La France juive/Livre Cinquième/4

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(vol 2p. 239-306).


Un cabotinage général semble s’être étendu du théâtre à la société. La société, pour mieux dire, est devenue un immense théâtre où chacun s’efforce d’attirer l’attention sur lui en se mettant en vedette sur l’affiche eu lettres gigantesques.

Le théâtre lui-même a pris une importance anormale, presque monstrueuse, qui s’explique par ce seul fait que la plupart des directeurs et des artistes en renom sont Juifs. Le métier de comédien devait tenter les Juifs ; il rapporte beaucoup, en effet, il satisfait une certaine vanité subalterne et il ne demande aucune faculté géniale ; ils se sont rués sur celle carrière avec une véritable fureur.

Tous les théâtres de Paris sont aux mains des Juifs, soit par des directeurs comme Carvalho, Koning, Simon, Mayer, Maurice Bernhardt, Samuel, soit par des commanditaire ; et des associés comme Godchau, longtemps chef de claque, ainsi que feu David Cerf, de l’Opéra ; soit par des secrétaires comme les Mendel, les Derenbourg, les Emile Abraham. Les auteurs à succès, les Halévy, les Millaud, les Hector Crémieux, les Decourcelles, les Dreyfus, les, Blum, les Wolff, sont Juifs comme l’était Mortier, un Hollandais qui s’appelait Mortjer, et qui fut le créateur de la Soirée parisienne.

Juifs également les entrepreneurs de concerts, de tournées artistiques, les impressarii célèbres, les Colonne, les Maurice Strakosch, les Bernard Ulmann, les Mayer de Londres, le Schurmann, cornac de Mme Judic en Espagne[1]. C’était un Juif encore que ce curieux personnage qui, sans étre rien en apparence, faisait la loi dans le monde des théâtres, Chéri, de son vrai nom Joseph Abraham.

Le peu regrettable Vaucorbeil, dont la femme était juive, et qui avait pour beau-frère un Juif, M. David, s’associa à notre pastoral Myrtil Hecht et peupla l’Académie de musique d’employés juifs. Le chef des chœurs s’appelle Cohen, le chef du chant Hector Salomon, le régisseur général est un Mayer — encore un !

Grâce aux radicaux de la Chambre, nos malheureux paysans se saignent aux quatre veines pour qu’une bande de Juifs ait chaque année huit cent mille francs à se distribuer. A Vienne, à Berlin, à la Pergola de Florence, à la Scala de Milan, on monte quinze à vingt opéras chaque année, on en monte un à peine à l’Académie de musique, on se partage la subvention en famille, ou plutôt en tribu, et nos républicains trouvent cela excellent.

Il s’est produit là, d’ailleurs, ce qui se produit partout où les Juifs apparaissent ; ils sèment le désordre et la ruine sur leur passage. L’Opéra qui, depuis l’abbé Perrin (1671) et Lulli, avait toujours été à peu près, a cessé brusquement de marcher dès que les Juifs s’en sont mêlés. Il a été même question de louer la salle trois fois par semaine à un impressario italien. On n’entend plus que lamentations ; il y a un chat dans la gorge des coryphées, un crapaud dans les ophicléides et un cheveu dans les trombones. On a découvert un déficit de quatre cent mille francs dans la caisse des retraites, et des choristes de soixante-dix ans continuent à représenter des Sylphides, uniquement parce qu’on est hors d’état de régler leur pension.

La plupart des artistes en vue sont d’origine juive ; dans le cas contraire, ne trouvant que de l’hostilité dans la presse, ils ne seraient arrivés à rien et ils auraient été réduits à courir la province. Les cantatrices célèbres de notre temps ont été célèbres surtout parce qu’elles sortaient de la famille de Jacob. La Stolz, la Patti, la Sass, Fidès Devriès, Rosine Bloch, Heilbronn, Mlle Isaac étaient juives. Judic, du nom de son mari, Mme Israël, Reichemberg, Mlle Milly Meyer appartiennent aussi au monde juif. On n’entend parler que de Salomon et de Melchisédec comme chanteurs. Worms est le fils d’un boucher de la rue Vieille-du-Temple, qui vendait de la viande kasher. Van Zamdt est-elle juive ? En tout cas, elle n’a pas été baptisée, c’est ce qui explique que les Rothschild l’aient reçue chez eux, l’aient couverte de leur protection, l’aient imposée à Paris[2], Elle a, d’ailleurs comme Mlle Nevada, comme la Krauss, l’avantage d’être étrangère en un temps où toute Française est mise sévèrement à l’index. Je me rappelle encore la mélancolie avec laquelle une jeune fille, que des revers de famille avaient forcée d’entrer au théâtre, me repondit un jour que je lui parlais de son avenir : « Oh ! Je n’arriverai à rien, je suis Française. »

Naturellement, du moment que Van Zandt dînait chez les Rothschild, elle ne pouvait rien avoir de comparable aux Lucindes d’amour, aux douces Isabelles d’antan avec lesquelles le rire était permis. C’était une créature en quelque sorte surnaturelle, Miss Fauvette, Mlle Bengali. Sa vénérable mère n’était pas oubliée dans les papiers imprimés, on nous la montrait assise à la droite de la barronne et on semblait nous dire : « Vous n’avez pas de mères comme cela en France », il faut les faire venir de l’étranger[3]. »

La surprise fut donc violente quand, à la première du Barbier, Mlle Van Zandt se révéla à la foule assemblée sous un jour tout à fait inattendu. Mes lecteurs me connaissent déjà assez pour savoir que je suis de race trop française pour partager la pose grotesque de ce Tout Paris qui parle du théâtre comme d’une église, qui fait de la solennité à propos de tréteaux. Dût le boulevard m’accuser de manquer de sens moral, j’avoue franchement qu’une comédienne, qui a bu un verre de Champagne de trop et qui se présente avec sa coiffure un peu de travers, n’a rien qui me choque outre mesure. Mlle Laguerre amusa fort un auditoire, qui n’était pas uniquement composé de rastasquouères comme aujourd’hui, lorsqu’au lieu de jouer l’Iphigénie en Tauride, elle joua, selon le mot de Sophie Arnould, l’Iphigénie en Champagne. J’aurais bien voulu être là lorsque Frederick, devant toute une salle hurlante, s’avança, devant le trou du souffleur, retira sa perruque avec un geste royal et gravement se moucha dedans….

Il parait cependant que ce soir-là le plumet de Miss Van Zandt était de taille et véritablement excessif pour une scène subventionnée. Ce bon-vivant de Gouzien, commissaire du gouvernement près les théâtres, n’en avait jamais contemplé un plus considérable depuis le jour où l’on avait dû baisser le rideau sur un sociétaire à la Comédie-Française — cet autre sanctuaire dont les journaux ne parlent qu’en se signant par respect.

Ce qui est ravissant, c’est de voir avec quelle habileté on opéra le sauvetage. Depuis Rouvier, jamais rien n’avait été si complètement réussi. Des l’aube, Arthur Meyer, Blowitz, le médecin juif Lowe tiennent conseil rue Christophe-Colomb. Heilbronn proteste. Carvalho, connaisseur en ces questions, car il passe pour profès en l’ordre des Coteaux, déclare que rien ne grise comme l’eau de fleur d’oranger. Lowe affirme que c’est le phosphore qui a ainsi allumé la malheureuse.

Quelques mois après, la divette se représentait de nouveau devant le public. Jadis, ces rentrées-là s’opéraient gentiment, à la bonne enfant. Sans tomber dans les exagérations actuelles, on admettait que certains égards étaient dus aux spectateurs. Comme cela se pratique encore en province, l’acteur ou l’actrice en faute était obligé de faire des excuses. Généralement, Frederick trouvait encore là l’occasion de se livrer à quelque fantaisie énorme. Parfois le tumulte recommençait ; puis tout se terminait par un tonnerre d’applaudissements devant quelque beau geste dans lequel notre grand public français d’alors avait reconnu un maitre de l’art. D’autres, comme Déjazet, commençaient, disaient : « Mesdames et Messieurs, » et ne finissaient pas… Au premier sourire de la Parisienne, aux premiers accents de cette voix si chantante et si frêle, le public avait retrouvé Frétillon et lui envoyait son pardon dans des battements de mains.

Cela ne pouvait pas se passer ainsi pour une protégée de M. de Rothschild. C’était le public qui devait faire des excuses. Il en fit : Carvalho se permit d’interdire a la foule l’accès d’un théâtre qui ne vivait que de la subvention de l’État, c’est-à-dire de l’argent de tous. Toutes les Américaines de Paris envahirent la salle avec leur bruit de cacatoës, leur teint aux couleurs d’un rosé équivoque, leur outrecuidante prétention d’imposer leur volonté.

À vrai dire, ces précautions n’étaient pas nécessaires. Lâche comme toujours, le Tout Paris était prêt à obéir au mot d’ordre des Juifs et à fêter l’actrice qui l’avait insulté.

La rue s’en mêla. Cet être anonyme, qui se trompe si souvent, eut, cette fois encore, plus de cœur que l’élite et carrément vint siffler sur la place. Ce gouvernement sans nom qui, sans tenter un effort, avait laissé outrager dans sa chaire le successeur de Cousin, le philosophe éloquent, l’écrivain respecté, fit pour une cabotine qui s’était honteusement grisée ce qu’il n’avait pas fait pour Caro. On vit là trois commissaires de police sur pied : Santucci, Evrard et Clément, le Clément des décrets, dont la place était marquée en une telle affaire, Clément qui fut le plus vil, car il osa seul se mettre l’écharpe tricolore autour des flancs pour arrêter ceux qui n’approuvaient pas la petite bacchante.

Ce bruit du peuple, malgré tout, a le privilège d’épouvanter toujours Rothschild ; il donna l’ordre au directeur de cesser les représentations.

Ces amplifications à propos d’actrices, qui contribuèrent à irriter l’opinion contre Van Zandt, sont passées en habitude.

Dès qu’il a été question des filles de Sion, les termes usités auparavant pour ceux qui avaient honoré la scène nationale n’ont plus suffi. J’ai indiqué déjà en maintes occasions cette habitude spéciale à la race juive d’agrandir tout ce qu’elle touche, ou plutôt tout ce qui la touche, de voir tout, en quelque façon, à travers un mirage, d’accumuler les épithètes exagérées familières aux peuples de l’Orient. Pour eux la dernière cabotine d’Israël est devenue un être fantastique, moitié ange et moitié femme ; elle a les dix sephiroth et on devrait la remercier à genoux de se faire entendre de nous, moyennant finance.

L’apothéose a commencé par Rachel qui fut, dit Tourgueneff, « la force et la fleur de cette Juiverie qui s’est emparée déjà des poches du monde entier et qui s’emparera bientôt du reste, car qui a la poche a la femme, et qui a la femme a l’homme, » Le véridique portrait de cette étrange créature a été tracé par Philarète Chasles, et il est si finement touché que je ne puis résister au plaisir de le reproduire.

Ce petit tigre bohémien, Juive lascive, vaste front planté sur des épaules de hyène et sur un torse charmant de Ménade, subtime d’intelligence et plus rapproché, par l’âme, des carnivores que des hommes, a séduit tous ses contemporains dignes d’elle et que sa grande qualité, la férocité, a enivrés. Veron le gros en a raffolé. Ricord se serait pendu pour elle. Les archevêques l’ont bénie. La France l’a pleurée. Autrefois, petite gueuse en chemise, qui, la sébille à la main, ramassait des sous dans la fange des estaminets, toute rompue depuis dix ans au trois-six, aux planches, aux quinquets gras, aimant le ragout du vice mais plus encore le ragoût de l’argent, elle représentait la sauvagerie des Parias, celle des Juifs, celles des Bohèmes résumée, concentrée et raffinée par la sauvagerie des rues de Paris.

Inutile de dire que les Juifs ne s’en sont pas tenus là, ils n’ont point eu de cesse qu’ils ne nous aient fait accepter une Rachel de fantaisie chez laquelle tout était pur, noble et beau[4].

Quand il s’agit d’un Juif ou d’une Juive, en effet, les conditions ordinaires de la morale sont changées. Vous avez vu Wolff battre la caisse sur le corps d’une pauvre comédienne des Variétés ; Meyer ne veut point se laisser distancer. Rachel a eu des bâtards : il en est question, en 1883, dans un procès intenté par Mmes Lia et Dinah Félix aux héritiers de Sarah. Ce sont de ces faiblesses excusables dans la vie d’une artiste et semblables, après tout, à celles que les débats des tribunaux révèlent chaque jour. Le Gaulois n’entend pas de cette oreille-là ; il vous démontre, en trois colonnes, que ces bâtards sont des amours de bâtards, des bâtards comme on n’en fait plus, des bâtards comme on n’en avait jamais fait avant Rachel, et là-dessus apothéose obligatoire de la race incomparable.

Quoique j’aie déjà effleuré ce point plus d’une fois dans le cours de cette étude, je ne crains pas d’y revenir, car il est essentiel. Le chrétien est toujours en train de rougir de quelqu’un ou de renier quelque chose, de dire à son frère embarrassé : « Nescio vos. » Le Juif est absolument fermé à tout sentiment bête de ridicule ou de fausse pudeur, il méprise profondément l’opinion, peut-être parce qu’il sait comment on la crée.

Prenez un exemple dans un autre ordre. Il s’agit ici, je le déclare, d’une femme parfaitement respectable ; elle s’appelait Agathina et elle était modiste. Supposez un chrétien ayant une femme exerçant la profession de modiste et portant le nom d’Agathina, il ne s’en vantera pas. Notre confrère Alexandre Weill n’est point de cet avis, il publie un poème intitulé : Agathina, ma femme ; et il déclare que rien n’a été aussi spirituel, aussi séduisant, aussi modeste que cette modiste.

Oh ! mon Agathina ! je t’invoque à genoux !
Lève-toi dans ta tombe et, tout debout, dis-nous.
Toi qui fus chaste et pure et dont le moindre verbe
Fut toujours si loyal et parfois si superbe ;
Dis-nous ce que tu fus, dès l’âge de vingt ans ?…
La vertu réunie aux labeurs incessants.
Tu portes sur ton front un nimbe, une auréole.
Dont le charme opéra jusque dans ta parole ;
La première au travail, la dernière au repos,
Avide de t’instruire et sourde aux bas propos,
Prompte et leste aux devoirs, lente aux plaisirs du monde.
Pour tous les malheureux d’une pitié profonde.
Idole de ta mère et de tous tes parents,
Dans toutes les maisons admise aux premiers rangs
Digne avec la cliente, affable à l’ouvrière,
Tu ne fus nulle part ni hautaine, ni fière ;
Tous ceux qui te parlaient devenaient tes amis,
Jusqu’à tes serviteurs dévoués et soumis.

Fidèles à leurs coutumes, les Juifs ont donc constamment organisé une réclame éhontée pour les leurs. Ils nous ont présenté comme une artiste inimitable cette pauvre Sarah qui bredouille, qui n’a plus un geste juste et d’accord avec ce qu’elle dit, qui ne serait pas digne de dénouer le cothurne de cette grande et dramatique Rousseil en qui semble palpiter l’âme héroïque de la tragédie.

Pas une protestation ne s’élève. Ce prétendu high-life, cette société selected, comme on dit, a moins d’initiative et d’indépendance dans ses jugements que le petit clerc de procureur qui pour 15 sous allait siffler Attila. Les pièces portées aux nues aujourd’hui n’iraient pas à la troisième scène avec le terrible parterre d’autrefois. Pour les mondains, il n’y a qu’un critérium : « Cela plait-il aux Juifs ? » Dans ce cas tout va bien.

Quelle preuve plus saisissante de ce fait que l’Ami Fritz ? On sait à quelle écœurante besogne se sont consacrés les Erckmann-Chatrian, les « Homèrcs du taf. » Elevés au milieu des Juifs de Phalsbourg, ils en ont pris l’âme haineuse et sordide. Leur œuvre a mérité d’être appelée : l’Illiade de la peur.

Quand on annonça l’Ami Fritz, M. de Saint-Genest rappela, dans le Figaro, que ces hommes auxquels on allait ouvrir la maison de Molière avaient couvert d’injures notre héroïque armée de Metz. Plus dégradés que les Juifs, qui venaient dépouiller les cadavres, ces futurs collaborateurs du Drapeau de Déroulède avaient dépouillé nos morts de leur linceul de gloire ; ils avaient jeté l’épithète de capitulards et de lâches à ces officiers qui, au premier rang sous les balles et sous les obus, avaient défendu ce cimetière de Saint-Privat où la garde prussienne avait été décimée, près duquel un chemin porte encore le nom de « Chemin de mort de la garde. » M. de Saint-Genest ne se contenta pas d’affirmations ; dans six numéros, il mit sous les yeux de ses lecteurs les extraits les plus significatifs, les passages les plus antifrançais et les plus déshonorants.

La première arriva. Dans cette salle des Français il y avait des veuves, des sœurs, des maîtresses aussi d’officiers tombés sous les murs de Mets. Pas une ne protesta, pas une seule Française n’eut le courage, devant la pusillanimité des hommes, de se lever et de siffler ces insulteurs de la mort. Tout ce beau monde attendait impatiemment que Rothschild daignât donner son avis. Quand rabbi David parut, ce fut un applaudissement unanime. Tous les Juifs rayonnaient. Songez donc, un rabbin paraissant pour la première fois sur la scène française et y paraissant naturellement comme le modèle de toutes les vertus !

Longtemps à l’avance les Archives israélites avaient tambouriné la bonne nouvelle : « Le Théâtre-Français de Paris, la première scène du monde, disaient elles, verra probablement une véritable solennité dramatique. On y donnera dans les premiers jours de décembre l’Ami Fritz, de MM. Erckmann-Chatrian, dont il a été tant parlé à l’avance. Un des moindres attraits de cette pièce ne sera pas la présence d’un rabbin sur la scène. Un des principaux personnages est reb David, type réel que les écrivains ont sans doute idéalisé et dont l’original n’est autre, dit-on, que le prédécesseur même du grand rabbin Isidor à Phalsbourg »

Encouragés par l’immense succès que leur fit la presse juive, les Erckmann-Chatrian imaginèrent de faire chanter en charge, au commencement des Rantzau, le Kyrie eleison. Qu’il est touchant cet appel suppliant et doux qu’a répèté avec une sorte d’insistance plaintive, au début de la messe, comme pour attirer l’attention de Dieu sur les fidèles rassemblés ! Chateaubriand, en l’entendant chanter dans un monastère du mont Athos, fut ému jusqu’aux larmes et Brizeux a dit la poésie qu’il prenait dans les petites églises de Bretagne.

Les femmes doucement envoyaient pour répons
A l’Eleiaon grec, les cantiques bretons.

Quand furent ânonnées les notes de cet Eleison, il y eut des transports de joie dans ce public du mardi, vous savez, ce fameux public du mardi qui sert de réunion à l’aristocratie et qui semble aux journaux conservateurs comme la résurrection de la vieille France. Ils étaient là battant des mains pour faire plaisir aux Juifs qui regardaient.

Combien j’estime davantage les Juifs de Breslau ! En 1876, on chanta dans les cafés-concerts une parodie du Lecho dodi, la belle mélopée que l’on entonne la veille du Kippour[5]. Ils vinrent tous les soirs, montrèrent le poing et dirent aux artistes : Essayez !

Il convient, je le sais, de reconnaître que sur les prétendues grandes dames qui figurent sans cesse sur le livre d’or des journaux mondains, le nombre de celles qui appartiennent à l’ancienne race française est relativement très limité.

L’Américanisme a envahi Paris presque autant que le Sémitisme.

Que d’histoires piquantes à raconter, si nous ne voulions rester fidèles à notre principe de philosopher seulement sur ce qui est dans le domaine commun ! Le grand seigneur, rêvant de faire un opulent mariage, a été, dans la plupart des cas, le plus candide des dupes. Certaines familles yankees, venues primitivement d’Allemagne et ayant laissé leur Juiverie dans la traversée de l’Atlantique, s’embarquent un beau jour pour Paris avec une petite fortune, deux ou trois cent mille francs, qu’elles dépensent bravement en un an avec un bruit étourdissant. Les chroniqueurs embouchent la trompette, les feuilles bien informées brodent à qui mieux mieux des récits de mines fabuleuses, de maisons de commerce colossales. Vous voyez d’ici le roman qui se bâtit dans la tête de l’Aryen. « L’industrie n’est-elle pas la reine du monde moderne ? Vive l’industrie ! Avec ces millions sans nombre je rebâtirai mon château, j’aurai les plus brillants attelages de Paris, je ferai du bien… »

Le mariage a lieu… Voilà la petite Yankee duchesse, marquise, comtesse. L’heure sonne où l’heureux époux juge qu’il serait temps de monnayer quelques pépites de ces mines inépuisables, de se faire envoyer un peu d’argent de ces maisons de banque ou de commerce.

Hélas ! les mines ont été inondées, la maison de banque est en faillite. Le père qui, souvent, n’avait pas même donné de trousseau, mais qui avait promis une rente énorme, est devenu fou. Le réveil est dur pour quelques-uns. Celui-ci prend son parti, vend son château où Louis XIV avait reçu l’hospitalité, envoie aux enchères les meubles anciens et jusqu’au paravent de sa grand mère pour suffire aux caprices d’une enfant gâtée. Celui-là, abattu par un tel coup, disparait de la circulation, se met au lit, sans être malade, et vit désormais couché. Cet autre abandonne tout, file en Amérique, y travaille courageusement, découvre de vrais mines et revient millionnaire et républicain.

Parfois l’aventure se complique. Il arrive de pays extravagants des tantes plus extravagantes encore, ne possédant ni sou ni maille, mais ayant pour le whisky la passion qu’une mère d’actrice partageait avec sa fille ; le pauvre mari est obligé d’habiller, de nourrir, d’abreuver tout cela.

Vous me direz que les victimes ne sont guère intéressantes. Je vous l’accorde ; ce qu’il faut noter, c’est l’impossibilité presque absolue pour le vrai Français de tirer aucun bénéfice de ses compromis avec la conscience ; il n’est pas organisé pour cela. La ligne droite du devoir aurait toujours été plus avantageuse pour lui, même matériellement, que de prétendues habiletés où il finit invariablement par le rôle de Jocrisse.

Qu’il s’agisse du jeu de la Bourse, du jeu du mariage, du jeu de la politique, de lanceurs d’affaires financières, d’époux d’Américaines, des Machiavels du centre droit à l’Assemblée de Versailles, la loi dont nous parlons se vérifie toujours.

A part quelques exceptions que chacun connaît, ces Américaines sont, d’ordinaire, de bien désagréables créatures : tapageuses, dépensières à l’excès, parlant haut, riant bruyamment, toujours les premières pour les excentricités de mauvais ton et, ce qui est prodigieux, aussi sottement entichées de leur fraîche noblesse, aussi impertinentes que les vraies grandes dames d’autrefois étaient simples, indulgentes et bonnes… Elles ont contribué à donner à la société parisienne la physionomie incohérente et bizarre qu’elle a prise depuis quelques années.

Le point douloureux encore est la façon dont on récompense l’hospitalité que bous accordons à tous, les rebuffades dont on paie nos avances.

Les professeurs de l’école des Beaux-Arts, au mépris, du reste, de leur plus élémentaire devoir, accueillent de préférence les élèves américains ; le jury du Salon accorde aux Yankees des médailles qu’il refuse à de vieux artistes pour lesquels ce serait une joie, une recommandation aussi auprès du public imbécile d’aujourd’hui. Tout ce que les peintres américains savent, ils l’ont appris chez nous, de nous. Le premier soin du Congrès est de voter un droit tellement exorbitant sur l’entrée des œuvres d’art qu’il équivaut à une prohibition absolue.

Quel épisode encore que la statue de Bartholdi : la Liberté éclairant le monde ! Pendant des années, le Comité répétait sur tous les tons : « Notre chère sœur l’Amérique nous adore ; ses ambassadeurs, dans toutes les capitales, nous l’ont bien prouvé, pendant la guerre de 1870, en bavant au succès de la Prusse et à l’abaissement de la France[6] ; souscrivons pour élever un monument impérissable de l’amour qui nous unit. »

Quand la statue est enfin terminée, après des appels de fonds incessants, les Américains déclarent qu’ils n’en veulent à aucun prix, qu’ils ne donneront pas cinquante centimes pour le piédestal. Le Congrès refuse de voter la moindre somme. Dans un pays où l’on réunit un million de dollars en quelques heures pour n’importe quelle souscription, les particuliers haussent les épaules quand on leur propose de souscrire.

Le cœur ne se serre-t-il pas lorsqu’on pense qu’il suffit de quelques agités pour réduire notre France à ce rôle de pauvre chien qui court porter ses caresses à tout le monde et que tout le monde repousse à coups de pied ?

Sans les Gambetta, les Waddington, les Spuller ; sans tous les étrangers qui nous ont fourré dans les complications oû l’on intrigue, comme leurs journalistes nous ont fourré dans les souscriptions où l’on tripote, qu’il eût été magnifique encore une fois le rôle de notre chère Patrie ! Avoir émancipé l’Amérique, avoir affranchi l’Italie, avoir combattu partout pour ce qui nous paraissait la justice et demeurer tranquille dans un recueillement de vaincu ! Au bout de dix ans de ce repos fier, on serait venu humblement nous demander de donner notre avis dans les conseils de l’Europe.

Avec un pareil public, les Juifs et les Juives du théâtre ne se gênent pas, ils se conduisent en pays conquis ; chacune de leur fantaisie devient un événement. Paris, au mois de février 1884, a parlé quinze jours de Mme Fidès-Devriès. De toutes les comédiennes hébraïques, celle-là, du reste, est la plus agaçante. Elle était à l’Opéra quand, un beau soir, elle s’ennuya en apercevant peut-être qu’elle ennuyait ; elle épousa un dentiste juif et quitta le théâtre. Bon débarras pour nous ! Vous ne connaissez pas les Juifs ; il faut toujours qu’ils dérangent le prochain. Un soir, les baronnes juives annoncèrent mystérieusement le retour de leur coreligionnaire : « Vous savez la grande nouvelle ? La toute belle, la toute charmante, la toute divine Devriès va nous revenir ! » Quel honneur pour nous ! dirent les duchesses pour faire leur cour aux baronnes. Les journaux bien stylés annoncèrent le retour, puis le démentirent, puis l’annoncèrent de nouveau.

Après un court passage à l’Opéra, où les Juifs seuls l’applaudirent, Mme Fidès-Devriès se décida à aller chanter au Théâtre Italien ; elle consentit, par pur désintéressement, à empocher 68,000 francs pour douze représentations, puis brusquement le mari se fit remettre subrepticement, « au nom de sa femme, un chèque qu’elle n’avait pas le droit de toucher. » Ici, c’est le directeur, M. Maurel, qui parle et je ne fais que répéter ce qu’il écrivait dans les journaux. Bref, voilà la cantatrice qui va rejoindre le Juif Jules Cohen qui l’attend à la gare de Lyon pour l’emmener à Monte-Carlo, pendant que l’impressario s’arrache les cheveux, et qu’un autre Juif, Hartmann, écrit des lettres étonnantes aux gazettes.

Remarquez le changement qui s’est accompli même dans les mœurs de théâtre. Sans doute les coulisses n’ont jamais été le sanctuaire de la Vertu, mais le bon cœur, l’affection pour les camarades rachetaient bien des choses. Déjazet aurait joué mourante pour ne pas faire perdre un cachet de quarante sous à un figurant. Cette Juive qui vient de toucher une somme fabuleuse pour quelques notes parfois assez fausses, qui, à la seconde représentation d’Hérodiade, a mis le couteau sur la gorge de son directeur pour obtenir un peu plus d’or, ne se demande pas une minute si son départ soudain ne sera pas une ruine pour le théâtre, s’il ne remettra pas sur le pavé tout ce petit monde d’artistes subalternes, d’employés, de gagistes pour qui la fermeture est un désastre.

Ces considérations sont complètement étrangères à tout individu de race sémitique qui compte les autres absolument pour rien. Pourquoi se gênerait-il, encore une fois ? Autrefois une artiste qui se serait permis une pareille incartade aurait été reçue à coups de pommes cuites, si elle s’était avisée de reparaître devant un public parisien. De nos jours la Juiverie n’a eu qu’à faire un geste à ce qu’on appelle « l’aristocratique assistance de l’Opéra » pour qu’à sa rentrée, au mois de janvier suivant, Mme Fidès-Devriès fût couverte d’applaudissements[7].

Dès que les Juifs y ont tenu le premier rang, le théâtre lui-même s’est transformé. Tant que les comédiens furent de simples chrétiens, le métier d’acteur resta un métier peu considéré par lui-même, mais que la grandeur du talent, la tenue personnelle de l’artiste relevaient à l’occasion. Il faut avoir perdu, en effet, tout sens moral et tout bon sens pour admettre que, dans la hiérarchie sociale, le bouffon, dont la profession est de recevoir des coups de pied dans le derrière pour amuser la foule assemblée, soit l’égal d’un soldat qui expose sa vie pour son pays, d’un marin qui affronte la tempête, d’un médecin qui brave les épidémies. Sans doute l’histrionisme a régné dans toutes les civilisations corrompues. Athènes asservie donnait à Polus un talent par jour. AEsopus et Roscius furent gorgés d’or. Deux mimes, Pylade et Bathyle remplirent de leurs querelles la Rome du bas Empire. Paris, que Caligula fit battre de verges pour avoir hésité à déclarer que l’Empereur chantait mieux que Jupiter, eut un peu les allures d’un sociétaire de la Comédie-Française actuelle.

En ses hontes même, le peuple romain garda néanmoins un certain respect de la dignité humaine ; il mit son amour du plaisir au-dessus de tout, il témoigna qu’il voulait s’amuser à tout prix et qu’il oubliait tout pour arriver à ce but, mais il ne déclara jamais qu’un homme de joie était l’égal d’un homme de devoir et de sacrifice. Sénèque, qui fut un voluptueux, Pétrone, qui fut un débauché, auraient brisé leur stylet plutôt que d’écrire les tirades pompeuses que les journalistes de la presse juive consacrent chaque jour à « l’honnêteté, à la noblesse de la profession d’histrion. »

Si l’Empire, grâce à Fould, donna pour la première fois la croix à un comédien, Isidore Samson, parce qu’il était d’origine juive, il le fit encore avec des réserves formelles ; il décora le professeur du Conservatoire et l’auteur dramatique à la condition expresse que l’acteur ne reparaîtrait plus sur les planches.

Avec leur parti pris d’avilir l’armée, les républicains devaient changer tout cela. Il faut lire dans les journaux de l’époque la scène de la décoration de Delaunay. C’est un vrai tableau de décadence, mais d’une décadence spéciale, déclamatoire et burlesque.

Comme il arrive à la veille de tous les grands événements, des bruits étranges avaient couru. Delaunay avait mis le marché à la main à la France ; il avait fait annoncer ses dernières représentations. Vous comprenez l’inquiétude qui régnait à la Chambre. L’Angleterre venait de nous chasser de l’Egypte, ce qui avait paru peu de chose ; la nouvelle que Delaunay se retirait était autrement grave. Pour comble de malheur Delaunay, nous apprend le Gaulois, avait prononcé des paroles sinistres. « On lui avait entendu murmurer : on m’a dit au 1er janvier qu’il fallait attendre Pâques, à Pâques, que la distribution des prix n’était pas loin. »

En ces heures oscillantes et perplexes oû va se décider la destinée du monde, les plus forts se sentent agités. Febvre, cependant, était fort calme ; « il se tenait immobile dans son cabinet ; Déroulède, plus nerveux, allait de la salle au foyer et du foyer à la salle. »

Voyant son ombre aller et venir sur la toile,
Les cabots, qui croyaient encore à cette étoile,
Accusaient le Destin de lèse-majesté.

Tout à coup Ferry arrive avec le général Pittié, chef de la maison militaire du Président de la République, et il dit à Delaunay : « Je vous décore sur le champ de bataille, » Vous apercevez le champ de bataille d’ici : des pots de rouge et de blanc, une patte de lièvre, des postiches, des perruques, et cette odeur spéciale de loges d’acteurs faite de parfums rancis, de mixtures pharmaceutiques, de poudre de riz et d’oppoponax. Vous voyez ce vieux maquillé délayant son rouge en pleurant sur les favoris de Ferry, et le général Pittié au milieu de cette scène, disant : « C’est égal, quelle leçon pour M. de Moltke ! »

« Bien entendu, dans la salle. M. Bischoffsheim rayonnait d’avoir, en astronome qui aime le Progrès, découvert l’étoile des braves sur la poitrine d’un sociétaire de la Comédie-Française. »

Dans les classes supérieures, l’histrionisme a un caractère tout à fait romain.

Au cirque Molier, des jeunes gens élégants, habillés en clowns, donnent chaque année deux représentations : une pour les femmes du monde, une pour les femmes de tout le monde. Les invitations sont avidement recherchées, et les Françaises sont là, regardant leurs fils ou leurs frères exécutant des rétablissements sur la barre fixe, dansant sur la corde, passant à travers les cerceaux. Ces acteurs vêtus de maillots couleur tendre, couverts de paillettes, chargés d’oripeaux, grimaçant, gambadant, marchant sur les mains, s’appellent le comte de Nyon, le comte de Pully, comte Bernard de Gontaut, comte de Maulle, de Beauregard, de Quélen[8]. Le comte Hubert de la Rochefoucauld, vêtu d’une tunique de soie bleue, avec une écharpe à glands d’or, crie : miousic ! à l’orchestre, avec l’intonation des clowns.

Il y a un véritable cas pathologique, je le répète, dans ce besoin de se ravaler, de se déshonorer soi-même, mais cela ne choque personne. Les journaux, qui défendent la société, insèrent gravement le programme entre une tirade contre les vices du peuple et l’annonce d’un sermon, insistent sur les numéros, expliquent longuement la généalogie des familles[9].

Le plus fort en ce genre est la représentation du Cercle de la rue Royale, où le duc de Morny parut habillé en femme et dansa un pas du ballet d’Excelsior. Ca fut un ravissement. Les journaux discutèrent pendant toute une semaine pour savoir si le duc avait bien fait de couper ses moustaches. Le Gaulois fut très affirmatif : « Il a eu raison, dit-il, c’est très crâne ! » Le Figaro, plus réservé, déclara qu’il y avait du pour et du contre.

Pas plus qu’au Théâtre-Français, pas un vieillard représentant du vieil honneur, pas une femme ayant quelque sentiment de dignité au cœur, n’eut l’idée de se lever, de protester, de siffler devant le spectacle de cet homme déguisé en femme et dansant avec des gestes à double entente. Le Tout Paris n’eut pas la pudeur d’Athènes qui permettait aux esclaves seuls de danser la danse obscène : le Mothon.

N’est-il pas curieux, dans ce perpétuel recommencement de l’histoire, dans l’incessant frétillement de ce serpent qui se mord la queue, de constater que la décadence se traduit toujours sous des formes identiques, de voir qu’après tant de siècles écoulés, la décomposition sociale, comme la décomposition physique, est absolument la même dans ses manifestations ? Le duc, attifé en ballerine, et l’Héliogabale à la robe syrienne, aux yeux agrandi par le henné, aux joues fardées, ne semblent-ils pas être un seul et même être ? Ces clowns titrés ne sont-ils pas une incarnation nouvelle des patriciens dégénérés de Juvénal, du Lamasippus qui déclame sur la scène le Spectre de Catulle, du Lentulus qui se loue pour jouer le rôle de Laureolus, ou du Gracchus indigne qui descend dans l’arène, portant

Le riche galerus où flotte un réseau d’or.

Un souvenir des civilisations disparues vous obsède à chaque instant dans ce Paris colossal.

En 1867, quand l’Empire, condamné déjà, avait l’air d’une bacchanale montée à son paroxysme, au milieu de cette Babel de l’Exposition universelle où l’on entendait retentir en toutes les langues ce que Bossuet appelle superbement « le hennissement de la luxure, » deux passants se rencontrèrent dans ce promenoir où les peuples semblaient s’être donné rendez-vous pour une orgie cosmopolite. L’un était Henri Lasserre, l’autre Ernest Hello, un homme de génie, qui aura traversé ce siècle sans que ce siècle l’ait aperçu.

— Une chose m’étonne, dit l’auteur de l’Homme au futur auteur de Notre-Dame de Lourdes, je viens de regarder du côté des Tuileries, ils ne brûlent pas encore…

On éprouve un sentiment analogue, et l’on se demande comment tient encore cette société où l’égoïsme, la vanité sotte, l’amour du plaisir, l’absence de tout sentiment de dévouement, de toute pensée de sacrifice, de tout instinct même de conservation sont en haut, où la haine et l’envie sont en bas.

L’identité d’impression s’arrête là. Paris n’a plus l’aspect joyeux, l’air de confiance, la puissance ensorcelante qu’il avait à la fin de l’Empire. Malgré l’effort qu’il fait pour se démener, il exhale une odeur cadavéreuse. Le cœur est comme envahi par une insurmontable tristesse et plus d’un de nous ratifierait ce qu’un Anglais, M. Georges Sims, écrivait il y a quelque temps sur ce Paris qui fut nos chères amours.

J’ai connu et aimé Paris toute ma vie, dit l’auteur d’In the ranks, et je n’y ai jamais passé une heure d’ennui, si ce n’est aujourd’hui. Il y a deux ans, je prenais le café sur le boulevard, en voyant passer le flux et le reflux de la vie parisienne. À cette époque déjà, on remarquait un changement : Paris descendait la pente dont il a atteint aujourd’hui la base. Le voilà par terre, en tas, appelant en vain l’homme qui le relayera pour le ramener au sommet. « République, ton nom est banqueroute ! » s’écrie un journaliste connu, et quoique je ne sois pas bien sûr que ce soit précisément de la faute de la République, je dois constater qu’il y a une quantité de banqueroutes. Les meilleures maisons de commerce sont fermées on en liquidation ; les théâtres, à peu d’exceptions près, font de mauvaises affaires ; les trottoirs bitumés sont en plus mauvais état qu’à Londres, grâce à notre administration de paroisse.

Toutes les classes sont sous l’empire d’un malaise. Les seules personnes convenablement mises sont les Anglaises et les Américaines. Paris est in extremis. Je ferme les yeux, pour réveiller en moi l’image des temps d’autrefois, des étalages splendides des magasins, des rues éclairées à jour, des femmes élégantes, des équipages magnifiques, des uniformes brillants, le bruit et le mouvement d’une ville en habit de dimanche continuel. Je rouvre les yeux, et je trouve une population misérablement vêtue, des exhibitions pauvres d’articles démodés à Londres, et au-dessus de tout cela, sous un ciel gris, on lit le mot : « Ichaboë » (Ile de la cote occidentale d’Afrique, fameuse par son guano).

La ville, où la vie jadis était si débordante, où les pavés eux-mêmes riaient aux passants, donne un peu la sensation de Munich. Au mélancolique et glacial München, il manque de la gloire, du mouvement pour remplir ce décor de palais, de temples érigés aux grands hommes absents, d’avenues magnifiques. Paris a eu cette gloire, il est plein de souvenirs d’héroïsme et de grâce, de légendes immortelles, de fantômes illustres, mais tout cela semble appartenir à un passé pour toujours aboli. Certaines régions ressemblent à des Pompéï et on se demande quelle catastrophe les a rendues tout à coup silencieuses et désolées. Ailleurs, l’activité est fébrile, mais avec une sorte d’inquiétude sombre qui persiste malgré tout.

Les hôtels du faubourg Saint-Germain gardent leurs volets fermés pendant dix mois de l’année. Presque tous les beaux hôtels du quartier des Champs-Elysées et du quartier Monceaux sont aux Juifs ; parfois, par les fenêtres ouvertes, on entend dans la solitude les échos, de quelque concert, c’est un Juif quelconque qui soigne sa névrose.

Le livre si français, le livre qui fait penser, le livre qui tenait tant de place au XVIIe siècle n’existe plus ; c’est la musique, art tout sensitif, art d’amollis et de maladifs, qui tient le premier rang. Après le crocodile, le Juif est le plus mélomane de tous les animaux. Tous les Juifs sont musiciens ou comédiens d’instinct. Camondo joue du violoncelle. Mme Saly-Stern chante l’opérette comme Judic. Herman Bemberg compose. On voit, dans des programmes satinés, le buste au nez inquiétant de l’auteur des Djinns, se dressant au milieu de branches de laurier au-dessus de banderolles où sont écrits les noms d’Haydn, de Gluck, de Mozart et de Beethoven. Mme Goldschmidt donne aussi de superbes concerts « dans des salons qui sont en enfilade. » Entre deux morceaux, Bemberg, que la renommée d’Haydn empêche de dormir, prie Mme Isaac de chanter une petite romance. Le Clairon, lorsqu’il vivait, voulait bien nous apprendre que le programme cette fois est imprimé « sur une feuille de vélin couleur orange rongée par un volcan ! » « Quelle jolie décoration, que de chefs-d’œuvre ! » s’écrie Meyer toujours ravi. « En pénétrant sous le péristyle, la magistrale statue de Houdon, l’Apollon, vous prend le regard. » J’imagine que le maître de céans a dû nous prendre jadis quelque autre chose pour donner de si belles fêtes…

Les Ellissen sont aussi fort joyeux et trouvent que la vie est belle. La mésaventure de nos pauvres chiffonniers condamnés à mourir de faim les a particulièrement mis en gaieté, et ils en ont fait le sujet d’une pièce qui a inauguré leur hôtel du boulevard Haussmann construit sur l’emplacement des jardins de la princesse Mathilde. Lorsqu’on pénétrait en voiture sous la voûte on voyait tout de suite une grande affiche ainsi rédigée :

Folie-Ellissen
Représentation gratuite le 14 mai 1885
CRÉMAILLÈRE-REVUE
Pièce à grand spectacle, interdite par la Censure, et représentée par autorisation spéciale du Conseil municipal, avec le concours des principaux artistes de la capitale.
Une tête couronnée honorera de sa présence cette unique représentation.
Lumière électrique, Feux de Bengale, Pétards, Apothéose.
MUSIQUE MILITAIRE

Dans ce Paris conquis, on rencontre jusqu’à des Juifs indiens, les Sassoon, une famille aux aventures fabuleuses ! qui possède la moitié de Bombay. Ils viennent donner des soirées chez nous. Mme Gubbay, fille de ce Sassoon, arrive de l’Inde tout à coup, invite des gens qu’elle n’a jamais vus, et auxquels elle n’a jamais été présentée et chacun accourt. Et il y a des naïfs qui prétendent que la haute société parisienne s’ouvre difficilement !

Malgré tout, ce monde juif n’est guère intéressant, en dépit du bruit qu’il fait. M. Robert de Bonnières s’était mis en tête de le peindre dans les Monach, et il allait partout répétant : « Je les étranglerai avec un cordon de soie. » Il a manqué d’estomac, comme on dit, et il n’a pas eu l’intrépidité qu’il fallait. Sans doute, il a bien entrevu l’abaissement de notre aristocratie devant le Juif enrichi par des opérations malhonnêtes ; mais l’énergie lui a fait défaut pour peindre ce qu’il avait devant les yeux ; il a indiqué seulement la mauvaise éducation du baron allemand rappelant à tout propos le prix de tout ce qu’il a chez lui, entrant le chapeau sur la tête dans une église pour en marchander le jubé ; il n’a mis qu’à moitié en relief, dans Lia, ce côté rusé, égoïste et dur que cachent chez les juives des attitudes langoureuses relevées par une originalité cabotine ; il n’a pas creusé, comme l’auteur de Daniel Deronda, il est resté à la surface.

À cette touche volontairement insuffisante et débile, j’avais cru deviner un homme qui a peur de brûler ses vaisseaux, de se fermer la porte de ce qu’on appelle « la Société, » qui tremble de n’avoir plus jamais autour de lui ce petit bruit de presse sémitique et boulevardière qu’il prend pour la renommée. L’auteur m’a écrit qu’il n’avait pas ce caractère et ce qu’on m’a dit de sa situation personnelle m’a confirmé dans cette idée. Il faut voir là seulement un manque de déterminisme, une impossibilité de conclure contrastant avec un style ferme et précis qui semble s’être aiguisé à la lecture constante de La Bruyère.

M. Paul Bourget a peut-être mieux saisi un autre aspect de cette société. L’auteur fréquente chez les Ephrussi et les Cahen où des femmes de remisiers, charmées d’être prises pour de vraies grandes dames, compatissent par un échange de concessions à un vague à l’âme légèrement affecté, à un dandysme qui sent un peu le maître d’étude habillé à la confection. « Avec leurs alternances de caressante lumière et de frissonnante mélancolie, » les livres du romancier reflètent bien ce qu’il y a de faux, d’artificiel, d’irréel dans toute cette Jérusalem parisienne.

On se demande où l’on est dans ces romans qui n’ont ni la poésie des œuvres d’imagination, ni l’attrait puissant et sain des œuvres de vie sincère et vraie. On est dans le monde juif, dans ce monde improvisé et très vieux, né d’hier, mais né décadent, anémique et fané. Les larmes, là, ne sont plus les nobles larmes qui soulagent l’être humain elle fortifient, par son attendrissement même, comme la pluie du ciel détrempe et féconde la terre ; elles sont des effets nerveux et ne viennent guère qu’à la suite d’émotions de théâtre ; le rire est toujours strident et saccadé. Jamais on n’entend un mot juste et franc, un mot à la Sévigné ou même à la Montespan, à la Champfort ou même à la Dupin. L’écrivain n’est apprécié que d’après ce qu’il gagne, la peinture n’est estimée que pour ce qu’elle coûte.

Dès qu’on parle d’un tableau, l’instinct du courtier ou du teneur de bazar se retrouve chez le gentleman qui semble dire : « Ouvrons l’œil ! voilà l’affaire ! » Tous ces esthéticiens à la Keats, ces nonchalants, ces êtres de morbidesse et de rêverie raffinée, se redressent à un mot, à une nouvelle qu’on peut utiliser, âpres au gain, lucides et éveillés pour leurs intérêts.

Tout à l’heure, l’appartement plein de fleurs aux parfums entêtants semblait comme un tombeau que ces détachés de la vie s’étaient préparé pour s’y éteindre dans une extase harmonieuse ; mais le Judische, le patois hébreo-germain, dans lequel on discute le bénéfice à réaliser, a vite fait taire le piano où meurt la plaintive mélodie de Schümann ; la voix qui, une minute auparavant, était une caresse, un murmure de harpe éolienne, reprend comme par enchantement le sifflement guttural.

Chez les natures qui s’observent le plus, cet instinct est presque irrésistible. La vieille baronne James était une femme supérieure qui contribua beaucoup par son tact a assurer aux Rothschild la situation mondaine qu’ils ont aujourd’hui. Un jour, c’était chez la duchesse de Galliera ; je crois, elle se trouvait au milieu d’une assemblée d’élite ; la conversation avait roulé sur les sujets les plus élevés et la baronne y avait tenu sa place. On vint par hasard à parler de diamants. Soudain la Juive de Francfort reparait « Vous n’y entendez rien ! » s’écrie-t-elle, et la voilà qui s’anime, qui passe en revue les diamants de tout Paris, indique le poids, l’éclat, le nombre des carats, la valeur vénale. Ce n’est que devant le silence qui s’est fait qu’elle rentre en possession d’elle-même et demeure quelques minutes comme honteuse de ce retour au métier primitif.

L’œuvre la plus remarquable dans ce genre reste le Baron Vampire de M. Guy de Charnacé[10]. Si l’auteur avait élargi un peu son cadre, il se serait approché bien près de Balzac.

Qu’il est vivant ce Rebb Schmoull, le petit colporteur de Bohême qui gagne quelques millions en de malpropres spéculations et qui, tout à coup, se présente, sous le nom de baron Rakonitz, à Paris, où la haute noblesse l’accueille à bras ouverts ! Quel trait de mœurs parisiennes que cette alliance du baron et de la comédienne juive Sophie Fuch ! Le baron lance l’actrice pour s’en servir comme d’un instrument afin de se venger d’un homme du monde, le vicomte de la Landelle, dont il a supporté les dédains, et quand cette fille s’est prostituée à tout Paris, le vicomte l’épouse solennellement. Grâce à la duchesse d’Ermenonville, le baron finit à son tour par épouser l’héritière d’un grand nom, Mlle de Solignac, et tout le faubourg Saint-Germain assiste au mariage.

Les portraits sont criants de vérité. Chacun nomme Rakonitz, vendeur de canons qui ne partent pas, lanceur de mines qui ne contiennent pas plus d’or que celles de l’Uruguay, créateur de chemins de fer fantastiques, restaurateur des finances de l’empire de Gulistaa. Voici des per- sonnages connus de tous dans le high life : Schavten, « le petit Juif collectionneur de faïences, d’émaux, estimateur recherché du bibelot qui, se glissant d’abord sous ce prétexte dans les salons, y trône maintenant avec insolence ; » Mme « Stein, » femme d’un courtier suisse, jolie, intelligente ; qui a su se faire accepter par le clan des jeunes duchesses, qui dînent chez elle quand son mari voyage pour la maison. Saluons encore, ou plutôt ne saluons pas, Mme Langman, une Juive polonaise, qui est une des douairières de la galanterie, Lise Adler, une Juive allemande qui fut bonne d’enfants à Varsovie.

« Tout cela coudoyant les fils et les neveux de preux qui ont fait la France par le sang versé, par le sacrifice de leur bien, par leur valeur, leur intelligence diplomatique à travers l’Europe ! Quel spectacle ! »

Ah ! oui ! Quel spectacle ! Et comme on comprend devant ces promiscuités ignominieuses les indignations d’un artiste au cœur droit, les colères d’un vrai gentilhomme comme Charnacé.

Dans les quartiers que les Juifs ont choisis pour leurs hôtels, on peut au moins se recueillir sans être écœuré par le spectacle que présente la rue. La rue est maintenant aux souteneurs et aux filles, ils s’y carrent effrontément, ils insultent les passants et font rougir les femmes, honnêtes par d’immondes propos.

C’est le livre de Macé, le Service de la Sûreté par son ancien chef, qu’il faut lire d’un bout à l’autre si l’on veut avoir une idée de ce que les républicains ont fait de Paris en quelques années. Dans sa brutalité administrative, dans son langage de procès-verbal sec et froid, l’ouvrage dépasse tout ce qu’on a écrit sur le Paris contemporain ; il dévoile les plaies plus cruellement que ne le feraient les plumes les plus éloquentes. Jamais le naturalisme ne nous a donné un plus épouvantable document humain.

Le chapitre sur les souteneurs est véritablement sinistre. L’auteur fait défiler successivement devant nous les souteneurs du grand monde, de la bourgeoisie, du demi-monde, les souteneurs ouvriers, les souteneurs des maisons de tolérance, les souteneurs mariés de bas étage, les souteneurs pédérastes, les souteneurs rôdeurs de barrières.

L’immoralité croissante, les doctrines matérialistes ouvertement prêchées, la misère, la rareté du travail ont créé des catégories jusqu’ici inconnues à Paris. Des hommes mariés vivent en grand nombre du déshonneur de leurs femmes, surveillent eux-mêmes leurs débauches.

La femme mariée fait son commerce n’importe où, mais toujours loin de son domicile. Dans la journée, elle racole aux gares de chemins de fer, dans les jardins publics, au bois de Boulogne, et se prostitue dans les cabarets ou hôtels du voisinage.

Le mari la suit à distance, soit pour la prévenir de la présence des agents, qu’il cherche à connaître, soit pour la protéger contre certains clients qui font des difficultés pour payer. Dans ce dernier cas, il intervient en qualité de mari, fait une scène à sa femme et à l’individu qu’il appelle son complice ; pour éviter tout scandale, celui-ci donne quelquefois beaucoup plus d’argent que s’il avait payé à la femme le prix convenu d’avance.

Des enfants de 12 à 15 ans, corrompus par l’exemple, deviennent apprentis souteneurs. Certaines filles se font accompagner de jeunes enfants qui assistent aux scènes les plus ignobles. Il y a dans le chapitre intitulé : Enfants en possession de femmes de débauche des détails qu’il m’est impossible de reproduire.

L’armée des malfaiteurs se recrute parmi les souteneurs.

Chaque jour il se forme une bande nouvelle. On dévalise les maisons de la banlieue et des environs de Paris ; Passy, Auteuil, Boulogne sont à chaque instant visités par les malfaiteurs.

On tire sur les commissaires et les officiers de paix, tous les soirs les rares gardiens de la paix qui ne pactisent pas avec les malfaiteurs sont obligés de livrer bataille. On assassine en plein midi au milieu de Paris, sur les ponts, dans le jardin des Tuileries ; au bois de Vincennes un vieillard est étranglé à quelques pas du concours de tir ; sur le boulevard des Capucines, devant le restaurant Hils on jette un lazzo autour du cou d’un homme pour le dévaliser. On arrête les voitures dans les rues comme jadis sur les grands chemins. Au mois de janvier 1885, une dame revenant de Bordeaux prend un fiacre à la gare d’Orléans, à onze heures du soir ; rue Contrescarpe, trois malfaiteurs sautent à la bride du cheval et la dame est obligée de donner tout ce qu’elle possède.

On tue les voyageurs en wagon, les filles dans leur lit, les marchandes de vins à leur comptoir[11]. La police se croise les bras devant tous ces crimes, absolument impuissante[12]. L’assassin d’une fille de la rue Monsieur-le-Prince, dont on connaît le nom et le signalement, peut tranquillement se promener dans Paris couvert de sang et aller demander une place dans un bureau de placement sans que nul ne songe à l’arrêter.

Les brasseries de femmes sont à la fois des lupanars, des tripots, des cabarets. Une fois entré là, tout fils d’honnête famille est perdu ; on le grise, on le fait jouer, on le dépouille de mille manières. Jamais peut-être la nature humaine ne fut dégradée davantage que dans ces malheureuses femmes dont la profession est de boire, qui ont l’ivresse pour gagne-pain ; qu’on appelle fainéantes quand leur estomac refuse le travail. Quelques-unes absorbent jusqu’à 40 à 50 bocks par jour ! Lisez cela et relisez après les tirades pompeuses sur la régénération de l’humanité par la démocratie[13].

Le proxénétisme a gagné toutes les classes de la société. Le propriétaire qui loue à une prostituée un logement au triple du prix qu’il vaut ; le logeur qui l’héberge au même titre que le propriétaire ; le marchand de vins qui l’attire chez lui pour y attirer en même temps les clients, et qui, au besoin la protège contre les agents ; le charbonnier qui lui vend le combustible à faux poids ; l’épicier, le fruitier, la marchande à la toilette, la couturière qui lui font payer les marchandises plus cher qu’à une autre, jusqu’à la blanchisseuse qui lui surfait le prix de son repassage (attendu, dit-elle, que la prostituée n’a pas de mal à gagner son argent). Tous ces industriels, à des titres différents, sont en réalité autant de proxénètes qui poussent à la débauche parce que la débauche leur rapporte.

M. Macé adresse rapports sur rapports, demandes sur demandes au préfet de police pour être autorisé à nettoyer Paris ; il se heurte à un refus formel et il nous en donne la raison[14].

La majorité du Conseil municipal est d’accord avec les exploiteurs du vice.

Dans certaines élections ce sont les souteneurs et les repris de justice qui apportent l’appoint de voix, nécessaires. Le témoignage de M. Macé est très grave sur ce point. « La plupart des souteneurs sont électeurs et votent ; avec leur carte ils pénètrent partout. Bon nombre ont, cependant, subi diverses condamnations, ce qui ne les empêche pas de faire usage de leur qualité de citoyens. Tout récemment, des individus arrêtés et ayant des antécédents judiciaires, ont été trouvés nantis de leurs cartes d’électeurs coupées à l’un des angles, indice certain qu’ils en avaient fait usage. »

Les choses se passaient de la même façon pendant la première Révolution où les repris de justice étaient maitres souverains dans les sections.

Ces teneurs d’établissements infâmes sont des purs entre les purs, au point de vue républicain ; ils servent la bonne cause à leur façon en pourrissant les jeunes générations, en détruisant dans les masses tout sentiment honnête qui pourrait aider le pays à sortir de la fange. Nous constaterons plus loin, d’ailleurs, l’étroite connivence des chefs de la démocratie avec les marchands de vin empoisonneurs.

La loi sur les récidivistes, proposée par les Francs-Maçons, n’est pas une solution, c’est un instrument de proscription contre tous les Français indistinctement, voilà tout. On peut fermer les lieux de prostitution et mettre les filles à Saint-Lazare, comme autrefois, sans faire une loi qui permette d’envoyer un malheureux, qui aura volé un pain, ou, dans une rixe politique, frappé un agent, mourir à la Guyane, où la température ordinaire est de vingt-sept degrés, où, de l’aveu unanime de tous les médecins, un Européen ne peut vivre plus de trois ans.

Les représentants de la droite se sont, là encore, laissés prendre aux lieux communs[15]. Nul parmi eux, en dehors du comte de Mun, qui a prononcé quelques généreuses paroles, n’a eu assez de souffle pour envisager la question de haut, pour tracer un exact et vigoureux tableau de la décomposition actuelle, pour secouer les ministres républicains sur leur banc, pour leur dire : « Eh bien ! voilà donc ce qu’a produit votre République, qui accusait les régimes antérieurs de corruption ? Vous en êtes à demander la proscription en masse des Français coupables de n’avoir pas de rentes, vous réclamez des mesures dont tous les gouvernements qui vous ont précédé se sont passés pour maintenir l’ordre ! »

Si la plupart de ceux que cette loi menace sont peu dignes de sympathie, la loi n’en est pas moins monstrueuse. Solvere poenam, payer sa peine, disaient les anciens. Une fois qu’il a acquitté sa dette à la société, le condamné est libre. Nul n’a le droit de greffer sur une condamnation un châtiment nouveau, un châtiment que l’on regardait jadis comme le plus terrible de tous : la privation à perpétuité du sol de la patrie[16].

La loi, que tout le monde déclarait inapplicable, a été votée, malgré tout, car les Juifs la voulaient. Français d’hier, le Hambourgeois Reinach[17] trouve tout simple de chasser du sol, d’exterminer, selon l’expression de Racine, des hommes dont les ancêtres sont depuis des siècles sur la terre de France. Pour quel crime ce nouveau venu interdit-il à d’anciens Français la terre et l’eau ? Pour vagabondage ! c’est-à-dire pour un délit tout relatif, pour le fait d’être pauvre, d’avoir eu des parents trop honnêtes pour s’enrichir, d’avoir dormi dans un bois, sur un banc de promenade, au lieu de dormir dans un lit, d’avoir passé la nuit à la belle étoile.

À ce compte Homère, Camoëns et Nerval auraient été des vagabonds.

Jamais l’envahissement, d’abord doucereux, puis brutal du Juif ne s’est affirmé d’une façon plus saisissante.

La maison est à moi ! C’est à vous d’en sortir.

Les droits de l’homme et du citoyen, proclamés avec tant de fracas, se traduisent dans l’application par des lois vraiment bien humaines. L’échelle des peines, que Beccaria et l’école du XVIIIe siècle voulait abaisser, s’élève maintenant jusqu’aux proportions de l’échelle de Jacob.

Les députés catholiques n’ont pas envisagé ces choses comme il fallait ; ils n’ont pas pensé à défendre des droits imprescriptibles et sacrés même dans ces êtres pervertis par le gouvernement actuel, systématiquement privés de l’enseignement religieux qui aurait pu les aider à se relever après une première chute.

Pour les chrétiens d’autrefois, le pauvre c’était Jésus-Christ en personne, et la règle de saint Benoit recommande formellement de recevoir celui qui se présente pour demander un morceau de pain, comme s’il était le Sauveur lui-même. Au seuil du réfectoire des Bénédictins de Solesmes, on trouvait le Révérendissime abbé à l’époque où j’y vins, c’était Dom Guéranger, chargé d’années et illustre entre tous par sa science, qui présentait l’aiguière à l’hôte et lui lavait les mains. D’innombrables récits du Moyen Age sont la mise en scène de cette idée. Un malheureux en haillons est assis sous le porche d’une église, et tend la main à l’aumône ; soudain les humbles vêtements rayonnent, et l’on s’aperçoit que c’était le Christ qui était là.

En pareil cas, les catholiques d’aujourd’hui, M. de Mackau en tête, iraient-ils trouver le Franc-Maçon Caubet et lui diraient-ils : « Cet homme est pauvre, il n’a pas de domicile, il offusque notre vue, envoyez-le crever à la Guyane[18]. »

Quatre catholiques seulement ont voté contre cette loi inique qui assimile la mendicité à un crime digne de la mort, ce sont : Mgr Freppel, M. Paul de Cassagnac, M. Daynaud et M. de Mun.

Pour beaucoup, après tout, l’agonie sur une terre étrangère serait peut-être une délivrance. Les prolétaires sont acculés de plus en plus entre la mort par la faim et la révolution sociale. «  Quand les hommes perdent de vue les nécessités morales, a dit le puissant penseur que nous avons déjà cité, Dieu fait sortir la lumière des nécessités d’un autre ordre. Si la Foi n’est plus enseignée par l’oreille elle sera enseignée par la faim[19] ! »

La révolution sociale a un caractère presque fatal. Peut-être faut-il voir, dans la conviction qu’il a de cette situation, une des causes de l’hésitation du comte de Paris. Il est, on le sait, un des trois ou quatre hommes d’Europe qui connaissent à fond la question ouvrière ; il n’a pas, dans le principe qu’il représente, la foi qu’il faudrait pour entreprendre une restauration sociale qui seule sauverait la France, et en même temps, il aperçoit, avec plus de clairvoyance que les politiciens de son parti, l’intensité de la crise qui se prépare. Le travail, déjà ralenti partout, s’arrêtera bientôt presque complètement, grâce à la concurrence que nous font l’Europe et l’Amérique.

L’ouvrier parisien a perdu la suprématie qu’il avait autrefois et les peuples voisins tendent de plus en plus à se passer de nos produits. Tel est le lamentable aveu qui « échappe de toutes les enquêtes et de tous les rapports[20].

Les étoffes, les fleurs, les gazes, ce qu’on appelait l’article de Paris, tout cela, dans quelques années, sera exclusivement fabriqué à l’étranger.

D’après les présidents des chambres syndicales l’exportation des articles de Paris (tabletterie, bimbeloterie, lorgnettes, brosserie, éventails, boutons), qui atteignait, en 1875, le chiffre de 168,411,000 francs, était tombé, en 1884, à 91,930,000. De 42,189,000 (chiffre de 1875), l’exportation des fleurs artificielles et modes était réduite, en 1884, à 27,602,000. La situation s’est encore aggravée en 1885.

La plupart des mobiliers viennent aujourd’hui d’Allemagne et M. Marius Vachon, dans son rapport à M. Turquet, nous a donné des renseignements effrayants pour nous sur les progrès accomplis par certains peuples. La Russie, par exemple, qui semblait devoir être à jamais notre tributaire pour tout ce qui touche à l’élégance et à la mode, est arrivée à se passer presque complètement de nous, « Le meuble, qui était une des branches les plus florissantes de notre commerce avec Saint-Pétersbourg et Moscou, a presque entièrement disparu du marché russe. »

Dans l’Enquête sur les industries d’art, M. Belvalette déclare que l’exportation des voitures est tombée de dix millions à quatre millions. M. Pagny constate que l’industrie des dentelles, qui occupait 30,000 ouvriers dans le Calvados, est « dans le marasme le plus complet. » M. Carpentier, président de la chambre des doreurs, avoue que nos ouvriers ne veulent plus travailler que par grâce et qu’ils sont incapables d’exécuter ce que font les Allemand ! et les Italiens beaucoup mieux et à meilleur marché. M. Hamel est obligé de reconnaître que la sculpture sur bois est en pleine décadence.

Ici encore les théories juives ont porté leurs fruits logiques. Alors même qu’il en tire tout le profit, le Juif méprise le travail manuel, le travail des ateliers et des champs ; il admire exclusivement le courtier, l’entremetteur ou encore l’acteur qui est, lui aussi, une sorte d’intermédiaire[21]. La civilisation chrétienne avait garanti, ennobli, poétisé le labeur, la civilisation juive l’exploite par le Juif capitaliste et le diffame par le Juif révolutionnaire ; la capitaliste fait de l’ouvrier un serf, le révolutionnaire, dans ses livres et ses journaux, l’appelle un forçat.

Comparez l’atmosphère d’idées dans laquelle vivaient les prolétaires du passé et l’atmosphère dans laquelle vivent ceux, du présent, et vous vous expliquerez que, par une naturelle conséquence, la grossièreté des sentiments ait engendré la vulgarité dans les productions.

Si vous eussiez pénétré autrefois, dans quelque intérieur d’ouvrier, vous y eussiez trouvé ces images de corporation payées par les soins des syndics et des jurés en exercice et qui représentaient les saints protecteurs de chaque corps d’état. Tandis que des dessins plus ou moins nombreux rappelaient les principaux épisodes de la vie du saint, les détails de son martyre, d’autres représentaient les outils particuliers de la profession.

Ces gravures, qu’on distribuait à tous les membres d’une confrérie, constituaient comme un signe de ralliement commun dans les mêmes prières et dans la même foi. On les suspendait dans l’atelier et le saint, avec son nimbe éclatant, en ses vêtements parfois peinturlurés de couleurs criardes, regardait ainsi le maître et le compagnon, l’ouvrier qui déjà avait fait son chef-d’œuvre et l’apprenti encore novice travailler de leur mieux.

Que verriez-vous aujourd’hui à la même place ? d’immondes caricatures qui représentent des prêtres ivres, des femmes retroussées, des scènes de crapuleuse débauche.

L’Eglise donnait aux ouvriers les saints du ciel pour camarades, la presse franc-maçonne et juive les assimile à des galériens.

Par une mystérieuse opération de l’esprit, cet état d’âme différent se traduit dans les créations matérielles. Le travail, exécuté sans, entrain par un homme dont l’imagination est salie par de vilaines lectures, attristée par la conviction que son sort ne diffère guère de celui des forçats, n’a plus la délicatesse de jadis, La main est devenue lourde à mesure que la pensée devenait basse et le gros mouvement pornographique et athée de ces dernières années, en enlevant à nos artisans tout idéal, leur a enlevé en même temps tout leur goût.

À ces causes d’infériorité il faut ajouter la concurrence déloyale qui se donne pleine carrière, grâce au mépris des gouvernements étrangers pour le nôtre. On contrefait nos marques de fabrique et on les appose sur des produits qui n’ont rien de français.

Quelle autorité voulez-vous qu’aient pour se plaindre des représentants comme ceux qui ont envahi notre diplomatie ? A Vienne, vous avez Foucher de Careil, ancien candidat officiel de l’Empire, devenu opportuniste servile, qui a jadis dépouillé un pauvre privat docent de ses travaux de vingt ans sur Leibnitz, pour mettre sur l’œuvre d’autrui sa marque de fabrique à lui. On envoie, comme consul général à Panana, pour l’aider à se refaire aux dépens des actionnaires du canal, le député Lavieille, qui vient d’être flétri par les tribunaux pour ses indélicatesses financières. En Égypte, vous aviez Barrère, ailleurs un ambassadeur dont la nièce a été condamnée à six mois de prison, à Marseille, pour avoir commis d’innombrables escroqueries en se faisant passer pour l’archiduchesse d’Autriche ; à Rome, vous avez Gérard.

Après la guerre, quand l’impératrice Augusta demanda un lecteur français, on lui déclara qu’il serait impossible de trouver un Français assez vil pour aller remplir un tel emploi à Berlin. Gérard s’offrit, et moitié valet, moitié lecteur, puni quand il était en retard d’un quart d’heure, il accepta cet horrible métier de sourire à tous les sarcasmes qu’on lançait contre sa Patrie mutilée dans ce palais qui retentissait, du matin au soir, des cris de joie bruyants des vainqueurs, Gambetta, toujours en quête d’hommes assez dépourvus de dignité pour qu’on pût tout leur demander, prit Gérard dans la domesticité d’une souveraine allemande pour en faire un serviteur de la République.

Tandis que nos ouvriers s’entassent dans nos villes à la recherche d’un travail qui devient de plus en plus rare[22], l’agriculture est abandonnée. En certaines régions on ne veut prendre de ferme à aucun prix ; la terre a perdu près des trois quarts de sa valeur. Le rapport de la Société des Agriculteurs de France sur la situation du département de l’Aisne contient des aveux navrants sur ce point.

Dans la séance du 24 février 1884, M. de Saint-Vallier constatait que dans le département de l’Aisne, naguère encore en pleine prospérité agricole, la terre était dépréciée dans des proportions telles que 840 fermes ou marchés de terre ne trouvaient pas preneurs même pour le montant de l’impôt et que dans le seul arrondissement de Laon, 7,040 hectares, dont 1,250 de petite exploitation, demeuraient délaissés et en friche. D’après l’ancien ambassadeur de France à Berlin, la moitié de l’agriculture de la région aurait succombé depuis cinq ans et plus de la moitié de ce qui reste debout serait à toute extrémité.

Dans l’enquête, que Méline se refusa à livrer à la publicité, M. Gentilliez démontra que la situation était aussi désastreuse dans la circonscription du comice de Marle que dans la circonscription du comice de Laon ; il donna un total de 17 fermes, représentant 2,270 hectares, délaissées par les exploitants et que les propriétaires sont forcés d’exploiter eux-mêmes, de 116 fermes, représentant 5,563 hectares, abandonnées au cours du bail par suite de la ruine de l’exploitant et de 1,603 hectares (plus 8 marchés de terre d’une contenance inconnue) actuellement en friche[23].

Que croyez-vous que répondit Méline ? Il offrit à M. Gentilliez de le décorer du Mérite agricole !

Dans cette République où tout meurt, l’art, la littérature, l’industrie, le commerce des marchands de vin prospère seul. Les chiffres fournis par la statistique qu’on a appelée quelque part « l’art de vérifier les faits » sont terrifiants.

Le relevé des débits de boissons, dressé chaque année par l’administration des Contributions indirectes, accuse une rapidité inouïe dans l’augmentation du nombre des cabarets.

Le chiffre était :

— en 1869 de 366,507
— en 1882 de 376,520
— en 1883 de 402,534
— en 1884 de 415,327

Dans ce total ne sont pas compris les débitants de boissons de Paris dont le chiffre est évalué à 35,000.

Voici, d’après le relevé de l’octroi, dans quelles proportions s’est accrue depuis quelques années la consommation de l’alcool à Paris seulement :

1877… 107,481 hectolitres ;
1878… 123,111
1879… 125,214
1880… 132,138
1881… 145,867
1882… 448,444
1883… 445,467
1884… 147,935
1885… 141,129 [24]

L’ouvrier de Paris particulièrement a véritablement besoin de boire avec excès. Les races déclinent, les fils les plus robustes de la province sont vite usés dans ce Paris qui corrompt et qui épuise. Les Parisiens naissent vieux, ne se soutiennent que par une force nerveuse qui doit incessamment se retremper dans l’alcool.

On s’enfonce certains breuvages dans le corps, comme on s’enfoncerait à demi un poignard dans la peau, pour avoir un chatouillement aigu, une sensation âpre et violente qui remue, stimule et secoue. Les femmes, les faibles, les maladifs se piquent le bras à la morphine, les travailleurs se piquent le nez à l’alcool et tous deux éprouvent réellement un bien-être passager, une accélération de mouvement, une détente en même temps.

Le cerveau réclame ces toniques plus impérieusement encore que l’estomac. Bacchus, qui a porté tant de noms dans l’antiquité, s’appelait Liber aussi souvent que Dyonisios, il libère, en effet, il délivre les déshérités des chaînes de la réalité, il délie les cœurs. Dans une halte de repos au cabaret, l’ouvrier organise le monde à sa façon entre deux tournées ; il voit accompli ce rêve d’un bonheur chimérique qui lui échappe toujours, il est en possession du seul idéal qu’on lui ait laissé. Comme le Centaure du Louvre, auquel le Génie de l’ivresse a lié les mains derrière le dos, le peuple est le prisonnier de l’alcoolisme.

Ce qui est terrible c’est que ce n’est ni du vin, ni de l’eau-de-vie que l’on vend au prolétaire, c’est un mélange sans nom, un poison véritable.

La Maçonnerie semble avoir perfectionné ou du moins modernisé certains de ses procédés. Autrefois, elle se servait beaucoup de l’aqua tofana qui a fait disparaître tant d’hommes hostiles aux révolutionnaires.

La pharmacie, écrit à ce sujet l’auteur de Juifs et Francs-Maçons, connaît un poison, qu’elle nomme aqua tofana, dont la composition est attribuée à une célèbre empoisonneuse italienne du nom de Tofana qui, à cause de ses crimes, fut étranglée en 1730. Ce poison est extrêmement subtil et ne laisse aucune trace. Celui des Francs-Maçons, qu’ils appellent aussi aqua tofana ou tophana, avec un léger changement d’orthographe, est bien plus dangereux et bien plus redoutable.

Ce tonique, dans la composition duquel entreraient, parait-il, de l’opium et des mouches cantharides, est aussi clair que l’eau la plus limpide et n’a aucun goût. Il attaque les parties nobles du corps et, selon la dose absorbée, il opère des effets divers, soit la mort instantanée, soit la mort à des intervalles plus ou moins éloignés ; il produit une maladie de langueur ou bien l’idiotisme ou bien encore sans coliques, ni douleurs, ni symptômes particuliers, il conduit à un état de faiblesse et de consomption tel que la science est impuissante et la mort inévitable. Ce serait, dit-on un franc-Maçon, pharmacien à Naples, qui aurait inventé ce poison, probablement en perfectionnant l’aqua tofana déjà connue. Il n’aurait travaillé que pour la secte et sans doute d’après les ordres de ses chefs ; aussi la composition de ce tonique infernal, qui ne se fabrique qu’à Naples, est restée leur secret.

Je suppose que les médecins affiliés ont trouvé mieux. En tous cas, l’empoisonnement par les denrées alimentaires, par les liquides, est un grand instrument des desseins de la Maçonnerie. « Le peuple, a dit Campanella, sait-il de quels poisons est fait le philtre qu’on lui fait boire ? » Les meurtres, de plus en plus nombreux, les maisons de fous pleines, les suicides qui augmentent sans cesse attestent les effrayants ravages que produisent ces breuvages dans lesquels, à part l’eau, n’entre aucun élément qui ne soit funeste à la santé[25]

Devant cet alcoolisme léthifère on se prend à songer à l’époque où les Crieurs de vin étaient en même temps Crieurs de morts et s’en allaient, vêtus d’une dalmatique semée d’ossements entrecroisés, annoncer partout le nom des trépassés. C’est leur propre mort que les marchands d’aujourd’hui pourraient annoncer d’avance à ceux auxquels ils versent l’absinthe et le trois-six.

Les rois chrétiens avaient fait de cette question l’objet de leur plus constante sollicitude. Ecoutez Louis Blanc, lui-même, dont on ne récusera pas le témoignage.

Mêlées à la religion, écrit-il, les corporations du Moyen Age y avaient puisé l’amour des choses religieuses, mais protéger les faibles était une des préoccupations les plus chères au législateur chrétien. Il recommande la probité aux mesureurs ; il défend au tavernier de hausser jamais le prix du gros vin, comme boisson du peuple ; il veut que les denrées se montrent en plein marché ; qu’elles soient bonnes et loyales, et afin que le pauvre puisse avoir sa vie au meilleur prix, les marchands n’auront qu’après tous les autres habitants de la cité la permission d’acheter des vivres[26].

Si vous consultiez sur ceci un Passy quelconque ou un économiste officiel, il vous débiterait de solennelles turlupinades sur le mécanisme des échanges. La vérité, comme vous pouvez vous en rendre compte à l’aide de votre seule raison, est que saint Louis faisait de la grande économie politique en mettant directement en rapports le producteur et le consommateur ; il plaçait, face à face, les deux représentants du travail en reléguant au second plan l’intermédiaire, le parasite.

L’organisation actuelle étant juive est naturellement la contre-partie de l’organisation chrétienne de saint Louis. Dans le commerce des vins, comme ailleurs, on a fait disparaître toutes ces petites maisons dont l’enseigne parfois séculaire, gage de bonne renommée et de traditionnelle probité, était une sorte de blason. Le système juif détruit à la fois la garantie de l’honneur individuel du commerçant et la garantie collective de la corporation pour substituer à tout cela le vague d’une compagnie anonyme.

Aujourd’hui le commerce des liquides appartient à quelques gros commanditaires, plus banquiers que marchands de vin, qui tiennent entre leurs mains, dans un vasselage absolu, les établissements de second ordre. Le marchand au détail n’est guère qu’un employé, un prête-nom  ; il gère ce qu’on appelle une régie ; il ne peut s’adresser ailleurs quand on le sert mal, car, d’ordinaire, le loyer est payé directement par les fournisseurs du magasin. Un débit peut avoir cinq ou six patrons successifs, vous y trouverez toujours les mêmes liquides pris chez les mêmes industriels.

Le commerce des vins est donc devenu un commerce de produits chimiques où l’on expérimente toutes les inventions, où l’on pratique la gallisation, la pétiotisation, l’alunage, le salage, le sucrage, le plâtrage, où l’on combine les matières colorantes de toute espèce, les ingrédients de toute nature.

On devine quelle influence désastreuse cette chimie exerce sur la santé publique. Les vins naturels, en effet ont des principes d’assimilation et les excès mêmes avec eux n’ont que de médiocres inconvénients[27]. Vous avez vu en Bourgogne, par exemple, des vignerons dont la trogne est rubiconde, dont la face a pris les couleurs du pampre à l’automne ; ils sont toujours gais, bien portants, vivent très vieux. Les breuvages composés avec des essences, au contraire, ne s’assimilent pas, ils ont l’action de véritables poisons, ils déterminent des crises de delirium tremens, des accès de frénésie, des raffinements de férocité dont l’homme est à peine responsable.

Prenez, si vous le voulez, les sucrages, auxquels se sont voués particulièrement deux zelés démocrates de l’Hérault. Le sucrage, on le sait, se fait par la glucose. Or, nous dit le rapport sur les travaux du Laboratoire municipal pour l’année 1882, « la fermentation du sucre de fécule donne naissance à une certaine proportion d’acide amylique dont la nocivité est supérieure à celle de l’alcool de vin. De là l’ivresse plus rapide, les malaises immédiats, l’ébranlement nerveux qui suivent régulièrement l’usage journalier des vins traités par la méthode de Gall et de Petiot. »

Il eût semblé logique que les démocrates, ceux qui se déclarent en toute occasion les amis du peuple, exagérassent même la sévérité contre les commerçants qui, pour s’enrichir, empoisonnaient les classes populaires[28]. N’est-elle pas doublement précieuse cette santé de l’ouvrier pour lequel la moindre maladie est la ruine, la honte pour les siens, l’hôpital ? Qui ne se sentirait ému en voyant les récits de toutes les fraudes dont sont victimes les malheureux auxquels des marchands éhontés, affolés par l’amour du gain, donnent de la marchandise fausse en échange d’un argent qui est vrai ? Est-il un honnête homme qui ne soit pas de l’avis d’Alphonse Karr qui, partant de ce principe juste que la monnaie est l’équivalent de la marchandise, demande qu’on punisse celui qui fabrique du faux vin de la même peine que celui qui fabriquerait de la fausse monnaie ?

Les Francs-Maçons ne pensent pas ainsi. L’abrutissement par l’alcool frelaté est un de leurs principaux moyens d’action, ils ne veulent pas y renoncer. Rien n’est symptomatique, sous ce rapport, comme les attaques dont le Laboratoire municipal a été l’objet.

Le Laboratoire municipal est dirigé par un chimiste éminent qui a, ce qu’on appelait au XVIIIe siècle, « la passion du bien public. » Incorruptible, ce qui en fait une originalité à notre époque, M. Girard s’est arrangé de plus pour se mettre même hors d’état de condescendre aux sollicitations, aux recommandations, aux demandes injustes dont l’accablent les conseillers municipaux républicains. Il est admirablement secondé par un homme aussi actif que lui, M. Dupré, et par une légion de jeunes savants auxquels les modestes émoluments de leur place d’inspecteurs permettent d’achever leurs études de médecine.

En quelques années ce Laboratoire a obtenu d’importants résultats ; il a éclairé d’un jour terrible les périls qui menaçaient les travailleurs ; il a fait même cesser complètement certaines falsifications plus meurtrières que les autres.

Voici quel a été le chiffre des analyses depuis 1881 :

En 1881     6,517
En 1882 10,929
En 1883 14,686
En 1884 16,504
En 1885 16,184[29]

La proportion générale était, au commencement, de 50 pour 100 de mauvais sur les laits, de 59 pour 100 sur les vins. Grâce à une surveillance attentive, elle avait diminué de près de moitié. Depuis le succès du Conseil municipal, qui a réussi à empêcher la publication du résultat des analyses, la proportion est redevenue ce qu’elle était au début et, vraisemblablement, augmentera encore.

Au lieu d’encourager ces opérations bienfaisantes, d’augmenter les attributions de ce véritable Comité de Salut public, les députés de la gauche craignirent de voir revenir à la raison le cerveau des infortunés prolétaires qu’ils trompent par de perfides promesses. Ils prirent ouvertement, brutalement, sans vergogne, le parti de l’empoisonneur. Ils organisèrent une sorte de syndicat pour garantir au marchand de vin ses bénéfices malhonnêtes, une manière d’assurance de la Fraude contre le Châtiment.

Une première fois, Gambetta avait présidé une réunion qui se proposait franchement ce but méprisable. Après la mort du chef de l’opportunisme, Edouard Lockroy reprit l’affaire qui lui sembla bonne et, dans la réunion qui eut lieu au mois de mars 1883, au Cirque-d’Hiver, il fut entouré de tous les hommes politiques appartenant à la Maçonnerie. Sur l’estrade on remarquait à côté de lui :

MM. Brelay, Spuller, Barodet, Frébault, Anatole de la Forge, Cadet, Greppo, Cantagrel, Farcy, de Heredia, Lafont, Tony Révillon, Beauquier, Pelletan, Peytral, Courmaux, Boué, Rousselle, colonel Martin, Amouroux, de Ménorval, Delabrousse, Robinet, Dreyfus, Hamel, Marsoulan, Curé, Jobbé, Duval, Deligny, Hovelacque, Ranc, Ernest Lefebvre, Germain Casse, etc.

Au point de vue de la note à prendre, cette tranquille impudence est peut-être un des symptômes les plus caractéristiques de là bassesse d’âme de ces députés républicains. Quelles généreuses paroles eût pu prononcer un homme véritablement digne de ce beau titre d’ami du peuple ! Quels nobles accents, il eût pu trouver pour dire à cet auditoire populaire : « Ne vous dégradez pas par l’ivresse ! Songez à tout ce qui s’engloutit dans les assommoirs, à la femme, aux enfants qui attendent le salaire de la semaine. »

Parmi les flatteurs du peuple qui figurent dans cette liste, aucun, je le reconnais, n’eût été capable de tenir ce langage que tiennent les plus pauvres desservants de nos campagnes. Tout au moins ces favoris de la multitude eussent pu dire : « Peuple, puisque tu veux boire, nous veillerons à ce qu’on ne t’intoxique pas, à ce que l’on ne gagne pas en quelques années une scandaleuse fortune aux dépens de ta santé. »

De toutes ces bouches il ne sortit qu’un cri d’encouragement aux falsificateurs et aux distillateurs de poison, un cri de réprobation contre l’institution qui avait pour but de préserver la vie de l’ouvrier.

La façon éhontée dont certains orateurs, comme le Juif Lyon-Allemand, outragent publiquement la vérité dans ces réunions est inimaginable. On déclare par exemple, que le Laboratoire met des entraves au commerce en exigeant une moyenne de 10 degrés d’alcool et de 20 grammes d’extrait sec.

— Le vin de Champagne n’atteint pas cette moyenne, ajoute-t-on triomphalement.

Or, ces arguments sont absolument mensongers. Quand le vin examiné est déclaré naturel par le vendeur, on compare l’échantillon prélevé au vin du même crû et, s’il est trouvé semblable, on admet parfaitement qu’il n’ait que 8 et même 7 degrés. Quand le dépositaire ne veut pas indiquer la composition des vins dits de coupage, on lui applique les habitudes du commerce parisien, qu’on est bien forcé de tolérer par la force des choses, quelque répréhensibles qu’elles soient, et qui consistent à mouiller d’un cinquième. Remarquons, en outre, qu’à part les produits nuisibles, le Laboratoire n’empêche de rien vendre ; il dit seulement aux marchands de vin : « Ne trompez pas, annoncez du vin additionné d’eau, du vin fabriqué avec de la fécule de pomme de terre, du cognac orné d’un bouquet d’éther. En boira qui voudra. »

C’est cet appel à la plus élémentaire loyauté qui révolte les républicains organisateurs de ces meetings. Ils ont obtenu gain de cause, en tous cas, et depuis le mois de juillet 1883, il est défendu au Laboratoire d’employer officiellement les mentions mauvais et nuisibles. En 1884, Lyon-Allemand, chargé du rapport au Conseil municipal, fit même voter le rattachement à la Préfecture de la Seine, mais cette délibération fut cassée[30].

N’est-ce pas bien Franc-Maçon tout cela ? Les hommes qui refusent au pauvre agonisant, dans un hôpital, le cordial de quelque bonne parole du prêtre qui le réconforte et l’encourage, ne sont-ils pas logiques avec eux-mêmes en refusant aux travailleurs le cordial d’un verre de vrai vin qui le remette un peu de ses fatigues ? « Malheur au pauvre ! » dit l’opulent Lockroy. Le riche seul aura droit à avoir un peu d’idéal dans l’âme, un peu de chaleur à l’estomac, un peu d’espoir pour là-haut, un peu de gaieté saine ici-bas. »

Si l’on pouvait mettre l’air qu’on respire en exploitation, ces aigrefins formeraient un syndicat pour empêcher les indigents d’en profiter. À défaut de l’air nos braves républicains eurent l’idée d’exploiter les débris jetés à la borne. Qui eût imaginé qu’un gouvernement prétendu démocratique pût avoir seulement la pensée d’interdire aux déshérités de recueillir pour soutenir leur misérable existence, les rebuts de la ville magnifique, de ramasser les miettes de la fête ? Cette implacable dureté a peine même à se concevoir. Les hommes du jour ne reculèrent pas devant l’odieux de cette mesure.

L’affaire était bonne. D’après les calculs les plus modé- rés, le nombre des chiffonniers chiffonnant peut s’élever, à Paris, à cinquante mille. Chacun gagne, en moyenne, trois francs par jour, ou plutôt par nuit ; mais, en mettant les choses au plus bas, en fixant la moyenne à deux francs, on trouve que cinquante mille fois deux francs font cent mille francs par nuit. Cent mille francs par nuit font trois millions par mois et trente-six millions par an.

Trente-six millions étaient un joli denier pour des gens qui pensent que l’argent n’a pas d’odeur. Au premier abord on prétendit qu’une compagnie anglaise s’était offerte pour bénéficier de ces trente-six millions qui faisaient vivre quarante mille êtres humains. Le gouvernement indigné s’empressa de faire déclarer, par l’agence Havas, qu’il n’y avait pas une seule compagnie, mais plusieurs compagnies.

Sur l’affaire principale, on greffa la petite affaire des récipients. Une maison de la rue du 4 Septembre, dont la raison sociale cachait deux Juifs prussiens inonda Paris de prospectus pour annoncer aux habitants de la ville que ceux qui se fourniraient chez elle seraient désormais à l’abri des procès-verbaux qui allaient pleuvoir sur les simples mortels. Devant les protestations qui s’élevèrent on fit semblant d’ouvrir une instruction mais je ne vous étonnerai pas en vous disant qu’elle n’amena aucun résultat. La chose était pourtant claire… La circulaire disait :

Tout propriétaire qui pourra justifier de l’achat d’une boîte ménagère à notre maison ou succursale sera exempt de contravention.

Tout propriétaire, au contraire, qui ne pourra donner cette justification, encourra les conséquences de l’ordonnance préfectorale dès demain.

Ou les journaux avaient publié une pièce fausse ou les négociants avaient fait, sans droit, une promesse qui constituait une manœuvre frauduleuse, ou des hauts employés de la ville s’étaient laissés corrompre. Dans les trois cas il fallait poursuivre.

On s’arrêta car on eût été forcé de mettre en cause Alphand, un Juif d’origine encore (Alphanderry, Halphen) pour lequel le Conseil municipal a des tendresses que l’on comprend[31].

La gauche, d’ailleurs, pénétrée d’admiration pour ce Poubelle qu’un dépouillement de scrutin resté fameux devait immortaliser plus tard, n’eut pas une parole de pitié pour les malheureux chiffonniers. Ce fut le duc de la Rochefoucauld-Bisaccia qui s’honora infiniment en prenant en mains la cause des infortunés qu’on condamnait à mourir de faim et en la défendant devant des républicains repus qui, supputant d’avance la part qu’on leur ferait dans l’affaire, riaient aux éclats tandis qu’il parlait.

Les jeunes résistèrent comme ils purent. Les vieux se couchèrent dans leurs cahutes et y attendirent la mort. Le père Laplace qui n’avait pas mangé depuis quarante heures, ce qui, quoiqu’en puisse penser Poubelle, est dur pour un vieillard de 74 ans, s’éteignit comme une bougie sur laquelle on souffle, à une réunion de la salle Graffard[32]. Le père Gouri, chassé de son taudis de la cité des Bleuets, vendit ses loques pour payer ses dettes et alla se pendre dans un garni du boulevard de Belleville. Une vieille femme écrivit à un journal radical pour demander à Poubelle « de la faire abattre. »

Cette haine du pauvre, du travailleur, qui est sans exemple dans l’histoire, prend toutes les formes. Les républicains au pouvoir semblent n’avoir qu’une préoccupation : rabattre le prolétaire sur le Juif pour que celui-ci en fasse sa proie plus aisément. Tout est bon au Juif, en effet ; en dépouillant la France en grand par les emprunts et les sociétés financières, il n’a point abandonné l’usure sordide d’autrefois, le prêt sur gage. Tel banquier, membre d’un cercle aristocratique, est associé aux Gobsec de bas étage qui rançonnent les pauvres diables à l’aide d’avances sur les reconnaissances du Mont de Piété.

Un Juif allemand, nommé Neuburger, avait, il y a quelques années, donné une extension très considérable à ce commerce ; il avait créé dans Paris plusieurs succursales que Timothée Trimm appela les Neuburgiennes. Malheureusement pour Neuburger, il existait encore à ce moment une ombre de justice, on regarda dans ses livres et on lui octroya immédiatement dix mois de prison.

Aujourd’hui les Neuburgiennes sont en pleine prospérité. Un journal socialiste, la Bataille, dans son numéro du 23 janvier 1884, a donné quelques détails précis sur le fonctionnement de ces agences ; elles sont reliées entre elles, elles aussi, par une sorte de syndicat.

L’association a des bureaux dans chaque quartier ; bureau ayant un caractère d’agences, avec ces enseignes en lettres dorées aux balcons : Vente et achat de reconnaissances du Mont de Piété. Ailleurs, ce sont des boutiques crasseuses, antres de receleurs aux étalages interlopes ; friperies de brocanteurs au type judaïque.

L’exemple cité par la Bataille est comme le spécimen de la manière d’opérer qui varie peu.

Un citoyen victime est venu se plaindre hier. Sans sou ni maille, il entre dans une agence située environ rue Lafayette. La rue ne fait rien à la chose, le vol est le même dans n’importe quel quartier. On lui donne deux francs sur une reconnaissance. Puis un petit bulletin jaune, que nous tenons à la disposition de quiconque pourrait trouver intérêt à le consulter. Ce bulletin s’appelle : facture d’achat. Le prêt se déguise. Au bout d’un mois, ce citoyen retourne, il paie les frais nouveaux. L’intérêt est de 20 pour cent, ce qui fait pour l’année 210 pour cent. Nous sommes loin du taux légal qui est de six. Lorsque, quinze jours plus tard, il veut retirer sa reconnaissance, après l’avoir fait revenir sept fois, on lui déclare qu’elle est perdue.

Armé de son petit papier jaune, le citoyen appelle le prêteur devant un commissaire. Le prêteur met alors la main sur son cœur, et affirme avoir acheté la reconnaissance pour preuve, il montre le mot : Payé, appliqué sur le reçu et cet avis imprimé au préalable : Afin d’éviter tout malentendu, je rappelle au vendeur que l’opération ci-dessus stipule une vente et non un prêt. Grâce à cette ligne perfide, les prêteurs sur gages peuvent faire des dupes de tous leurs clients.

L’affaire est excellente encore. On ne saurait s’imaginer combien les pauvres tiennent à certains objets, témoins éloquents et muets des deuils et des joies de la vie domestique, le hochet ou la timbale de l’enfant achetée en des jours plus prospères, la bague de mariage. Quelques-uns consentent à payer un double intérêt à la condition qu’on leur accordera un certain délai pour retirer la reconnaissance.

Les banquiers élégants fournissent les capitaux qui sont nécessaires et viennent, de temps à temps, se rendre compte de ce qu’ils ont produit.

Il n’est pas rare de voir s’arrêter en face des coupe-gorge oû se traitent, de Turc à Maure, ces sortes d’affaires, l’équipage de quelque personnage vêtu d’importance. C’est le financier venant régler ses comptes. Il a, dans Paris, un certain nombre d’endroits où des individus à ses ordres guettent les besoigneux qui n’ont plus rien à engager que les bulletins officiels de leurs engagements.

Quand la journée a été pleine de larmes pour d’autres, c’est-à-dire pleine d’or pour lui, le banquier, arrive tout guilleret dans quelque salon, et quand on annonce le baron dHaceldama, toutes les chrétiennes se mettent à minauder et à sourire : « L’aimable baron, qu’il est gentil d’être venu, et notre toute chère baronne, comment va-t-elle[33] ? »

Interrogé par quelques députés naïfs sur la question de savoir si l’administration ne pourrait pas effectuer elle-même ces prêts sur reconnaissances, André Cochut, l’ami de Bischoffsheim, répondit que cela était impossible de toute impossibilité. Comment les Juifs le font-ils alors ?

Comment cela finira-t-il ? On n’en sait rien. Je veux dire qu’on ignore dans quelles circonstances au juste se produira une débâcle qui est inévitable. Le peuple attend et s’organise. Ce n’est plus dans les ruelles étroites, dans les faubourgs malpropres de jadis, qu’il faut aller étudier la Révolution. Elle habite les beaux quartiers d’aspect moderne, ces environs de la rue Monge, par exemple, où la misère semble plus froide et plus terrible encore au milieu de ce décor édilitaire tout battant neuf, où rien ne parle du passé.

Les liens qui rattachaient l’homme d’autrefois à cette église où il avait été baptisé, où les dernières prières avaient été dites sur les siens, au patron qui avait été l’ami de son père, aux bons Frères qui l’avaient élevé, sont brisés depuis longtemps. L’être qui est là est un moderne, un nihiliste, il ne tient à rien ; il n’est guère plus patriote que les trois cent mille étrangers, que l’aveuglement de nos gouvernants a laissés s’entasser dans ce Paris dont ils seront les maîtres quand ils voudront ; il ne se révoltera pas comme les aïeux sous l’empire de quelque excitation passagère, sous une influence atmosphérique en quelque sorte qui échauffe les têtes et fait surgir des barricades instantanément. Un monarque quelconque auquel on aurait à reprocher la moitié des infamies, des prévarications, des hontes sans nombre accumulées par le régime actuel, aurait entendu depuis longtemps l’émeute rugir aux portes de son palais. En réalité tout cela laisse la masse profondément indifférente : toute à son idée fixe, elle rumine silencieusement son projet de révolution sociale et attend le moment pour s’élancer sur Paris par ces grandes avenues qui semblent faites pour charrier des fleuves humains.

Dans une société livrée à toutes les convoitises, où le sentiment du juste et de l’injuste a presque entièrement disparu, où ceux qui souffrent sont foulés aux pieds sans pitié par ceux qui jouissent, la catastrophe finale, je le répète, n’est plus qu’une question de temps. Il n’est pas un être qui pense, qui ne prévoie le dénouement. Causez avec quelque religieux qui suit de loin ce navire qui sombre et lisez ensuite quelque chroniqueur bien boulevardier, bien frivole, bien athée et ils vous diront la même chose.

Un jour qui n’est peut-être pas loin, écrit Aurélien Scholl, la chaudière éclatera. De grandes maisons de crédit crèveront comme des ballons surchauffés ; il n’y aura plus que des ruines autour de nous : Paris sera Ischia après le tremblement de terre ! Ca ne sera pas encore la fin du monde, mais ce sera au moins la fin de ce monde-là.

Je ne serai pas de ceux qui le regretteront.

Moi non plus.

Sans doute il faut prier pour ces imprévoyants, ces corrompus et ces niais. Et cependant, si de suppliants on nous transformait en juges, si on nous disait : « Dans la sincérité de votre conscience, prononcez sur ces hommes pour lesquels vous venez d’implorer ce Dieu dont le nom est Miséricorde ! » Que répondrions-nous ? Ne devrions-nous pas dire, sous peine de rendre un jugement mauvais : « Ce monde a mérité de périr, il est puni justement, que sa destinée s’accomplisse ! »

  1. Ce Schurmann ne fut pas heureux dans son expédition et ses doléances ont retenti dans tous les journaux. Les alcades qui, malgré l’invasion juive dans les grandes villes, out encore du vrai sang d’Espagnol dans les veines, le mirent prestement en prison, rien que sur sa mine, et il fallut que l’ambassadeur de France intervînt pour le délivrer, ce à quoi, vous le supposez bien, il s’employa avec un zèle sans égal.
  2. Comme contraste aux airs ridiculement prudes que prend vis-à-vis des Français et des Françaises la société parisienne qui s’ouvre toute grande devant des femmes qui ont débuté dans les fossés da Mayence ou de Cracovie, j’ai noté déjà (livre Ier) le cordial accueil que font les Juifs arrivés à la bohême artistique de leur race. Rien de significatif comme le repas d’apparat que donna, au mois de février 1885, Alfred de Rothschild, de Londres, à Mayer l’impressario, à Mme Hading et à Koning. Vous voyez d’ici le petit Konig, le Koning du Diogène et de Castellano. Bibi le Juif, assis à côté d’un colonel de horse guards, qui fait admirablement dans le décor. « M. Damala, ajoute le correspondant du Figaro, ne pouvait manquer à la fête ; il était assis entre sir Rivers Wilson et le capitaine Finch ».
  3. Un habitué du salon de la princesse Brancovan me racontait que, lorsque Van Zandt était là, les invités se gênaient, s’observaient et n’osaient pas dire devant ce lis de candeur ce qu’ils auraient dit devant des femmes de leur monde. Quelque insignifiant qu’il soit, ce détail montre bien le côté gobeur, niais, de cette société que les Juifs bernent, comme on bernait autrefois les provinciaux, en leur faisant croire qu’il fallait mettre des gants blancs pour parler à la dame qui tenait le café des Mille Colonnes.
  4. A lire, sur ce sujet, une très piquante étude, parue d’abord dans la Revue politique et littéraire, et publiée ensuite en volumes chez Hetzel les Autographes de Crémieux. Rachel n’avait pas la moindre notion de l’orthographe, c’était Crémieux qui lui servait de secrétaire. Rachel adressait à Crémieux un brouillon informe, écrit en style de cuisinière, et celui-ci lui envoyait un petit chef d’œuvre de grâce et d’esprit que Rachel n’avait qu’à recopier. N’est-ce pas gentil cet avocat occupé sans relâche, dont le cabinet est envahi depuis le matin jusqu’au soir et qui trouve le temps de rendre d’une manière assidue un service, subalterne en apparence, mais qui a, à ses yeux, l’avantage de grandir une coreligionaire ? Citez-moi donc un catholique qui en ferait autant ? En revanche Rachel aurait appris, dans le lit d’un prince ou d’un homme d’Etat, une nouvelle intéressante pour la politique européenne, qu’elle en aurait immédiatement prévenu Crémieux. Voilà comment les Juifs sont toujours admirablement informés, ils s’aident entre-eux.
  5. Le Lecho dodi fut composé par Jehuda ben Halévy, le célébre rabbin de Tolède. Lire à ce sujet le petit poème exquis, à la fois atendri et railleur, que Henri Heine a écrit sur ce sujet et où il évoque la figure de quelques poètes juifs du Moyen-Age à propos des Cours d’amour :
        « Le héros que nous chantons, Jehuda ben Halévy, avait donc aussi une dame de ses pensées, mais celle-là était d’espèce particulière.
        Ce n’était pas une Laure dont les yeux, astres mortels, avaient illuminé le jour du Vendredi-Saint, dans le Dôme, un illustre incendie ;
        Ce n’était pas une châtelaine qui, dans l’éclatante parure de la jeunesse, présidait aux tournois et décernait la couronne de laurier.
        Ce n’était pas une casuiste de la jurisprudence des baisers, ni une doctrinaire qui, dans une Cour d’amour, professait sentencieusement ;
        Celle que le rabbin aimait était une pauvre petite bien-aimée, triste et douloureuse image de ruines, et elle s’appelait Jérusalem. »
  6. Il contient de reconnaitre la noble attitude de Victor Hugo qui se souvenait parfois, malgré les promiscuités auxquelles il se prêtait, qu’il était fils d’un soldat. On lui avait annoncé la visite de Grant, le président-agioteur dont la langue, on le sait, est tombée pourrie, sans doute de toutes les injures qu’il avait vomies contre nous en 1870 : « Que M. Mac-Mahon le reçoive, s’il le veut, disait un jour le poête devant nous, s’il se présente ici, je le fais jeter à la porte ! » Qui ne sa rappelle, dans l’Année terrible, là pièce intitulée Bancroft, et surtout le Message de Grant :

    … Ah ! sois maudit, malheureux qui mêlas
    Sur le fier pavillon qu’un vent des cieux secoue
    Aux gouttes de lumière une tache de boue !

  7. Un journal avait raconté, pour préparer cette rentrée, qu’à Lisbonne, Mme Fidès-Devriès avait été rappelée cent douze fois en une seule soirée, ce qui, au dire de nos confrères, aurait représenté, rien que pour le trajet des coulisses à la scène, une marche de six kilomètres. Voilà ce que lea Barnums juifs font avaler à ce Paris qui mit jadis une perception si prompte et si fine de tout ce qui était ridicule et grossier !
  8. Figaro, 6 mai 1883.
  9. N’oublions pas un joli trait de mœurs. Dans un journal qui lui appartient, le Voltaire, M. Albert Ménier avait chargé un des rédacteurs de flétrir ces grands seigneurs qui déshonoraient leurs ancêtres en s’affublant des oripaux du clown. Quelques mois après, il fondait lui-même un cirque à Neuilly, le Cirque Alberti, et conviait tout Paris à venir le regarder faire la voltige. Ce trait de Bourgeois-Gentilhomme moderne, de Bourgeois-Gentilhomme républicain, n’est-il pas exquis ? Ne prouve-t-il pas une fois de plus quels exemples utiles auraient pu donner les derniers survivants de l’aristocratie, s’ils avaient aimé autre chose que le cabotinage, le jeu et les filles ?
  10. Un mot suffira à caractériser la différence qui sépare le Baron Vampire des Monach. Ollendorff avait demandé un roman à Charnacé et s’était engagé à le publier dans un délai très court ; il rendit cependant son manuscrit à l’auteur du ’Baron Vampire’, en lui disant qu’un rabbin anquel il avait soumis l’ouvrage en avait déclaré la publication impossible. Quand les Monach parurent, Charnacè s’étonna qu’Ollendorff éditât un volume sur un sujet semblable, après avoir refusé le Baron Vampire : « Oh ! ce n’est pas la même chose ! le rabbin auquel j’ai montré les Monach m’a déclaré que ce livre était très flatteur pour les Juifs. »
        Je ne blâme pas, bien entendu, Ollendorff de s’être adressé à un prêtre de sa religion. J’ai consulté moi-même cet ecclésiastiques sur mon livre, pour savoir s’il ne contenait pas d’erreurs théologiques. S’il s’en était glissé une par hasard, je prie les membres du clergé de vouloir bien me la signaler.
  11. Voici, d’après les journaux, le bilan d’une semaine de janvier 1886 :
        Paris : Assassinat de Mme Laplaigne, marchande de vins, rue Beaubourg ; assassinat de H. Barrême, préfet de l’Eure ; assassinat de Marie Aguétan, rue Caumartin ; tentative criminelle, 103, rue du Poleau, ou le nommé Victor Bocqueteau blesse grièvement à coups de canne sa femme et sa belle-mère ; à Clichy, Victor Arynthe frappe sa tante de deux coups de couteau, puis se suicide en absorbant de l’acide sulfurique.
        Départements : A Viry-sur-Mont (Somme), le sieur Jacques-François tue, à coups de serpe, Mme veuve Piedocq et sa fille ; à Horgny (Somme), Basset (Alexandre), manouvrier, âgé de cinquante-huit ans, est égorgé au lieu dit la Cavée-d’Horgay ; à Cusey (Haute-Marne), M, Vannier est poignardé par son ouvrier ; à Garnerans (Ain), Mme veuve Ferrand est étranglée dans son domicile de Deboste ; à Beanne, Lamothe, vigneron, se rendant à Dijon, est foudroyé d’un coup de fusil ; au Havre, le sieur Laplaote étrangle sa maitresse, la Belle Nantaise ; à Villeneuve-sur-Lot, le nommé Plasse, détenu à la maison centrale, après avoir jeté du vitriol à la figure du gardien Bonnassie, lui porte plusieurs coups de tranchet ; près de Saint-Valbert (Eure), M. Charles Nardin, garde forestier, est terrassé par un individu qui lui porte à la tête plusieurs coups de couteau.
        Au total, neuf assassinats et cinq tentatives de meurtre en six jours.
  12. La police coûte seize millions de plus qu’en 1869. Sous l’Empire, elle se contentait de 9,332 agents ; elle en emploie aujourd’hui seize mille.
  13. Ces brasseries ont maintenant un journal attitré, Paris nocturne, qui affirme avoir un tirage de six mille exemplaires et se déclare prêt à le prouver. Il donne chaque semaine l’état sanitaire, le prix, les détails particuliers du personnel de chaque établissement. On y lit, par exemple, qu’à la Brasserie du Square « Jeanne est toujours charmante, mais vadrouille à l’excès. Bullier est son bal de prédilection ; elle y va souvent avec son amie Félicie, bonne fille du Brabant, qui est maintenant tout à fait rétablie. » Rachel fait les délices de la Brasserie du Bar. « Par son regard langoureux elle nous invite à venir à ses tables. Comme son amie Valentine, elle est ennemie de la soulographie. » Le journal annonce qu’il va faire admettre dans les principaux bals de Paris une nouvelle polka de Henri Cohen : Paris Nocturne.
        Albert Delpit a publié sur ces brasseries une étude intéressante qui donne bien l’idée de ce que la Franc-Maçonnerie entend par l’éducation :
        « Tout le Quartier-Latin, dit-il, est infesté par les brasseries de femmes. Les collégiens y vont, abandonnant la classe ou l’examen, s’échappant, pour courir après ces prostituées de bas étage. Et j’évoquais les pauvres mères de famille qui croient leur enfant surveillé ! Leur enfant que l’ignominie guette, quand il ne peut pas encore se défendre, et que la curiosité inconsciente du premier âge livre aux entrepreneurs de débauche. Je suis entré successivement dans une demi-douzaine de ces brasseries et partout j’ai vu le même spectacle répugnant. Des femmes amorçant et caressant des collégiens de quinze à dix-huit ans, des êtres pales, flétris et déjà vieillots ! »
        — Ah ! si nous réussissons à fonder la République…, disait un jour Eugène Pelletan à Pontmartin, qui a raconté cette conversation, vous verrez… vous verrez !… son premier soin, son premier bien-fait sera de moraliser la France !
  14. La police, qui a traqué et forcé à disparaître tous ces excentriques innocents, tous ces fantaisistes, tous ces musiciens ambulants qui donnaient à Paris de la couleur et du pittoresque, ne touche pas aux souteneurs ; elle se déclare impuissante vis-à-vis d’eux, pour ne pas avouer qu’elle est complice.
        Qu’on se rappelle les scènes qui se passèrent au Quartier Latin au mois d’avril 1883 ? Quelques étudiants, moins dégénérés que leurs camarades, voulurent accomplir eux-mêmes la besogne dont l’autoritè refusait de se charger. En une soirée, ils eurent débarrassé le quartier de la population aquatique qui l’infestait. Que fit le commissaire de police Schnerb, le Juif allemand, le frère du pornograpbe Schnerb, qui était alors directeur de la Sûreté ? Il se mit à la tête d’une bande de souteneurs et d’agents et se rua sur les étudiants qui, roués de coups, ensanglantés, assommés à coups de casse-tête, durent battre en retraite. En d’autres temps, on se fût indigné du cynisme de cette police, faisant cause commune avec les hommes sans nom qui rançonnent les prostituées. Le sens moral est si complètement oblitéré, qu’on se contente de rire, et d’offrir à Camescasse un cause-tête d’honneur qui amusa beaucoup le préfet et le honteux entourage au milieu duquel il vivait.
  15. Sans comprendre et sans indiquer que cette loi deviendra une véritable loi d’expatriation pour tous ceux, qui déplairont, M. Buffet, cependant, par son seul instinct de vieux légiste, a montré, dans la séance du Sénat du 8 février 1885, ce qu’avait de baroque et d’anormal un projet qui ne fixe ni un lien pour la relégation, ni un délai, ni une condition précise :
        « Le législateur, disait-il, doit définir exactement la peine ou les peines qu’il entend infliger. Or, contestez-vous que la relégation à perpétuité soit une peine, et pensez-vous que cette peine sera sérieusement définie si, dans le système de la commission, le Gouvernement peut, ad libitum, appliquer cette peine de ces deux manières : ou envoyer les récidivistes herser les blés de la Beauce, sarcler les betteraves du Soissonnais ou bien creuser des canaux à la Guyane au milieu des marais pestilentiels de cette colonie ? »
        « On pourrait, ajoutait-il, en s’en tenant à la rédaction de la commission, résumer ainsi le projet de loi : les récidivistes seront, à l’expiration de leur peine, remis à la disposition du Gouvernement, qui les enverra où bon lui semblera et les soumettra discrétionnairement au régime qu’il jugera le plus convenable. »
  16. « Au risque d’être accusé de sensiblerie par le ministre de l’intérieur, disait encore M. Buffet, je n’hésite pas à déclarer que, dans l’intérét sacré de sa défense contre les pires malfaiteurs, la société n’a pas le droit de violer à l’égard de ces êtres dégradés les règles de la justice. »
  17. Consulter les Récidivistes, de Joseph Reinach, dédiés au Franc-Maçon Quentin. Voir aussi la pétition des Francs-Maçons de la loge du Travail et de la Persévérante-Amitié de Paris. « Nous demandons, disent les pétitionnaires, que tout homme ou femme condamné pour la troisième fois, y compris les condamnations antérieures, pour délit de vagabondage ou de vol, soit expatrié à vie dont une colonie pénitentiaire agricole outre-mer. » On sait ce que veut dire ce mot colonie. Comme les hommes du Directoire, les hommes d’aujourd’hui ne tuent pas, ils font mourir. On devine quel outil meurtrier sera une telle loi entre les mains de la magistrature actuelle contre tous ceux qui gêneront les Francs-Maçons et les Juifs.
  18. Dans son numéro du 19 août 1885, la Lanterne juive annonçait, avec des fanfares de triomphe, qu’un moine franciscain arrêté à Briare, venait d’être condamné à trois mois de prison par le tribunal de Gien. Si ce moine, comme il doit le faire pour être fidèle à son vœu, continue à mendier pour les pauvres, il sera condamné de nouveau et il pourra être envoyé à la Guyane. Est-ce là ce qu’ont voulu les catholiques de la Chambre ? Assurément non. Seulement ils n’ont, pour la plupart, aucune idée personnelle ; ils ont vu les journaux du boulevard s’indigner parce que les filles coûtaient plu cher lorsqu’elles avaient à nourrir des souteneurs, et ils se sont formé une opinion là-dessus.
  19. B. Saint-Bonnet : La Restauration française.
  20. Voir l’Enquéte sur la situation des ouvriers et des industries d’art, le Rapport sur les musées et les écoles d’art industriel de M. Marius Vachon, et un volume du même écrivain : La Crise industrielle et artistique en France et en Europe.
  21. « Quand l’Eglise, dit encore Blanc de Saint-Bonnet, nous a mis en garde contre les Juifs, contre l’usure, enfin contre l’abus du commerce, nous n’avons pas voulu l’écouter. Résultats : disette dans les choses utiles, abondance dans les choses superflues, pénurie des masses et ruine, c’est-à-dire paupérisme. »
  22. En 1861, à la suite de l’annexion des communes suburbaines, on comptait à Paris 36,713 ménages fournissant 90,287 indigents.
        En 1877, on constatait une augmentation de 3,153 ménages de plus.
        Aujourd’hui le nombre des malheureux réduits à avoir recourt à la charité publique est de 180,000.
  23. La ruine est générale. La plupart des hauts-fourneaux sont éteints. Les canuts de Lyon, jadis si joyeux, si actifs au travail, se lamentent devant leurs métiers immobiles. Un long cri de détresse arrive de Saint-Etienne, de Montluçon, de Besançon.
        Au mois de février 1885, une enquête officielle, effectuée par le commissaire de l’inscription maritime et le commandant des port de Marseille, constate qu’il y a, dans les ports de cette ville, 43 navires désarmés faute d’emploi, dont 30 vapeurs et 13 voiliers !
        L’immobilisation du matériel est évaluée a quarante millions. Trois cent cinquante individus ont été débarqués, la plupart matelots et chauffeurs.
        En une seule semaine, on a dû congédier dix mille ouvriers des établissements industriels.
  24. Depuis 1885, on ne comprend plus, dans les introductions d’alcool pur, les quantités d’alcool constatées dans les vins alcoolisés tirés de 15 à 21 degrés.
  25. Le nombre des suicides a plus que triplé en cinquante ans.
        Le chiffre était en moyenne, de 1836 à 1830, de 1,739 ; il s’est élevé, en 1883, à 7,213 ! L’accroissement, qui n’avait été que de 1 ou 2 pour cent d’une année à l’autre, s’est élevé tout d’un coup à 7 pour cent.
        Dans ce total, figurent un certain nombre d’enfants âgés de quinze ans, de quatorze ans, de treize ans, de douze ans, et 1 ayant à peine douze ans !
        En 1884, le nombre des suicides à Paris avait été de 542 ; il a été de 642 en 1885, ce qui fait une augmentation de cent pour cent pour une année.
        « La folie s’accroît, écrit M. Legoyt dans la Revue scientifique ; elle s’accroît partout et plus rapidement que la population. L’accroissement des admis, pour la première fois, dans les asiles, a été, de 1871 à 1880, de 55 pour cent, proportion véritablement énorme surtout comparativement à la population, qui n’a pas augmenté de plus de 4 pour cent. »
        Le nombre des aliénés traités dans les asiles était de 10,549 en 1883, et de 48,813 en 1882.
        Au mois de janvier 1801, le département de la Seine fournissait 946 aliénés.
        Au 31 décembre 1883, il s’en trouvait 8,907, soit en plus 7,961. Ainsi, en 83 ans, la population des aliénés a sextuplé dans des proportions qui représentent un accroissement moyen annuel de 95 personnes, tandis que, durant la même période, le nombre des habitants de la Seine s’est à peine augmenté du triple.
        Dans les Vosges, le département représenté par les frères Ferry et par Méline, où la Franc-Maçonnerie, naturellement toute puissante, y peut tout se permettre et se permet tout, la folie a fait de tels progrès que, dans la session d’août 1884, le Conseil général, considérant le grand nombre de cas d’aliénation mentale qui se produit dans le pays, émet le vœu : « que le Gouvernement réprime sévèrement les fraudes qui se commettent journellement sur les alcools, et présente une loi modifiant celle qui permet aux débitants de boissons d’ouvrir leurs établissements. »
        « Le crime, dit le Voltaire, grand admirateur de la République, s’étend de plus en plus, comme une marée qui monte, et dont souvent les flots sont rouges. En 1872, le nombre total des crimes et délits jugés en France s’élevait à 26,000 ; dix ans après, en 1881, il dépassait 81,000 ! Et c’est Paris, bien entendu, qui fournit les plus forts contingents à l’armée du mal. »
        Le nombre des crimes commis par les jeunes gens de seize à vingt-un and s’est élevé, en cinquante ans, de 5,933 & 20,480, et celui commis par les filles du même âge est passé de 1,046 à 2,839.
  26. Tous les règlements du passé révèlent ces préoccupations d’humanité, de vigilance pour les petits. L’ordonnance du Livre des Métiers sur les tapis sarrazinois prend soin de garantir, avec une délicate prévoyance, la santé de la femme pauvre, dont notre civilisation moderne a fait une bête de somme.
        « De rechief que nule femme ne doit ouvrer au métier pour les périz qu’il sont ; car quant une femme est grosse et le métier désapiecé elle pourrait béchier en telle manière que son enfant serait péris et pour moult d’autres peris qui y sont et puent avenir, pour quoi il ont regardé pieça qu’il ne doivent pas ouvrer. »
  27. Voir à ce sujet l’excellent rapport du docteur Lancereau sur l’alcoolisme, lu à l’Académie de médecine, à la séance du 17 novembre 1885.
  28. Les Israélites, pour se préserver eux-mêmes, prennent des précautions très sages ; ils ne boivent que du vin dont la pureté est certifiée par un rabbin. Nous lisons à chaque instant dans les Archives des annonces de ce genre :
    Jules Simon
    Marque spéciale

    Sous la surveillance et avec l’autorisation de M. Kahn, rabbin de Nîmes, successeur de M. Aron.
        Pourquoi les catholiques ne demandent-ils pas au curé de la localité de garantir les vins qu’on leur envoie ?

  29. Sur ce total, 6,962 échantillons seulement ont été déclarés bons ou passables, 9,223 ont été reconnus mauvais. Ces chiffres ne suffiraient pas à prouver de quelle active surveillance le commerce actuel doit être l’objet ?
        Le Laboratoire a transmis au Parquet de la Seine 4,530 affaires de falsifications sur lesquelles 2,207 ont motivé des condamnations.
        1,500 affaires ont été classées sans suite judiciaire.
        Je suppose que mes lecteurs savent le français et qu’ils comprennent ce que cette dernière phrase veut dire : « Les auteurs de falsifications, qui appartenaient à la Maçonnerie ou qui étaient des électeurs influents ont échappé aux punitions qu’ils avaient méritées. »
  30. Le Conseil municipal est tellement de cœur avec les falsificateurs que, dans la séance du 2 mars 1883, il émet un vœu pour l’abrogation du paragraphe 14 de l’article 15 du décret du 2 février 1852, qui prive de leurs droits électoraux les empoisonneurs publics. Dans une réunion organisée le 20 mars 1885, au Cirque d’Hiver, sous la présidence de M. Tony-Révillon, les députes présents s’engagèrent à saisir la Chambre de cette question. Dans la séance du Conseil général du 6 juillet 1885, Mesureur, le débaptiseur de rues, prit en main la cause de ceux qui baptisent le vin, et fit voter une proposition tendant à les relever de leurs condamnations.
        Cela ne suffisait pas encore à ce maître de l’époque, qu’on a appele le roi Mastroquet. Il y eut, aux élections de 1885, un candidat de marchands de vin mouilleurs, Auguste Hude, et grâce à la Franc-Maçonnerie il fut nommé !
  31. Voyez le contraste de ces natures juives. Cet homme, qui a sa large part dans une mesure qui est un véritable assassinat, est plein de cœur pour les siens. La pensée qu’un arbre paisse gêner sa fille le met hors de lui. L’Intransigeant a raconté ce trait qui est caractéristique :
        « A l’angle de la place de la République et de la rue de Bond ;, sur le trottoir où se trouvait la Ruche, un arbre terminait la file qui commence au boulevard Saint-Martin.
        Mme Kahn, fille de M. Alphand, habite au n°24 de la rue de Bondy. Comme l’arbre masquait la vue de la place, cette dame ne trouva rien de mieux que de prier son père, M. Alphand, de le faire enlever.
        « L’ordre en fut donné un samedi, et le dimanche matin cet ordre fut exécuté.
        La place de la République compte un arbre de moins ; sa régularité en est compromise ; mais la fille de M. Alphand a satisfait son caprice.
        « Citoyens, inclinez-vous et soldez la note. »
  32. L’enterrement du vieil amant des ombres, victime de la rapacité des républicains, eut un caractère particulièrement touchant. Un chiffonnier poète, M. More, lut sur la tombe une pièce de vers naturellement incorrecte, mais dont certains passages étaient émouvants. Voici quelques-uns de ces vers, à titre de curiosité :

    Cet homme s’est éteint au milieu de vos peines ;
    Pendant que rassemblés, honnêtes travailleurs,
    Vous cherchiez à tarir la source de vos pleurs,
    ______Le sang s’est glacé dans ses veines.
    Ce fut un vieux lutteur ; comme vous, il vécut
    Sous le ciel noir, au sein des nuits froides et sombres ;
    Comme vous tous, il fut un vieil amant des ombres
    ______Que le labeur, hélas ! vaincut (?)
    Salut à ce vieillard qui tombe haut la tête !
    Sa mort jette en vos cœurs un lugubre frisson.
    Puisse-t-elle arrêter l’effroyable tempête
    ______Qui monte au ciel à l’horizon !

  33. Les maisons de vente à crédit, qui vendent chaque objet le double ou le triple de sa valeur, sont une des formes de l’usure juive. On trouvera, dans le ’Cri au Peuple’ du 13 octobre 1881, quelques renseignements intéressants sur la maison Schwarts et sur la maison du ’Bon Génie’, dirigée par Gabriel Lévy, assisté de ses cousins Isaac et Albert Lévy. Pour les faits de chantage, exercés sur les malheureux employés par les agents de la sûreté, nous renvoyons à l’affaire Laplacette (Livre VIeme), qui est le modèle du genre.
        Les journaux radicaux, quand par hasard ils ne sont pas aux mains des Juifs, peuvent dire beaucoup de choses que n’oseraient pas dire et que, d’ailleurs, ne savent pas les journaux catholiques, qui restent trop en dehors de la vie réelle.
        On lira avec intérêt, dans le Cri au Peuple du 1 mars 1885, une étude sur le Juif Manassé, dont la spécialité est d’exploiter les ébénistes qui n’ont pas d’avances :
        « Vous avez besoin de 1,000 francs, vous apportez des meubles chez Manassé, représentant une valeur de plus que le double, et Menasse vous donne 1,000 francs — moins une quarantaine on une cinquantaine de francs retenus pour l’intérêt.
        « Il arrive alors l’une de ces trois choses : Vous êtes veinard ; vos meubles sont vendus — pas cher — on vous prie de passer à la caisse pour recevoir le solde qui vous revient ; vos meubles ne sont pas vendus, mais vous avez trouvé 1,000 francs pour rembourser le prêt que Manassé vous a fait, et vous venez les reprendre, provisoirement ; enfin, vos meubles ne sont pas vendus, vous n’avez pas trouvé 1,000 francs. Bonsoir, meubles ! Manassé en est, par contrat de vente à réméré, le légitime propriétaire. »
        L’organisation actuelle, nous ne saurions trop dégager ce point, est, en tout, purement et simplement l’inverse de la société chrétienne. Jadis, l’Eglise condamnait l’usure, en théorie, et le bras séculier frappait les usuriers. Aujourd’hui, les Académies, qui sont des espèces d’églises laïques, déclarent que le crédit ainsi pratiqué est la plus belle institution du monde, et la force policière et légale est mise an service de l’usurier. Dès qu’auront disparu ceux qui, même dans notre magistrature déshonorée, sont encore les représentants inconscients d’un état de choses différent, le Juif aura reconstitué un servage d’un ordre particulier ; il raflera impunément l’économie par la société financière, la meilleure partie du salaire quotidien par le marchand de vin, la vente à crédit, l’achat des reconnaissances »