La France juive/Livre Sixième/II

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(vol 2p. 349-377).


II


LES PROTESTANTS


L’austère Protestant n’est pas austère. — Les taux martyrs. — Coligny. — Ce prétendu apôtre de la tolérance est le plus implacable des tortionnaires. — Il s’efforce de livrer Calais aux Anglais. — La Saint-Barthélémy. — Le Protestant moderne est le compère du Juif. — La propagande protestante. — Les séquestrations. — Une lettre touchante. — L’Elise Ebsen de Daudet. — Le Prussien Steeg et son manuel. — Les Monod. — Les Sœurs de la rue de la Lune et les exploits de Winckam. — Les variations de nos avocats. — La persécution dans la mort. — Les Protestants du Midi.




II


LES PROTESTANTS


Dans la guerre faite à Dieu, l’élément protestant a joué, lui aussi, un rôle considérable et dont il est impossible de ne pas tenir compte dans ce tableau d’ensemble de la persécution religieuse.

Ce rôle a été surtout hypocrite et cauteleux. Nous avons signalé plus haut cette manie qui consiste a affubler certains personnages d’une épithète qui finit par faire corps avec eux ; l’épitète d’austère accompagne généralement le mot Protestant. Pourquoi ? On ne l’a jamais su au juste. Rien, au contraire, n’est moins austère que le Protestant.

Sans apprendre rien de nouveau a ceux qui ont habité l’Angleterre et qui connaissent les infamies sans nom que commettent sournoisement les Anglais et ces Anglaises ont toujours le mot shoking ! à la bouche, les révélations de la Pall Mall Gazette ont bien mis en relief le caractère du Protestant, achetant pour les souiller les petites filles de six ans et allant chanter ensuite des psaumes hérétiques.

Dans la vie politique, l’austère Protestant est, par excellence, l’homme de la fourberie et du mensonge.

Freycinet félin, onctueux, caressant et trompant tout le monde, ne donne guère l’idée d’une de ces figures rigides qui répugnent aux compromis et repoussent toute lâcheté morale.

Nul n’a jamais été moins austère que ce Jauréguiberry qui, préoccupé uniquement d’assurer aux siens un avancement scandaleux, était le jouet docile des radicaux. Ce prétendu loup de mer était par excellence un amiral privé. Un Bohême créole, qui était devenu représentant parce qu’il divertissait Gambetta en imitant le bruit du vent dans les cocotiers, s’amusait chaque jour à venir trouver l’amiral à son banc et à faire le geste de fendre l’oreille à quelqu’un. L’autre riait de ses gros yeux ronds, de sa grande bouche ouverte niaisement, il ne sentit pas son honneur militaire s’indigner en faisant partie du même ministère qu’un Gasot et un Constans et ne fut pas troublé dans sa conscience de vieux mômier genevois lorsqu’on jeta dans le tombereau aux ordures l’image de ce Christ auquel il faisait semblant de croire ; il accepta tout et il aurait accepté bien d’autres choses encore pour rester ministre si sa tête n’avait un jour déplu : displicuit nasus tuus

Toujours prêt, comme tous les Protestants, à sacrifier son parti à sa secte, l’amiral, au lieu de prendre la défense des intérêts français à Madagascar, avait fait du ministère de la marine une succursale des missions protestantes anglaises ; il s’était constitué le chaperon de ces pasteurs ingénieux et pratiques qui cumulent le commerce des bibles et celui des denrées coloniales.

Le baron de Cambourg, avec une modération peut être excessive, a donné des détails intéressants, dans le Matin, sur cette étrange conduite d’un amiral français[1].

L’amiral Jauréguiberry semble avoir été sous l’influence d’un pasteur protestant de Marseille, M. Monod[2].

M. Monod, dit M. de Cambourg, a traduit avec empressement les libelles anti-français des missionnaires méthodistes de Madagascar, qui dirigent contre la France l’hostilité des Howas ; il est affilié à Exeter Hall, l’officine de la propagande anti-française et anti-catholique de la « Missionnary Society » où l’on fait des œuvres religieuses, mêlées de politique et de commerce.

Ce pasteur a le mérite du moins d’être sincère et de ne point cacher que toutes ses sympathies sont pour les Anglais contre les Français. Dans la préface qu’il a mise en tête de la traduction d’un ouvrage de M. James Subrel, architecte des églises évangéliques à Tananarive, il écrit nettement : « Nous sommes heureux de reconnaître qu’il est heureux pour le vrai bien de Madagascar que l’influence anglaise ait prévalu dans cette Ile sur celle de la France, et le christianisme évangélique sur celui de Rome. »

On n’est pas meilleur patriote.

En remontant dans l’histoire nous trouvons d’ailleurs que l’attitude des Protestants d’aujourd’hui fut celle des Protestants d’autrefois. Les Protestants sont moins avides que les Juifs ; ils sont toujours tels que les dépeignit Brantôme : « remuants, frétillants et amateurs de picorée. » Moins criards également que les fils d’Israël, ils sont geignards. Leur grand homme, Coligny, est le faux martyr par excellence. L’histoire, qui ne procède maintenant qu’à l’aide de documents authentiques, nous a démontré que cette prétendue victime avait été le plus implacable des bourreaux.

Sans doute, pour juger équitablement le héros du protestantisme, il faut faire la part des mœurs de l’époque. Les Guise s’alliaient à l’Espagne, Coligny se vendit à l’Angleterre, mais il le fit avec un cynisme particulier. Il offrit de livrer, moyennant finance, à notre vieille ennemie, cette ville de Calais que le duc de Guise avait eu tant de peine à reconquérir.

On conserve encore à Londres le traité conclu à Hamptoncourt, le 20 septembre 1562, et qui liait la cause de l’Angleterre à celle des Huguenots. Par ce traité, Elisabeth, en échange de cent mille écus d’or payables à Francfort ou à Strasbourg, recevait le Havre, à la charge, par elle, de le rendre dès qu’elle serait mise en possession de Calais.

Le traité était conclu au nom du prince de Condé, de Jean de Rohan, de l’Amiral, de Mouy, de Moustier et de Bouchart.

« Voilà, dit Dupleix, comment les religionnaires disposaient des villes du royaume en faveur de l’estranger et mesme de l’ancien ennemi de la France. »

Dans un siècle où l’on versait le sang facilement, où l’assassinat d’un ennemi paraissait être l’acte le plus naturel du monde, nul ne poussa plus loin que l’Amiral le mépris de la vie humaine.

Quand les affaires des Protestants semblèrent perdues, après la bataille de Dreux, Coligny trouva tout simple d’encourager Poltrot de Méré à frapper le duc de Guise, et il lui donna cent écus pour l’aider à fuir après le meurtre.

Sur la complicité de l’Amiral, il n’existe guère de doute.

Ayant communiqué avec Coligny, dit Estienne Pasquier, et le conseil pris entre eux, Poltrot vint trouver devant Orléans M. le duc de Guise et luy ayant fait une révérence profonde, luy dit que mal conseillé il avait suivi M. le prince ; mais que meu d’une juste repentance, il venait se rendre à luy avec un ferme propos de faire un bon service au roy. M. de Guise, estimant que cette parole vint du fond du cœur, le recueillit d’un œil favorable et mesme lui donna un tel accès dans sa maison, que souventes fois il mangeait et beuvait à sa table. L’on dict que la débonnaireté de ce prince eut tant de puissance sur luy que, pour ce premier coup, il perdit le cœur et retourna tout court devant l’amiral, beaucoup moins résolu que devant, mesme en délibération d’en oublier le retour, n’eust été qu’il fut redressé par un ministre plein d’entendement et de persuasion.

Poltrot de Méré, arrêté, reconnut que c’était Coligny et Théodore de Bèze qui l’avaient excité a l’assassinat.

« Celluy qui a donné le coup à monsieur de Guyse, écrit Chantonay à son ami Josse de Courteville, confesse franchement que l’a fait, et semblablement que l’amiral de Chastillon et Théodore de Bèze l’ont persuadé de le faire et luy en ont donné cent escus. »

Le premier acte de Calvin, une fois tranquille dans une terre libre, avait été de faire brûler, avec des fagots de bois-vert, son ami Servet parce qu’il ne pensait pas absolument comme lui sur quelques points de métaphysique et qu’il s’obstinait à dire : Fils de Dieu éternel au lieu de Fils éternel de Dieu.

Coligny était de cette école. Vaincu il réclamait la liberté de penser. Vainqueur, ce prétendu apôtre de la tolérance était aussi implacable que le baron des Adrets. À Angoulème, il avait renouvelé les torches vivantes de Néron, et il attachait les religieux, qui tombaient entre ses mains, à des poutres, enduites de soufre, auxquelles il faisait mettre le feu. Un de ces malheureux, raconte Mézeray, avant d’expirer dans les tortures, avait prédit à l’Amiral de France le sort qui l’attendait. « Souvenez-vous de Jézabel, meurtrière des Prophètes ! Vous serez jeté par une fenêtre et traîné au gibet, et vous souffrirez, mort ou vif, toutes les indignités et toutes les cruautés que vous exercez maintenant sur les serviteurs de Dieu. »

Personne ne s’étonna que le fils de Guise vengeât la mort de son père sur celui qui l’avait fait assassiner, « Tombé, il assouvit, dit Tavannes, les yeux du fils dont il avait tué le père. »

Les outrages, auxquels se livrèrent sur lui les meurtriers, parurent une simple application de la loi du talion, une réparation des supplices qu’il avait fait subir aux autres.

L’opinion publique se prononça énergiquement dans ce sens. L’Épitaphe de Coligny, conservée au Record office, est l’expression de ce sentiment populaire.

Passant, tu apprendras par la mort de celuy[3]
Qu’en France on peut nommer Oloferne aujourd’huy,

Que de celuy qui vit meschant et détestable,
La fin communément est à ses mœurs semblable ;
Car les mesmes tourments dont il a martiré
Les fidèles chrétiens luy même a enduré.
Les uns il a jette tout vifs dedans la flamme
Ou dans une pistolle a faict souffler leur âme ;
D’un boulet d’un canon il a été frappé ;
Comme aux moines il a teste aussi coupé
On a coupé la sienne, et dedans la rivière
Ainsi qu’il en noïoit, on l’a traîné naguère
Avec une corde. Aux uns crevait les yeux.
Coupait le nez, l’oreille......
Le mesme on lui a fait. Comme il a fait pendre,
On le voit au gibet pareillement s’estendre,
Attaché par les pieds où il paist les corbeaux.
Comme il a déterré les défuncts des tombeaux,
Ainsi on l’a privé d’honneur de sépulture,
Ensevely longtemps des rues en l’ordure.
Il a pillé des saincts les temples révérés,
Il a pillé des rois les palais décorés :
Il ne luy reste rien que le ver qui le mange,
En quoy son corps pourry en gros morceaux se change.

Jamais, on en conviendra, gibier de potence ne mérita mieux d’être accroché à Montfaucon.

Voilà l’homme, cependant, auquel les Protestants proposent d’élever une statue. Les Anglais, qui avaient eu la même idée, ont eu, en examinant les faits, un réveil du sens moral ; ils ont senti qu’il était d’un mauvais exemple pour une grande nation de glorifier la trahison, même lorsqu’elle était destinée à vous servir, et qu’honorer un amiral de France qui avait voulu vendre Calais aux Anglais, s’était encourager peut-être un amiral anglais à vendre Douvres aux Français.

Quant à la Saint-Barthélémy, c’est encore une légende révolutionnaire dont il faut faire son deuil comme de tant d’autres. M. le baron Kervyn de Lettenhove, qui a patiemment fouillé, pour son admirable ouvrage : « Les Huguenots et les Gueux, étude de vingt-cinq années du XVIe siècle », toutes les archives de France, d’Angleterre, de Belgique et d’Espagne, qui n’avance pas une assertion sans en donner la preuve, a éclairé ce point d’une lumière complète.

Catherine de Médicis, aux prises avec d’inextricables difficultés, ne trouva qu’un moyen de sortir d’embarras, c’est de faire assassiner Coligny comme il avait fait assassiner Henri de Guise. Maurevel, a-t-on dit, et plus probablement un spadassin italien, Pierre-Paul Tosinghi, embusqué « dans un meschant petit logis » de la rue des Fossés-Saint-Germain-l’Auxerrois, tira sur l’Amiral, qui sortait du Louvre, quatre coups d’arquebuse qui ne firent que le blesser. L’insuccès de cette tentative décida la Saint-Barthélémy. « Si l’une des quatre balles avait atteint le cœur, disent les ambassadeurs vénitiens, la Saint-Barthélémy n’aurait pas eu lieu. »

Les Huguenots, exaspérés, se mirent en état d’insurrection et s’apprêtèrent ouvertement à marcher sur le Louvre et à détrôner Charles IX.

La légende nous montre des pauvres colombes endormies sur la foi des traités. Les colombes étaient des soldats exercés portant la tenue de guerre, armés jusqu’aux dents, qui chevauchaient toute la journée dans les rues de Paris, qui accompagnaient Coligny au Louvre, et qui, fiers de leur nombre, bravaient sans cesse Tavannes et les autres catholiques, et venaient insulter le roi jusqu’à sa table. Les Huguenots étaient les maîtres de Paris ; ils y avaient rassemblé toutes leurs forces ; ils avaient à eux huit cents gentilshommes et huit mille hommes parfaitement disciplinés. Montgommery avait reçu l’ordre de réunir quatre mille hommes au faubourg Saint-Germain ; les Gueux de Flandre, dont un grand nombre périt pendant le massacre, encombraient la ville ; de toutes les provinces, en outre, des renforts accouraient pour venger le meurtre de l’Amiral. Le conseil des Six se tenait en permanence et organisait l’attaque ; dans la nuit même du 24 au 25 août, il avait arrêté les dernières résolutions.

Catherine de Médicis, qui montra dans toute cette affaire une énergie toute virile, était tenue au courant par les révélations de Bouchavannes et de Gramont ; elle n’ignorait pas que son fils et elle étaient perdus sans une détermination rapide.

La situation, en un mot, était exactement la même que dans la nuit du 10 août 1792. On sent régner sur ces nuits la même atmosphère révolutionnaire. Si Louis XVI eût pris l’offensive, au lieu d’attendre dans son palais que les sections, qui se préparaient bruyamment, vinssent l’attaquer, l’aurait-on accusé de guet-apens ? Il n’y eut pas davantage de guet-apens de la part de Charles IX ; il attaqua le premier, voilà tout. Il avait probablement été très sincère en manifestant sa colère contre la tentative d’assassinat de l’Amiral ; quand on lui eut mis les preuves du complot sous les yeux, il sentit le danger tellement imminent qu’il fit sonner la cloche de Saint-Germain-l’Auxerrois deux heures plus tôt qu’il n’était convenu.

L’ancien Prévôt des marchands, Marcel, prévenu par la Cour, n’eut qu’à faire un signe, et la population parisienne, profondément catholique et qui haïssait les Huguenots, appuya les soldats du roi et du duc de Guise, infiniment moins nombreux que les Protestants. Les premières victimes furent précisément les gentilshommes qui s’étaient introduits au Louvre pour en ouvrir la porte à leurs amis. Malgré tout, cette date reste une des plus sombres de l’histoire humaine. Elle attristera toujours les cœurs magnanimes qui voudraient voir les fils d’une même mère vivre entre eux comme des frères ; mais elle n’a aucun rapport, comme horreur, avec les massacres de Septembre. Cette surprise armée d’hommes, qui couchaient avec leur épée sous le chevet, ne peut être comparée au crime inexpiable de 1792 ; l’égorgement de malheureux prisonniers.

Dès le commencement de la République, le Protestantisme français fit alliance avec la Juiverie dont Waddington alla, comme nous l’avons vu, soutenir les intérêts au congrès de Berlin. C’était dans l’ordre. On a constaté vingt fois l’étroite connexité qui existe entre le Juif et le Protestant. « Un Protestant, a dit Heine, c’est un catholique qui quitte l’idolâtrie trinitaire pour marcher vers le monothéisme juif. »

Sans doute, les Juifs n’épargnèrent guère les dédains à leurs alliés, mais ils consentirent néanmoins à marcher avec eux ; ils fraternisèrent dans certaines sociétés comme le Cercle Saint-Simon dont Meyrargues, qui portait le prénom florianesque de Nephtali, fut le premier trésorier, tandis que Monod en était le président. Dans la Revue des Deux Mondes, le Protestant suisse Cherbuliez, caché sous le pseudonime de Valbert, accabla les Juifs d’écœurantes adulations. La Revue historique, éditée par Alkan Lévy, leur fut également une occasion de répandre du venin sur les catholiques.

Pour prix de leur aide, les Protestants eurent le droit de se livrer sans crainte à un apostolat qui ne recule devant aucun moyen. Ils organisèrent ça et là des villages bibliques, comme celui qu’a décrit Daudet, dans l’Evangéliste, ils séquestrèrent des jeunes filles et renoncèrent à leur propagande lointaine pour opérer à l’intérieur. Ils pouvaient tout oser, l’impunité leur était assurée et le silence de la presse juive leur était garanti.

Supposez qu’une catholique se fût rendue coupable des faits racontés par Daudet, vous entendez d’ici le ramage des journaux républicains. Daudet, en effet, affirme l’authenticité des moindres détails. Nous avons tous causé chez lui avec la mère d’Eline Ebsen, qui est le professeur d’allemand de son fils. La presse a parlé du livre et gardé sur les actes eux-mêmes un mutisme absolu, tout le monde a été de l’avis du commissaire de police auquel Mme L. était venue demander protection.

— C’est odieux, madame, je suis père moi-même. Je vous promets de mettre tout en œuvre pour vous faire rendre justice, quel est le nom de la misérable qui a commis cet attentat ?

— Madame J. M….

— Oh, madame, dit le commissaire, en changeant soudain de ton, dès qu’il eut entendu prononcer le nom de la femme d’un célèbre banquier, il n’y a rien à faire. C’est absolument comme si vous vouliez vous attaquer aux Rothschild….

Cette conversation est rigoureusement authentique. Comment s’en étonner, lorsqu’on voit ce qui se passe pour cette malheureuse Anna Feral, qui est séquestrée depuis six ans par des Protestants, sans que sa famille puisse même avoir de ses nouvelles ou savoir où elle est enfermée ? Ici il y a eu un procès retentissant, des arrêts de tribunaux ordonnant que cette enfant soit remise à ses parents. Le ministre de la justice, se mettant hardiment au-dessus des lois, se faisant le complice de ceux qu’il devrait punir, défend d’exécuter les arrêts.

La mère est morte de chagrin ; le grand père, avec cette ténacité particulière aux vieillards, s’obstine à lutter, malgré sa pauvreté, contre les banquiers protestants dont la caisse est bien garnie.

Aucune composition littéraire n’égalera jamais en éloquence les lettres de ce malheureux, qui ont fait rire Martin-Feuillée, après avoir fait pouffer Cazot, et avoir déridé le grave Franc-Maçon Humbert. La dernière, datée du 12 mars 1884, est déchirante dans sa simplicité.

Négrepelisse (Tarn-et-Garonne), 12 mars.
Monsieur le Ministre,

Je viens, pour la troisième fois, vous signaler un crime impuni, et je ne cesserai que lorsque justice sera faite.

Voilà six ans que, malgré deux arrêts de la Cour de Toulouse, ma petite-fille, Anna Feral, est séquestrée. Où ? je l’ignore.

Sa mère en est morte de chagrin et de désespoir, à l’hospice de Montauban, il y a trois ans.

La Cour de Toulouse a ordonné que ma petite-fille me fût rendue, puisque je suis son tuteur légal, et on ne me la rend pas plus qu’à sa mère.

Et cependant, son père, son grand-père et sa mère sont morts.

Qui donc aujourd’hui a puissance paternelle sur Anna Feral ? Moi seul.

Et malgré les arrêts, on me la refuse.

Je me suis adressé aux parquets inutilement, aux ministres de même, au Président de la République.

La presse, l’opinion publique et la magistrature seules soutiennent mon droit. Et vous, monsieur le Ministre, ministre de la République, qui doit être le règne de la loi, permettrez-vous que ce crime reste impuni ?

Les auteurs de la séquestration sont morts depuis quatre ans, et leurs complices continuent cette œuvre inique.

Un pasteur protestant et quelques sectaires de Montauban paient la pension d’Anna Feral dans une maison d’éducation. Ils sont donc en révolte contre la loi.

Mais si un prêtre catholique avait commis ce crime, il y a longtemps que justice serait faite.

Et, sous le vain prétexte d’une question religieuse, on viole les arrêts, la loi et l’humanité !

Et votre personne, devant cet attentat, serait insensible ? Non.

La question religieuse a été mise en avant par les criminels ; c’est une infamie, car je n’ai jamais pensé qu’à ma petite-fille, seule au monde, cloîtrée je ne sais où, jamais à ses croyances.

Est-ce que le fanatisme protestant doit faire remonter la nation au temps de l’inquisition ?

Que devient, en ma personne, l’autorité paternelle violée, la loi méconnue, l’iniquité triomphant de la justice ? Que signifie cette question religieuse, en présence d’un enfant séquestré depuis l’âge de 4 à 5 ans ?

Que ma fille soit protestante, juive ou mahométane, je n’ai pas à m’en occuper, ni personne encore moins.

C’est mon sang, ma propriété, le seul être qui me reste au monde, et personne n’a le droit de me l’enlever, pas même le chef de l’État.

Je viens vous supplier, monsieur le Ministre, de donner des ordres pour que ce scandale cesse, au nom même de la dignité du gouvernement.

Je patiente depuis quatre ans que j’ai perdu ma fille, que ces sectaires ont tuée.

Je m’efforce de rester calme ; mais si, au mépris de mes droits violés, de mon asservissement, mon cœur meurtri finit par éclater et que quelque malheur ait lieu, la responsabilité ne retombera pas sur moi, pauvre vieillard abandonné, qui n’ai que cette pauvre petite-fille qu’on séquestre et que je veux voir avant de mourir ! Et tout cela parce qu’un prêtre protestant le veut !… et l’impose à la justice.

Je prends Dieu à témoin que l’on me pousse aux dernières extrémités.

Vous seul, monsieur le Ministre, pouvez mettre enfin un terme à ces atrocités, en ordonnant que les coupables soient poursuivis, et en ordonnant aussi que ma petite-fille soit transférée dans une maison d’éducation de Montauban, ou du moins je pourrai la voir, puisque mon âge et ma position ne me permettent pas de la garder avec moi.

C’est au nom de la loi violée, de la justice outragée, de la conscience publique et de la nature méconnues que je vous implore pour la dernière fois.

Recevez, monsieur le Ministre, l’hommage de mon profond respect.

Barboteau,
Grand-père et tuteur d’Anna Feral.

Tout en s’occupant de prosélytisme, les Protestants, sans aller aussi loin que les Juifs qui furent plus courageux et plus hardis qu’eux, s’employèrent vigoureusement à déshonorer et à persécuter la religion de la majorité des Français.

Leur agent, dans la campagne entreprise pour détruire dans l’âme des générations nouvelles tout sentiment élevé, tout respect des grandes traditions des aïeux, fut un nommé Steeg, pasteur, insulteur fougueux des catholiques, élu député de Bordeaux avec le concours de la Franc-Maçonnerie et auteur d’un des manuels condamnés. Celui-là travailla en conscience, né Allemand comme Spuller[4], il n’a jamais été naturalisé et rend service à sa véritable patrie en corrompant la jeunesse française. Il y avait dans ce choix comme un piment pour cette gauche, dans laquelle tout sentiment patriotique est mort, et qui aime l’étranger de la haine qu’elle porte à tout ce qui est Français ; aussi, au mois de février 1886, ce Prussien fut-il nommé, par acclamation, président du groupe de l’Union des gauches.

Quelques Protestants, dont le cœur se soulevait de dégoût devant ce spectacle, se contentèrent d’exercer une regrettable pression sur les parents pour les obliger à mettre entre les mains des enfants le manuel Compayré qui a été, lui aussi, condamné par la cour de Rome.

Le préfet Monod se signala parmi ceux-là[5], il empoisonna littéralement le département du Calvados avec des manuels Compayré qu’il envoyait aux municipalités avec sa carte de visite. Il fit plus, il osa, lui Protestant, soutenir à des catholiques qu’un manuel, mis à l’index, ne violait pas la neutralité scolaire. A la suite d’une lettre ridicule publiée par Monod, à ce sujet, un journal normand releva ce zèle déplacé en termes qui, quoique un peu vifs, étaient certainement mérités ; il rappela en même temps les scandales qui se produisaient à Paris, grâce à l’appui donné aux falsificateurs par la Franc-Maçonnerie.

Si l’on veut, disait-il, nous permettre une comparaison vulgaire, M. Monod nous apparait là comme un de ces empoisonneurs publics, qu’on décore par euphémisme du nom de marchands de vins. Une analyse scientifique vous prouve qu’un mastroquet quelconque ne vous donne, en fait de vin qu’un mélange de drogues ignobles, qui n’a de nom dans aucune langue, et l’on vous dit : Ne buvez pas de cela, c’est du poison. Mais le mastroquet Monod se rebiffe et vous « démontre, » selon son expression, que c’est parfaitement inoffensif. Pour un peu il soutiendrait que c’est du plus pur Chateau-Margaux de 1814, année de la Comète !

Ma destinée, d’ailleurs, est de rencontrer des Monod, toutes les fois que je m’occupe d’écrire l’histoire.

J’ai raconté jadis cette invraisemblable aventure des Papiers de Saint-Simon séquestrés pendant plus d’un siècle, au ministère des Affaires étrangères, et que le directeur des Archives, M. Faugère, empêchait absolument de consulter sous prétexte qu’il comptait les publier un jour.

M. de Freycinet fut fort bien en cette circonstance. A la demande d’un de mes bons et chers amis, Henri Lasserre, j’avais parlé fort aimablement de son livre, La Guerre en Province, alors qu’obscur et peu sûr de lui-même encore, il colportait son volume de journal en journal. Se souvint-il de cet article ? Obéit-il simplement à un mouvement de saine raison ? Ce qui est certain, c’est qu’il autorisa la remise dans le domaine public de ces manuscrits dont l’auteur était mort depuis 125 ans.

Je me mis à ce travail qui m’intéressait et j’allais publier mon premier volume chez Quantin lorsqu’on me demanda s’il ne me serait pas possible de m’entendre avec la maison Hachette. La maison Hachette est certes une des librairies avec laquelle les rapports sont les plus agréables. Elle sait être magnifique à l’occasion et n’a pas hésité à payer cent mille francs, au général de Saint-Simon, le manuscrit des Mémoires… Je n’ai eu qu’à me louer d’elle en toute circonstance et je compte même parmi ses directeurs un de mes meilleurs camarades de collège.

Il m’était cependant impossible d’accepter puisque j’étais engagé avec Quantin. Je le dis. Immédiatement tous les documents me furent retirés. Un des affranchis de Gambetta, une de ces médiocrités complaisantes qu’il traînait après lui, Girard de Rialle, avec ce coup d’œil qu’on ne peut refuser pour ces choses aux opportunistes, avait sans doute vu là un coup à faire. Il soutint cette théorie singulière qu’un conservateur d’archives et de bibliothèque avait le droit d’exercer un droit de prélibation sur le dépôt qu’il était chargé de garder et que l’homme du dehors, le public qui paye, ne venait qu’après l’employé payé par lui. C’était aussi honnête que de soutenir qu’un conservateur des forêts aurait le droit de couper les plus beaux arbres pour son bénéfice personnel, qu’un directeur des mines serait autorisé à exploiter les mines les plus riches.

Que le droit exclusif de publier les œuvres inédites de Saint-Simon représente dans l’avenir dix mille francs ou cent mille francs, il était parfaitement scandaleux d’en accorder à personne le monopole ; on devait dire : « Ces papiers sont a tout le monde, que tous les lettrés les consultent librement et les publient à leurs risques et périls de même que chacun reproduit librement, par les procédés qui lui conviennent, les Noces de Cana ou l’Assomption du Louvre. »

Les journaux républicains eux-mêmes eurent cette opinion, mais, naturellement, n’en firent pas part à leurs lecteurs. Girard qui, je crois, n’était pas même de Rialle, si on l’eût gêné dans ses opérations, eût cassé du sucre, comme on dit dans ce monde-là ; loin d’être chagriné, il crut en dignité et en considération, il fut quelque temps après nommé chevalier de la Légion d’honneur — ce qui, du moins, le changea de chevalerie.

Seul, dans la presse, Monod, qui faisait partie de la commission des Archives, eut l’idée saugrenue de défendre cette bizarre doctrine qui attribuait un privilège à tout directeur sur les trésors dont il à simplement la garde. Pour ce fait il fut l’objet de nombreuses risées dont le souvenir n’est pas encore effacé.

Mais laissons ce discours et revenons à la part prise par les Protestants dans la persécution religieuse.

Un homme se signala surtout par une brutalité odieuse, qui n’est pas complètement oubliée, quoique, après avoir passé par tant de hontes, nous devions être un peu blasés. J’ai nommé Winckam qui viola la demeure de pauvres religieuses.

Rarement, peut-être, la justice fut plus effrontément outragée. Le droit ici était formel, indiscutable. La maison située au n° 14 de la rue de la Lune avait été donnée, en 1693, par Mme Louvet, veuve de Robert Louvet, salpétrier ordinaire du Roi, à l’institut des Filles de la Charité, afin d’y tenir une école, à la condition que celles qui desservaient l’école rempliraient certains engagements, feraient dire, matin et soir, certaines prières. À ces prières, Mme Louvet, dans son testament, avait demandé qu’on ajoutât le De profundis.

C’était donc un véritable contrat synallagmatique. L’accomplissement des conditions était lié intimement à la propriété de l’immeuble. Il fallait ou accepter et remplir les engagements ou renoncer à la maison. Imaginez-vous, en effet, l’Académie s’emparant de l’argent de M. de Monthyon et ne distribuant pas les prix auxquels il a affecté cet argent ?

Hérold, lui-même, que rien de ce qui était mal n’effrayait, avait reculé devant l’illégalité trop flagrante.

Dans sa séance du 16 juin 1879, le comité consultatif de la préfecture de la Seine, composé de MM. Cléry, de Chégoin, Dombey, Beaupré, Durier, Fournier, Lacan, Le Berquier, Rigaud, Templier, Beaumé, Maurice Picard et Ardiot, secrétaire, se fondant sur ce que l’obligation imposée aux Sœurs de faire réciter certaines prières à « leurs pauvres petites escholières » était incompatible avec la laïcisation de l’école, déclarait la laïcisation illégale et dangereuse[6].

Il disait :

Considérant, en outre, et surabondamment, que l’exécution de la clause susvisée, très régulière et très facile dans un établissement dirigé par des Sœurs, serait absolument incompatible avec le régime d’une école communale, ouverte à tous les enfants d’un même quartier, quelles que soient leur situation de fortune et leurs croyances religieuses.

Floquet vint, on distribua sans doute un peu d’argent et, chose triste à dire, les mêmes hommes, à peu d’exceptions près, qui avaient déclaré la mesure injuste le 16 juin 1879, la déclarèrent juste trois ans après. Le 13 mars 1882, le comité consultatif composé de MM. Templier, Corbelet, Bétolaud, Carré, Cléry, de Chégoin, Beaupré, du Buit, Durier, Fournier, Le Berquier, Liouville, Rigaud, Beaumé, Maurice Picard et Le Coaren, ayant pour rapporteur M. Du Buit, pour président M. Templier, pour secrétaire Le Coaren émit un avis favorable aux prétentions du préfet.

Cette prostitution de cette chose sacrée, qu’on nomme le droit, est un des spectacles les plus douloureux du présent. Il semble que ceux que l’on appelait jadis « les prêtres du droit » devraient se tenir encore debout, quand tout autour d’eux a roulé dans la fange. L’âme souffre de voir des représentants de ce barreau français, qui a eu de si belles pages, qui a compté tant de fières figures, se prêter complaisamment à de telles infamies. Lisez une brochure de Le Berquier, qui figure là comme avocat à deux faces : le Tableau des avocats[7]. Vous croiriez véritablement que cet ordre ressemble à ce sénat romain dans lequel l’ambassadeur de Pyrrhus crut voir une assemblée de dieux et de demi-dieux. Il n’est question là-dedans que de protester contre l’injustice, « de protéger la liberté, la fortune, la vie des citoyens, d’où que vienne l’attaque, qu’elle se produise dans les sociétés paisibles ou troublées, sous le despotisme ou sous le règne de la loi. » On y rappelle les paroles de Target qui, du reste, fut peu brillant lors du procès de Louis XVI : « C’est par l’honneur que se maintient l’honneur, tout ce qui blesse la délicatesse est un crime à nos yeux ; ce qui est permis aux autres ordres de citoyens doit être interdit à celui-ci. »

Parcourez même ce qu’on a écrit à l’occasion de l’élévation de Le Berquier au bâtonnat. Il semble que cet homme soit la personnification même de l’indépendance et de la vertu. On pense à ce grand chancelier, Thomas Morus, qui, captif à la Tour, vit un jour arriver sa femme et ses enfants. — Signez cette rétractation et vous êtes libre ! Le prisonnier réfléchit une minute. Il songea à ce que serait le réveil le lendemain s’il refusait, à ce moment où il faudrait poser sa tête blanche sur le bloc de bois mal équarri, sur l’affreux billot de chêne qu’on montre encore à la Tour. Puis il demanda à sa femme combien elle croyait qu’il eût encore de temps à vivre. — Mais dix ans, quinze ans, peut-être. — Eh bien, faut-il sacrifier l’Eternité au plaisir de passer ces quelques années avec les miens ?

Ainsi ceux qu’au XVIII on appelait déjà les élogistes, les gens qui louent sans même savoir pourquoi, multipliaient les dithyrambes et accumulaient les épithètes à propos du nouveau bâtonnier.

Il est certain, cependant, que rien ne ressembla moins à un tel portrait que Le Berquier. Un avocat, capable d’être bâtonnier, doit savoir à quoi s’en tenir sur la légalité d’un acte et ne pas dire noir le lendemain quand il a dit blanc la veille. Ce prétendu parangon de fermeté était un simple jongleur. Puisqu’il s’agissait précisément du testament d’une veuve et d’un orphelinat, c’était le moment ou jamais de se montrer fidèle à son serment « de défendre la veuve et l’orphelin. » Il a absolument manqué aux devoirs de sa profession pour des raisons personnelles et que nos lecteurs sans doute devineront.

Pour moi je ne perdrai jamais l’occasion de mettre bien en évidence cet écart entre la réalité et la fiction, cette perpétuelle convention qui est le signe le plus inquiétant d’une époque où le besoin de la vérité n’existe plus, où l’on peut répéter ce que disait Tacite des Romains de son temps : nos vera rerum vocabula amisimus.

Il restait à faire exécuter cette étrange décision. Le maire du 2e arrondissement, M. Carcenac, donna sa démission pour ne pas se rendre complice d’un semblable méfait. Winckam s’offrit pour la besogne qui répugnait à tous. Le 27 septembre 1882, accompagné du trop fameux Dulac, il crocheta les portes qui résistèrent pendant cinq quarts d’heure et, malgré les protestations courageuses de M. Lefebure, il entra de force dans l’immeuble et chassa les Sœurs de l’école qui leur appartenait.

Toute la rue ameutée huait le misérable qui, tantôt cramoisi, tantôt blême, semblait, malgré son cynisme, avoir honte de lui-même ; les libres-penseurs eux-mêmes lui jetaient des injures au visage. C’était la première fois en effet qu’on employait la force contre des Sœurs de Charité, la première fois aussi qu’un citoyen se chargeait volontairement d’une tâche que les agents de police n’accomplissaient qu’avec répugnance et en s’excusant à haute voix sur les ordres reçus.

Aussi l’étonnement fut-il profond lorsqu’à la réunion pour les élections consistoriales, au mois de février 1883, Winckam osa venir se vanter de sa mauvaise action, raconta ses exploits en style de bandagiste herniaire et fut nommé membre du consistoire en compagnie de MM. Mirabaud et Steïner Dollfus.

Cette élection fut sévèrement jugée par les Protestants étrangers. Sans doute, on comprend le désir de vengeance qui anime certains êtres fieleux dans des minorités qui ont été opprimées autrefois ; mais n’est-il pas lâche de s’en prendre à des femmes, à des religieuses de Saint-Vincent-de-Paul qui n’ont jamais fait que du bien partout où elles ont passé ? Qu’un parti se serve d’hommes comme Winckam, quitte à leur remettre ensuite quelques fonds pour aller cacher leur honte à l’étranger, cela se comprend ; mais qu’on fasse entrer un crocheteur de portes dans un consistoire, voilà qui surpasse l’imagination et qui donne l’idée du degré où en est tombé le Protestantisme français.

Partout les Protestants abusèrent de la force, que leur donnait leur alliance avec les Juifs pour outrager les catholiques dans leurs croyances les plus chères. A Mornac, petite commune de la Charente, l’un d’eux osa en 1882 ce qu’on n’avait pas osé encore ; il persécuta dans la mort ceux qui ne pensaient pas comme lui ; il eut le triste honneur de précéder ceux qui, quelques mois plus tard, devaient briser les croix des cimetières.

Cet épisode vaut la peine d’être conté un peu au long, car il montre quels sont au fond, les sentiments de ces hommes qui crient si haut qu’on a persécuté leurs pères jadis. Si ces pères avaient été les plus forts, ils auraient été certainement de plus cruels oppresseurs que les catholiques.

Voici l’exposé des faits d’après un document du temps qui ne manque ni de dramatisme, ni de couleur dans sa sobriété volontaire.

Mornac possède deux cimetières : le cimetière catholique, qui est, en vertu d’actes authentiques, la propriété particulière de la fabrique, et le cimetière protestant, qui est la propriété communale. Tous deux n’étaient séparés que par une haie et un fossé situés sur le cimetière catholique, dont ils étaient conséquemment la propriété.

Les choses étaient ainsi depuis 1807, et aucune difficulté ne s’était jamais présentée. Mais M. le maire de Mornac a voulu changer tout cela et, le 9 juin 1882, s’appuyant sur une loi nouvelle, il a pris un arrêté par lequel il déclarait réunis les deux cimetières ; en même temps il déclarait que les inhumations ne se feraient plus qu’à la suite les unes des autres, « à l’exception cependant, disait l’arrêté, de ceux qui auraient acquis des concessions. »

Cela semblait bien la reconnaissance du droit, pour les catholiques propriétaires de concessions, de se faire enterrer dans leur cimetière ? Eh bien, non ! Malgré les termes de son arrêté, le maire empêcha d’abord l’inhumation d’un enfant dans le cimetière catholique, où les parents avaient une concession ; la porte du cimetière resta fermée lorsque le curé qui accompagnait le cercueil se présenta.

Là se tenait le maire, assisté du garde champêtre, qui déclara qu’en vertu de son arrêté, on n’entrerait pas. Néanmoins, devant les clameurs de la foule, le maire dut céder : il verbalisa contre le curé, mais l’enterrement eut lieu sans nouvel incident.

Cependant, quelques jours plus tard, les choses ne devaient pas se passer aussi tranquillement. Le 10 septembre, un autre enfant mourait dans la commune de l’Eguille. Le père avait perdu sa femme peu de mois auparavant ; elle était enterrée dans le cimetière catholique de Mornac, et une place avait été réservée à côté d’elle. Le 11, le père obtenait, et la concession de la fabrique de

Mornac, et le permis d’inhumer du maire de l’Eguille. En même temps, une dépêche de la sous-préfecture de Maronnes autorisait le transport du corps, de l’Eguille à Mornac.

Le maire de Mornac refusa de laisser entrer le corps dans le cimetière catholique et ordonna de combler la fosse qui avait été préparée par les soins du père. Ce dernier, aidé de deux de ses amis, recreusa alors la fosse, malgré les ordres du maire, et fit prier M. le curé de venir enterrer l’enfant. Sur quoi, ledit maire adressa un ordre de réquisition au lieutenant des douanes, fit à nouveau combler la fosse, et attendit, à l’entrée du cimetière, ceint de son écharpe, assisté de son adjoint, du garde champêtre et des douaniers ayant la baïonnette au bout du fusil, l’arrivée du cortège.

M. le curé de Mornac apparut bientôt avec le corps, et suivi de toute la population catholique. Le maire s’avança vers lui en lui disant : « Monsieur le Curé, vous n’entrerez pas ! » et, joignant le geste à la parole, il mit les mains sur la poitrine du curé pour le repousser.

La foule, craignant de voir brutaliser son curé, eut un mouvement en avant. Les douaniers voulurent s’y opposer en croisant les fusils, et là, une scène de désordre et de scandale se produisit. La croix fut jetée à terre, le cercueil fut précipité sous les pieds des assistants, et le pauvre père tomba par-dessus, en voulant le protéger ; la foule, surexcitée, renversa un des douaniers. Puis le curé fut poussé dans le cimetière, où il procéda à l’inhumation, après que la fosse eut été à nouveau creusée par le père de l’enfant, sous les yeux de toute la population.

A la suite de ce scandale, on eut l’audace de poursuivre les malheureux coupables d’avoir voulu faire enterrer leur enfant. Un garçon de seize ans fut compris dans la poursuite !

Devant le tribunal de Marennes, le procureur de la République, M. Vivien, qui voulait avant tout obtenir une condamnation à laquelle la Franc-Maçonnerie de Paris tenait beaucoup, eut une idée lumineuse : il menaça les témoins de 1es faire arrêter s’ils déposaient en faveur des accusés.

En dépit d’un avocat de talent, Me Querenet, les accusés, le délit matériel étant prouvé, furent condamnés à des peines variant de quinze à dix jours de prison.

Avez-vous lu les Larmes de Pineton de Chambrun ? Ce livre, admiré à l’excès par Michelet, est émouvant et plus d’un passage nous a fait pleurer jadis sur le sort des Protestants français. Si Pineton eût été le maître, il aurait agi sans doute comme le maire de Mornac et jeté dans la boue le cercueil de ceux qui n’étaient pas de sa communion.

Dans le Midi, particulièrement, les Protestants furent indignes. A Montauban, ils disposaient de la majorité dans le conseil municipal quoiqu’ils ne représentent dans la ville que le sixième de la population ; ils en profitèrent pour aller crocheter l’école Villebourbon qui appartenait aux Frères ; ils enlevèrent partout les crucifix des écoles.

A Nîmes, ils commencèrent par interdire les processions, puis, au mois de juillet 1882, ils arrachèrent le crucifix placé dans une salle de l’hospice récemment inauguré. Une scène touchante eut lieu. Tous les malades, qui pouvaient se tenir debout voulurent accompagner le crucifix que les Sœurs en pleurs portèrent processionnellement dans une petite chapelle, tandis que les administrateurs ricanaient et blasphémaient. Les malades refusèrent unanimement de coucher dans la nouvelle salle.

Quand le jour du châtiment sera arrivé pour la minorité qui se permet de tels actes, vous entendrez ces hommes, si grossiers dans le succès, si plats quand la chance a tourné, recommencer à bêler leurs discours sur la tolérance.

N’est-il pas intéressant, en tout cas, tristement intéressant, il est vrai, de voir les Protestants, qui ont commencé par haïr l’Eglise, en arrivera à haïr le Christ, à renverser partout son image, à interdire qu’on apprenne son nom aux enfants ?

Pour pénible qu’elle soit à nos yeux, cette évolution n’en est pas moins logique. L’époque actuelle a, du moins, cet avantage de dissiper toutes les équivoques, de faire éclore tout ce qui est en germe au fond des choses. Le Protestantisme va où il devait aller, il trouve le but qu’il devait trouver en suivant le chemin qu’il a pris ; il scelle son alliance avec le Juif dans ce reniement de la croix, dans ce crachat jeté à la face du Divin Maître, qui était l’acte d’initiation dans la Franc-Maçonnerie templière, aïeule et source de la Franc-Maçonnerie d’aujourd’hui.

  1. Matin, 14 janvier et 2 février 1885.
  2. La multiplication des Monod, sans avoir pris la proportion de celle des Mayer, a été une des plaies d’Egypte qui ont le plus douloureusement affligé l’époque actuelle.
  3. Voir à ce sujet, outre le magnifique ouvrage de M. le baron Kervyn de Lettenhove, Les derniers jours de Coligny, de M. Charles Buet. Mgr Freppel, qui a vraiment ce courage intellectuel si rare aujourd’hui, écrivait à l’auteur au sujet de ce livre :
        « Comment oublier que, pour assouvir sa haine et satisfaire son ambition, cet étrange Français, investi d’une charge militaire des plus importantes, n’a pas craint d’appeler l’étranger au cœur de la Patrie ; que, par suite d’un pacte infâme, il a livré à l’Angleterre Dieppe, le Havre et Rouen, en retour de ce qu’elle lui promettait de secours en hommes, en argent et en vaisseaux, contre la cause du roi et de la nation ; qu’il a inondé la France de ses reîtres allemands soudoyés pour le pillage et pour l’assassinat ?
        « Que l’on suive Coligny dans tout le cours de sa vie militaire : il est constamment occupé à pactiser avec l’étranger dans le but de faire envahir sa patrie par les troupes d’Elisabeth d’Angleterre, du prince d’Orange, du duc de Deux-Ponts et des princes allemands.
        « A défaut de patriotisme, y a-t-il au moins dans cet homme, dont la carrière militaire compte autant de défaites que de batailles, quelque chose de cette grandeur morale qui fait pardonner bien des fautes ? Mais qui ne sait que la complicité dans le meurtre de l’héroïque duc de Guise par Poltrot de Méré, l’un des familiers de Coligny, pèse sur la mémoire de l’Amiral comme une charge que rien n’a pu détruire ? Outre les aveux du meurtrier qui, jusque sur les degrés de l’échafaud, lui imputa l’ordre de l’assassinat, vous citez les témoignages des contemporains, tous plus accablants les uns que
    les autres. »
  4. Vapereau, si mesuré et si prudent toujours, confirme ce fait. Fils d’un artisan, sujet prussien, dit-il, au mois de juin 1877, il réclama auprès du tribunal de Versailles, sans l’obtenir, un jugement déclaratif de sa qualité de Français ; il affirmait avoir rempli, en 1857 à Strasbourg, les formalités nécessaires, formalités dont le bombardement de 1870 aurait détruit les traces.
    Le Courrier de Versailles a donné sur ce Prussien, devenu l’instituteur de la jeunesse française, quelques indications très précises.
        M. Jules Steeg est né à Versailles, le 21 février 1836 ; son père Jean Steeg, sujet prussien, cumulait l’emploi de concierge avec la profession de cordonnier. En 1877, M. le pasteur Steeg, que chacun considérait comme étranger, introduirait une instance devant le tribunal de Versailles pour que, par un jugement, la qualité de citoyen français lui fut reconnue. A l’appui de M demande, M. Steeg argua d’une déclaration de nationalité qu’il avait faite, disait-il, à Strasbourg, en 1857.
        Le tribunal demanda un extrait du registre municipal sur lequel cette déclaration avait dû être consignée.
        Ce registre, répondit M. Steeg, a été brûlé pendant le siège de Strasbourg. On désigna alors un juge rapporteur.
        Par malheur, pour M. Steeg, le juge rapporteur avait été autrefois attaché au parquet de Strasbourg et il avait exercé ses fonctions pendant le siège. Il était donc mieux que personne en mesure de connaître ce qui s’était passé à Strasbourg en 1870.
        Il faut croire que ce qu’il savait ne cadrait pas avec les prétentions de M. Steeg. Le fait est que la demande du pasteur fut repoussée.
        Le jugement contient donc une proclamation implicite de la nationalité prussienne de M. le pasteur Steeg, député de la Gironde.
        A moins donc qu’il n’ait trouvé, depuis 1877, un tribunal plus accommodant que celui de Versailles, M. Steeg, n’a pas cessé d’être Prussien.
  5. C’est ce Monod qui toléra, s’il ne les encouragea pas, les désordres qui se produisirent en 1884, à Caen, le dimanche de la Passion. Un misérable tenant à la main un numéro de la Lanterne entra dans l’église Saint-Pierre et insulta le R. P. Delorme, dominicain qui était en chaire. Les voyous qui attendaient sur la place essayèrent d’enfoncer la porte de l’église et accablèrent d’injures les fidèles qui sortaient de l’office. Ils se répandirent ensuite par la ville et allèrent vociférer et pousser des menaces de mort sous la fenêtre des habitants catholiques. Les autorités ne bougèrent pas de la soirée.
  6. Gazette des Tribunaux du 7 octobre 1882, page 970.
  7. Imprimerie Balitout et Questroy.