La France juive/Livre Cinquième/3

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(vol 2p. 194-239).


Le journaliste consciencieux et épris de son art est l’objet de la même haine que l’écrivain. La Presse, elle aussi, s’est presque entièrement transformée depuis quelques années ; pour comprendre les conditions nouvelles dans lesquelles elle est placée, il convient tout d’abord de séparer le journalisme du journaliste, la besogne faite de celui qui la fait.

Rien n’est plus absolument probe, plus complétement désintéressé que le journaliste d’origine française et chrétienne, et ceci, sans acception d’opinion. Il dispose d’un moyen d’action formidable, il blesse ou caresse à son gré la vanité de chacun, à une époque où ce sentiment a pris des proportions presque morbides et jamais la tentation ne l’effleure de retirer un bénéfice quelconque des éloges qu’il accorde.

Sous ce rapport, il n’y a pas de doute, jamais même on n’a eu l’impertinence de promettre un cadeau à un critique dramatique, à un critique de livres ou à un critique d’art pour parler favorablement d’une pièce, d’un ouvrage, d’un tableau. Sont-ils donc d’une impartialité absolue ? Non. N’attachant malheureusement qu’une importance secondaire à ce qu’ils écrivent, ils sont accessibles à la camaraderie, à la flatterie, à la démarche personnelle faite près d’eux, ils décernent l’épithète d’ « éminent » ou de « sympathique, » comme s’il s’agissait d’une simple croix du Mérite agricole. Tel qui repousserait avec indignation une somme d’argent, ne résistera pas à un sourire de femme, à un mot gracieux, à l’insistance même d’un inconnu qui semble attacher un prix exceptionnel à ce qu’on dira de lui. L’esprit de parti, d’ailleurs, enlève presque au journaliste le droit d’avoir une opinion. Si les conservateurs ne se soutiennent qu’assez faiblement, tout ce qui vient d’un républicain est admirable pour les siens.

On n’agit plus même sur les journalistes par les dîners comme sous la Restauration. Les tableaux que les écrivains allemands ont tracé des mœurs littéraires sont des peintures retardataires qui n’ont aucun rapport avec la réalité présente. Ce n’est plus qu’à l’étranger, ou au fond des provinces les plus reculées, qu’on s’imagine encore que les journalistes passent leurs soirées dans les coulisses à boire du champagne avec les actrices. Des Cercles, protégés par la police et commandités par des Juifs, ont été fondés pour attirer les écrivains, les dépraver et leur enlever, par le jeu, leurs petites économies, mais ils ne sont guère fréquentés que par un monde spécial qui n’a aucun rapport avec le journalisme sérieux.

Seuls, les rédacteurs de journaux à informations, des journaux boulevardiers, comme on dit, sont, en quelque manière, obligés par la nature même de leur travail à un certain décousu dans l’existence. Les autres vivent avec une régularité parfaite, le plus à distance du centre qu’ils peuvent, ne se mêlant que d’assez loin à l’existence bruyante de Paris. La plupart sont mariés et fidèles ; beaucoup aussi, je dois le reconnaître, sont concubinaires ; ils ont rencontré une femme qui les aime, qui ne dérange point leurs papiers et ils se sont attachés à elle sans prendre la peine de faire régulariser leur situation ; ils pratiquent toutes les vertus du mariage sans en avoir les avantages.

Ce sont précisément ces vertus qui diminuent l’indépendance du journaliste, qui inclinent aux concessions un caractère nativement droit, qui font qu’une presse déconsidérée a, pour rédacteurs, des hommes dignes personnellement de toute considération.

Si la rédaction des journaux, en effet, est composée d’éléments sains, la direction, la propriété, pour être plus exact, est trop souvent aux mains d’êtres absolument méprisables, de financiers véreux, d’actionnaires peu scrupuleux qui voient dans un journal, non un moyen de répandre des théories justes et fécondes, mais d’appuyer des combinaisons louches, d’obtenir des concessions que des ministres, objets du dégoût universel, accordent sans marchander à ceux qui ont le triste courage de les louer.

La conception que Gambetta se faisait dé la prèsse était une conception exclusivement juive. Une horde de boursiers cosmopolites se réunissait un matin, s’entendait avec le Génois et venait chasser d’un journal les Français qui l’avaient réellement créé, fondé, accrédité dans le public par leur intelligence et leur labeur.

Un beau jour, un financier belge, Werbrouck, intime l’ordre aux rédacteurs du Gaulois d’avoir à changer de convictions en vingt-quatre heures. Quelques mois après, c’est un Juif russe, Elie de Cyon, forcé de descendre de sa chaire, à Saint-Pétersbourg, par les étudiants indignés et décoré par le gouvernement français, qui vient à la tête de ce journal nous enseigner quelle politique nous devons suivre.

Un autre syndicat essaie de s’emparer de la France de la même manière. Au mois de juin 1882, Waldeck-Rousseau, digne disciple de son maître, fait expulser brutalement, sans même les prévenir la veille, tous les rédacteurs de la Réforme qui signent une protestation collective contre la grossièreté de ce procédé.

Je me rappelle encore avoir causé avec Escoffier au moment où la bande de Gambetta avait jeté son dévolu sur le Petit Journal.

Les opinions du Petit Journal ne sont pas les miennes, mais il est impossible de ne pas reconnaître la modération, l’honnêteté, l’esprit de moralité avec lesquels Escoffier dirige cette feuille qui, par son énorme circulation, pourrait incontestablement faire beaucoup de mal.

Gambetta appréciait bien l’habileté, l’application à sa tâche de l’écrivain qui avait relevé si rapidement le tirage du Petit Journal, considérablement réduit à la suite de la condamnation du Juif Millaud. Il l’avait fait venir, et lui avait proposé une situation très brillante s’il voulait prendre la direction de la Petite République.

Notre confrère avait accepté, mais, informé du système sur lequel comptait Gambetta pour maintenir sa popularité chancelante, il avait, quoique anti-clérical lui-même, formellement déclaré qu’il ne s’associerait pas à une campagne de diffamation et de calomnie contre nos prêtres et nos Frères des écoles chrétiennes.

Le vindicatif italien s’était bien promis d’enlever sa modeste situation à l’homme qui refusait de se faire son caudataire et peu s’en fallut qu’il ne réussît.

Devant cette intervention éhontée d’un argent malpropre dans des questions de doctrine, l’écrivain sent son cœur bondir d’indignation, il veut donner sa démission, mais il est marié souvent, je l’ai dit, père de famille : il est saisi par la crainte de voir entrer tout à coup la misère dans cet intérieur heureux, tranquille, presque coquet avec ses livres, ses vieilles assiettes, ses dessins d’amis au mur, ses fleurs l’été ; … il réfléchit et presque toujours, en pareil cas, réfléchir, on le sait, c’est fléchir.

Ceci explique que les Juifs aient très facilement mis à la chaîne des hommes qui leur sont absolument supérieurs et qui, s’ils s’étaient réunis, auraient eu aisément raison d’eux.

Pour le Juif, le journal n’est qu’un outil de chantage. Les plus scrupuleux en conviennent et s’étonnent naïvement de la joie que vous éprouvez à ciseler, pour un salaire modique, un article que vous sentez, qui est dans votre conviction. — Pourquoi n’écrivez-vous pas le contraire ? vous disent-ils, souvent avec un sincère sentiment de bienveillance, cela vous rapporterait le double !

Le fameux Hugelmann était Juif. Fiorentino, le seul critique d’un journal français qu’on ait convaincu de chantage, était Juif[1]. Son frère ou son cousin a traduit en hébreu, en 1853, le poème d’Eliezer et de Nephtali de Florian. David, le journaliste financier, fut condamné pour chantage avant d’être condamné à dix ans de prison, naturellement par contumace, pour avoir enlevé un certain nombre de millions à de malheureux actionnaires. Zabban fut poursuivi pour chantage, mais je dois ajouter qu’il fut acquitté.

M. Albert Christophe, gouverneur du Crédit Foncier, a révélé, en pleine Chambre[2], la façon dont le Juif Eugène Mayer s’était procuré des fonds pour fonder la Lanterne. Mayer avait commencé par chercher à intimider par des articles dans la Réforme financière, mais ces articles n’avaient pas produit le résultat attendu.

Que fait-on, dit M. Albert Christophe, on réunit ces articles en un volume ; on met ce volume en vente aux vitrines des libraires. Une émotion assez légitime, assez naturelle, s’empare de ceux qui avaient la conduite de cet établissement.

Alors il se passe ceci : l’édition est achetée, le prix en est fixé ; une somme de 30,000 francs est versée à l’auteur du livre.

La vente, effectuée par le paiement, a été réalisée en même temps par la remise totale des exemplaires. L’édition tout entière a été livrée, puis elle a été détruite par ceux auxquels elle était cédée, et il ne reste plus, vraisemblablement, de ce livre aucun autre exemplaire que celui que je possède.

Un membre à droite : « Il a de la valeur. »

M. Hamille : « Il faut le mettre en loterie ! »

Albert Christophe : Or quels étaient donc, messieurs, les auteurs de cette publication ? Quels étaient les fabricants de cet opuscule, ceux qui le mettaient en vente, ceux qui faisaient le trafic honteux que je vous dénonce ? Messieurs, ce sont ceux-là même que nous retrouvons dans le débat actuel ; ce sont ceux-là même qui ont touché l’argent et qui ont stipulé cette vente, ce sont ceux-là même qui se sont ensuite servis de cet argent pour vivifier et faire prospérer le journal la Lanterne.

Voilà le fait que je livre à votre appréciation sans y ajouter aucun commentaire. Voilà ce fait que je puis, sans excès de langage, appeler un acte de chantage financier.

Un homme, dans la situation de M. Christophe, n’a pu évidemment affirmer un acte de chantage si grave à la tribune sans en avoir dix fois la preuve.

Le fait n’est donc pas douteux, mais ce qui est mille fois plus intéressant, au point de vue de notre étude que le fait lui-même, c’est la terreur qu’inspire cet homme. Il suffisait à Mayer de traiter le plus honnête magistrat de faussaire et de voleur pour que le malheureux fut immédiatement sacrifié par Martin-Feuillée, le docile exécuteur des ordres de la Lanterne. Au mois de décembre 1883, M. Denormandie a reproché cette servilité au garde des sceaux qui n’a rien trouvé à répondre.

Pour la cour d’Angers, disait M. Denormandie, la Lanterne du 21 août signalait un magistrat du nom de Maury comme devant être révoqué. Et il le fut quelques jours après.

Le 29 août, le même journal contenait ces mots : « Allons, vite un coup de balai » le 6 octobre, les trois magistrats signalés étaient balayés.

Pour Mont-de-Marsan, c’est encore le journal la Lanterne qui dénonce le président de ce tribunal, M. Tourné, comme faussaire et indigne de présider plus longtemps.

Naturellement, sa révocation ne se fit pas attendre.

Mais cela ne suffit au journal qui, dans un nouvel article, déclara que tous les juges de ce tribunal étaient des faussaires, et qu’il fallait les faire descendre de sièges dont ils n’étaient point dignes. Il publiait leurs noms avec des commentaires d’une extrême violence : et peu de jours après, ils furent révoqués.

M. Denormandie continue ses citations en parlant de ce qui s’est passé pour la cour de Pau, pour le tribunal de Vannes et celui de Dax.

« Allons, insistait le journal que j’ai cité, allons, monsieur le garde des sceaux, il faut venir à Clermont et y donner le coup de balai que vous avez donné à Mont-de-Marsan et Pau ! »

M. Denormandie eût pu ajouter qu’en dressant ces listes de proscription, Mayer vengeait des injures toutes personnelles, car les siens et lui avaient eu un peu à faire à la magistrature de tous les pays. Il avait particulièrement sur le cœur le jugement du tribunal de Valenciennes, du 20 août 1879, qui avait sévèrement qualifié les moyens dont Mayer s’était servi dans un de ses journaux, la Réforme financière, pour lancer une entreprise véreuse : la Société céramique du Nord. Le tribunal avait constaté que la Réforme financière avait affirmé que l’usine était libre de toutes charges, dettes et hypothèques, alors que son prix n’avait pas même été payé, et déclaré « que le préjudice causé résulte non des faits eux-mêmes, mais de la publicité qui leur a été donnée dans un but intéressé et coupable » il avait établi enfin que les manœuvres coupables avaient été commises « par Mayer, publiciste et banquier à Paris, dans un journal, la Réforme financière. »

Dans l’affaire de la Nouvelle France, on n’avait pas hésité à poursuivre M. Sumien, qui n’était qu’un simple journaliste insérant des annonces ou des avis, mais il eût été chimérique de penser que Loew, ou un magistrat quelconque des nouvelles couches, poursuivît Mayer qui avait organisé la même entreprise malhonnête. Néanmoins, ce blâme tout platonique lui déplut encore et il saisit l’occasion de s’en venger.

Nos officiers français eux-mêmes sont tous petits garçons devant ce Juif.

A l’occasion du 14 juillet 1883, la Lanterne publie je ne sais quelle infamie contre M. de Vaulgrenand, colonel du 22e régiment d’artillerie, à Versailles. Le lendemain le bureau du journal est plein d’officiers, le colonel de la Valette et Morlière, arrivés les premiers, se rencontrent là avec une escouade d’officiers du 22e régiment d’artillerie. Que viennent faire là tous ces messieurs ? Demander une réparation à Mayer ? Ce serait là une prétention bien chimérique. Ils viennent, le journal vous le dit en italiques, porter témoignage en faveur de leur colonel.

N’est-ce pas précieux encore pour l’histoire psychologique de ce temps, ces héros, ces beaux soldats des grandes batailles, ces Français se dérangeant pour venir plaider la cause de leur colonel devant un immonde Juif de Cologne, moitié chanteur, moitié espion ?

Ce sont là de ces aberrations, de ces faiblesses, de ces gallicismes moraux qu’il est presque impossible de faire comprendre à un Anglais ou à un Allemand. Les officiers allemands, ces disciples d’Hegel en uniforme, qui veulent expliquer tout par des théories philosophiques, vous embarrassent particulièrement par leurs interrogations à perte de vue.

— Enfin vos officiers sont très braves, nous les avons vus au feu, ils sont superbes ; comment se laissent-ils traiter ainsi ?

L’absence de tout courage intellectuel est toujours la seule explication qu’on puisse donner. On ne peut que faire relire aux étrangers, pour démontrer cette absence de tout ressort pour résister, l’exécution des trente-sept gendarmes et gardes de Paris, comme otages de la Commune. Ces hommes dans toute la force de l’âge, d’une intrépidité incontestable, ils l’ont prouvé par leur mort, se laissèrent conduire à l’abattoir par une escorte de trente-cinq hommes qui ne demandaient qu’à les laisser s’évader. Tout le long du parcours, la population, qui était favorable, les encourageait à s’en aller. Dans le haut de la rue de la Roquette, une femme leur cria encore : « Sauvez-vous donc ! » Ils allèrent jusqu’au bout, tranquilles, « marquant le pas, dit Maxime du Camp, comme s’ils se rendaient à l’instruction. »

Au fond, les événements accomplis depuis dix ans en sont la preuve, il n’y a guère plus d’activité cérébrale, de faculté de décision dans un colonel que dans un garde-municipal.

Cette activité, cette décision, ce courage intellectuel, Eugène Mayer les possède.

Regardez encore avec moi ce curriculum vitae de Juif. Etudiez l’homme dans les siens, dans sa formation morale, dans son développement et vous serez stupéfaits de ce qu’une famille juive, prise en quelque sorte au hasard, peut remuer de choses, déranger de gens, dégager de mouvement autour d’elle.

Un des oncles de Mayer, protégé par les intendants Wolff et Gaffriot, fut chargé des fournitures militaires en Crimée et au Mexique, il gagna là une fortune énorme qu’il perdit dans des spéculations, fut mis à la tête de l’agence du Memphis el Paso, se lança dans une entreprise de lard et finit par quitter les États-Unis pour se réfugier à Bruxelles.

Un autre de ses oncles fut, de 1860 à 1862, directeur du Mont de piété de Cologne, y commit d’innombrables détournements et vint chercher un asile d’abord en France, puis en Angleterre. Il fut condamné aux travaux forcés à perpétuité et épousa, à Londres, une célèbre proxénète établie dans une boutique de Piccadilly et maintenant installée à Paris.

C’est chez une cousine de Mayer, Mme P., que mourut subitement un maréchal du second Empire.

Quant au père de Mayer, il fut enfermé quelques jours à Mazas, sous l’Empire, et mis en liberté grâce à la protection du maréchal ; impliqué de nouveau dans une autre affaire, il y a quelques années, et se voyant perdu, il se pendit dans sa propriété de Jouy en Josas.

Notre Mayer, Benjamin-Eugène, eut encore un rôle dans la tragique affaire Rappaport.

L’affaire Rappaport mérite une mention à part. Ce Rappaport ou Rapoport[3] est un vrai Juif moderne, une figure comme le Paris actuel en compte par milliers, il habite rue de Richelieu un luxueux appartement, il fréquente les restaurants à la mode, il joue et gagne toujours. Quoiqu’il eût Wilna pour patrie, s’il se fût présenté aux élections municipales, n’importe où, en concurrence avec un brave chrétien dont la famille aurait été, depuis deux ou trois siècles, la Providence du quartier, il eût été, non pas élu mais acclamé comme un Camille Dreyfus. Tous les Juifs et tous les Francs-Maçons effectivement auraient marché au scrutin comme un seul homme en criant : « Nommons Rappaport ! » tandis que les honnêtes gens seraient restés chez eux à gémir sur eux-mêmes.

Comment se passa exactement le drame dans lequel il disparut le 12 décembre 1882 ? Voilà ce qui est resté problématique. Citons tout d’abord le récit de la Lanterne, admirablement placée pour être bien informée, mais également intéressée aussi à dissimuler la vérité.

0n connaît les faits matériels du crime. Dans la matinée, une fenêtre s’ouvrait brusquement, au quatrième étage, et une jeune fille apparaissait, en poussant des cris désespérés ; puis elle disparut, violemment attirée en arrière, et la fenêtre se referma. Un instant après, on entendit le bruit d’une détonation. Des gardiens de la paix furent requis, et on ouvrit la porte de l’appartement en question.

Cet appartement était celui qu’habitait un courtier en diamants, H. Georges Rapaport. Il avait poignardé sa fille et s’était ensuite brûlé la cervelle.

Voilà les faits brutaux, dans leur simple et sanglante horreur.

Mais les causes du crime, aucun journal ne les a exactement connues. On a cru voir dans le meurtre l’acte désespéré d’un père lavant dans le sang le déshonneur de sa fille. Rien n’est moins irai. La vérité, la voici :

M. Georges Rapaport, natif de Pologne, courtier en diamants à Paris, avait épousé, en 1864, Mlle L. Davis. Deux enfants naquirent de ce mariage : une fille, — la victime d’hier, et un garçon, âgé de quinze ans aujourd’hui.

Mais la mésintelligence ne tarda pas à éclater entre les époux. Riche de vices et pauvre de sens moral, M. Rapaport voulait trouver dans sa femme une fortune, et ses tentatives pour trafiquer d’elle, pour la vendre à des amis riches forcèrent l’honnête femme d’abord à se réfugier dans sa famille, puis à demander et obtenir une séparation de corps, qui fut prononcée en 1876.

Le jugement décidait que les deux enfants, alors en pension, sortiraient tour à tour chez leur père et chez leur mère.

Cependant, la jeune fille grandissait, devenait belle. Le père indigne, comme il avait voulu vendre la beauté de sa femme, songeait à spéculer sur la beauté de sa fille. Il la poussait vers le théâtre et la fit entrer au Conservatoire dès sa sortie de pension, en 1880. Mlle Rapaport avait alors 16 ans.

La mère protesta avec indignation et assigna son mari pour obtenir que sa fille fût réintégrée

dans son pensionnat. Malheureusement, dans son assignation, elle traita le Conservatoire de mauvais lieu. La nécessité de protester contre cette qualification, hasardée, s’imposait au tribunal. Les juges déclarèrent donc que le Conservatoire était quelque chose comme un temple de la morale, et que, par conséquent, il était très légitime que M. Rapaport y fit entrer sa fille.

Fort de ce jugement, il garda l’enfant avec lui et se mit à la promener partout, au théâtre, au bois, dans les fêtes interlopes et toujours dans des toilettes à sensation. La mère désespérée n’y pouvait rien : Le jugement était là.

L’enfant, cependant — car c’était une enfant encore — ne voulait pas être vendue, se défendait.

Il y a quelque temps, M. Rapaport, ne désespérant pas de vaincre enfin sa résistance, eut l’idée de l’installer somptueusement pour mieux la mettre à la mode. Il lui louait donc, à son nom, avenue d’Antin, 29, un appartement de 8,000 francs par an, et il le fit très richement meubler. Il devait s’y installer avec elle le 15 courant.

La jeune fille ne s’obstina que davantage dans ses résistances, que le misérable appelait « de l’ingratitude. »

Dimanche dernier, M. Rapaport adressait à son fils la lettre qu’on va lire. Dès ce moment, voyant s’écrouler ses rêves honteusement dorés, il avait résolu de tuer celle qui ne voulait pas l’enrichir.

Voici la lettre :

Dimanche, le 10 décembre 1882
Mon fils bien-aimé,

« Ta sœur ingrate m’a poussé à bout. Elle m’a insulté au dernier degré, — de tous les côtés je suis malheureux. Ta sœur est maudite par moi, — la mort est préférable, — je regrette de ne pas pouvoir te dire adieu. Je te souhaite tout le bonheur possible.

« Je t’embrassa pour la dernière fois.
« Ton père qui t’aime. »

Ajoutons que le pauvre enfant, à qui cette lettre était adressée, ne l’a pas reçue. Il ne sait encore rien de toute cette tragédie et il est à l’infirmerie de sa pension, assez gravement malade, par suite des émotions terribles que lui avait causées, lors de sa dernière sortie chez son père, une scène épouvantable entre celui-ci et sa sœur, scène qui faisait suite à cent autres du même genre. Le misérable trouvait ses projets si naturels qu’il ne les cachait même pas devant cet enfant.

Quelques journaux ont dit que Mlle Rapaport avait un amant et que cet amant, un riche Espagnol, était à peine parti depuis quelques minutes lorsqu’elle a été frappée.

C’est là une calomnie, et il résulte de l’examen médical que son père l’a poignardée pendant son sommeil.

Depuis quelques jours, elle était poursuivie par de sinistres appréhensions et s’enfermait à

double tour, mais son père, à son insu, s’était fait faire une double clef de la chambre.

Les autres journaux présentent le drame sous un aspect tout différent.

Rapaport, disent les Nouvelles de Paris à la date du 14 décembre, était originaire de la Pologne russe, Israélite de religion… En 1863, un ami commun l’avait présenté à une ravissante jeune fille, juive comme lui… apparentée à plusieurs musiciens… nature trop artiste et trop délicate pour ce demi-sauvage… il l’épousa pourtant et en eut deux enfants. Mais, un jour, sa femme, lasse de son prosaïsme, l’abandonna pour suivre un jeune homme… qu’elle quitta pour un autre… si bien qu’elle se trouve, aujourd’hui, l’amie intime d’un de nos confrères, et que, récemment à l’Odéon, elle a, bien malgré elle, du reste, joué un rôle dans la scène de violence qui interrompit la première du Mariage d’André.

L’opinion la plus répandue dans le quartier était que Rappaport avait été assassiné par un individu au type sémitique, qu’on avait vu s’enfuir précipitamment quelques moments après le crime, et que la jeune fille avait été frappée en essayant de défendre son père. Si, comme le prétend la Lanterne, elle eût été poignardée pendant son sommeil, on ne comprendrait pas qu’elle eût poussé, à la fenêtre, les cris qui, la Lanterne le reconnaît elle-même, ont donné l’éveil. D’ailleurs, au dire des voisins, Mlle Rappaport était habillée quand elle apparut une minute à la fenêtre, ce qui tendrait à démontrer qu’elle n’a pas été égorgée dans son lit. D’après la conviction générale, l’active intervention d’un magistrat juif aurait arrêté l’enquête au moment où elle allait aboutir. Ce qui est certain, c’est que l’autopsie vivement réclamée par tout le monde, ne fut pas faite ; un rabbin vint prendre le corps de Rappaport qui, victime ou coupable, s’en alla sans aucun cortège au cimetière israélite. Ce pendant de l’Affaire de la rue Morgue n’a pas encore trouvé d’Edgard Poë pour le raconter, ni de Dupin pour l’expliquer.

Imaginez un chrétien traînant après lui tous ces souvenirs, mêlé à tous ces drames, éclaboussé de tout ce sang, sa vie en sera toute assombrie ; il sera en proie à une insurmontable mélancolie, il s’efforcera de ne point se mettre en évidence. Le Juif est là-dedans comme un poisson dans l’eau, il frétille, il est heureux ; cette atmosphère de trouble perpétuel est son naturel élément ; il s’attaque de préférence aux institutions qui sembleraient devoir lui inspirer une crainte salutaire ; il appelle nos officiers « des cléricafards, des Pierrots d’église, des Polichinelles de sacristie[4]. »

En réalité, cet homme est très brave, ne vous y trompez pas, malgré son insurmontable aversion pour les jeux de l’épée. En un temps où l’on ne vit que par le cerveau, il a l’audace qu’il faut, la hardiesse du cerveau. Examinez bien ce petit youtre de Cologne. Il a tout contre lui, il porte un nom déshonoré, il n’a aucun talent littéraire ; il se retourne quand même sur le pavé de Paris, il trouve moyen, avec les fonds conquis comme vous savez, d’organiser une grosse affaire comme la Lanterne, de remuer l’opinion. Contemplez maintenant certains de nos catholiques : leur famille est en France depuis des siècles, ils possèdent deux cent mille livres de rente, ils n’ont ni galériens, ni pendus parmi les leurs et, même avec de la bonne volonté, ils sont impuissants, anéantis. « Certainement, il faudrait faire quelque chose, mais quoi ? Quelle époque que la nôtre, mon bon monsieur ! »

Comment voulez-vous qu’avec des gaillards de la trempe de Mayer, toujours en travail d’une affaire, d’une combinaison, d’un scandale pour agiter les autres, un pays reste à vivre la bonne existence d’autrefois ? Laissez-les libres encore Vingt ans et ils feront sauter Paris, la France, l’Europe.

Si encore on pouvait s’en tenir à ceux qui sont dans la maison ! Hélas ! ils sont plusieurs millions sur la terre qui arrivent successivement plus affamés, plus remuants, plus ardents que ceux qui sont déjà à moitié repus.

Pour bien voir où en est la démocratie française et même la démocratie cosmopolite, au point de vue de la dignité et du sens moral, pour lui prendre mesure, il convient également de regarder la place que tient Mayer dans le parti républicain. Les Lockroy, les Bradlaugh, les Aurelio Saffi choisissent la maison de cet homme pour y venir tenir des discours sur les vertus de la démocratie. Comme tu dois rire, mon vieux Lockroy, rire et aussi te mépriser, lorsque tu enfiles tes phrases dans un tel lieu ! Dire que le pauvre peuple croit tout cela !

Aux élections de 1885, c’est Mayer qui est le grand électeur de Paris. Cest la liste de la Lanterne qui triomphe. Au banquet donné par Mayer, pour célébrer cette victoire se pressent des députés : Lockroy, Bourneville, Delattre, Dreyfus, Farcy, Forest, Yves Guyot, de Heredia, Hude, Lafont, de Lanessan, Pichon, Roque de Filhol, Benjamin Raspail, députés de Paris ; Barbe, Colfavru, de Jouvencel, de Mortillet, Remoiville, Vergoin, députés de Seine-et-Oise ; Letellier, député d’Alger ; Brousse, député-des Pyrénées- Orientales ; Jullien, député de Loir-et-Cher.

Savez-vous comment Lockroy appelle cet homme convaincu de chantage en pleine Chambre ? L’éminent directeur de la Lanterne, mon confrère et ami[5].

Voilà le niveau moral du premier Élu de Paris et il est nécessaire que tout cela soit relevé pour qu’on s’explique plus tard comment la France a roulé si rapidement dans la fange[6].

Tous en sont là. Vous connaissez Anatole de la Forge. C’est « un galant homme. » Toutes les gazettes le disent et Ignotus le répète[7]. Qu’est-ce qu’un galant homme à notre époque ? Il y a ainsi, à cette fin de siècle, des mots errants, des mots fanthômes, flottant dans l’air sans se fixer nulle part, pareils à ces posthumes dont parlent les Anglais, formes vagues d’une organisation disparue, calques gazeiformes d’êtres qui ont vécu.

Suffit-il, pour être un galant homme, de faire partie de toutes les sociétés d’escrime, comme Anatole de la Forge, d’être fort aux armes et de pouvoir, selon l’expression de Dumas père, prendre un contre de quarte assez fin pour passer dans l’anneau d’une jeune fille ? Assurément non. Cette expression semble impliquer une délicatesse particulière de conscience, un raffinement dans les sentiments, une sorte de superflu dans l’honneur. N’est-ce point se moquer du monde que de se laisser décerner, en toute occasion, ce titre de «  galant homme » et d’appeler publiquement mon vieil ami, un maître chanteur[8] ? N’est-il point honteux quand on se fait nommer, pour peu de temps il est vrai, président de la Ligue des Patriotes, de féliciter un Juif de Cologne qui verse chaque jour sur des officiers français les ignobles injures dont j’ai donné un échantillon ?

Nous sommes loin de ce Tugenbund (Association de la vertu), où les Stein, les Scharnhorst, les Blucher, les Arndt, les jeunes poètes et les vieux généraux se préparaient à délivrer l’Allemagne du joug de Napoléon.

On ne peut faire un pas, dans cette société vermoulue, sans que des impostures et des mensonges ne se mettent à courir sous vos pieds comme ces rats qui détalent devant vous quand vous vous promenez dans le magasin de décors de quelque vieux théâtre. Tout est faux. Vous croyez avoir devant vous un temple, un palais, une chaumière, c’est un châssis peint avec un balai. Vous croyez être en présence d’un homme représentant une idée, ayant réellement le caractère qu’on lui attribue, scrutez non point seulement la vie privée, mais les actes publics et vous découvrez que ce n’est qu’un bouffon qui joue un rôle, qui n’a qu’un désir, être réélu député et qui se déshonorera mille fois pour arriver à ce résultat.

Le plus étonnant, cependant, de tous les journalistes chanteurs, c’est Simia. Simia, à parler net, est un phénomène spécial à l’époque. Nul siècle n’a produit de type de basse corruption comparable à celui-là, nul siècle n’en produira jamais. Le Juif moderne s’incarne tout entier dans cet être hybride et singulier.

Un jour la reine de Roumanie demanda à Blowitz, qui avait été inaugurer le train éclair, à quel pays il appartenait. « Mon dieu, Majesté, répondit le Juif, je n’en sais rien, je suis né en Bohême et je vis en France où j’écris en Anglais » (il aurait pu ajouter pour l’agrément de la Prusse). Comme cosmopolite, Wolff est plus complet encore ; il n’a pas de patrie, il n’a pas de religion, il n’a pas même de sexe. Ce neutre, encore une fois, est un produit unique qui ne rentre dans aucune classification existante.

Bastien-Lepage a peint ce mélange de batracien et d’antropopithèque et le portrait a paru ressemblant. Chacun, en effet, a entrevu, un jour ou l’autre sur le boulevard, cette créature bizarre qui fait songer à ces grosses personnes que l’on aperçait dans certaines maisons avec des bonnets à fleurs sur des têtes difformes, des seins ballants dans des camisoles sales et une solennité véritablement comique dans l’accomplissement de leur mission. De ces matrones étranges, Simia a le sourire engageant et sinistre, il a d’elles aussi la façon prudhommesque de parler de la bonne tenue de la maison des lettres en discutant les questions malpropres qui l’attirent de préférence.

Il nous faut faire avec la plume ce que Bastien-Lepage a fait avec le pinceau. Cet ouvrage, effectivement, ne serait pas complet si Wolff n’y figurait pas. Nous avons pour guide, d’ailleurs, une des productions les plus caractéristiques de ce temps, le monument élevé par un jeune Juif littéraire à ce Juif arrivé : Albert Wolff, histoire d’un hroniqueur parisien, par Gustave Toudouze.

Comme beaucoup de ses congénères de la presse, Wolff vit le jour à Cologne et ce n’est qu’en 1857 que ce uhlan du journalisme daigna venir manger notre pain en préparant notre invasion. Kugelmann le fit entrer au Figaro, il y brilla rapidement. Ce qu’on appelle « l’esprit parisien, » je l’ai expliqué déjà, est une chose artificiellement créée par les Juifs et il est naturel que ceux qui forgent cet argot soient ceux qui le parlent le mieux.

En ce temps-là Wolff n’était pas cher. Pour cinq louis prètés, il vous accablait de mille compliments il est vrai que lorsqu’il s’agissait de rendre il vous couvrait d’invectives.

Un pauvre homme nommé Guinon, qui manquait de philosophie devant les injures, porta son cas devant les tribunaux. Gambetta, qui plaidait pour son coreligionnaire, attesta les dieux tout-puissants que jamais on n’avait compris si bien que Wolff la dignité de la presse.

Les juges qui, en ces jours arriérés, avaient encore des préjugés, ne furent pas de cet avis et le vendredi 29 décembre 1865, le tribunal de police correctionnelle rendit cet arrêt qui est un des beaux fleurons de cette existence que Wolff appelle volontiers : « toute une vie d’honneur et de probité. »

Attendu que le journal le Figaro a publié, dans son numéro du jeudi 22 novembre dernier, un article ayant pour titre : à travers Paris, commençant par ces mots : « Le monde des lettres » finissant par ceux-ci : « m’a remis trente-cinq fauteuils d’orchestre, » signé Albert Wolff ;

Attendu que les six premiers paragraphes de l’article en question renferment les expressions les plus injurieuses et les imputations les plus diffamatoires contre le plaignant ; qu’il y est traité notamment de drôle, de misérable, d’homme d’affaires véreuses, d’escroc de vaudeville, joignant à la rouerie de l’usurier la bassese du laquais, portant sur son visage les traces de toutes ces bontés, se livrant le soir, après avoir récolté sur son chemin le dégoût qu’il inspire, à l’étude du code pénal pour savoir au juste ce qu’il peut faire sans tomber dans les filets de la police ; n’ayant d’amis que deux ou trois recors qui consentent quelquefois à s’asseoir à sa table, mais qui se disent en sortant : « Peut-on s’encanailler comme nous venons de le faire ? » qu’il y est signalé, en outre, comme faisant le métier d’acheter des créances sur de malheureux écrivains, d’acquérir a vil prix les vaudevilles des jeunes gens mourant de faim, osant cependant venir s’asseoir au milieu des écrivains qu’il dépouille ;

Attendu enfin que le fait reconnu constant à la charge de Wolff est d’autant plus inexcusable que, quelques semaines avant, le 2 novembre, il était en relations presque amicales avec Guinon qu’il traitait de cher monsieur dans plusieurs lettres terminées par ces mot » : « Compliments ou mille compliments, » lettres dans lesquelles il sollicitait un nouveau délai pour l’acquit d’une dette de cent francs, dont le recouvrement était confié à Guinon, engageant sa parole qu’avant le vingt-deux octobre tout serait réglé et qu’il est évident que Wolff, en écrivant et faisant publier l’article sus-analysé, a cédé à un sentiment de vengeance personnelle suscité par la saisie-arrêt formée sur lui, le vingt-cinq octobre, à la caisse des auteurs dramatiques et à la caisse du journal le Figaro ;

Condamne Wolff à six jours de prison et Wolff et Jouvin[9] solidairement à trois cents francs d’amende.

Pour moi, je trouve très précieux, pour l’étude de la vie française moderne, ces détails qui nous montrent bien l’évolution du personnage étranger chez nous.

Allez en Allemagne, essayez d’y emprunter cent francs et d’y trouver du travail et vous m’en direz des nouvelles. J’ai dépensé, comme tout voyageur, mes cinquante francs par jour à Cologne sans que les gens se soient départis d’une froide politesse. En Angleterre on ferme les portes cochères quand il pleut pour empêcher les passants de s’y abriter. Le Juif de Cologue trouve ici toutes les facilités pour vivre et son premier soin est d’insulter le natif, de lui prodiguer des èpithètes désagréables et des noms de ménagerie[10].

S’avise-t-on de faire à cet insulteur ce qu’il a fait aux autres, il lève les bras au ciel et déclare que ceux qui osent s’attaquer à lui sont des infâmes et des calomniateurs.

Vous avez entendu parler de M. Marchal de Bussy et ces malheureuses têtes de Français sont si incapables d’avoir une idée personnelle, elles acceptent si facilement les jugements tout faits de la presse juive, que vous regardez peut-être cet homme comme un scélérat. En réalité, il n’y a pas un mot de vrai dans tout ce qu’on a écrit sur cette affaire de l’Inflexible.

Le présent livre est plein de promesses, de projets, j’y dis à chaque instant : « Plus tard, je ferais ceci, je ferais cela, » en ajoutant mentalement, ce qu’ajoutait toujours Victor Hugo quand il parlait de l’avenir : Deo volenle. Au risque de me répéter, il me faut écrire encore : « Plus tard, j’écrirai une brochure sur Marchal de Bussy. ». À coup sûr elle sera émouvante et piquante, elle fera pleurer, si le talent ne me manque pas, tous ceux qui ont une âme.

On a remis sur le tapis, à propos du prince de Polignac, la question des bâtards. Chez quel homme la fatalité de la bâtardise apparaît-elle plus tragique que chez ce fils de Philippe Dupin ? Quand il vint au monde, Dupuytren, l’ami de la famille, tira par morceaux la cervelle du pauvre enfant et, toute sa vie, il resta déséquilibré, incomplet. Une fée hostile semblait l’avoir maléficié dès sa naissance et avec les dons les plus rares, un esprit étourdissant, une distinction exquise quand il voulait, un cœur généreux, il finit misérablement une existence qui fut presque continuellement troublée.

Sans doute, dans cette existence agitée, il y eut des défaillances, quelque supérieur que Bussy ait été en tout à Albert Wolff, mais le grand malheur de l’infortuné est d’avoir appartenu de loin au parti conservateur, d’avoir écrit des livres contre les Juifs, une Vie de Judas notamment, qui a quelques pages très vibrantes, d’avoir pris la défense de l’Église. Pareils à ces soldats qui vont ramasser sous les balles le corps de leurs camarades, les révolutionnaires défendent le cadavre des leurs, quels qu’ils soient. Les conservateurs ne se contentent pas de ne pas défendre, ils piétinent et ils crachent sur ceux qui sont tombés.

On ne peut se figurer ce qu’est, dans de telles conditions, la lutte d’un homme isolé contre toute une nation. Voyez l’Anti-sémitique. La librairie Hachette, qui a le monopole des gares, refuse de se charger de ses numéros ; la poste égare ses exemplaires ; il loue un bureau à Paris, 7 rue de Provence, un Juif allemand, gros locataire, lui fait donner congé ; il dépose ses collections chez un marchand, on fait vendre le marchand par autorité de justice et, au méprit de tout droit, on comprend, dans la vente, des collections du journal qui sont là simplement en dépôt.

A un moment donné, le malheureux ainsi traqué ne sait plus distinguer ses amis de ses ennemis ; il insulte les uns, il se confie dans les autres. Alors la maladie qu’on appelle le délire de la persécution se greffe tout naturellement sur la notion très lucide, très exacte, très raisonnable de persécution très réellement subie. Le médecin juif et franc-maçon, qui se trouve à point, embrouille tout et diffame le moribond en prétendant qu’il avait perdu la raison parce qu’il buvait.

Parfois même, sans que le Juif s’en mêle, un sensibilisé, frêre de celui que vous avez rencontré tout à l’heure, agit seul.

— Ah ! quel bandit que ce Marchal ! Quand on pense quel homme il a eu l’audace d’injurier !

— Cet homme était un faible, sans doute, un pacifique, il avait respecté tout le monde ; mal organisé pour la lutte, il n’était pas de taille à se défendre.

— Oui, monsieur, c’est bien cela.

— Et quel est le nom de cette gémissante tourterelle sans force contre les serres d’un vautour affreux ?

— M. Henri Rochefort !

Chez les deux sensibilisés, l’imbécillité est une infirmité physiologique ; ils éprouvent, dans l’appareil émotionnel, le trouble que d’autres éprouvent dans l’appareil locomoteur.

Le premier, au lieu de s’attendrir sur les Français ruinés à la Bourse par les Rothschild, parle, au contraire, avec une admiration grotesque, des possesseurs de cette immense fortune. Le second, au lieu de plaindre l’écrivain, qui a entamé une lutte inégale contre un adversaire mille fois mieux armé que lui, s’indigne même qu’on ait osé s’attaquer au terrible pamphlétaire, qui a passé sa vie à attaquer les autres, qui a renversé, par le sarcasme, un Empereur et un Dictateur.

Tous deux sont des dépravés du sentiment, accentuant encore la note dominante de l’époque : un aplatissement de laquais devant tout ce qui a l’apparence de la force. Encore aujourd’hui, de tout jeunets, qui ne connaissent pas un mot de la question, viennent salement insulter un pauvre homme de lettres mort à l’hôpital, après avoir écrit cent volumes dont quelques-uns ne sont pas sans valeur. Le Clairon, où trônait Armand Yvel, cachant là, pour l’édification de la clientèle catholique, le nom trop significatif d’Armand Levy, vomissait sur ce mort, quelque temps avant de disparaître, lui-même ; Que le Clairon, qui tenait de près au boulevard n’osât point louer Marchal, cela se comprend ; mais pourquoi ne pas garder le silence ? Quel mal, je vous prie, a fait à la cause que défend Cornély l’homme qui a écrit : Pourquoi j’ai été républicain, et pourquoi je ne le suis plus, les Régicides, Marie-Magdeleine ?

Quelles âmes ont été corrompues en lisant les Philosophes au pilori ; les Courtisanes devenues saintes, l’Hitoire de Sa Sainteté Pie IX, Sauvons le Pape !

Peu à peu une légende se forme sous l’influence des Juifs qui jouent le rôle des scribes dans certaines sociétés primitives, qui seuls écrivent l’histoire et qui l’écrivent à leur façon. La mort de M. Marchal de Bussy, en avril 1870, n’empêcha pas un journal de le faire figurer dans le massacre des otages de la Roquette.

Quoique toute la presse, comme on devait s’y attendre, eût pris le parti du Juif allemand contre le Français, la campagne de l’Inflexible ne fut pas belle pour Wolff. Le Tribunal, étant donnée la législation sur la diffamation ne put se montrer insensible à ses plaintes, mais quand il connut quelque particularité édifiante des habitudes de cet homme de lettres singulier, il lui alloua uniquement ce qu’il n’était pas possible de lui refuser : Vingt sous. C’était beaucoup ; et même aujourd’hui, quoique le prix de toute chose ait augmenté, je ne vois guère de tribuual, fût-il composé exclusivement de Juifs et de Francs-Maçons, qui se hasardât à estimer l’honneur de Wolff au delà d’un petit écu.

Menacé d’expulsion à la suite de tant de scandales, Wolff avait répondu fièrement ; « Si l’on s’avisait de me toucher, je reviendrais à la tête de trois cent mille hommes. » Les trois cent mille hommes vinrent et quelques autres aussi avec, mais Wolff, qui a toujours professé la sainte horreur des combats, n’était pas avec eux. — Il apparut quand tout fut fini. C’est dans le panégyrique de Toudouze qu’il faut lire le récit de ce retour. Tout est joli là-dedans. Il y a l’épisode Bourgoing qui est une perle. Pendant la guerre, Wolff était à Vienne où M. Bontoux, l’ennemi des Juifs, comme on sait, lui remit obligeamment, pour écrire un volume sur le Tyrol, dix mille francs qu’il aurait certainement refusés à un chrétien. Si vous aviez fait partie de l’ambassade de France, vous vous seriez dit évidemment : « Voilà un Prussien auquel j’éviterai de confier les affaires de mon pays. » Wolff lui-même semble l’avoir compris ainsi.

Il allait donc par la ville, raconte le biographe, fuyant les Français, presque honteux, lorsqu’il se rencontra inopinément avec M. de Bourgoing, premier secrétaire de l’ambassade de France. Celui-ci vint aussitôt au journaliste et lui demanda pourquoi, puisqu’il se trouvait à Vienne, il ne venait pas comme l’année précédente, rendre visite à ses amis de l’ambassade.

Le chroniqueur, très ému répondit que, dans les circonstances cruelles, craignant une réception pénible, il n’avait pas osé.

Venez donc, répliqua gracieusement M. de Bourgoing, vous êtes un ami pour nous et nos sentiments à votre égard ne sont changés en rien.

Le rédacteur du Figaro se rendit alors à l’ambassade où il fut accueilli à bras ouverts et où il put désormais venir chaque jour se renseigner sur la marche de la guerre.

Après le spectacle de ce secrétaire d’ambassade allant lui-même chercher un Juif prussien qui ne lui demande rien, pour lui raconter nos affaires, il semblerait qu’il faille tirer l’échelle, gardons-nous en bien. C’est le retour à Paris qui est curieux à voir.

Il est incontestable que les Prussiens avaient un service d’espionnage admirablement organisé, presque aussi bien organisé que celui qui fonctionnait sous Napoléon Ier, du temps où il y avait encore une France. Les hommes, qui les avaient ainsi renseignés, devaient avoir été intimement mêlés à la vie française, avoir eu accès partout. Il paraissait donc tout naturel de faire aux vrais Prussiens, aux Prussiens avérés, à ceux qui nous avaient combattus franchement, l’accueil chevaleresque et galant que nous avaient fait les Russes après l’Alma, les Autrichiens après Solférino, et en même temps de nous défier de ceux qui nous avaient témoigné une amitié équivoque.

Les Français de la décadence firent tout le contraire. Il furent mal élevés, grogions, pleins d’une mauvaise humeur d’un goût déplorable devant les Allemands qui les avaient vaincus comme eux-mêmes avaient jadis vaincu l’Europe ; ils se roulèrent aux pieds de ceux qui les avaient trahis.

Le bon Schnerb, en sa qualité de Juif, fut le premier, nous apprend toujours M. Toudouze, à déclarer que Wolff était le modèle des patriotes ; tous suivirent cet exemple. L’entrevue de Gondinet et de Wolff est une scène de mœurs boulevardières qui indique bien le niveau de l’intelligence actuelle. Wolff, ici encore, semble avoir eu plus de délicatesse que les Français ; la première fois qu’il vint dîner chez Bréban il n’osa pas se montrer. Il était là, dînant solitaire, en cachette, dans son cabinet, lorsqu’on frappa à la porte. « Le garçon venait l’informer qu’un passant, qu’il ne connaissait pas, ayant appris que M. Albert Wolff était de retour et dînait là, demandait à le voir.

« La porte s’ouvrit, et, les bras tendus, les yeux humides, le nouveau venu s’avança vers Wolff « Gondinet : »

N’est-ce pas complet cet agenouillement devant Wolff, dans l’espoir encore lointain d’une réclame, d’un homme qui, après Dumas et Sardou, est à l’heure présente un des triomphants de la scène française ?

J’ai tort de noircir tant de pages pour écrire l’histoire psychologique de mon temps, cette histoire pourrait s’écrire en cinq mots : Ce siècle est effroyablement lâche.

C’est à un mensonge perpétuel que l’on a recours pour dissimuler cette universelle lâcheté. Il n’est pas un mot de ce qu’on écrit qui ne soit une offense a la vérité. Parmi ces écrivains, qui parlent à chaque instant de patriotisme, pas un seul n’a eu l’idée de faire ce que j’ai fait, d’aller au Ministère de la Justice s’assurer si ce Prussien, qu’ils recevaient au milieu d’eux, devant lequel ils s’entretenaient ouvertement de toute chose, avait tenu sa parole, s’il s’était fait naturaliser vaincu.

Or jamais Wolff n’a été naturalisé français ; jamais il n’a demandé à l’être. Par un décret du 7 mai 1872, « le sieur Wolff (Abraham, dit Albert) a été autorisé à établir son domicile en France. « Cette autorisation le place, il est vrai, sous un régime de tolérance ; il peut faire des actes civils, c’est-à-dire des commerces d’épicerie ou de belles lettres sans être exposé à être expulsé, mais, je le répète, jamais il n’a été naturalisé français, — ce qui lui permet d’avoir un pied en France et l’autre en Prusse.

Et c’est ce Prussien qui traite de haut nos gentilshommes lorsqu’il se produit un scandale, qui parle au nom de l’art national, qui morigène des maîtres qui par peur du Figaro, n’osent pas remettre cet homme à sa place !

Grâce au Figaro, Wolff exerce dans le monde artistique la terreur qu’Eugène Mayer exerce dans le monde politique. L’invraisemblable Turquet cite ce Prussien comme une autorité dans un discours solennel. J’ai vu des peintres, des artistes vaillants dont les jambes tremblaient littéralement sous eux lorsque ce hideux fantoche passait devant leurs tableaux dans les jours qui précèdent l’ouverture du Salon.

Les écrivains, qui ont accueilli parmi eux, au Figaro, ce maitre chanteur, sont-ils donc semblables à lui ? Sont-ils donc capables de couvrir d’invectives dans leurs articles un homme coupable seulement de leur réclamer cent francs ? Assurément non. Francis Magnard est un sceptique mais un fin lettré, très serviable. Saint-Genest a été un brave soldat avant d’être un journaliste qui a le courage plus rare qu’on ne croit de répéter cent fois la même chose pour essayer de la graver dans l’esprit frivole de ses lecteurs. Saint-Albin est un gentleman accompli qui n’a qu’une faiblesse, c’est de ne pas vouloir qu’on parle de choses sérieuses dans le Sport : « cela attristerait nos abonnés, » dit-il. Le baron de Platel, Léon Lavedan, Racot, sont des hommes d’une respectabilité parfaite ; ils subissent Wolff parce que ce misérable leur est imposé par les Juifs.

Si un malheureux chrétien avait fait le quart de ce qu’a fait ce Juif, les chrétiens n’auraient pas assez d’anathèmes contre lui ; les Juifs, au contraire, soutiennent et défendent leur coreligionnaire.

Pour Israël la littérature de Wolff est un dissolvant précieux.

Il y a des trésors dans cette littérature. Sur un fond resté tudesque et badaud éclatent des fusées d’orgueil juif naïf dans son cynisme. Quelle vision que Wolff, remplaçant à lui seul l’ancien tribunal des Maréchaux, juges d’honneur en matière délicate ! Les grands cercles l’ont consulté sur le cas de M. de la Panouze, l’époux infortuné de la Juive Heilbronn, et il pèse longuement son verdict. « Il y a forfaiture ? oui et non. Jeune homme, réhabilitez-vous en allant vendre des diamants au Cap avec votre estimable beau-père ! »

Tout ce qu’un homme de bonne compagnie évite ordinairement de toucher est prétexte à Wolff pour se répandre longuement. On n’a pas encore cloué le cercueil de Gabrielle Gautier, qu’il raconte à fond ce faux ménage, qu’il nous dit grossièrement ce que personne ne lui demandait et qu’il nous apprend que cette morte était la maîtresse d’un Juif moitié coulissier, moitié auteur dramatique du nom d’Ernest Blum. Ce Blum, qui profite de l’occasion pour se faire faire une annonce sur le cadavre de sa compagne, s’élève avec indignation, dans le Rappel, contre les faiblesses d’un Henri IV ou d’un Louis XIV. Mais c’est Sarah Bernhardt qui inspire Wolff le plus heureusement. Le chroniqueur du Figaro bénit l’enfant, il bénit l’époux, il bénit la mère, il la compare « à un ange qui a étendu ses ailes sur l’art, » et il ne nous épargne rien sur l’intérieur du ménage Damala. Il ouvre la table de nuit, il étale les draps à la fenêtre avec le clignement d’œil navrant et lubrique à la fois, que Gérôme a prêté à un de ses personnages. Quand on lit cela à l’étranger, en trois colonnes de première page, au milieu de peuples qui déjà se partagent nos dépouilles, la nausée vous monte aux lèvres. Comment des hommes, comme ceux dont nous parlons plus haut, ne protestent-ils pas contre ces saletés ? Comment ne songent-ils pas que leur journal est presque le seul qu’on consulte au dehors et qu’un peu de toute cette honte retombe sur eux-mêmes ?

Ils sont, d’ailleurs, cinq ou six à Paris, cinq ou six puffistes, toujours les mêmes, qui constituent de véritables plaies d’Egypte. Ils enlèvent même sa poésie à l’universelle tristesse, qui est partout à l’heure actuelle, ils empêchent ce monde, qui se sent disparaître, de rentrer en lui-même pour finir décemment. Ils sont toujours en mouvement incessamment sur l’affiche, occupant continuellement Paris de leur bruyante et vaine personnalité ; ils s’attirent entre eux et se servent mutuellement d’échos.

Sarah Bernhardt ne peut faire un pas sans que Wolff embouche la trompette ; Arthur Meyer s’en mèle immédiatement ; Marie Colombier intervient et c’est un vacarme à ne plus s’entendre. Quand on se croit tranquille, Deroulède se montre et, peu après, Mme Adam met la ville sens dessus dessous pour organiser quelque fête.

La névrose juive, évidemment, a sa grande part dans cette trépidation, il n’est pas naturel, en effet, qu’on ne puisse rester en repos et y laisser les autres. Pour ces passionnés de publicité, le sommeil même semble ne pas exister, ils se croient morts quand ils n’entendent plus de bruit autour d’eux.

Sur ces états d’esprit particuliers, qui révèlent un trouble incontestable dans le système nerveux, on consultera utilement Legrand du Saulle qui, dans son livre l’Hystérie, a bien vu et bien décrit le côté maladif de ces manifestations. Le savant médecin explique fort clairement comment les vertus mêmes sont devenues, pour ces êtres de théâtre, une occasion de paraître, d’être en scène. La bienfaisance n’est plus ce mouvement du cœur qui nous pousse à prendre sur notre superflu, parfois sur notre nécessaire, pour déposer discrètement une offrande dans la main de celui qui souffre ; c’est un acte charlatanesque qu’on accomplit à grand orchestre, en appelant la foule à coups de grosse caisse pour quelle vienne vous regarder, c’est le triomphe de cette ostentation que Bossuet appelle « la peste des bonnes œuvres. »

Parmi celles qui poussent loin cette monomanie de publicité, Mme Adam vient immédiatement après Sarah Bermhardt. Je sais les ménagements qu’on doit au sexe et je n’aurais, garde d’y manquer. Il me parait nécessaire, cependant, de faire figurer dans ce livre cette individualité curieuse sans être bien originale au fond, qui a tenu une certaine place dans ces dernières années.

Est-elle Juive ? Je n’en sais rien. Le nom de famille n’est point ici une indication bien précise. Lambert, le mari d’une Rothschild, est Juif, le général Lambert également, mais il y a les Lambert qui ne sont pas Juifs. Edmond Adam, en tout cas, était un des échantillons réussis du Juif homme politique et financier, du Juif juivant de Juiverie, émancipateur de peuple et gagneur de millions. Quand elle en parlait dans les feuilles juives, Mme Adam appelait volontiers son mari « le chevaleresque Edmond Adam, » En quoi était-il chevaleresque ? C’est encore un de ces problèmes que nous ne nous chargerons pas de résoudre.

Dans nos vieux chroniqueurs, comme dans Homère du reste, certaines épithètes une fois accolées à un nom ne la quittent plus ; elles servent à faire reconnaîttre et à peindre un personnage. Pour Villehardoin, Conte de Béthune est toujours Conon mult bien emparlez, Dandolo, le doge aveugle, est toujours le viel homme qui gotte ne veoit. Il en est ainsi dans certains milieux parisiens. De même qu’Anatole de la Forge est toujours « un galant homme, » même lorsqu’il approuve qu’on vole le pain d’un pauvre prêtre de 80 ans, Déroulède, est toujours « le patriotique Déroulède, » Delpit « notre sympathique confrère. » Adam était « le chevaleresque Adam. »

Mêlé aux affaires du Comptoir d’escompte, cet homme chevaleresque ne prouva guère sa chevalerie qu’en acquérant une fortune énorme, grâce à l’expédition du Mexique. Comment un républicain aussi pur pouvait-il tremper dans ce qu’on nommait « les hontes impériales ? » Il faudrait ne pas connaître le parti pour songer à s’en étonner. C’est pour engraisser les Juifs que nos soldats succombent sous la République, à la fièvre typhoïde en Tunisie ou au choléra au Tonkin ; sous l’Empire, ils succombaient au vomito negro au Mexique — voilà toute la différence. La masse est dressée a cela d’ailleurs. Un homme d’abnégation, un sauveteur, un serviteur dévoué des déshérités se serait présenté aux élections contre Edmond Adam, que les ouvriers n’en auraient pas voulu. Le peuple est toujours dupe du Juif démocrate qui le trompe par de belles paroles et qui s’enrichit à ses dépens ; il l’aime, c’est sa folie, la France en meurt, c’est notre malheur.

Adam entré dans le scheol, sa veuve, qui avait mis une espèce d’auréole autour de cette nullité futée seulement pour ses intérêts, songea à s’auréoler elle-même. Robert de Bonnières nous l’a montrée faisant des incantations à Gambetta et lui annonçant que tous les trèfles étaient sortis, ce qui est, comme on sait, signe d’argent. C’est par là qu’elle prit tous ces athées, superstitieux au fond comme des Cafres ; elle fut comme une sorte de Cailhava plus jeune et se posa dans le parti en disant la bonne aventure à des gens qui n’avaient pas de destinée.

Elle était vraiment belle alors, elle avait une manière de salon, ce qui ravissait tous ces bohèmes qui n’avaient jamais été qu’à l’estaminet. Elle apparaissait à toute cette Juiverie triomphante, avec des airs de reine de Saba. Si elle n’avait pas, comme la charmeresse de Flaubert « une robe de brocard divisée régulièrement par des falbalas de perles, de jais et de saphirs, rehaussée d’applications de couleur qui représentaient les douze signes du Zodiaque, » elle portait fort bien la toilette. Un moment, elle espéra épouser Salomon alors dans toute sa gloire ; mais Gambelta ne témoigna qu’un médiocre empressement et elle ne voulut pas, et elle eut raison, de ce gros Jéroboam de Spuller.

Cet heureux temps semble passé. Quand l’opportunisme fut en baisse, Mme Adam essaya en vain d’aller donner des représentations à l’étranger. Ce puffisme parisien, ces allures garçonnières ne sont pas des objets d’exportation. En Russie, le czar et la czarine refusèrent, avec une énergie qui se comprend, de recevoir la veuve du Juif révolutionnaire, qui avait contribué à jeter sa patrie d’adoption dans le désordre et l’anarchie. Lors de son voyage à Vienne, au mois de mars 1884, Mme Adam trouva toutes les portes fermées ; de toute l’aristocratie autrichienne, qu’elle s’imaginait, sans doute, toute prête à lui ouvrir ses bras, elle ne put voir que les Rothschild chez lesquels elle dîna. L’ambassade de France, qui s’était ouverte toute grande à Wolff, en 1870, fut hospitalière à la voyageuse. Mme Adam s’assit à la table de Foucher de Careil, « seul candidat décoré de la main de l’Empereur » qui, avant la guerre, allait de journaux en journaux nous apporter des petites réclames sur ses conférences au boulevard des Capucines. Ce souvenir m’est resté, car à la Liberté, c’était à moi, en qualité de nouveau, qu’était réservée la corvée de recevoir ce fâcheux périodique, qui revenait avec la régularité d’une épidémie, et que les garçons connaissaient à son pas.

L’accueil sembla mince à la directrice de la Nouvelle Revue et le Gaulois d’Arthur Meyer s’en montra justement froissé ; il aurait souhaité : « des banquets de trois cents couverts, des promenades aux flambeaux parcourant les rues illuminées, des populations défilant bannières en tète, des ovations enthousiastes. » Que voulez-vous ! Bismarck et Mme Adam sont au plus mal, nul ne l’ignore, et l’Allemagne avait menacé d’envoyer trois cent mille hommes à la frontière si Vienne s’abandonnait à des démonstrations trop vives. L’Autriche a obéi « au mot d’ordre de Berlin. » Elle a organisé autour de Mme Adam — l’ennemie de Bismarck — la conspiration du silence. On s’est bien gardé de parler de l’auteur de Grecque et de Païenne de peur de mécontenter le vindicatif Chancelier[11].

On n’invente pas ces choses-là, mais il est permis de les cueillir comme des fruits savoureux poussés dans les serres chaudes de la réclame, de les enchâsser comme des perles qui rappelleront à nos neveux à quel point on a pu se moquer de nous.

Devant l’indifférence des peuples et des cabinets, Mme Adam se replia sur elle-même. Le bas bleu prévalut sur la reine, or le bas bleu chez Mme Adam n’a jamais été qu’en coton. Ce n’est ni Corinne, ni Sapho, ni Lélia, ce n’est pas même Olympe Audouard. Cette Muse, en réalité, est bien départementale ; il y a chez la Turcarette, qu’a peinte Barbey d’Aurevilly, comme un souvenir de l’Hermance Lesguillon, la femme de lettres de 1830 portant des soques et un parapluie pour en frapper les barbares qui demeureraient froids devant sa prose.

Après avoir rêvé de gouverner l’Europe, la directrice d’une Revue, qu’on lit le moins qu’on peut, en est réduite à essayer l’effet de ses manuscrits sur un petit cercle d’invités, faux romanciers, faux poètes, faux savants, que les satisfactions de l’estomac ont préparés aux indulgences de l’esprit ; elle a, pour eux, maison de ville pour l’hiver et maison des champs pour l’été. Blanche de Castille a fondé l’abbaye des Vaux-de-Cernay pour que Mme Nathaniel de Rothschild pût l’acheter avec notre argent et y vivre commodément. J’ignore quelle autre souveraine a bâti l’abbaye de Gif, où Mme Adam, en joyeuse boulangère, fait danser les écus de l’Emprunt mexicain. Ce qui est certain, c’est qu’on y est fort bien. On prend les invités à domicile, on les transporte en mail-coach, on les abreuve et on les nourrit ; le soir on les ramène après avoir enregistré leurs noms au complet, afin de les faire figurer dans les journaux du lendemain. La chronique dit même qu’au départ on remet, à ceux que Païenne a émus, la pièce ronde pour aller chez Mélissandre.

Quelle sera la fin ? j’avoue qu’elle m’inquiète un peu. Il y a comme une marque, non point tragique, mais malheureuse, sur cette femme envers laquelle la Fortune semble avoir épuisé ses sourires et je n’ai pu à maintes reprises me défendre de cette impression pénible. Peut-être verrons-nous Mme Adam, à quelque cinquième étage de la rue Coquenard, faisant encore le grand jeu et proposant à l’Abeille de Lonjumeau quelque roman dont le journal ne voudra pas…

On comprend devant ces spectacles la mélancolique parole de de Leuven.

— C’est bien ennuyeux de mourir, disait-il, mais je m’en console presque, en pensant que je n’entendrai plus parler ni de Sarah Benrhardt, ni du grand Français !

Comment se fait-il que M. de Lesseps ne comprenne pas qu’il déshonore une vie qui a été licite et laborieuse, somme toute, par ce saltimbanquisme effréné ? Pourquoi méler ses enfants à toutes ces réclames financières, exhiber sans cesse ces pauvres petits, comme dans le tableau de Pelez, faire décrire sa nursery à chaque instant ?

Quel accueil ferait le corps des ingénieurs à quelqu’un qui lui apporterait un volume de vers ? A quel titre M. de Lesseps se présente-t-il à l’Académie française, par l’unique motif qu’il a creusé un canal ?

A. l’âge de M. de Lesseps tout est excusable ; mais que penser de M. Pailleron qui paye sa bienvenue à l’Académie en l’avilissant ? Il y avait quelque chose qui imposait quand même l’estime dans ce petit coin de France, réservé aux lettres, où la politique pénétrait parfois, mais où la question d’argent était inconnue, où les bonnes actions étaient celles seulement qu’on signalait pour le prix de vertu. Sous prétexte que ses Panamas monteraient quand on verrait sur les annonces d’émission : M. de Lesseps, « membre de l’Académie française, » M. Pailleron n’a pas eu de repos qu’il n’ait mêlé aux opérations de Bourse une noble institution du passé. Voilà M. de Lesseps admis, demain ce sera M. de Soubeyran ou M. Lebaudy ; une valeur dégringolera ou montera selon que le directeur de l’entreprise sera reçu ou repoussé au palais Mazarin. Quand on sera embarrassé dans la discussion du fameux dictionnaire, on priera Pingard de se transporter à Mazas pour y prendre l’avis de quelque membre en villégiature dans cette prison pour distribution de dividendes fictifs.

Quel rôle magnifique eût pu jouer cependant l’Académie : représenter dans ce naufrage général le respect de tout ce qui avait constitué la vieille France, encourager de son approbation, grandir de son suffrage ceux qui étaient restés fidèles à un généreux idéal, et, pour tout dire d’un mot, être Française !

Elle est jolie la Française ! Elle va prendre par la main le complice d’Offenbach, le Juif qui, après avoir obéi à sa race en travestissant, aux éclats de rire de la foule, les pures créations du génie aryen de la Grèce, a travaillé consciencieusement pour la Prusse en apprenant aux soldats à outrager leurs généraux, en raillant le panache du chef qui flottait jadis au-dessus des mêlées comme un signe de ralliement, le sabre des pères qui, brandi dans les charges héroïques, a tant de fois sauvé la Patrie[12].

L’œuvre démoralisante, je l’avoue, est réussie et vraiment juive. L’homme qui l’a écrite était au courant et savait de quoi il retournait. Les mots de 1867 semblent autant de pronostics pour 1870. Le général Boum, qui déclare que l’art de la guerre consiste à « couper et à envelopper, » raconte d’avance nos malheurs et c’est bien notre pauvre armée qui se rend « par trois chemins vers un point unique où elle doit se concentrer. »

Incontestablement le public des Variétés n’est guère accessible à des sentiments bien hauts et cependant, à la reprise, quand on entendit le pitre, qui représentait le général Boum, s’écrier : « Ous qu’est l’ennemi ? » il y eut tout à coup un grand silence. Pendant une minute, dans cette salle pleine de ces gommeux de ces boursiers, de ces comédiens, qui composent ce qu’on nomme le Tout Paris, se dressa le spectre de l’invasion et le douloureux fantôme de la défaite. On revit nos généraux interrogeant l’horizon de cette France dont ils ne connaissaient pas les chemins, nos régiment toujours surpris et nos malheureux soldats tombant par milliers sous les balles sans savoir d’où elles venaient.

Si on eût demandé à une des filles plâtrées qui étaient là ce qu’elle pensait de cette œuvre qui semblait destinée à éteindre d’avance toute flamme vaillante dans les cœurs, elle se fût écriée : « Elle est ignoble ! » Camille Roussett, le savant historien, Alexandre Dumas, l’auteur des belles Lettres de Junius, Sardou, l’auteur du drame émouvant de Patrie, ont dit : « Cette œuvre est belle et nous récompensons l’auteur en lui accordant un honneur que n’ont obtenu ni Balzac, ni Veuillot, ni Gautier, ni Proudhon, ni Paul de Saint-Victor[13].

Au moment où l’Allemagne élevait en grande pompe sur le sommet du Kiederwald la fière statue de la Germania, l’Académie a voulu chanter le Pean à sa façon ; elle a demandé à se mêler au trio de Boum, de Puck et du Prince Paul et d’une voix un peu chevrotante elle a entonné :

 
Il sera vaincu,
Il sera battu.
Son artillerie,
Sa cavalerie,
Son infanterie,
Tout cela sera,
Je le vois déjà,
Ecrasé, brossé,
Brisé, dispersé…
Et dans les chemins,
Et dans les ravins,
Il en laissera,
Il en oubliera ;
On le poursuivra.
On le traquera,
Et les ennemis
De notre pays.
Gaiement entreront
Et se répandront….

Ils brûleront tout,
Pilleront partout…..
Ce sera bien fait !
Du choix qu’elle a fait
Ce sera l’effet !
Et nous, réjouis.
Voyant ce gâchis,
Nous, n’en pouvont plus,
Nous rirons tous trois comme des bossus.

Le point qu’il faut toujours bien voir c’est l’hypocrisie, le mensonge, la convention qui sont l’estampille, le stigmate de l’époque. Les académiciens, en effet, ne sont pas honnêtement et franchement folâtres, ils parlent solennellement, ils déclarent que le talent ne suffit pas pour entrer à l’Académie, qu’il faut encore faire un bon usage de ce talent.

On leur dit :

« C’est donc faire un bon usage de son talent que de raconter, avec toutes sortes de détails croustillants, l’histoire — du reste bien juive encore — d’une mère qui vend sa progéniture, comme Mme Cardinal, d’un père qui vit dans l’aisance aux dépens de l’amant de sa fille ? C’est donc cette littérature que vous proposez comme exemple aux jeunes gens ? »

Ils imitent les vieillards vénérables qu’on surprend juste au sortir du mauvais lieu et qui, un peu essoufflés par l’exercice auquel ils viennent de se livrer, attendent quelques instants avant d’avoir repris, avec leur haleine, l’attitude des grands jours officiels ou des assemblées de famille.

Puis ils se décident à murmurer : « Oui, monsieur, l’Académie est un grand corps, nous aimons la tenue, nous demandons des œuvres qui excitent le patriotisme, qui élèvent les cœurs : Sursum corda ! »

Comme exemple de Sursum corda ! il faut rappeler ce qui s’est passé au moment des funérailles de Victor Hugo. Rien ne montre mieux l’abaissement dans lequel l’Académie est tombée. C’était M. Maxime du Camp qui, en qualité de directeur en exercice, devait se charger du discours d’usage et il convient de dire que, très résolu à ne pas reculer, il prépara immédiatement son discours en disant qu’il le prononcerait avec deux revolvers dans sa poche. Le discours, ajoutons-le, était un éloge complet du poète que M. Maxime du Camp admire plus que personne.

L’Académie, le premier corps littéraire de France, s’affola devant les menaces de quelques feuilles de chou écarlate et, dérogeant à tous les usages, elle retira à M. Maxime du Camp le droit de porter la parole en son nom.

Ce fut M. Emile Augier qu’on désigna ; on n’avait pas à craindre avec lui de déplaire à la plèbe. Ancien parasite du prince Napoléon, ennemi de Victor Hugo quand il était proscrit, insulteur de Veuillot quand il n’avait plus de journal pour lui répondre, il se consola de ne pas avoir à demander, comme les sénateurs de l’ancienne Rome, la mise au rang des dieux d’un Tibère ou d’un Caracalla en étouffant, sous des louanges qui sonnaient faux, le pauvre grand génie que l’amour de la popularité avait fait tomber de si haut[14].

Voilà pourquoi, tandis que les plagiaires de Morny sont au gouvernement, ses domestiques entrent à l’Académie.

La vérité est que personne ne veut se gêner, personne ne veut sacrifier son avantage immédiat ou sa fantaisie à un intérêt général, personne ne veut faire son devoir. Chacun, trahit dans la mesure de ses forces et dans la sphère de ses attributions. L’Académie ne peut livrer nos arsenaux puisqu’elle n’en a pas la surveillance, elle livre aux Juifs le dépôt d’honneur dont elle a la garde, elle capitule comme le Sénat a capitulé ; elle accorde à un financier ou à un faiseur d’opérettes, qui est persona grata des Rothschild, ce qu’elle a refusé à Jules Lacroix, ce grand vieillard qui était un convaincu de l’art, qui a écrit Œdipe roi, le Testament de César, Valeria, la Jeunesse de Louis XI, l’Année infâme, qui a mis à la scène le Roi Lear et Hamlet, traduit Horace et Juvénal.

Encore une fois, les sens qui manquent impudemment et consciemment au mandat de justice littéraire, qu’impliquent les fonctions dont ils sont revêtus, se regardent comme l’élite de la nation et ils ont toujours à la bouche de bons conseils pour les ouvriers.

Halévy, du reste, ne s’arrêtera pas la, il sera secrétaire perpétuel. La place est d’importance. En réalité, c’est le secrétaire qui fait la pluie et le beau temps dans les commissions, qui guide les choix. Petit à petit, le Juif éliminera tous les ouvrages qui ont un accent chrétien et français et, sans bruit, sans qu’on s’en aperçoive, insensiblement, la ; Juiverie sera la maîtresse à l’Académie comme partout[15].

  1. C’est lui qui écrivait au moment des débuts d’une actrice pauvre, qui l’avait prié d’attendre un peu pour le payement de la subvention : « Mlle X… promet beaucoup, nous verrons si elle tiendra. »
  2. Journal officiel du 1 juillet 1879.
        Mayer prétendit n’avoir reçu que vingt-cinq mille francs, qui lui auraient été donnés, sur une somme de deux millions destinés à être distribués à la presse de toute nuance, pour soutenir les intérêts égyptiens.
        Un jury d’honneur réuni affirma que cette allégation peu flatteuse, d’ailleurs, pour la presse, était fausse. Voici sa déclaration : « Il résulte des faits que les vingt-cinq mille francs que M. Mayer reconnaît avoir reçus ont été versés, non par un syndicat financier et pour frais de publicité dans les affaires égyptiennes, mais pour une cause sur laquelle M. Mayer n’a pu donner aucune explication satisfaisante. »
  3. Un Salomon Rappaport, né à Lamberg en 1790, fut un des rabbins les plus renommés d’Allemagne, il traduisit eu hébreu l’Esther de Racine. Le 9 juin 1860, les Juifs allemands célébrèrent en grande pompe le 70eme anniversaire de sa naissance.
  4. Lanterne, numéros de mai 1883, passim.
  5. Lanterne du 27 octobre 1885.
  6. Ce prétendu réformateur de l’Humanité semble, d’ailleurs, avoir toujours vécu de pair à compagnon avec tout ce qu’il y a de suspect à Paris. Il parait, c’est Wolff lui-même qui nous apprend le fait dans le Figaro du 31 octobre 1885, que le pseudonyme de Méphistophéles était jadis un pseudonyme commun au premier Élu de Paris et au Juif prussien. « C’était Lockroy, dit Wolff, dans son langage toujours distingué, qui opérait sous ce pseudonyme en collaboration avec moi. » Wolff ne veut pas se montrer ingrat envers quelqu’un qui a opéré avec lui. Devinez à qui il compare le petit Bobèche boulevardier ? Au neveu du grand Empereur, à l’héritier du nom de Napoléon. « On a trouvé pour lui une dénomination particulière, comme jadis on a fait pour désigner Louis Napoléon, qui n’était pas un simple Président de la République ; on l’appelait le Prince-Président. » Tous ces détails, qui passent inaperçus devant le grossier public d’aujourd’hui, auront de la saveur plus tard, pour remettre les hommes du jour a leur point, pour voir par qui nous avons été gouvernés.
  7. Dans un article du 26 novembre 1884, Ignotus comparait Anatole de la Forge, le membre servile d’une majorité complaisante, à Charette ! Voilà où un écrivain d’une incontestable valeur peut en arriver quand il laisse, comme dit Montaigne : « Hypothéquer la liberté de son esprit, » quand il ne veut pas rompre avec la convention, quand il s’occupe du jugement du boulevard au lieu de penser résolûment par lui-même. Je crois qu’au fond le vrai modèle d’Anatole de la Forge, c’est le capitaine Bravida. Vous savez, ce capitaine qui retroussait sans cesse des moustaches formidables et qui s’écriait d’une voix tonnante : « Je suis Bravida, capitaine d’habillement ! »
  8. A la date du 14 octobre 1884, Anatole de la Forge écrivait à Eugène Mayer :
    « Mon cher Mayer,

    « Vos deux articles dans la Lanterne d’hier, à propos de la distribution des prix du premier concours régional de tir, font le plus grand honneur à votre caractère. Ils ne me surprennent pas, parce que je sais que vous êtes un ferme républicain et un ardent patriote.

    « À vous de cœur,
    « Votre vieil ami,
    « Anatole de la Forge. »

    Ce gentilhomme, du reste, parait tout à fait affilié à la bande juive. Nous le voyons protester contre l’envoi de l’Anti-sémitique, que son devoir était de lire comme député, pour se mettre au courant d’une des questions les plus importantes de l’époque. Au moi d’octobre 1884, quand il rend compte de son mandat à ses électeurs, au Grand-Orient, il a deux. Juifs pour assesseurs, Blocb et Hirsch.

  9. Inutile de faire observer que M. Jouvin, qui est ou écrivain fort honorable, ne figure là que comme gérant.
  10. C’est là le signe du Juif. Nos ouvriers souffrent littéralement la faim ; il n’est pas de jour où vous ne soyez accosté par un homme, dont la physionomie est honnête malgré les haillons qui le couvrent ; il vous dit, en vous tendant la main : « Je vous donne ma parole que c’est te première fois que cela m’arrive, regardez mon livret, je vous en prie, et tous constaterai que j’ai toujours travaillé. » Les Juifs de Paris nous ont décidés, à force de lamentations, à faire quand même une place à ce foyer en ruines aux Israélites de Russie. Savez-vous à quoi ces étrangers consacrent le premier argent gagné par eux en France ? A applaudir à l’assassinat d’un Français ! Ces gens, sur lesquels les Rothschild ont voulu nous attendrir en prétendant qu’ils avaient été l’objet de violences, ne sont pas encore assis qu’ils approuvent chaleureusement la plus criminelle des violences. Mous avons tous pu lire, dans le Cri du Peuple du 16 février 1886, cette mention significative :
        La société des ouvriers Israélites-russes, résidents à Paris, envoie avec son obole, l’expression de sa vive sympathie aux justiciers de Decazeville et aux grévistes de Saint-Quentin.
  11. Gaulois du 9 ami 1884.
  12. Un grand chrétien qui, après avoir été un soldat intrépide est devenu un orateur de premier ordre, nous racontait l’impression qu’il avait éprouvée en entendent le souvenir du général Boum évoqué tout à coup en 1870 dans la retraite de Saint-Avold sur Metz. On cheminait la nuit, dans la tristesse de la défaite présente, avec l’appréhension du désastre qu’on sentait venir. Les têtes de colonne des régiments se confondaient avec l’état-major des généraux. Soudain, un vieux colonel, qui ne décolérait pas depuis le commencement de la campagne, se mit a parler des Juifs, d’Halévy, d’Offenbach, de la Grande Duchesse, à maudire les histrions et les railleurs qui avaient apprit à la France à mépriser le drapeau. Quelle réponse au choix de l’Académie que cette conversation sur le chemin de Metz ! Cette marche, du reste, a frappé profondément tous ceux qui étaient là. Il en est question dans le journal du siège de Metz, que le peintre Protais a rédigé et qu’il ne veut pas publier encore. Le court fragment, que l’auteur a bien voulu nous communiquer, est vraiment saisissant :
        « Nous partons. La nuit est grise. De grands nuages courent sur le ciel blafard. La lune est entièrement voilée. Par moments tombe une petite pluie fine et froide. Nous suivons au pas, silencieux, encapuchonnés dans nos manteaux, la route de Metz, bordée de grands peupliers, qui profilent leur longue silhouette noire sur le ciel. Pas d’autre bruit que le son mat des fers de nos chevaux sur le sol mouillé. À notre gauche, au loin, les lueurs pâles des feux du bivouacs. Pas une parole, pas un geste ; de temps à autre un cheval qui butte. Nous marchons ainsi, chacun absorbé dans ses propres pensées. Je ne sais quel est mon voisin. C’est vraiment sinistre. Nous traversons un village ; les pieds des chevaux résonnent sur le pavé. Quelques fenêtres s’éclairent, s’ouvrent, et une ou deux figures inquiètes regardent passer cette sombre file de cavaliers. Nous passons et nous voici de nouveau sur la route. Les feux ne sont plus que de vagues blancheurs bien au loin. Je me sent profondément triste, je pense à ceux de nous qui vont peut-être mourir. Cette nuit semble ne jamais devoir finir. Le jour paraît enfin, sans soleil, gris, morne, glacial, mais c’est le jour ! On se ranime ; on se rapproche un peu les uns les autres. La pluie a cessé. On allume cigares et cigarettes, et l’on cause à voix basse comme si nous craignions de troubler le repos de ce pays malade. Devant nous marchent les généraux muets. Les nouvelles sont mauvaises. Loin d’être vainqueur, le maréchal Mac-Mahon serait en pleine déroule, mais on ne sait rien positivement.
  13. (1) Les auteurs dramatiques ont du moins pour excuses qu’ils votaient pour un des leurs, mais que penser d’un homme de la valeur et du caractère du duc de Broglie, qui était maître de l’élection ? On l’avait laissé libre, par déférence, de choisir celui qui serait ehargé de faire l’èloge de son beau-frère, le comte d’Haussonville, et ce chrétien sincère, cet écrivain éminent, a écarté des candidats comme M. Oscar la Vallée ; il a tenu à ce que cette oraison funèbre fut prononcée par un bouffon de bas étage, qui avait tourné en ridicule tout ce qui fait l’honneur d’une nation.
  14. Nous retrouvons là l’éternelle race des affranchis, insolents à l’occasion contre le pauvre, contre celui qu’ils croient faible, contre ceux qui refusent de plier le genou devant les idoles et toujours prêts à entonner les litanies pour le divin Empereur ou le divin Marat.
        « Claude Auguste, vous êtes le modèle des frères, des pères, des amis, des sénateurs et des princes (quatre vingt fois) ; Claude Auguste, délivrez nous d’Auréolus (cinq fois) ; Claude Auguste, délivrez-nous de Zénobie et de Victoria (sept fois) ; Claude Auguste, que Tetricus ne soit rien (sept fois). »
        À ces litanies Claude le Gothique, que Trebéllius Pollion nous a conservé, répondent les litanies en l’honneur de Marat : l’ami du peuple, — Marat, la consolation des affligés, — Marat, le père des malheureux, — ayez pitié de nous ! »
        C’est Anatole de La Forge déshonorant, par son exaxération dans l’adulation, notre cher et glorieux Victor Hugo, et qu’un républicain, moins servile que les autres, cingle au visage de ce mot méprisant : « Pas de surenchère ! »
        C’est Renan, écrivant quelque temps auparavant : « Qu’on se figure un homme a peu près aussi sensé que les héros de Victor Hugo, un personnage de mardi-Gras, un mélange de fou, de Jocrisse et d’acteur », et tout à coup déclarant, pour plaire à la foule, que « Victor Hugo a été créé par un décret nominatif de la Providence, tandis que les autres hommes n’ont été créés que par un décret collectif. » Ce mot, d’ailleurs, est inestimable ; c’est un mot lapidaire, un mot en retard, un vrai mot de sénateur du temps de la Rome impériale.
  15. L’élection d’Eugène Manuel, qui se présentait en même temps qu’Halévy, n’est que différée. Après lui viendra Willimn Busnach, qui a mis au théâtre l’Assommoir et Nana. Eugène Manuel, inspecteur général de l’Université, n’a rien écrit, du moins, pour railler notre armée ou corrompre notre pays. C’est ce qui explique qu’on lui ait préféré Halévy. C’est le petit-fils d’Israël Lovy qui fut hazan à la synagogue de la rue de la Victoire et qui, dit-on, possédait une voix agréable ; il était né aux environs de Dantzick.