le document humain.

Tout cela pour arriver à être cité dans le journal d’Arthur Meyer !

C’est le vrai maître du monde parisien que ce Meyer, l’arbitre de toutes les élégances, l’organisateur de toutes les fêtes. Jamais la Juiverie n’a produit un type aussi réussi. Fils d’un marchand d’habits-galons, il débuta à Paris, il y a quelques vingt ans, comme secrétaire de Blanche d’Antigny. Il cumulait ces fonctions, qui ne devaient pas être une sinécure, avec celles de reporter ; cramponné à chacun pour avoir un renseignement, on l’entendait, à toutes les belles représentations, crier : « des noms ! des noms ! » Les noms recueillis, il les écrivait fiévreusement sur la manchette de sa chemise. Il signait du pseudonyme de Jean de Paris. Ce fut alors, en 1869 je crois, que M. Carle des Perrières, qui signait Curtius au Nain jaune, et qui a publié un intéressant volume sur le monde des joueurs : Paris qui joue et Paris qui triche, le fit figurer dans sa galerie de Figures de cire.

L’étude, d’ailleurs, est charmante, elle a l’allure vive et la verve narquoise d’une ballade de Henri Heine.

Habits à vendre ! vieux habits ! vieux galons ! chapeaux à vendre !

C’était la devise de la famille. Disons-le, cette devise leur est toujours restée fidèle. A quinze ans, fatigué de son apprentissage dans le commerce des lorgnettes, le duc Jean équipa cent lances pour venir à Paris.

Paris, voilà la voie, voilà le centre pour une nature aussi industrieuse que celle du duc Jean.

A Paris, le duc fit un peu de tout, il essaya des lorgnettes, comme au Havre, mais cela ne lui réussit plus et, ne voulant pas déroger, avant tout, il se jeta dans les arts. C’est à dater de cette époque que le commerce des contre-marques a périclité d’une façon terrible.

A Paris, le duc Jean comprit vite le parti qu’il pouvait tirer de la vanité des uns, de la coquetterie des autres. La première année fut néanmoins assez dure. Il fit une expédition à Trouville-sur-Mer pendant laquelle il fut prouvé que le duc Jean savait beaucoup mieux manier le roi de trèfle que la Durandal.

On l’expulsa donc du Casino. Néanmoins, il réussit à s’accrocher là à une personnalité de la littérature élégante. A sa suite il entra dans le monde, non dans le vrai, mais dans le monde faux que fréquentent les jeunes gens et les journalistes, et, grâce à l’influence de son chaperon, il en arriva à avoir droit de cité parmi la jeunesse qui déjeune chez Bignon et dîne au N° 6 de la Maison d’Or. Mais quel droit de cité, mon Dieu ! Quelle existence de passer pour le grotesque et le plastron d’un cercle de jeunes gens, de côtoyer sans cesse la haute vie, les soupers et les filles et de n’avoir jamais que les miettes des uns et les cheveux gris des autres.

Ce fut la première manière de Meyer. Il avança vite grâce à la grande poussée juive qui se fit après la guerre. Aujourd’hui il a maquignonné, boursicoté, trafiqué, il a un coupé, un hôtel, un journal. Il n’excite ni l’envie ni même le mépris, mais plutôt comme un incommensurable étonnement. Ayant remarqué que quelques gens du monde affectaient une certaine roideur, d’assez mauvais goût du reste, il les a imités, mais imités en charge ; il ne remue plus, il ne tourne plus la tête ; avec son teint blême, son crâne d’ivoire, sa barbe luisante, il donne l’impression d’une momie sémitique déambulant en plein Paris à l’aide d’un ressort qu’on ne voit pas.

Cet être fantastique, ce faquin d’une si invraisemblable faquinerie stupéfie littéralement par des plaisanteries faites de sang-froid qui renversent les gens. Au moment des obsèques de l’Empereur à Chislehurst il voulait marcher aux côtés de la famille impériale ; il a pris le deuil du comte de Chambord et annoncé gravement qu’il ne pourrait assister à la fête d’Ischia à cause de la mort du Roi. Tout cela, je le répète, se produit sérieusement, silencieusement, sans rire.

Il a vraiment une sorte de rôle dans la vie élégante ; c’est lui qui a mis en circulation ces mots de « pschutt » et de « v’lan > que nos gentilshommes répètent avec une grimace idiote. À l’exposition canine, les piqueurs de la duchesse d’Uzès sonnent les honneurs quand il arrive[6], ce qui se comprendrait tout au plus dans une exposition de pisciculture. Ce Tom Lewis, frotté de lettres, est mêlé à tout, il sert d’arbitre, il remplit l’office d’ambassadeur, il fait les courses. C’est lui qui intervient dans le procès de Sarah Bernhardt et du Juif Koning, c’est lui qui va prendre chez Meissonier le portrait de Madame Mackay et qui rapporte l’argent au peintre.

Vous devinez, avec un tel intermédiaire, ce que sont les négociations. Mme Mackay met le portrait de Meissonier dans l’endroit secret où Saint Simon avait mis le portrait de Dubois. Meissonier se déshonore par son âpreté au gain, en réclamant soixante-dix mille francs pour une toile qui lui a demandé quelques séances. Au moment où tout va s’arranger, le Juif Wolff, qui voit son compère Meyer engagé, vient prononcer sur le cas quelques-unes de ces paroles dont il a le secret : « Si dans un pareil débat, dit cet homme austère, je pouvais hésiter un instant, il me faudrait renoncer à élever la voix dans les questions artistiques ; je signerais ma propre déchéance. »

— C’est donc un repaire de brigands que votre Paris ? vous disent parfois les étrangers.

— Mais non. Paris est encore plein de braves gens.

Si, au lieu de vivre dans ce monde d’intrigants qui attendent les voyageurs à la gare, comme les interprètes et les pickpockets ; si, au lieu de s’entourer de Juifs, Mme Mackay, qui est, diton, une femme excellente, avait vécu avec des Parisiens honnètes, elle aurait su comment on fait une hausse factice sur les œuvres d’art comme sur les actions de sociétés financières ; elle aurait trouvé à Paris trois cents peintres qui ont plus de talent que M. Meissonier ; elle aurait eu affaire à un artiste qui se serait conduit envers elle en homme bien élevé, et elle n’aurait pas été diffamée dans les gazettes.

Quand il n’a plus d’autre occupation en ville, Meyer organise des fêtes avec les duchesses. Lors de la fête des Alsaciens-Lorrains, c’est lui qui devait ouvrir le bal avec la comtesse Aimery de la Rochefoucauld. Au dernier moment, la pauvre comtesse eut honte et se contenta de faire un tour dans la salle au bras du petit youtre. L’exhibition n’est elle déjà pas assez triste comme cela[7] ? Pour moi, je l’avoue, ces abaissements m’affligent toujours. N’est-ce point navrant ce joli nom d’Aimery, qui a je ne sais quel parfum Moyen Age, et fait songer à l’Aymerillo de Victor Hugo, ce grand nom de la Rochefoucauld, qui rappelle des siècles d’héroïsme, des batailles gagnées, les Maximes, — tout cela sali par la promiscuité d’un ancien secrétaire de Blanche d’Antigny ? Je suis un peu comme Veuillot et je trouve « que ces gens-là me trahissent personnellement, me volent quelque chose » en disposant d’un nom dont ils n’ont pas le droit de disposer.

Ne vous y trompez pas, néanmoins, Arthur Meyer est la seule personnalité littéraire que les gens du monde puissent endurer[8]. Après les livres, ce qu’il haïssent le plus ce sont les hommes qui en font. Ils ne comprennent l’écrivain que sous la forme d’un illettré bien informé, bien mis, intriguant, remuant, s’agitant. M. de la Rochefoucauld, duc de Bisaccia, reçoit Rothschild et Mayer, il n’invite pas d’Hervilly à une soirée où l’on joue une de ses pièces. L’épisode est significatif encore et la lettre, pleine de brio, écrite à ce sujet par l’auteur de la Belle Saïnara à un de ses amis, vaut la peine d’être reproduite.

Chailly-en-Bière (Seine-et-Marne).

Je suis très mal fichu dans le coin d’où je t’écris ces lignes. J’ai : hypertrophie du foie, ictère ; je suis jaune gomme gutte, et de plus ma faiblesse est extrême. Je me lève très peu et ne peux marcher. Il y a déjà un mois que cela dure. Je ne voudrais pas crever sans l’avoir raconté, comment cette fameuse grande dame dont on a tant parlé, et qui s’appelle la Politesse française, est morte trois fois plutôt que d’entrer chez moi, et cela à propos de cette Saïnara dont les feuilles m’appellent « l’heureux auteur. »

Figure-toi que, pour cette fameuse fête japonaise, on est venu me demander des vers d’ouverture. Je les ai faits, il s’agissait des « pauvres ». On ne m’a même pas accusé réception de ce travail demandé. Et l’on n’a même pas envoyé une invitation à l’auteur pour la fête. C’est raide !

Il faut te dire, bien entendu, que je n’aurais pas été chez les ducs. Mais les ducs et vidames me devaient bien une invitation, ne fût-ce que pour la collection que je fais de ces cartons illustrés.

Du reste, constatation faite de la mort de la Politesse française dans le noble faubourg, j’ai songé que c’était la troisième fois que cela m’arrivait, au nom des pauvres, avec la même Saïnara. Voici l’anecdote :

La première fois, la duchesse de Magenta me fit prier de donner pour les pauvres, à l’Odéon, la primeur de Saïnara. Dame ! C’était dur ! Après trois ans d’attente, sacrifier ma première ! Je le fis néanmoins, pour les pauvres.

La bonne grosse dame ayant appris que j’étais au Rappel, ne daigna même pas venir voir la pièce qu’elle m’avait demandée. Elle fit mieux : elle menaça d’arriver au milieu. Ce qui était une chute pour moi.

Elle ne vint pas du tout (bon Dieu soit loué !), mais personne ne me remercia. Un !

La deuxième fois, ce fut Mme de Metternich qui me fit demander de donner — en abandonnant mes droitsSaïnara à Vienne, sur le théâtre de la Cour, avec elle comme actrice, au bénéfice des inondés de Szegedin. J’abandonnai les droits. J’écrivis une lettre de Français heureux de voir ses vers être utiles à des Hongrois ! On joua. Grand succès. Beaucoup d’argent pour Szegedin. Pas un mot de remerciement. Deux !  !

Avec les La Rochefoucauld, même politesse.

Trois !  !  !

Je crois qu’il ne faut pas que ces notes pour l’histoire d’une race qui s’en va soient perdues. Aussi je te les lègue. Il est bon que ces choses soient dites un jour ou l’autre.

A toi,
e. d'hervilly.
26 juin 1883.

Non, mon cher confrère, il ne faut pas que ces notes pour l’histoire d’une race soient perdues, c’est pourquoi je réimprime la lettre ici.

Le duc de Bisaccia n’en reste pas moins un homme fort dévoué à sa cause, fort généreux même à l’occasion, mais évidemment il a perdu dans les mauvaises fréquentations, dans les fréquentations de Juifs, cette fleur de délicatesse et de courtoisie qui caractérisait jadis la noblesse française ; il ne sait plus faire la différence qui convient entre un poète, un artiste qui est un être de désintéressement et de travail et un vulgaire financier qui salit ses mains dans le maniement de l’or.

Un jour que Papillon de La Ferté, l’intendant des Menus, rendait compte à Marie-Antoinette d’une querelle qu’il avait eue avec Sedaine, il répétait toujours : « Sedaine m’a dit, j’ai dit à Sedaine… »

— Quand le roi ou moi, interrompit la reine, parlons d’un écrivain, nous disons toujours monsieur Sedaine.

Le duc de Bisaccia n’a plus le sens de ces nuances, il dirait certainement Sedaine tout court et monsieur de Rothschild gros comme le bras.

Si je parle ainsi un peu longuement du noble duc c’est qu’il est, comme je l’ai déjà dit, ce que les Anglais nomment : « Un personnage représentatif. » Il est instructif et il est pénible de voir dans quelle société vit un homme qui se croit naïvement, et qui est réellement, pour la foule niaise, l’incarnation de la haute aristocratie, le représentant des idées de chevalerie, d’honneur et de foi[9].

Meyer admire le duc et le duc aime le commerce de Meyer[10]. Le nom de Meyer figure parmi l’assistance d’élite qui se pressait au bal du 18 avril 1884, au milieu de beaucoup de Hirsch dont les uns se prénomment Maurice et les autres Théodore. Fortement frappé, sans doute, de se voir là, Mayer déclare que ce bal est un des plus grands événements du siècle. C’est au Figaro, cependant, que revient la palme de l’enthousiasme. Un escalier surtout le ravit car nous sommes au siècle des escaliers. Celui-là, paraît-il, « défie toute description. »

Fait de fragments de roches, bordé des deux côtés par des blocs de granit couverts de mousse, sur lesquels une eau jaillie d’une source invisible retombe éternellement en fraîches cascades, c’est comme une forêt montante où s’épanouit, dans une chaleur douce, toute la flore des pays enchantés, où les palmiers qui semblent naître de chaque anfractuosité projettent vers le ciel, à de vertigineuses hauteurs, leurs longues lances de vert sombre, parmi les reflets clairs des lumières semées dans le feuillage. Il tourne, tourne, l’escalier, et, dans son évolution grandiose, aboutit enfin a la serre — le clou de ce fantastique décor — qui, par sa situation et ses proportions babylonniennes, fait songer aux jardins suspendus de Sémiramis. Une illumination radieuse y donne l’illusion du soleil tropical, et la végétation luxuriante qui s’y étale celle des eldorados transocéaniques. Et c’est miracle de voir, dans les étroits sentiers aux bordures fleuries, qui se croisent et s’entrecroisent, circuler les groupes extasiés, resplendir les épaules Dues, étinceler les perles et les diamants, la soie se mêler aux floraisons verdoyantes, et tous ces étincellements se confondre un une sorte de kaléidoscope vaporeux où il n’y a plus ni femmes, ni fleurs, ni satins, ni verdure, plus rien que la grande symphonie des couleurs et l’âpre griserie des parfums !

Le Figaro à raison : « Fuyons ce paradis troublant ! arrachons-nous à ce rêve d’opium ! » pour nous réfugier dans la chapelle. Il y a une chapelle, en effet, et l’on regretterait qu’elle n’y fût pas ; elle rappelle une certaine religion qui est à la mode. Les la Rochefoucauld y vont gémir sur la persécution, avant d’entrer dans le bal, quand les Hirsch ne sont pas encore arrivés. Leur Dieu n’exclut point les plaisirs de la danse, même au temps de Dioclétien ; il est un peu parent de celui de Béranger.

On est admis dans son empire
Sous la couronne du martyre
Et sous la couronne de fleurs.

Confesseurs de la foi et martyrs, beaucoup de grands seigneurs le sont « parmi ces privilégiés qui, de dix heures du soir à quatre heures du matin ont dansé, causé, soupé, puis redansé, recausé, resoupé et qui, vaillants au plaisir, n’ont capitulé qu’avec l’aurore. » Ils espèrent bien figurer un jour dans les vitraux, seulement les instruments de supplice que les saints portent à leur main dans les naïves images de l’art gothique, seront remplacés cette fois par un accessoire de cotillon.

Si vous voulez voir combien la destinée d’un journaliste chrétien est différente de celle d’un journaliste juif, regardez les hommes qui entourent Meyer. Allez au Gaulois, vous trouverez, à côté du Meyer blafard, un beau cavalier, un gentilhomme béarnais qui a ressemblé un peu à Henri IV. Brave, non point seulement en duel, mais dans la rue, il l’a prouvé lors de la manifestation de la place Vendôme, M. de Pêne est resté, malgré une production incessante, un écrivain de race ; parmi les milliers d’articles qu’il a improvisés il n’en est pas un seul qui n’ait un trait, une phrase où se révèle l’artiste qui sait bien tenir une plume. A quoi cela lui a-t-il servi ? Il est maintenant effacé derrière le petit circoncis qu’il a chaperonné dans le monde ; il n’a pu arriver à garder un journal à lui.

Prenez, si vous voulez encore, Cornély. On l’a appelé « un enfant de chœur perverti. » Je ne crois pas que le mot soit juste, mais j’incline à croire qu’il a subi un peu, au moment du succès, ce vertige malsain, cette vapeur pestilentielle qui se dégage du boulevard et qui est terrible, surtout pour ceux qui ont vécu en province. Je l’ai connu pauvre, digne de toutes les sympathies, dans cet intérieur vraiment charmant d’un jeune père de famille qui nourrit les siens de son travail. J’en puis parler en toute indépendance, car je n’ai jamais eu ni à m’en plaindre, ni à m’en louer. Il savait certainement que j’aurais eu plaisir à défendre mes idées chez lui, jamais il ne me l’a proposé ; il s’est confiné un peu trop alors, à mon avis du moins, et au point de vue de l’œuvre qu’il dirigeait, dans un milieu un peu restreint et boulevardier.

Malgré tout, il n’en a pas moins réussi à créer, à faire lire, à faire vivre un journal d’avant-garde qui rendait d’immenses services au parti conservateur. Après avoir perdu deux mille abonnés d’un coup, en se ralliant au comte de Paris, le Clairon n’en comptait pas moins 5, 375 abonnés ; au moment de sa disparition il avait un tirage quotidien de 11, 000 exemplaires.

La moindre aide aurait mis ce journal à flot. Cornély fit demander cette aide au comte de Paris. Celui-ci ne voulut même pas recevoir la personne que lui envoyait le jeune écrivain qui, somme toute, combattait pour sa cause avec vaillance, avec entrain, avec succès même.

Ne trouvez-vous pas affligeant l’abandon de cet être d’initiative, d’activité, de bonne volonté par des gens qui ont plus de cent millions à eux ?

Je n’ai pas à discuter si les princes d’Orléans ont été bien ou mal inspirés en réclamant, après la guerre, leurs biens confisqués ; j’aime autant savoir cet argent dans leurs mains que le voir gaspiller par les républicains. Il n’en est pas moins certain que ces biens n’ont pas le caractère étroitement personnel d’une propriété léguée à ses enfants par quelqu’un qui s’est enrichi dans le commerce des laines et des huiles ; ce sont des biens d’apanage accordés jadis à la famille du souverain pour soutenir son rang, entretenir un train princier, rehausser l’éclat de la royauté. Les princes d’Orléans n’ont pas, en conscience, le droit de jouir exclusivement de cette fortune, ils ont l’obligation morale de l’employer au service de la France, de la consacrer à la propagande monarchique.

Personne, probablement, n’a osé dire cela au comte de Paris, apprendre à ce prince, qui est non seulement un honnête homme, mais un bon chrétien, que l’amour excessif des capitaux est un péché capital. La défense des intérêts religieux en France se trouve donc avoir pour organe, du moins dans un certain public, le journal d’un Juif et d’un Meyer[11].

  1. Même dans ces babioles, se révèle le caractère infécond et destructeur de la civilisation juive qui pompe sans cesse le bon argent pour le changer en chiffons, en chiffons de papier quand il s’agit d’affaires financières, en chiffons de soie quand il s’agit de toilette. Dans les objets, en apparence les plus futiles, la civilisation ancienne était conservatrice, elle créait des choses de durée. Les robes de grandes dames de la Cour de Louis XIV, les belles robes lamées d’argent des mariées bressanes ont aujourd’hui, quand par hasard on en découvre, le prix qu’elles avaient autrefois. Une robe de couturier célèbre va au Temple presque de suite, passe du dos d’une femme du monde sur le dos d’une fille et n’existe plut au bout d’un an.
  2. L’œuvre des Cercles catholiques seule s’est préoccupée de cette question et le Contrôle hebdomadaire, qui signale tout ce qui se produit d’intéressant dans la question ouvrière, a reproduit, dans le n° du 8 juillet 1885, une lettre adressée au journal le Matin sur ce sujet. « Je puis vous citer, dit l’auteur de cette lettre, telle couturière de la rue de Rivoli qui a près de quarante femmes ou jeunes filles dans nos seule chambre aérée par une seule fenêtre. Les personnes les plus fortes et les mieux nourries ne tarderaient pas à tomber malades dans une pareille atmosphère. Combien plus vite encore s’étiolent, s’affaiblissent et souvent meurent, des enfants assez mal nourries en général, puisque celles qui n’apportent pas avec elles leur petit déjeuner sont obligées d’aller manger à la gargotte !
        En outre, et c’est sur ce point que j’appelle votre attention encore plus spécialement, on fait veiller ces jeunes filles et ces jeunes femmes jusqu’à neuf heures, dix heures, souvent minuit ! Alors ce n’est plus leur déjeuner, c’est leur dîner qu’elles prennent a la gargotte et comme souvent elles n’en ont pas les moyens, elles mangent un morceau de pain et dînent en rentrant chez elles. Or, comme elles demeurent loin de la maison où elles travaillent, toutes sans exception, elles mangent à onze heures du soir ou à minuit passé, et se couchent la-dessus, mortes de fatigue, digérant mal, et en peu d’années, pour ne bas dire en quelques mois, s’abîment complètement la santé. »
        L’auteur de cette lettre termine en disant :
        « Si nos conseillers socialistes s’occupaient un peu de leur affaire au lieu de débaptiser les rues et de faire de la politique, ils obtiendraient facilement une organisation comme celle qui régit les ateliers de femmes en Angleterre. »
        Le rédacteur chargé du Contrôle aurait dû ajouter : « Si les grandes dames qui affichent bruyamment des sentiments charitables, pour avoir l’occasion de s’habiller en Japonaises, avaient véritablement un cœur chrétien, elles auraient vite fait disparaître ces abus ; il leur suffirait de constituer un comité chargé de mettre en interdit les maisons, pour la plupart juives, où l’on exploite ainsi des créatures humaines. »
  3. Le Télégraphe du 30 juin 1885 a publié une partie de cette liste.
  4. Voir, dans le Cri du Peuple du 4 juillet 1885, quelques renseignements sur l’exploitation des malheureux ouvriers par cet insulteur de l’Église qui eut, comme protecteur, dans le monde aristocratique, un ancien rédacteur en chef de l’Union. C’est une clarté de plus sur cette secte maçonnique, qui est tout à fait diabolique dans sa double obstination à enlever au prolétaire à la foi le pain moral et le pain matériel. Deux ouvriers avaient exécuté au rabais une grande cheminée antique et, n’y trouvant pas leur compte, demandaient qu’on les indemnisât du temps qu’ils avaient passé à ce travail en dehors de leur prévision. — Qu’a cela ne tienne, répondit le vengeur d’Hiram, payez-moi la note et les fournitures, et la cheminée est a vous. Vous irez vous-même la vendre au faubourg. Ces pauvres gens, dont la paye était attendue à la maison et auxquels on demandait de débourser un millier de francs, n’eurent même pas la force de répondre.
        Le Franc-Maçon leur fit généreusement cadeau, cependant, par-dessus le marché, de ses derniers ouvrages : La franc-Maçonnerie et le principe républicain et Les Sept Lumières maçonniques.
  5. Au banquet d’adieux des Cercles catholiques ouvriers, ce douloureux rapprochement fournit an comte Albert de Mun le motif d’un de ses plus beaux mouvements oratoires. L’orateur, interrompu par les applaudissements, fut plus de cinq minutes sans pouvoir reprendre la parole. Les huées, les lazzis, les plaisanteries méprisantes tombèrent naturellement comme la grêle sur ces détraqués qui avaient donné ainsi, en public, le spectacle de leur ignominie ou plutôt de leur bêtise. Citons, comme échantillon, la conversation de l’Echo de Paris, qu’un courageux journal catholique, le Pèlerin, plaça comme légende au-dessous d’au dessin reproduisant une scène de bal.
        La duchesse de Bauséant présente le baron des Argousses à la marquise de Cassenoisette.
        Le baron :
        — C’est singulier, madame la marquise, il me semble avoir déjà avoir déjà eu l’honneur de vous rencontrer ?…
        — En effet, baron, au bal de la princesse de Sagan. J’était en punaise.
        — Eh quoi ! cette délicieuse punaise, c’était vous !
        — Et vous ne me reconnaissiez pas, ingrat ?
        — Je vous présente mes excuses !
        — Vous étiez en cochon de lait !
        — Parfaitement.
        — Et votre sœur ?
        — En rat d’égout.
        — Charmant ! charmant !
  6. Gaulois, 31 mai 1884.
  7. L’amour des Juifs, d’ailleurs, est très développé dans cette famille. C’est une parente de la comtesse Aimery — si ce n’est la comtesse elle-même — qui faillit se noyer par amour de la Juiverie. Elle était dans sa villa du lac de Genève, lorsqu’on lui annonça que la baronne de Rothschild venait de Preigy la voir dans son bateau à vapeur. Transportée par l’honneur d’une telle visite, la comtesse s’élance, renverse tout sur son passage ; sur la passerelle qui conduit au bateau, elle veut prendre les trois temps de la révérence comme à Versailles, elle chavire, elle tombe à l’eau, et les Juifs se livrent, à propos de cette chute, à des plaisanteries d’un goût douteux.
  8. Il y a des exceptions, cependant, mais elles « produisent tonjours en faveur des Israélites. Le Juif, flatteur, insinuant, cajoleur, endort le patricien, le berce doucement ; le Français, qui lui dirait franchement la vérité, qui lui apporterait l’écho de la vie, le déconcerterait, la troublerait, le réveillerait.
        Le duc de Chaulnes, dont la mère a été abreuvée d’outrages par la presse juive, fut le dévoué protecteur d’Eugène Müntz, dont nous parlions tout à l’heure ; il l’aida à continuer ses travaux et la veille de sa mort, il prit, par une touchante prévoyance, les dispositions nécessaires pour assurer la publication du volume qui a pour titre La Renaissance en Italie et en France à l’époque de Charles VIII.
        M. Müntz, du reste, a rendu un juste hommage au duc de Chaulnes et c’est plaisir que de voir apparaître, en quelques pages de son introduction, cette bienveillante figure de grand seigueur curieux de tout, s’intéressant à tout, venant avec des béquilles, après avoir été grièvement blessé à Coulmiers, passer ses examens de droit à Poitier, étudiant les questions ouvrières, publiant un remarquable travail sur les sculptures connues sous le nom de Saints de Solesmes.
       Les Montesquiou, également, aidèrent beaucoup le célèbre médecin Worms à ses débuts, mais aucun grand seigneur, encore une fois, ne ferait pour un chrétien ce qu’il fait pour un Juif qui sait l’entortiller, le prendre.
  9. An mois d’avril 1885, nous voyons le pauvre homme, toujours cornaqué par Meyer, assister au bal donné par le Conseil mnuicipal à l’Hôtel de Ville. Le chef des droites, comme on dit, parade à côté de la baronne d’Ange, à laquelle un conseiller municipal fait ouvrir avant l’heure les portes du salon où l’on soupe ; il échange des poignées de main avec tous ces conseillers qui ont chassé les Sœurs des hopitaux, arraché la croix des cimetières, persécuté de la plus sale et de la plus ignominieuse façon tout ce que les honnêtes gêns respectent. Franchement, était-ce là la place du duc de la Rochefoucauld- Bisaccia ?
        Tout est faux, d’ailleurs, dans ce personnage de vitrine. A la Chambre, il appelle le 14 juillet « la fête de l’assassinat » et ce jour-là, il fait illuminer le Jockey-Club, dont il est président. Si c’est la fête de l’assassinat, pourquoi illuminez-vous  ? Si c’est une fête nationale, pourquoi l’appelez-vous « la fête de l’assassinat ? »
  10. Pour comprendre ce qu’une pareille association a de significatif au point de vue des mœurs d’une époque, il faut lire le Druide, un roman à clef, de la comtesse de Martel, qui nous initie à ce qui se passe dans l’intérieur du Gaulois. Il y a de tout là-dedans, la tentative d’assassinat par le vitriol, le proxénétisme, le chantage. Nous apprenons là que c’est une fille, ancienne actrice aux Variétés, qui rédige le courrier mondain et enseigne aux femmes du faubourg Saint-Germain comment il faut se tenir à l’église ! Voilà où en est arrivée une certaine aristocratie, l’aristocratie du plaisir.
        Comme complément du Druide, on peut lire également le discour prononcé par Mayer, au mois d’août 1885, au régates d’Evian. Meyer y appelle tout le temps le prince Brancovan « mon cher ami, » et il prend Bartholony à témoin de ses paroles : « n’est-ce pas, mon cher Bartholony ? » Dire que j’ai quitté la campague, par une merveilleuse journée d’été, exprès pour voter pour ce protestant, ami de Mayer, qui se prétendait conservateur !
  11. En Hongrie, du reste, quelques journaux catholiques, comme la Semaine religieuse et le Catholicus Galad, sont également dirigés par des Juifs.