La France juive/Livre Sixième/III/3

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(vol 2p. 474-519).

Nous sommes ici, d’ailleurs, dans la pure tradition jacobine. La mort seule semble capable d’expier la plus légère offense contre l’auguste personne du Jacobin ou de la Jacobine. Léonard Bourdon, le crapuleux proconsul dont Taine nous a raconté les exploits, est insulté un soir à Orléans en sortant d’un mauvais lieu et reçoit quelques horions dans une rixe entre ivrognes. Savez-vous combien d’êtres humains furent immolés pour ce fait ? Neuf. Un de ces malheureux avait dix-neuf enfants dont quatre servaient aux armées[1]. Les parents de ces infortunés vinrent supplier, implorant, la Convention de faire grâce ; la Convention resta impassible et les condamnés furent conduits au supplice en chemise rouge.

Une jeune fille de vingt ans, Cécile Renault, se présente chez le concierge de Robespierre avec deux petits couteaux dans sa poche. On tue son père, son frère, sa sœur, sa tante et on enveloppe dans le procès cinquante-six personnes qu’on guillotine, toujours en chemise rouge. C’était si beau que Fouquier-Tinville, pour aller voir passer le cortège, retarda ce jour-là son dîner.

Les écrivains républicains, qui trouvent cela admirable et qui ont poussé des cris de joie à l’assassinat de Morin, se déclarent tous partisans de l’abolition de la peine de mort[2]. Quels Pasquins !

Que faire contre cette persécution ? Rien. C’est la persécution perfectionnée que prévoyait Desmoulins lorsqu’il écrivait : « Ce sont les despotes maladroits qui se servent des bayonnettes, l’art de la tyrannie est de faire la même chose avec des juges. »

Le régime autoritaire, cette centralisation toute-puissante, déjà si lourde quand la machine gouvernementale était dirigée par des hommes qui avaient un fragment de conscience qui, tout au moins, se rattachaient aux traditions françaises, est devenu un effroyable instrument d’oppression entre les mains de vagabonds d’hier, d’étrangers fraîchement naturalisés, de Juifs vindicatifs et haineux. Magistrats, commissaires, agents, tout cela est uni par la communauté d’origine. Tous ont fait à peu près les mêmes métiers autrefois, ont vécu entre deux peurs des mêmes industries suspectes. Si vous aviez à vous plaindre de quelque abus de pouvoir, je ne pense pas que vous trouviez grande protection auprès de Carlier, l’ancien homme de confiance de Crémieux, qui déclare, dans une réunion électorale, que « Dieu, la famille et la propriété sont des balançoires. »

Quant aux commissaires, il n’est pas de jour, où à la suite de quelque aventure trop éclatante, l’un d’eux ne quitte son cabinet pour une cellule à Mazas. L’un, magistrat et marchand de vin à la fois, est poursuivi pour escroquerie. L’autre, un nommé Rougeau, celui-là opérait à Saint-Denis, réclame 160 francs au lieu de 10 francs à l’un de ses administrés ; il n’est sauvé, raconte le Clairon, que par l’intervention de Loewe et de Camille Sée[3]. Le commissaire de Viviers tire un coup de revolver sur un habitant paisible de sa commune et est arrêté au moment où il s’élançait sur lui, probablement pour lui arracher sa montre. Au mois de décembre 1883, le commissaire de police d’Orbec, Hebert, est condamné par la cour d’assises du Calvados à trois ans de prison pour attentat à la pudeur[4].

Cardinal, le commissaire de police de Vitré, est plus étonnant encore ; il se charge de procurer des nuits d’amour à ses amis et il choisit au hasard parmi les femmes les plus irréprochables de la ville. Un soir, son compagnon d’orgie, Leroy, rédacteur en chef du Radical de Rennes, lui témoigne le désir de sacrifier à Vénus. Cardinal n’hésite pas, il fait ouvrir au nom de la loi la maison d’une honnête femme, Mme Porée, dont le mari employé à la gare était absent, jette le bouillant républicain dans les bras de cette dame réveillée en sursaut et saisie d’épouvante, et se retire. La femme crie, se défend, roue de coups l’ivrogne qui veut la prendre de force. Finalement l’affaire s’ébruite et, au mois de décembre 1885, la Cour d’appel de Rennes, statuant sous la présidence de M. de Kerbertin, condamne Cardinal à six mois et Leroy à un mois de prison.

Broussier, d’abord commissaire de police à Guines, où il avait commis d’innombrables vols, avait été envoyé par le ministre à Vendôme avec de l’avancement. Là, il trouva tout simple de se rendre à la gare, d’éventrer un sac de dépêches et d’emporter les lettres chargées. Le jury de Loir-et-Cher le condamna à cinq mois de prison au mois de février 1886. « Je suis toujours commissaire de police, dit-il au président, le ministère m’a accepté pour les colonies. » Il ira rejoindre son poste à l’expiration de sa peine et probablement avant.

Il serait dommage d’omettre Joyeux, le commissaire de police du quartier de la Folie-Méricourt. Cette affaire Laplacette, dont tous les journaux ont retenti au mois de mai 1884, est une des plus émouvantes, une de celles qui montrent le mieux combien notre société est dure aux petits. Ce Laplacette, entrepreneur de ventes à crédit, deux ou trois fois millionnaire, avait tout simplement rétabli, pour ses employés, la chaîne de l’esclavage antique, mais en la rendant plus lourde encore.

Pour éviter que ses courtiers ne l’abandonnassent, ce patron républicain, puisqu’on était sur le point de le décorer, avait trouvé un moyen ingénieux. Dès qu’une légère erreur se produisait dans le compte de ses employés, dès qu’il leur manquait deux ou trois francs de timbres, il les accusait d’abus de confiance et les effrayait avec les mandats de comparution en blanc que lui remettait son complice et son associé, le commissaire Joyeux. Les malheureux étaient amenés dans un local, qu’on appelait la cage, dans lequel se tenait en permanence le secrétaire du commissaire prêt à verbaliser au cas où l’employé aurait répondu par un mot grossier aux injures dont l’accablait Laplacette. Là, affolés par l’idée de la prison, terrifiés par cet appareil, ils signaient une déclaration par laquelle ils reconnaissaient avoir volé leur patron.

Les signataires étaient désormais à la discrétion de Laplacette. Six mois, un an ou deux ans après, quand les affaires allaient mal ou que la nécessité de frapper l’esprit du personnel se faisait sentir, on prenait au hasard un de ces infortunés, comme on prenait un esclave pour les murènes, et on le livrait aux tribunaux qui le condamnaient sur son propre aveu. On mettait le nom sur un tableau, que l’on appelait le tableau d’avancement, afin que cet exemple terrorisât les autres.

Quatre-vingts pauvres diables furent ainsi exécutés ! Quatre-vingts existences d’hommes furent souillées, flétries, brisées à jamais ! Et les autres ! ceux qui avaient sans cesse cette épée de Damoclès sur la tête, vous figurez-vous ce qu’ils devaient souffrir.

Joyeux ne fut pas poursuivi, il ne fut pas même révoqué ; il fut admis par Camescasse à faire valoir ses droits à une honorable retraite...

Tous ces gens-là, encore une fois, se ménagent entre eux, car ils se connaissent les uns sur les autres des histoires à s’envoyer tous aux galères.

Custodes ipsos quis custodiet ? s’écrie l’honnête homme éperdu en voyant les gardiens de la sécurité publique s’allier à d’anciens communards pour dépouiller le pauvre monde. Au mois de février 1884, Provendier, officier de paix du neuvième arrondissement, tristement compromis dans l’effraction du domicile des Capucins et déjà poursuivi pour avoir détourné les fonds destinés aux agents placés sous ses ordres, comparait devant la cour d’assises de la Seine ; il est condamné à deux ans de prison pour faux commis de complicité avec un de ses amis, le sieur Gilson. Le sieur Gilson avait eu une part considérable dans le pillage de l’église Saint-Ambroise sous la Commune.

Un autre officier de paix, Gout, est arrêté au mois d’octobre 1884, et condamné à un an de prison pour avoir extorqué des sommes importantes aux directeurs des Cercles, en se servant du nom de Puybaraud, le chef du cabinet du préfet de police.

Rougeau, secrétaire de Dulac, avait pris une part active à l’exécution des décrets. Quant à Hébert, le Clairon du 17 octobre 1883 nous apprend qu’étant à Bayeux, « il avait fait avec le sous-préfet juif Strauss, décoré pour cet exploit, et le secrétaire du sous-préfet, assaut de brutalité pour enfoncer les portes de l’abbaye et pour en chasser les RR. PP. Prémontrés. » Ne pouvant plus le garder on l’avait envoyé à Orbec.

Cotton d’Englesqueville, qui avait montré tant d’acharnement dans l’expulsion des Dominicains, devint fou. Successivement procureur impérial à Ajaccio, juge à la cour de Pau et conseiller à la cour de Caen, il avait dû quitter la magistrature et, après avoir exercé divers métiers, il était en dernier lieu courtier en chevaux ; c’est là qu’on l’alla chercher pour en faire un commissaire de police. Poursuivi par le remords, il se croyait en butte aux attaques de malfaiteurs invisibles et avait prétendu qu’un individu, resté inconnu, avait déposé une bombe dans son appartement ; quelques heures avant sa mort, il envoya à la préfecture une dépêche qui portait ces mots : « Mazas en débris ; Louise Michel et les Capucins ont fait sauter Paris. »

A. Margarot, le maire de Nîmes, un des trente-trois membres du Suprême Conseil, qui, allié aux Protestants, avait montré une véritable frénésie dans tous les actes de persécution religieuse, se suicida au mois d’avril 1885, à la suite de vilaines affaires d’argent.

Il y aurait des choses très intéressantes à dire sur le châtiment des crocheteurs. Presque tous ceux qui ont été mêlés à ces scènes finissent dans des catastrophes.

Le serrurier de Lille, qui avait consenti, au refus de tous ses camarades, à prêter son aide au préfet, fabrique une machine infernale et se tue ensuite.

Au mois de février 1885, un nommé Astruc, qui avait figuré au premier rang lors de l’exécution des décrets à Montpellier, est condamné par la cour d’assises à trois ans de prison pour complicité de vol.

Tous ceux qui ont été crocheter la Trappe des Dombes au Plant sont morts dans l’année dans des conditions fort tristes[5]

Sans doute, les faits s’expliquent assez naturellement au point de vue humain. Ce n’est pas dans l’élite de la population que le pouvoir a pu trouver des auxiliaires et si tous les pendards ne sont pas pendus, ils finissent toujours, en continuant le cours de leurs exploit par heurter trop violemment la loi pour qu’on puisse étouffer l’affaire. C’est, je crois, Joseph de Maistre qui a dit « qu’il y avait plus de coquins courant après les châtiments que de châtiments courant après les coquins. » Malgré tout, les uns et les autres se rencontrent quelquefois.

Les frères Ballerich se précipitant, l’épée et le revolver au poing, dans un bureau de journal, ne semblent-ils pas la personnification de la Police elle-même affolée, éperdue, pervertie par l’impunité, que dis-je, par la récompense d’hommes comme Dulac et Clément qui ont accompli, sans avoir été encore poursuivis, des actes que le Code punit justement du bagne[6] ? Tout s’enchaîne. En matière d’effraction :

C’est par les couvents qu’on commence,
C’est par les journaux qu’on finit.

On devine les scrupules que peuvent éprouver comme fonctionnaires des gens qui ont tant à se faire pardonner. Un commissaire de police d’Angers, Poilu, est chargé, au mois de novembre 1881 d’une instruction contre un prêtre. La plupart des témoins déposent en faveur de l’accusé et sont tout étonnés quand on leur relit leurs dépositions au tribunal de voir qu’on leur avait fait dire absolument tout le contraire de ce qu’ils pensaient. L’ingénieux Poilu les avait tout simplement appelés à son bureau et sous un prétexte quelconque leur avait fait signer une feuille en blanc. La Chambre des mises en accusation, saisie de l’affaire, écarta l’intention frauduleuse en constatant seulement que le magistrat avait systématiquement omis de relater les témoignages favorables à l’accusé !

On comprend ce que peut faire de ravages, dans un pays organisé comme le nôtre, la force publique confiée à de tels hommes.

Sur ce point l’historien de l’avenir fera bien de consulter les chroniques d’Ignotus.

C’est dans un volume spécial, consacré au mouvement littéraire de notre époque, que j’étudierai à fond cet écrivain qui est un des rares qui aient appris leur nom à la foule depuis 1870. Beaucoup ne l’aiment pas ; d’autres exagèrent sa valeur ; je trouve, quant à moi, qu’il est impossible de lui contester un don très réel d’exprimer dans une langue personnelle des pensées parfois très originales et très hautes. On peut lui appliquer la définition de l’artiste par Varnhayen : « Un artiste est celui dont les idées se font images. »

J’avoue n’être pas toujours enthousiaste des portraits. Je ne parle point du portrait de Rothschild, il n’est pas digne de l’écrivain et l’auteur semble en avoir rougi puisqu’il n’a donné aucune publicité au volume dans lequel il figurait. Alphonse, parait-il, en fut écœuré lui-même, « Tenez, ma chère, aurait-il dit à la baronne en montrant un journal juif dans lequel les catholiques étaient traînés dans la boue, voilà comment nous les fouaillons… et voilà comme ils nous lèchent, » aurait-il ajouté, en jetant à terre l’article d’Ignotus.

Jamais l’adulation pour le Juif n’a été poussée si loin. En ce siècle fécond en incroyables péripéties qui vit un fils de la Fortune être sacré à Notre-Dame onze ans après l’exécution d’un descendant de saint Louis, où les empires et les trônes roulent emportés par des tempêtes soudaines comme des feuilles d’arbre par le vent d’automne, Ignotus prétend sans rire que le fondateur de la dynastie des Rothschild a assuré sa maison « même contre l’avenir. » Le beau billet à ordre qu’ont là les banquiers et la jolie prophétie que fera, mentir demain le premier capitaine un peu brave, le premier chef d’insurgé de tempérament français qui, au lieu de s’attaquer bêtement à des couvents, viendra, la cigarette aux lèvres, mettre tranquillement en arrestation toute cette nichée de barons !

Pour être moins plats les autres portraits n’en sont pas toujours plus fidèles.

A mon avis, Ignotus, comme portraitiste, n’a pas assez l’amour de ce dessin que Ingres appelait « la probité de l’art. » Il ne se préoccupe pas assez de la sincérité des contours et de la vérité des lignes, il fait amusant et intéressant sans se soucier toujours de faire exact.

La raison de cette insuffisance relative est simple. Cet écrivain, qui a de si belles parties d’artiste et de poète, est badaud par certains points. S’il est parfois le fils attendri de cet Océan qui lui inspire de si originales comparaisons, il reste souvent l’habitant de la Loire-Inférieure en déplacement à Paris. Le badaud, qui est en lui, paralyse et désarme l’observateur quand il s’agit de regarder dans le blanc des yeux ces contemporains qui mentent presque toujours, qui prennent des attitudes factices en désaccord avec leurs actes ; il le sert, au contraire, quand il s’agit de regarder la rue qu’on ne peut comprendre qu’en partageant an peu sa façon d’éprouver.

Ce qui restera de ce peintre-moderne qui, contrairement à ce qu’il s’imagine peut-être lui-même, sait mieux voir les hommes qu’un homme, la collectivité que l’individualité, ce sont ses études sociales, ses peintures de ce Paris nouveau, monstrueux, invraisemblable, ses dramatiques analyses de ce monde renversé où les gens de bien sont maintenant à la merci des criminels de tous les pays.

Réunissez ces travaux fragmentaires en un volume, joignez-y le livre de Maxime Du Camp, ajoutez-y le présent livre qui dit ce que ces hommes, soucieux de ne pas se faire d’ennemis, n’osent pas dire. Complétez le tout par le livre que quelqu’un, sans nul doute, est en train de préparer dans un coin et qui contiendra ce que je n’ai pas voulu dire : les détails intimes, que chacun se raconte à l’oreille, les révélations sur les tripotages secrets, sur la vie privée, sur les dessous honteux de ce gouvernement. Et, si la capitale disparaît dans un formidable cataclysme, vous aurez les matériaux suffisants pour reconstituer la ville géante qui, hier, s’appelait la cité-reine et qui, demain, sera la cité mendiante, la cité découronnée, déshonorée, désespérée.

Du Camp vous donne dans son livre froid comme les pierres, dans ce livre d’une littérature toute édilitaire, le décor admirable et pompeux, le cadre monumental et grandiose de la ville impériale, mais, dans cette œuvre faite presque exclusivement avec des documents officiels, le mouvement et la vie n’existent pas. Dans Ignotus, vous trouverez peint au naturel, ad vivum, le monde bizarre qui s’est installé impudemment dans cette ruine toute neuve d’un monde écroulé comme les bohémiens s’installent deux ou trois fois l’an dans le jardin des Tuileries, pendant leurs loques aux statues des consulaires, rapiéçant leur chaussure trouée au pied des déesses de marbre, allumant les réchauds de leur nauséabonde cuisine sous les arbres augustes que nos rois avaient plantés pour verser la fraîcheur et l’ombrage aux passants.

Assidu du palais et avocat lui-même, quoiqu’il n’ait que peu plaidé, Ignotus décompose très bien la façon dont fonctionne la persécution judiciaire. Il explique fort lucidement comment l’innocent est condamné d’avance, même avec une sorte d’apparence de justice dès que le magistrat Franc-Maçon est d’accord avec ceux qui ont organisé une affaire, soit dans un intérêt électoral, soit dans un but de chantage.

Les études sur le huis-clos, le secret, les attentats à la pudeur sont d’un penseur et d’un légiste.

L’enfant, dit très bien l’écrivain, n’a pas conscience fort nette de la réalité des choses. De même que le bébé naissant étend le bras pour toucher les objets les plus éloignés de même l’enfant ne distingue que peu à peu la matérialité des actes. Il les confond, présents ou passés. Il ne met pas une grande différence entre ce qu’il a vu ou entendu. Parfois il croit avoir entendu ce qu’il a vu et vu ce qu’il a entendu.

Un criminaliste, M. Forster, m’a dit qu’à Londres, il avait, devant plusieurs médecins témoins, persuadé peu à peu une petite fille qu’elle avait mangé un bonbon une heure auparavant, alors qu’elle n’avait que bu un verre d’eau rougie.

Or, cet enfant est le témoin qui, d’ordinaire, est regardé comme le plus croyable et qui est le plus cru. Il y a cet adage criminel : « plus le témoin est petit, plus il pèse ! »

C’est là-dessus que comptent les Francs-Maçons qui excellent dans ces préparations de procès d’attentats à la pudeur. On fait croire l’enfant à la réalité de certains faits qui n’ont jamais existé, on lui fait apprendre une leçon qu’il répète par vanité pour ne pas avoir l’air de manquer de mémoire. Sous ce rapport, les organisateurs sont d’une habileté incroyable dans le choix de leurs sujets. Dans un village où j’habitais les Frères étaient adorés, les mêmes instituteurs étaient là depuis vingt ans, ils avaient élevé tout le pays. Un jeune Frère arrive, un scandale se produit et il se trouve que le père de l’enfant, qui se prétendait victime, avait été condamné jadis à vingt ans de travaux forcés pour attentat à la pudeur. Evidemment il y eut, en cette occasion, soit corruption par le père, soit prédisposition maladive hérédifaire chez l’enfant à porter son imagination sur certaines idées.

Parmi d’innombrables affaires de ce genre, dont le récit allongerait indéfiniment, ce livre je prends au hasard l’affaire de l’abbé Mulot.

L’abbé Mulot, curé de Saint-Leu, à Amiens, était un vénérable prêtre de 71 ans qui avait traversé la vie en faisant le bien. Pendant le choléra de 1866, il avait bravé cent fois la mort en prodiguant ses soins aux malades et les habitants du faubourg de Hem s’étaient cotisés pour lui offrir une couronne d’or à titre de souvenir.

Quand on demanda à un témoin, M. Hocquet, maire de la commune de Templeux-le-Guérard, où l’abbé Mulot avait été curé, quelle était alors sa réputation, il répondit simplement : « Si j’avais voulu amener ici quatre cents personnes de Templeux pour témoigner en faveur de M. l’abbé Mulot, elles seraient venues en masse. »

L’abbé Mulot avait du défendre les droits de l’Église contre la ville d’Amiens. Dauphin, le protecteur et l’ami d’Erlanger, et Goblet, qui vaut encore moins que lui, avaient été indignés d’une telle audace. Il fut résolu qu’on perdrait le pauvre prêtre, « qu’on monterait un coup » pour employer l’expression d’un des témoins. Une institutrice qui, avant d’appartenir à l’enseignement, avait fait partie d’un cirque ambulant, vint raconter que des enfants auraient reçu du curé ce qu’ils appelaient « des leçons naturalistes. »

Le procès eut lieu au mois de juin 1882. Robinet de Clery, chargé de la défense de l’accusé, fut magnifique, mais ne l’eût-il pas été que la cause de la vérité aurait triomphé quand même. Le président du tribunal était un honnête homme et un homme d’esprit. Après deux ou trois questions ; il sut, à quoi s’en tenir sur l’innocence des enfants Ils avaient en effet figuré déjà deux ou trois fois dans des affaires d’attentat aux mœurs. C’était une spécialité chez eux ; la Franc-Maçonnerie les promenait de département en département. L’arrêt fut très explicite sur ce point :

En ce qui concerne l’outrage public à la pudeur :

Attendu, que s’ils avaient existé, les gestes indécents, objets de cette seconde inculpation, en raison même de leur gravité, n’auraient pas manqué, dès le premier jour, d’être dévoilés par les enfants, dont deux, au moins, avaient été antérieurement mêlées, comme victimes ou comme témoins, dans des procès de mœurs ;

Attendu, néanmoins, que lors de l’enquête de M. l’inspecteur Camus, il n’a été en aucune façon question de ces actes, et que c’est le lendemain, devant M. le commissaire de police, que deux enfants ont commencé à en parler ;

Attendu que la défense, pour infirmer ces témoignages, a justement relevé les nombreuses contradictions qui existent entre les déclarations des différentes petites filles, non-seulement sur les gestes dont s’agit, mais encore sur d’autres circonstances accessoires de la scène, contradictions d’autant plus inexplicables que les faits se seraient accomplis sous leurs yeux, dans un espace relativement très restreint ;

Attendu que l’instruction et les débats ont, du reste, révélé la pression exercée par une personne (l’institutrice laïque Mette) sur les enfants, et dont l’animosité contre l’inculpé ne saurait être mise en doute ;

Attendu que la moralité inattaquable de l’abbé Mulot et tout son passé protestent contre ce nouveau chef de prévention ;

Par ces motifs :

Le tribunal renvoie l’abbé Mulot des fins de la poursuite, sans dépens.

Une enthousiaste ovation fut faite au sortir de l’audience au malheureux vieillard qui, très fort devant la persécution, faillit s’évanouir de joie en voyant combien il était aimé. Un de nos confrères, M. Nicolas Boussu, ouvrit dans son journal le Courrier de la Somme, une souscription qui fut presque aussitôt couverte et qui servit à l’achat d’un calice d’or[7].

L’institutrice flétrie par le tribunal reçut naturellement l’avancement qu’elle méritait ; elle fut appelée à une position à Paris.

J’avoue n’avoir pas le courage de reprocher trop sévèrement à la malheureuse son indigne conduite. Qu’il est difficile parfois à une pauvre fille, sans principes de moralité bien solides, de résister à la pression qui vient d’en haut ! L’inspecteur, un gros monsieur, décoré, parlant fort, exerce une véritable terreur sur ces êtres faibles ; placées entre une infamie et la peur de perdre leur place, ils succombent en souffrant peut-être plus cruellement qu’on ne le croit.

Nous nous sommes arrêtés assez longuement à ce procès car il peut être considéré comme le procès-type de la Franc-Maçonnerie.

La date explique l’acquittement comme l’acquittement explique la loi sur la magistrature. Aujourd’hui

l’abbé Mulot serait certainement condamné à cinq ans de prison[8].

Ignotus voyait très juste lorsqu’il écrivait : {{interligne]] Que deviendra la sécurité de chacun, quand la magistrature appartiendra à des êtres déclassés ? Nous arriverons aux heures les plus sombres de la décadence romaine. Le nouveau magistrat sera l’instrument des vengeances ou des appétits particuliers. La foule sera maîtresse du prétoire. Déjà vous avez vu un curé, qui depuis a été acquitté — arrêté préventivement et mené en prison entre deux gendarmes… à pied, un jour de dimanche, à la sortie de la grand’messe. N’y avait-il point là pression de la foule sur des magistrats secondaires ?

Ce qui arrive aujourd’hui aux curés adviendra demain ou après-demain aux laïques.

Maintenant le jury est choisi par deux degrés différents d’examinateurs : 1° l’assemblée des maires ; 2° l’assemblée composée des conseillers généraux et présidée par le président du tribunal civil. Que sera-ce quand ce président sera un magistrat de dernière catégorie ?

Que sera-ce quand le parquet sera composé d’hommes méprisables ? quand le droit excessif d’arrêter préventivement un citoyen sera dans des mains vénales ? quand le prévenu pourra être mis au secret, selon la fantaisie de quelque juge d’instruc- tion, a qui aujourd’hui vous ne confieriez pas votre bourse ? quand le jugement aura lieu à huis-clos, sans le contrôle de l’opinion publique ?

En ce temps-là, les accusations d’outrage à la pudeur seront plus nombreuses que jamais. Les femmes seront les plus formidables instruments de la Révolution sociale — de même que d’autres femmes en sont aujourd’hui les plus redoutables adversaires. Vous savez que la femme est ou l’être humain le meilleur, ou l’être humain le plus mauvais. Leur esprit est comme l’hirondelle-martinet qui peut voler le plus haut dans le ciel — et le plus bas vers la boue ! ! !

Que sera-ce quand la balance de la Justice deviendra une balance d’épicier, où le déshonneur sera vendu à prix d’argent, comme le sel et le poivre ?

Dieu est remplacé par le procureur général vis-à-vis des foules. Que sera-ce quand le procureur général sera l’élu et l’instrument des passions les plus basses ?

Il ne faut pas croire qu’en ce temps-là les simples citoyens pourront se dégager des luttes politiques. Ce serait folie que de le croire. Nul ne pourra regarder de sa fenêtre ce qui se passe dans la rue — comme dans un jour de Mardi-Gras. Les ruisseaux de la rue monteront dans les maisons !

On s’explique l’acharnement que mit la Franc-Maçonnerie juive à décapiter la magistrature. Les anciens magistrats étaient pour les Juifs, même d’une nature relativement supérieure, un perpétuel sujet d’étonnement ; ils avaient devant cette pauvreté volontaire la même impression de sourde colère que devant la pauvreté du moine ; ils suffoquaient devant ces hommes qui rendaient la justice pour rien, dans l’impartialité de leur conscience, quand ils auraient pu tant gagner à la vendre.

Isaac Pereire racontait souvent, comme une des surprises de sa vie, la visite qu’il avait faite à un premier président qu’il était obligé de voir pour un procès d’une importance considérable. Le riche financier avait fait atteler, il s’était rendu chez le magistrat.

— Monsieur X ?

— Au cinquième, la porte à droite.

Profondément surpris, absolument essoufflé, Pereire avait gravi les cinq étages et il avait trouvé, dans l’acajou le plus banal, un homme éminent qui s’était montré aussi au courant que son visiteur des questions financières.

Pereire qui, en sa qualité de Juif Portugais, était accessible à certains sentiments élevés que les Juifs Allemands n’auront jamais, était demeuré frappé de la simple grandeur de cet homme pauvre qui, voué à la plus haute des fonctions sociales, après celle de prêtre, vivait au cinquième, tout en décidant de procès où il s’agissait de millions. Le châtelain d’Armainvilliers, le ploutocrate heureux avait senti ce jour-là qu’il y avait quelque chose au-dessus de l’argent.

Il est évident qu’un magistrat de cette trempe n’aurait jamais consenti, comme Humbert, pour faire réussir les opérations de la banque juive cosmopolite, à faire arrêter les directeurs de l’Union générale la veille de la réunion d’une assemblée d’actionnaires qui pouvait tout sauver.

Les Juifs employèrent tous les moyens pour arriver à se débarrasser de ces magistrats qui les gênaient.

Il se passa, au moment du vote de la loi au Sénat, des faits inouïs. Les Francs-Maçons allèrent voler des bulletins dans les pupitres de leurs collègues, et les déposèrent en leur nom. A la séance du lundi 30 juillet 1883, M. Barthélémy Saint-Hilaire vient déclarer qu’il avait reçu de M. Martel le mandat de voter contre l’article 15, et qu’un sénateur s’est permis de jeter dans l’urne un vote contraire. M. de Kerdrel fait la même déclaration pour M. Dieudé-Defly. Il y a là, comme le constate M. Buffet, un faux en écriture publique. Qu’importe ! Les Francs-Maçons font un signe à Humbert de la Chaîne d’union, qui présidait ce jour là, et celui-ci, qui ricane lorsqu’on parle devant lui de conscience ou d’honnêteté, affirme cyniquement que le vote est régulier. Le Sénat romain des derniers temps n’offre guère de spectacle plus abject[9].

Grâce aux deux Sémites Millaud et Naquet, le tour était joué, les magistrats chrétiens furent remplacés par des Juifs comme les Beer, les Alphanderry, les Eliacin Naquet, les Léon, les Bloch, les Katz, les Pontremols, les Rosenfeld, les Anspach, les Sommer, les Dalmbert, les Durand, etc., etc.

Figurez-vous un chrétien arrivant devant un de ces Juifs ! Quelle satisfaction cet homme éprouvera à pouvoir appliquer son code à lui ! Quel sourire mauvais illuminera son visage lorsqu’il pourra ruiner un malheureux goy, en pratiquant les préceptes donnés par rabbi Ismaël dans le Talmud au traité Baba-Kamina, chapitre Ha Gozel (le voleur) :

« Si un chrétien et un Israélite viennent devant toi pour un différend, si tu peux faire que l’Israélite ait gain de cause suivant la loi juive, fais-le, et dis au chrétien : Telle est notre législation ; ou bien, suivant la loi du chrétien, fais gagner l’Israélite et dis au chrétien : Telle est votre législation. Si, au contraire, tu ne peux pas faire gagner l’Israélite d’une manière ou d’une autre, on emploiera contre le chrétien des astuces et des fraudes[10]. »

Ce qu’est cette magistrature, des scandales quotidiens se chargent de nous l’apprendre. Les magistrats vivent avec les accusés, ils ont les mêmes maîtresses, ils trinquent avec ceux qu’ils auront à poursuivre ou à juger. On entend dans les prétoires des dialogues comme celui-ci qui est véritablement exquis et que beaucoup de journaux ont reproduit. La scène se passe au mois de juin 1884, devant la cour d’assises de l’Aude, où l’accusé, le sieur Guibal, fut condamné à mort pour l’assassinat d’une fille, Marie Coquillière. Le président demande à l’accusé l’emploi de son temps.

Je suis arrivé le 1er septembre à Perpignan.

Je suis allé voir ma nièce, qui était la maîtresse du substitut du procureur de la République.

J’ai dîné avec elle, une de ses amies, — qui n’était autre que Marie Cerbère, — M. le substitut et M. le Procureur de la République.

Après, nous sommes allés tous ensemble assister aux courses de taureaux.

Je voulais partir, mais ces messieurs insistèrent pour me faire rester, et nous fûmes à l’Alcazar.

M. le président Roussel. — Vous avez une famille bien honnête !

Une de vos nièces vit avec le procureur de la République, une autre avec le substitut de Perpignan.

— Oui, monsieur, répond fièrement l’accusé.

Les débats de la cour d’assises du Gard, au mois de mai 1885, nous ont révélé les crimes du Dr Vigouroux, le Faiseur d’anges de Langogne, une prétendue victime du 2 Décembre, qui avait été nommé juge de paix pour ce fait. Ce vieux satyre souille sa nièce Philomène, en présence de sa femme, et chaque année il met un petit cadavre d’enfant issu de ses œuvres dans une valise. Puis, muni de son diplôme de docteur et arguant de ses fonctions de juge de paix, il va faire la déclaration à une mairie quelconque en se retranchant derrière le secret professionnel et en prétendant qu’il a trouvé le corps en wagon. Un dernier trait d’audace le perd, il apporte tranquillement un nouveau petit cadavre à une mairie où il avait déjà fait une déclaration analogue, on l’arrête ; il meurt en prison et la nièce seule est poursuivie.

L’affaire Guillot nous a montré ce qu’est le vol provincial dans notre République. L’affaire Vigouroux, comme une fenêtre tout à coup ouverte sur un lupanar qui serait en même temps un cimetière, nous montre ce qu’est la débauche provinciale dont tous les adeptes sont protégés par le secret franc-maçonnique[11].

Comme premier président de la Cour d’appel, nous avons

M. Périvier, qui passe sa vie avec le Dreyfus des guanos dont il est appelé à juger le procès et qui dit en pleine audience : « A notre époque qu’est-ce qui n’a pas posé un lapin ? »

Comme conseiller, à la Cour d’appel également, nous avons Margue. Je crois que le besoin ne se fait pas sentir de marcher de ce côté.

Dans une note plus propre, mais toujours gaie, M. Andrieux a raconté l’histoire d’un cousin de M. Martin-Feuillée, M. Martin-Sarzeaud qui, nommé juge au tribunal de la Seine, avait eu l’idée pour augmenter ces profits de tenir le soir une brasserie, rue Royale[12]. Il s’embrouillait dans ses fonctions, il criait : « cinq ans de prison ! » à quelqu’un qui réclamait un ’moos’, et après les conclusions de substitut, il vociférait : « un bock à l’as ! sans faux-col ! »

La brasserie n’ayant pas réussi, Martin-Feuillée fît nommer son parent conseiller à la cour d’Alexandrie, aux appointements de 48,000 francs.

Un volume entier ne suffirait pas à énumérer les faits de cette nature. Fidèle à mon système, je prends ceux-ci parce qu’ils appartiennent au domaine commun, qu’il est impossible de les contester. Qui de nous n’aurait à citer des histoires plus révoltantes et plus surprenantes encore ? Dans un département de Bretagne, qu’il me serait facile de désigner, un notaire qui avait volé les fonds déposés dans son étude et ruiné d’innombrables malheureux, fut nommé juge de paix pour services électoraux. Il eut la hardiesse de revenir au milieu de ses victimes et le représentant de la justice républicaine ne put échapper que par la fuite à ceux qui voulaient le lyncher.

C’est encore une figure de magistral bien curieuse que celle que le Figaro[13] nous présente dans la personne de M. Clerget-Allemand, président du tribunal civil de Macon et particulièrement protégé par M. Martin-Feuillée.

Son aspect était fruste, ses allures revêches ; son langage toujours dur lui avait fait donner le surnom pittoresque de « Gueule-d’acier. » Il ne prenait un ton plus doux vis-à-vis de ses subordonnés qu’en s’invitant à dîner chez eux — ce qu’il appelait modestement pâturer.

Cet homme aimable mourut au mois de juillet 1885 et un juge des nouvelles couches, du nom de Martin, dans le discours qu’il prononça sur cette tombe, offrit le défunt en exemple aux populations comme le modèle de toutes les vertus civiques. Hélas ! comme pour Guillot la douleur ne tarda pas à se changer en une stupéfaction générale.

On apprit alors, en effet, que ce magistrat avait exploité le pays sur la plus large échelle. Dénué de toutes ressources autres que son traitement, qu’il se faisait d’ordinaire payer d’avance, il avait mis à contribution et comme en coupe réglée nombre de gens et notamment les officiers ministériels qui étaient sous sa dépendance. Notaires, avoués, huissiers mêmes ont été victimes de ses manœuvres et de ses soustractions.

Voici comment il procédait. Il allait chez un notaire, et, après avoir parlé de ses propriétés ravagées par le phylloxéra — propriétés qui n’existaient que dans son imagination — il alléguait un embarras d’argent momentané et demandait à emprunter 3,000 fr. C’était le taux pour les notaires. Le notaire, craignant de se brouiller avec le président du tribunal, s’exécutait bon gré, mal gré.

Quinze jours après, M. Clerget frappait à la porte d’une autre étude, recommençait son boniment et terminait par la demande invariable de 3,000 fr. Le notaire, heureux d’obliger le président, et croyant être le seul à être « honoré » de cette confiance, allongeait les trois billets de mille.

Six notaires de Macon furent ainsi pris. L’un d’eux reçut même deux fois la visite du président. À 3,000 fr. la visite, coût : 6,000 fr. Ces soi-disant prêts étaient faits par billets avec intérêts, mais l’honnête président ne se préoccupait pas plus des intérêts que du reste. L’un des notaires, victime de cet emprunteur, lui écrivit un jour pour réclamer le paiement des intérêts. Il ne reçut pas de réponse. Seulement, quelque temps après, il apprit qu’il était commis par le président à une liquidation sur laquelle il ne comptait pas : « Ah ! voilà mes intérêts ! » s’écria-t-il.

Il est juste de dire que M. le président Clerget était très large en fait de taxes. Il avait coutume de dire qu’il fallait prendre l’argent là où il y en avait. — Les notaires de Maçon s’en sont bien aperçus.

Les avoués et les huissiers n’ont pas été plus épargnés. Quant aux fournisseurs, ils attendront longtemps le paiement de leurs notes. On cite un négociant en vins de Mâcon auquel M. Clerget-Allemand doit 800 fr. de fournitures et 100 fr. d’argent prêté. — Ce négociant a eu un mot assez plaisant : « Cela m’étonnait, a-t-il dit, il trouvait toujours mon vin excellent. » Parbleu ! à ce prix-là !

Beyne, procureur de la République à Mont-de-Marsan, contraint une jeune fille, Noémie Pesquidoux, à se livrer à lui, en lui promettant l’impunité pour un léger délit dont elle est accusée, en la menaçant de toutes les sévérités de la loi si elle refuse ses propositions malhonnêtes. La jeune fille, devenue enceinte des œuvres de ce vertueux magistrat, est obligée de l’assigner pour obtenir des aliments pour son enfant. Beyne fait poursuivre l’huissier Souques qui s’est permis de l’assigner. Finalement l’affaire excite un tel scandale qu’on se décide à révoquer cet étrange champion de la morale qui en fut quitte, devant la Cour d’appel de Pau, pour une condamnation à mille francs d’amende pour dénonciation calomnieuse.

Tout Paris a retenti des scandaleux démêlés de M. Edouard Laferrière avec une de ses anciennes maîtresses. Le conseiller d’Etat[14] avait séduit une jeune fille, puis l’avait abandonnée pour se marier richement. Ce sont là les mœurs de ses pareils et il ne faut point s’étonner de cela. D’ordinaire, cependant, les plus débauchés eux-mêmes liquident ces situations proprement. Ce Franc-Maçon, membre zélé de la loge du Réveil maçonnique de Boulogne-sur-Mer, ne trouva rien de plus simple que de dépouiller celle qu’il venait de quitter et de la faire séquestrer pour l’empêcher de protester.

La victime, Mlle Niemowska, a raconté elle-même ces faits dans la plainte qu’elle a adressée au procureur de la République.

Monsieur le Procureur,

Jeudi 9 octobre, à sept heures du matin, la maison que j’habite a été cernée par la police.

Des coups de poing redoublés dans ma porte et des coups de timbre violents, sans interruption, ont obligé ma domestique à demander, à une heure aussi matinale, qui était là.

— Nous venons de la part du concierge.

— Le concierge n’envoie pas de commissionnaire.

— Ouvrez, nous voulons parler à votre maîtresse.

— Elle n’y est pas.

— Le concierge nous a dit qu’il l’avait vue rentrer hier soir.

— Madame ne reçoit pas. Qui êtes-vous ? Votre nom ?

— Durand.

— Connais pas Durand et n’ouvre pas. Si vous êtes le commissaire de police, enfoncez. Madame n’a pas affaire au commissaire.

De là, coups de poing répétés dans ma porte et coups de timbre à le briser.

Je me suis levée, car j’étais malade et couchée.

— Qui se permet de faire un tel vacarme chez moi ?

— Ouvrez, nous avons à vous parler.

— Je ne reçois pas si matin.

— Je suis le commissaire de police.

— Je n’ouvre pas, et rien ne me prouve que vous soyez monsieur le commissaire de police.

Continuation du charivari. Colloque à la porte entre le soi-disant commissaire de police et le concierge. Paroles dudit commissaire, à voix basse, au concierge :

— Appelez la domestique, dites que c’est vous, le concierge, que vous êtes seul, qu’elle ouvre.

Vois du concierge :

— Antoinette, ouvrez, je suis seul, je veux parler à votre maitresse. Est-elle entêtée de ne pas vouloir ouvrir, sa maîtresse a peur.

Mutisme complet de ma part et de celle de ma domestique.

Reprise des coups de poing dans la porte et des coups de timbre à le briser.

Voix du commissaire :

— Cette dame est entêtée, je le suis plus qu’elle, j’attendrai, devrais-je rester jusqu’à cinq heures du soir. Tant pis si je fais du scandale, ce n’est pas ma faute, et il recommence à nouveau le tumultueux charivari.

Une voisine sage-femme, demeurant sur le même palier, demande ce qui se passe :

— C’est le commissaire de police qui veut se faire ouvrir, répond le concierge, et madame ne veut pas.

— Prenez-la par la famine, elle sera forcée d’ouvrir pour envoyer chercher à manger. A offert une chaise audit commissaire, lequel a répondu que, dans son métier, il était habitué à rester debout.

A nouveau, coups de poing redoublés, coups de timbre et ce, jusqu’à onze heures et demie.

— Décidément, ce ne sera pas encore pour aujourd’hui. (Paroles textuelles de M. le commissaire.)

Deux individus à mine effroyable se tenaient sur le trottoir opposé à ma maison et montraient mes fenêtres de la main.

Toute la rue était ameutée ; les boutiquiers, marchands de vins, blanchisseuses, tapissiers sont restés toute la journée en observation, ayant pour objectif mes fenêtres. Tous les locataires de ma maison étaient à leur porte : le scandale a été public.

Ces deux individus sont restés en faction jusqu’à quatre heures et demie, ainsi qu’un agent en uniforme, et pendant toute la journée.

L’homme qui prenait un faux nom et se faisait appeler Durand, était Clément, que nous retrouvons à chaque pas dans notre récit et qui répond : présent ! toutes les fois qu’il y a un domicile à violer, un attentat sans danger à commettre, une illégalité à accomplir.

Avouez que nos pauvres expulsés peuvent avoir quelque joie lorsqu’ils contemplent l’assemblage infâme que forment les trois hommes qui ont été le plus activement mêlés à l’exécution des décrets. Cazot, l’homme de la loi, est poursuivi par les actionnaires après la faillite de la Société d’Alais-au-Rhône, et obligé de donner sa démission de président de la Cour de cassation. Laferrière, le représentant de la jurisprudence, fait enfoncer les portes de son ancienne compagne pour rentrer en possession de lettres compromettantes. Clément, le magistrat judiciaire, moitié Lebel et moitié Lecoq, ceint l’écharpe tricolore pour aller liquider les amours des conseillers d’Etat.

Dans de semblables conditions, on comprend la détermination désespérée de ce curé de Seine-et-Marne qui, poursuivi par la bande juive, est pris d’épouvanté et se tue. Il faut lire le récit de cette agonie dans la Lanterne (numéro du dimanche 18 novembre 1883). Rien n’est plus tragique. L’histoire a d’ailleurs été réunie plus tard en brochure. L’infortuné, rentré tranquille et content à son presbytère après une journée de bonnes œuvres, trouve un journal dans une lettre, il l’ouvre, il lit les calomnies qu’on a imprimées contre lui et il s’écrie : « Je suis perdu[15] ! »

La tempête alors éclate sous le crâne du prêtre de village, y trace sur le papier une dernière protestation d’innocence : « Je suis innocent, je meurs victime ! » écrit-il ; puis il tente de s’asphyxier, il allume un petit fourneau de charbon de bois, mais la mort ne vient pas ; alors il veut protester encore et le cerveau déjà empli de vapeurs mortelles, il griffonne quelques mots incompréhensibles sur ce papier que l’on retrouva le lendemain, dit la Lanterne, « maculé, sali, noirci « comme si on avait essayé d’y tracer des caractères à l’aide du doigt trempé dans la cendre. » Il a la force de se traîner jusqu’au grenier et le matin on retrouve quelque chose qui pend. On croit d’abord, dit le journal juif, que c’est une vieille soutane, mais bientôt on s’aperçoit que dans cette vieille soutane il y a un cadavre[16].

Sans doute le suicide est le crime des crimes puisque c’est le seul dont on ne se puisse repentir ; c’est le crime de Judas. Mais, comme on devine, au point de vue humain, l’affolement qui prend ces humbles quand ils sentent que la meute est sur eux ! A qui avoir recours ? Il y avait fête à Ferrières cette semaine-là ; vous figurez-vous le pauvre curé demandant assistance contre les Juifs de la Lanterne à quelque invité s’élançant joyeux au rendez-vous de chasse ? « Les Juifs, mon cher abbé, mais ce sont des gens ravissants, lisez les gazettes, la baronne a des yeux de velours ; quant au baron il a des bois magnifiques… Ce bon ami je me reprocherai toute ma vie de l’avoir fait attendre pour un laisser courre. »

Les invités ont dû être heureux. Il y a eu certainement double fanfare, une pour la chasse au cerf, une pour la chasse à l’homme. Nos élégantes sportwomen, nos jolies chrétiennes du faubourg en souriant d’un œil énamouré aux grâces un peu lourdes et aux plaisanteries fortement épicées du beau Maurice Ephrussi, le fils du marchand de pommes d’Odessa, n’ont guère songé, j’en suis sur, à la vieille soutane qui pendait là-bas dans un presbytère de village et qui ballottait sur les membres raidis d’un prêtre de Jésus-Christ.

On ne peut imaginer l’impudence des calomnieuses inventions que les Juifs entassent sur tout ce qui touche à l’Eglise.

Qui ne connaît Mgr Howard, une des plus Imposantes figures de l’épiscopat catholique anglais ?

Voici ce qu’ont imaginé sur lui les Archives Israélites, journal officiel du Judaïsme français, d’ordinaire plus circonspect que la Lanterne, moins bruyant dans sa haine.

D’après elles M. Howard serait un Juif de Prague.

Mgr Howard, affirment-elles, n’est point né dans l’Eglise catholique ; ce n’est point l’eau bénite répandue sur son front qui a assuré l’immortalité a son ame, mais ce sont les eaux de la mer Rouge par laquelle ses ancêtres ont passé, c’est le couteau de Mohel (péritomiste). Cette opération fut accomplie, il y a une quarantaine d’années, sur le corps du futur Monsignor, dans la ville de Prague, et lorsque le père adressa, durant la cérémonie de la circoncision, les prières en usage, il ne se doutait guère de la future grandeur de son fils ! Ajoutons, pour être sincère, que le vieil Austerlitz — tel est le vrai nom de l’archevêque de Saint-- Pierre — n’avait nullement souhaité cette sorte d’élévation pour son fils, car il était sincèrement attaché à la religion de ses pères, et la tiare même ne l’aurait pas rendu parjure à sa foi. Le Monsignor, son fils, a été élevé dans les saines traditions de la religion juive, et il est plus que probable qu’avant l’âge de quinze ans il n’avait jamais mis les pieds dans une église.

Les dispositions du jeune Austerlitz auraient attiré sur lui l’attention d’un rabbin de Prague, M. Teweles, qui aurait commencé son éducation et lui aurait donné quelques notions de musique. A la mort de son père, le jeune homme fut obligé de donner des leçons pour vivre et bientôt il entra comme violoniste au théâtre de Prague.

C’est là, continuent les Archives, que se manifesta à lui la grâce sous la forme d’une jeune… lady anglaise sur qui la beauté exceptionnelle du jeune virtuose avait produit une profonde impression. Howard passa du théâtre à l’hôtel de la riche anglaise et il put, le lendemain, annoncer aux parents de ses élèves que désormais il n’avait plus besoin de courir le cachet. En 1852, il reçut une invitation de passer en Angleterre et accepta.

Nous n’avons point de détails authentiques sur son séjour dans ce pays ; nous savons seulement que les portes des salons les plus aristocratiques de Londres et de Dublin lui furent largement ouvertes et que c’est en Angleterre qu’il se convertit au Christianisme pour se vouer à la carrière ecclésiastique. Il changea à cette occasion son nom d’Austerlitz contre celui de Howard. L’archevêque Manning l’honora de sa faveur toute spéciale et il devint très en faveur auprès de l’aristocratie féminine. Au commencement de l’année 1860, il fut présenté au Pape, comme membre d’une députation catholique anglaise. Pie IX, chez lequel le sentiment du beau est très développé, retint le jeune prêtre et lui accorda immédiatement le titre de « Cameriere della sua santita, » distinction qui lui valut en même temps le titre de Monsignor. Afin d’assurer au nouveau chambellan du Pape un revenu convenable, les dames de l’aristocratie anglaise se cotisèrent pour une somme de 30,000 livres sterling dont elles lui firent cadeau. A Rome, comme à Londres et à Dublin, les salons les plus aristocratiques ouvrent avec empressement leurs portes au nouveau cameriere, qui jouit de la faveur toute spéciale des familles princières Barberini et Borghèse, les plus riches et les plus influentes de Rome. Aujourd’hui encore, Howard n’a rien perdu de son amabilité, mais il n’a plus besoin d’y avoir recours ; le prélat se trouve dans une position où l’on peut se passer de protecteur. Le chapeau rouge lui parait assuré : nous ignorons si Son Eminence pense encore aux tristes jours qu’elle a passés au Ghetto de Prague, près du vieux rabbin Teweles, qui croyait en faire un flambeau en Israël, et s’il n’était pas plus heureux qu’aujourd’hui malgré toute sa grandeur[17].

Il n’y a pas un mot d’exact, est-il nécessaire de le dire, dans tout ce récit. Aucun Anglais n’ignore les origines de Mgr Howard, qui est cousin du duc de Norfolk et dont le lieu de naissance est mentionné dans la liste des prélats de la Cour romaine.

Edoardo Howard, nato in Hainton, diocesi di Nottingham, 13 febbraio 1829, della s. m. di Pio IX creato e pubblicato addi 12 marzo 1877, del titolo dei SS. Giovanni e Paolo, Arciprete della Patriarcale Basilica Vaticana, Prefetto della S. Congregazione della R. Fabbrica di S. Pietro.

Elevé au collège catholique d’Oscott, le jeune Howard entra dans l’armée comme officier aux gardes et, en cette qualité, il conduisait un peloton aux funérailles de Wellington au mois de septembre 1852. Fort apprécié dans la haute société anglaise, il obéit à une vocation irrésistible et il alla, en 1853, recevoir les ordres à Rome.

Pie IX avait donné la pourpre à Mgr Howard ; Léon XIII semble avoir obéi à une de ces nobles pensées, qui lui sont familières, en le choisissant comme cardinal ponant dans le procès de canonisation de Jeanne d’Arc, comme si, demandés par un Anglais qui avait été soldat, les honneurs accordés à l’héroïne eussent dû avoir comme un caractère de réparation.

Qu’importe aux Juifs ! L’effet est toujours produit et l’histoire d’un violoniste, qui se convertit par intérêt et se fait entretenir par des Anglaises, sera reprise dans quelques années et racontée à la tribune par quelque Paul Bert.

En voyant le titulaire d’une cure déjà importante, comme Frairot, ne pas même essayer de lutter, on devine ce que doivent peser nos instituteurs congréganistes, empêtrés dans leur robe, mal à l’aise pour répondre à des accusations que très souvent ils ne comprennent pas. Avant même de paraître devant les tribunaux, ils ont de la boue jusqu’au menton.

Je n’ai jamais rien rencontré d’aussi complet dans ce genre que les injures prodiguées à un certain frère Numasius, qui fut acquitté presque sans débat, par le jury bien entendu, car les accusations portées contre lui ne reposaient absolument sur rien. Le frère Halp, le frère Bazilien, le frère Meillier acquittés de même, ont été eux aussi littéralement couverts d’opprobre. La Franc-Maçonnerie juive trouve là un profit certain ; dès qu’elle veut établir une école laïque dans un pays où les frères sont aimés, elle envoie l’ordre à ses magistrats de monter l’affaire. Si l’innocent est condamné c’est tout bénéfice ; s’il parvient à se tirer de ce mauvais pas, il n’en a pas moins été injurié, vilipendé, outragé pendant six semaines, et l’on en est quitte pour annoncer le résultat en une ligne dans le journal qui a diffamé en trois colonnes.

Parfois l’incident se corse. Deux Juifs se battent sur le corps d’un prêtre et se reprochent mutuellement de s’être volé une calomnie d’un gros rapport. Au mois de février 1881, le Juif Eugène Mayer accuse le Juif Paul Strauss de s’être indûment approprié sa littérature pour la porter à la Dépêche de Toulouse. — Ce n’est pas de la littérature, répond Strauss, d’ailleurs, je travaille pour la bonne cause, pour la bonne cause tout est permis.

Chemin faisant, on apprend que ce Paul Strauss, opportuniste fort zélé, et présentement conseiller municipal, a été condamné, en 1879, à trois ans de travaux publics pour désertion et autres peccadilles. C’est une note utile à prendre en passant, mais il faut dire que la révélation n’étonne personne dans ce monde là.

Comment les hommes qui gouvernent auraient-ils aucun scrupule envers les catholiques, qu’ils poursuivent d’une haine implacable, lorsqu’ils n’hésitent pas à assassiner ceux qui, partageant certaines de leurs doctrines, ont conservé un fond d’honnêteté et trouvent leurs mœurs mauvaises et leurs procédés condamnables ?

La mort du malheureux Saint-Elme est certainement une des pages les plus inouïes de l’histoire de ce temps. L’infortuné appartenait à une opinion qui n’est pas la mienne et on ne m’accusera pas d’obéir à l’esprit de parti en parlant de lui ; mais cette exécution d’un écrivain par des sbires, en plein XIXe siècle, est faite pour exciter l’indignation de tous.

Rédacteur d’un journal avancé, le Sampiero, Saint-Elme avait combattu avec infiniment de courage l’opportunisme qui, en Corse, avait fini par s’implanter en s’appuyant sur ces êtres avides et corrompus que contient toujours une population même foncièrement probe et loyale comme celle de la Corse. Il s’était élevé contre la conduite du préfet Trémontels qui, selon son expression : « avait fait de la préfecture une maison de tolérance et une succursale de la forêt de Bondy. »

Emmanuel Arène vit sa candidature perdue et essaya de prendre de Paris des attitudes de capitan prêt à franchir les monts et les plaines pour châtier les insolents qui se permettaient de marcher dans son ombre ; il déclara comme le Châteaufort de Cyrano de Bergerac « qu’il allait faite pendre les quatre éléments et envoyer défendre au genre humain d’être vivant dans trois jours. »

Saint-Elme, qui avait été officier, répondit tranquillement à ce matamore qu’il était disposé à faire la moitié du chemin et qu’il viendrait jusqu’à Marseille.

Arène épouvanté se jeta dans les bras de Veil Picard et de Waldeck-Rousseau. Les fonds secrets furent mis à contribution et quelques jours après une tentative d’assassinat avait lieu sur l’écrivain redouté, les assassins étaient des agents de police déguisés en bourgeois. Saint-Elme, dès qu’il fut remis de ses blessures, essaya de demander une explication au préfet[18] qui tenait ses assises au café Solférino et avait installé là son cabinet. Le préfet le fit assommer à coups de barre de fer par le concierge de la préfecture aidé par le maître de l’établissement. Pour être sûr que l’attentat réussirait le procureur de la République avait défendu à cet homme menacé de tous les côtés d’avoir des armes sur lui et, toutes les fois qu’il savait qu’il devait être attaqué il le faisait fouiller et désarmer pour qu’il ne pût se défendre.

Le procès du journaliste, longtemps retardé par son état de maladie, fut profondément émouvant. On le transporta à l’audience sur une civière, moribond. Près de lui se tenait la pauvre femme enceinte qui avait voulu accompagner son mari et qui essuyait avec un mouchoir la sueur déjà glacée qui coulait de son front.

Alors on vit cette chose qu’on n’avait jamais vue en France, tandis que les assassins, sûrs de l’impunité, se pavanaient dans la salle, un horrible coquin, l’avocat général Bissaud insultant, raillant, cet homme qui râlait déjà, affirmant que les assassins avaient bien agi et que Saint-Elme « jouait la comédie. »

De la foule sortit une protestation indignée pendant que Bissaud s’asseyait en ricanant. Saint-Elme fît un effort pour répondre à cet infâme, il n’y put parvenir. Quelques heures après il était mort.

Ces faits monstrueux sont dans toutes les mémoires. La discussion à la Chambre de l’interpellation de l’extrême gauche sur les affaires de Corse jeta sur nos mœurs publiques une aveuglante lumière. Assassinat par des bravi payés par le préfet[19], fraudes électorales, corruptions de tout genre, secours distribués pour la perte d’un bétail qui n’avait jamais existé, tout était là. M. de Douville-Maillefeu, en voyant monter vers le gouvernement cette marée de boue, semble avoir éprouvé cette admiration qu’on éprouve devant certains déchaînements de la mer et cria avec une sorte de transport : « Qu’on dise tout ! que la honte coule à pleins bords ! »

La Chambre n’eut même pas un blâme platonique pour les Trémontels et les Bissaud et vota l’ordre du jour pur et simple.

Rien ne fut singulier comme l’attitude de Brisson l’incorruptible. Toutes les fois qu’on essaye de dénoncer à la tribune quelques-unes de ces prévarications de ministres ou d’hommes publics qui sont évidentes sans qu’on puisse les prouver matériellement, il s’écrie : « Donnez des preuves ! » Cette fois il existait un témoignage irrécusable des concussions des représentants de la Corse, Emmanuel Arène[20] et Peraldi. Le président changea brusquement son fusil d’épaule et déclara à tous ceux qui voulurent traiter cette question « que les interpellations de collègue à collègue étaient défendues. »

Aucun doute cependant n’était possible. L’ancien chef de la comptabilité de la compagnie Morelli, M. Semeriva, avait affirmé que MM. Arène et Peraldi recevaient un subside mensuel pour les avantages qu’ils avaient fait obtenir à la Compagnie, grâce à leur position de deputés. Selon lui le feuillet cent cinq du copie de lettres de la Compagnie contenait une lettre ainsi conçue.

Folio 405.
Marseille, le 24 août 1883.
Monsieur Peraldi,
député de la Corse,
rue de Monsigny, à Paris,

Nous avons l’honneur de vous adresser ci-joint, sous pli recommandé, la somme de 750 fr. en sept billets de banque de 100 fr. et un de 50 fr., montant de votre traitement du mois d’aout.

Veillez, etc. Signé : Semeriva[21].

M. Semeriva soutenait en outre que les livres de la Compagnie portaient, à la date du 14 décembre 1884, la mention suivante :

Indemnité à Peraldi, mois de novembre 1883, sept cent cinquante francs. Indemnité à Arène, mois de novembre 1883, mille francs.

Peraldi se défendit faiblement et pour toute excuse se contenta de dire qu’il était notaire, ce qui frappa d’étonnement les gens qui ne pouvaient comprendre ce que les panonceaux venaient faire là. Quant à Arène, il nia violemment. S’il était honnête il n’avait, pour être disculpé immédiatement, qu’à demander à un tribunal d’honneur de constater si les feuillets portaient la mention en question.

Il s’en garda bien et le groupe de l’Union républicaine continua à réchauffer ce jeune concussionnaire dans son sein. M. Ranc qui, au moment de l’affaire Bolland, s’était démené énergiquement, sous prétexte que les amis de Gambetta ne pouvaient pas être soupçonnés, ne donna pas signe de vie. A lui aussi il était bien simple cependant d’aller feuilleter les livres de la Compagnie.

La Franc-Maçonnerie n’est pas satisfaite encore et elle rêve de perfectionner le mécanisme de la persécution. Ainsi que l’a démontré M. Guillot dans un ouvrage dont la sincérité fait honneur à ce juge d’instruction[22], le nouveau code d’instruction criminelle enlève tout recours au citoyen victime de l’arbitraire.

Il y a là, encore une fois, un véritable système, une forme de gouvernement qui restera dans l’histoire. Au lieu de s’appuyer sur les gens de violence et de force, comme le fit la Terreur, le régime actuel s’appuie exclusivement sur les gens de ruse, de dol et d’indélicatesse ; il les groupe en une manière de syndicat, il leur ouvre un certain crédit sur la

(1) Des Principes du nouveau code d’instruction criminelle, par M. Guillot, juge d’instruction. loi et les tient par la menace de fermer ce crédit ; il concède une sorte d’impunité subordonnée à certaines conditions de dévouement, il accorde deux ou trois délits à commettre au choix comme on accorde un bureau de tabac.

Ce que n’ont indiqué ni Ignotus, ni M. Guillot, ni tous ceux qui se sont occupés de la persécution exercée par la magistrature franc-maçonnique, c’est l’état psychologique de tous ces persécutés grands et petits, qui rend leurs tortures mille fois plus atroces qu’elles ne le seraient pour nous et en même temps les met presque hors d’état de se défendre. Il y a là encore comme une confirmation de la justesse du mot de Taine, qui parait si simple : « la Révolution est un retour à l’état de nature. » Le malheur de ces persécutés honnêtes est de rester des civilisés, de croire qu’on vit encore sous le régime des lois, que les magistrats sont de vrais magistrats, que la police, l’administration, la justice fonctionnent régulièrement. L’accusation dont ils sont l’objet prend pour eux l’importance qu’elle aurait dans une situation normale.

Je me souviens toujours d’une jolie histoire que m’a contée Alexandre Dumas.

Il rencontre un jour dans un salon une femme qui, après avoir rôti le balai vingt ans, avait fini par se faufiler dans le vrai monde ou dans quelque chose qui y ressemblait.

Cette femme traite Dumas et son œuvre du haut en bas, elle lui reproche de n’avoir jamais décrit que des milieux malsains, de n’avoir jamais mis en scène une honnête femme.

Dumas écoutait. Sans doute si ce reproche lui avait été adressé par quelque jeune fille innocente, il eût souri de cette façon de juger son œuvre et n’eût pas répondu. Si celle qui lui parlait eût succombé à l’entraînement du cœur, si elle eût été victime d’une de ces passions profondes devant lesquelles l’être est si faible, l’auteur du Demi-Monde se fût certainement tu encore, car si l’esprit est dur chez lui, le cœur a des tendresses que le vulgaire ne connaît pas. Tel n’était pas le cas ici. Celle qui s’exprimait ainsi avait été une prostituée, elle avait reçu de l’argent pour se livrer ; c’est la prostitution qui avait payé l’hôtel dans lequel elle habitait, les chevaux qui la portaient au Bois, les tableaux de maître qui garnissaient sa demeure, la parure qui ornait sa décrépitude élégante.

Elle continuait à parler de la vertu, à flétrir les filles corrompues et les écrivains corrupteurs. Soudain, Dumas fixa sur elle son regard bleu si aigu, puis lui frappant vigoureusement sur le ventre.

— As-tu fini ? dit-il simplement.

Un flot de larmes vint aux yeux de la créature…

As-tu fini ? est un mot qui sert. Les plus éhontés parmi nos républicains tripoteurs, nos magistrats déshonorés, nos administrateurs familiers avec tous les crimes, hésitent parfois à s’en prendre directement à un Parisien accoutumé à ne se gêner qu’avec ce qui est honnête ; ils craignent cet as-tu fini ? gouailleur, mépriseur, vengeur, qui rappellerait à ces impudents tout leur passé d’infamies.

Les prêtres, les braves gens, les vieillards habitués à respecter les conventions sociales, ne savent pas dire : As-tu fini ? Malesherbes ne l’a pas dit à Fouquier-Tinville et c’est un des spectacles les plus affreusement comiques qui se puissent imaginer que celui de tous ces grands Parlementaires, de tous ces personnages austères et vénérables s’abaissant à donner des raisons aux misérables couverts de sang qui remplissaient alors les prétoires.

Tombées dons quelque embûche, atteintes au cœur par quelque campagne organisée contre elles, les victimes de la Franc-Maçonnerie s’en vont ruminer leur infortune dans un coin ; le mari quelquefois regarde sa vieille compagne, et tous deux se sont compris, ils pensent à la même chose, au malheur d’avoir trop vécu, à la carrière brisée, au nom que naïvement ils se figurent déshonoré[23].

Quel livre à faire sur ces souffrances intimes, sur ces drames qui se passent dans chaque ville et presque dans chaque village ! Ce livre, un seul parmi nous aurait pu l’écrire poignant, navrant, sincère, tel qu’il devrait être en un mot ; c’est Alphonse Daudet ; il l’écrira peut-être.

Quel livre plus tentant, pour une âme généreuse ? Il y a des simples et des humbles qui sont bien émouvants à regarder aux prises avec cette formidable machine gouvernementale mise en mouvement par des mécaniciens scélérats. Quoi de plus impressionnant que l’histoire de ce pauvre organiste de la cathédrale d’Uzès, que tous les journaux ont contée[24] ? C’est une sorte de conseiller Krespel, un de ces maîtres de chapelle à moitié fantastiques comme en a peint Hoffmann, il vit en dehors du monde réel dans un rêve musical, il sourit en marchant aux mélodies divines qu’il entend chanter en lui. Les leçons qu’il a en ville et dans un couvent assurent le nécessaire à ce doux chimérique qui vit de peu. Noël approche et il compte ce jour-là faire entendre un morceau, qui sera digne des maîtres immortels de Paesiello et de Palestrina. « Vous écouterez cela, » dit-il, et sa bonne figure s’illumine et rayonne. »

Les Francs-Maçons de la ville, qui se réunissent dans un petit établissement comme celui qu’a décrit Goncourt dans la Fille Elisa, ont juré de perdre ce naïf et cet ingénu. Le juge d’instruction se voit déjà garde des sceaux s’il peut faire condamner cet innocent. Le musicien est arrêté sous une inculpation abominable.

On obtient un premier succès. La supérieure de l’établissement de Saint-Maur tombe morte quand on vient lui raconter ce qui se prépare. Comment de telles choses auraient-elles pu se passer ? Il y a impossibilité matérielle. Une Sœur est toujours présente aux leçons de musique auxquelles assistent les parents.

Le prisonnier n’en reste pas moins au secret pendant trois mois, se débattant en vain contre cette horrible accusation. Trois fois l’instruction est close faute d’une base quelconque aux imputations ; trois fois la Franc-Maçonnerie la fait reprendre. Enfin la Cour d’assises acquitte le malheureux musicien contre lequel il n’y a pas l’ombre d’une preuve. « C’est égal, dit un des meneurs de l’affaire, nous l’avons tout de même empêché de faire jouer sa musique à la cathédrale. »

  1. Wallon, Histoire du Tribunal révolutionnaire.
  2. Clovis Hugues ne serait pas un Jacobin complet s’il lui manquait cette note hypocrite, cette affectation déclamatoire de sentiments mensongés. L’homme qui criait à sa femme après le crime : « Tu as bien fait, ma Jeannette ! » et qui trouvait tout simple qu’on tue un meure-de-faim pour quelques cancans de portière, regrettait jadis dans les Jours de combat de ne pas être le bon Dieu pour empêcher le soleil de se lever le jour où l’on exécute quelque misérable qui a coupé sa mère en morceaux ou étranglé son vieux père :

       …….Quand la foule attend qu’en se levant
    Le jour livre au bourreau un assassin vivant,
    Cet homme-là, fit-il encore plus infâme, ;
    Je le plains et je plains sa mère, pauvre femme
    Qui lui donna son lait et qui l’aime toujours.
    Je me dis qu’aux appels sacrés les cœurs sout sourds.
    Que les sociétés devraient être meilleures ;
    Qu’un siècle de douleurs, condensé dans six heures,
    Est vécu par tous ceux qu’on jette à l’ècLafaud ;
    Que l’on n’a pas de droit sur la tombe, et qu’il faut ;
    Etre juste et tuer enfin la guillotine.
    Toute l’humanité respire en ma poitrine,
    Tout le sang qu’on versa bout dans ma veine en feu ;

    Et moi qui ne crois pas, je voudrais être Dieu,
    Car lorsque je verrais que le bourreau s’apprête
    A supprimer un être, à couper une tête,
    A corriger le mal par un exès du mal,
    J’empêcherais le jour de donner le signal !

  3. Dans la séance du 21 janvier 1884, M. Delattre raconta devant la Chambre une quinzaine de vols, d’abus de pouvoir, de détournements accomplis par ce personnage ; M. Hargue répondit que c’était fort bien et la gauche fut de son avis.
  4. Parmi les gardiens de la paix poursuivis au mois d’août 1884, pour avoir frappé un malheureux vieillard du nom de Mignoguet, qui mourut à la suite de ces violences, nous voyons figurer un agent du nom de Mayer (encore un), précédemment condamné pour coups et blessures. Condamné à 200 francs d’amende, il fut définitivement acquitté en appel. Un autre gardien de la paix juif, Cyrille Jacob, assomma, le 14 septembre 1884, le concierge de la maison qu’il habitait, rue Oberkampf, 47, et en fut quitte pour deux mois de prison et cinq francs d’amende.
  5. Qui ne se rappelle les dithyrambes entonnés par une certaine presse prétendue conservatrice, à propos de ce Barréme, disparu, dans un de ces drames obscurs qui abondent à notre prétendue époque de publicité où l’on n’a jamais vu tant de mystères, pour l’excellente raison que l’on ne pourrait toucher à rien de ce qui approche le gouvernement sans remuer des montagnes d’immondices ? Ce Barrême que l’on nous offrait comme « le modèle des vertus publiées et privées » avait joui dans l’exécution des décrets un rôle, d’autant plus odieux que, tant qu’il avait cru au succès des Monarchistes, il avait affiché des sentiments religieux exagérés.
        Un correspondant du journal la Croix a donné quelques détails sur le crochetage, opéré par Barrême, du monastère de Beauchène, près Bressuire.
        « La population franchement catholique de ce pays de Vendée s’était portée en foule pour protester contre cet acte infâme. Pendant que le préfet excitait par sa présence et ses paroles l’ouvrier chargé de faire jouer le rossignol, une brave Vendéenne s’approche de lui et loi envoie, dans un certain endroit, son pied armé d’un solide sabot. La foule était menaçante ; le préfet eut peur et ne se retourna même pas pour savoir qui venait de lui faire cette gratification.
        « Il emporta sans rien dire le coup, et la bonne femme son sabot, qui fut acheté et précieusement conservé sous globe, sur une cheminée de salon.
        « Pour moi, dans la mort de Barrême, je reconnais la main de Dieu appesantie d’une manière terrible contre un persécuteur excommunié.
        « Ce que je crains le plus pour ce pauvre homme, c’est que depuis son honteux exploit, il n’ait point songé à faire lever l’excommunication, »
  6. Comparez l’article de Rochefort, les Policiers assassins, avec l’acte de Rochefort allant avec deux amis, en 1868, frapper chez lui un imprimeur impotent, et, avant d’entrer, attendant sur le boulevard Montparnasse que les ouvriers soient sortis. C’était la première foi que pareil fait se produisait. À un républicain seul pouvait venir l’idée de s’attaquer à un agent irresponsable, à un être tout instrumentaire comme l’imprimeur. Je n’excuse pas l’agression qu’un des frères Ballerich a payée de sa vie, mais il est incontestable que Rochefort a fait la même chose qu’eux dans des conditions qui se rapprochent davantage du guet-apens.
        Si je signale ce point à votre réflexion, c’est surtout en ce qu’il indique une fois de plus l’inconscience profonde de tout ce monde qui, dès que son moi est en jeu, oublie absolument les belles maximes dont il fait commerce. Sans doute l’examen de conscience auquel oblige la fréquentation des Sacrements ne préserve point notre pauvre nature si fragile de retomber dans le mal, mais elle empêche cet état de démoralisation complète où l’âme n’a plus même le sentiment de ce qui est permis et de ce qui ne l’est pas. « La confection, a dit ènergiquement Lamennais, a été instituée pour empêcher le péché de pourrir dans le cœur de l’homme. »
  7. Au mois de juin 1885 la rentrée de l’abbé Fyten, après son acquittement par la cour d’assises de Douai, fut aussi un véritable triomphe. Une foule immense était accourue à la rencontre de l’excellent prêtre criant : « Vive l’abbé Fyten » À bas les Francs-Maçons et les calomniateurs ! » Une voiture jonchée de fleurs attendait l’abbé qui y prit place à côté du doyen ; des voitures de maîtres, des véhicules de toutes sortes, des charrettes de paysans suivaient à la file. L’abbé Fyten avait eu la chance d’être traduit devant le jury ; s’il eût comparu devant des magistrats Francs-Maçons, il eût probablement fini ses jours dans une prison. Combien de prêtres ont péri ainsi !
  8. Les Francs-Maçons bien inspirés attendirent la nouvelle loi sur la magistrature pour poursuivre Mgr Pillon. Ce bon prêtre était en même temps un être d’initiative et de mouvement ; il avait créé, on le sait, la Pantographie voltaïque qui, en appliquant l’électricité aux œuvres d’orfèvrerie, permet de donner à très bon marché des objets qui jadis coûtaient très cher et met ainsi les œuvres d’art à la portée de tous. Grâce à lui, le village d’Ercuis, où la misère jadis était générale, était devenu une petite Salente : logements pour les ouvriers, maisons d’école, maisons de retraite, hôpital, tout avait été improvisé par Mgr Pillon. Les maisons d’orfèvrerie juives avaient voué naturellement une haine implacable à ce prêtre plein de cœur et de dévouement ; elles firent nommer juge un homme que Mgr Pillon avait accusé autrefois de chantage et parvinrent à faire condamner ce bienfaiteur de tout un village.
  9. Ce fut le Juif Millaud, on le sait, qui enleva le vote en votant pour le Juif Naquet qui, n’ayant pas encore donné sa démission de député, ne pouvait valablement prendre part à un vote au Sénat. Millaud espérait, grâce à ce tour de Scapin, être nommé d’emblée premier président à la cour de Lyon à la place de l’intègre président Millevoye, mais au dernier moment Martin-Feuillée lui-même sentit son cœur défaillir et recula devant un pareil choix.
        Notez que l’indélicatesse de ce Juif qui dépose un vote frauduleux dans une question aussi importante n’est blâmée par aucun des hommes de son parti. L’incorruptible Brisson lui-méme n’a pas l’air de trouver cela mauvais. Quoi de plus instructif que ce passage du procès-verbal au moment où le président de la Chambre annonce la démission de Naquet.
        M. Jolibois. — C’est aujourd’hui seulement, si vous acceptez la démission de M. Naquet, que M. Naquet aura cessé d’être député. Je tiens donc à constater qu’il y a un prétendu sénateur qui a voté au Sénat, n’ayant pas le droit de le faire. (Applaudissements à droite. — Bruit)
        M. le Président. — Dans tous les cas la Chambre — et le président ne peut parler que de ce qui se passe à la Chambre — est saisit régulièrement de la démission de M. Naquet.
        Ce dans tous les cas n’est-il pas fabuleux ?
        La République, d’ailleurs, a introduit dans les mœurs parlementaires les habitudes des tapis-francs. On vole les bulletins, ou fait des faux, ou contrefait les écritures, sans que le président, que ce soit Brisson, Floquet ou Le Royer songe à intervenir. M. Laguerre, dans la séance du 29 décembre 1885, qualifie « d’escroquerie » le vote de M. Franconie ; M. Raoul Duval déclare que certains votes constituent « des faux en écriture publique passibles de la cour d’assises ; » le comte de l’Aigle constate que la Chambre est «  une caverne de brigands. » Pauvre France !
  10. La Revue des Études juives qui reproduit ces citations du Talmud reconnaît elle-même que la traduction de ces fragments de la Ghemara de Babylone « est exacte, précise, très scientifique et le sens du passage en général bien saisi. »
        L’abbé Chabauty dit à ce sujet que maintenant que la magistrature est devenue juive, « les catholiques devront veiller soigneusement à n’avoir aucun procès avec les Juifs ou avec leurs prosélytes, les Francs-Maçons. » Voila un conseil qui vaut de l’or.
        Des centaines de faits démontrent quelle haine anime ces magistrats juifs contre le Christ et ceux qui l’adorent. Au mois d’août 1885, un jeune homme brise une croix. Devant le tribunal de Corbeil, le malheureux répond « crânement, » c’est la Lanterne qui parle, qu’il a agi ainsi parce qu’il n’aime pas les croix. Le substitut Cohen prend en main sa défense : « Si c’était, dit-il textuellement, un objet d’art, un tableau de prix, je demanderais une condamnation sévère, mais une croix !... » Le président, M. Birague d’Apremont, qui a survécu, je ne sais comment, à l’épuration, rappelle, en quelques paroles indignées, ce Juif à la pudeur ; le substitut, sûr d’être félicité par ses chefs, réplique insolemment et dénonce le président à la Lanterne, qui couvre le magistrat d’injures et Cohen de fleurs.
  11. Un jugement rendu en Saône-et-Loire, au mois d’août 1884 montre a quel point toutes les autorités sont de connivence pour le mal. Le sous-préfet de Château-Chinon, M. Desvoisins, M. du Refuge, receveur des finances, et M. Paris, receveur des domaines, avaient tiré des coups de revolver sur une chapelle privée ; la porte avait été criblée de balles. Pour cet attentat à la propriété, ces trois fonctionnaires bien assortis furent condamnés à un franc de dommages-intéréts.
        On aura peine à croire ce que j’avance, rien n’est plus exact. Cette affaire, dont le résultat est mentionné par le Figaro du 29 août 1884, est racontée tout au long par le journal l’Autunois.
  12. La Ligne, 10 mai 1885.
  13. Figaro, 12 août 1885.
  14. M. Laferrière a été nommé depuis vice-président du Conseil d’Etat.
  15. Il est inutile, je crois, de démontrer longuement l’innocence du pauvre prêtre qui n’a jamais fait doute pour personne puisqu’à l’heure du crime, il était à six kilomètres de là.
        Les Juifs n’ont donné que deux preuves de sa culpabilité. Voici la première : Lanterne du jeudi 23 novembre 1883, 3 frimaire au 90, troisième colonne : Ce jour là même, à Ferreux, le curé vint-il, selon l’usage, dire les prières sur le corps de Duban ? Non… Même numéro, quatrième colonne. Les obsèques de Duban eurent lieu le 5 mais au soir, à Champcenetz, commune d’où dépend le château de Ferreux. Pour comble d’hypocrisie et d’horreur, à côté de l’abbé Proffit, curé de Champcenetz officiait… le curé Frairot. L’assassin osait venir dire les prières de l’Église sur le corps de sa victime !
        Quand le curé n’officie pas c’est la preuve qu’il est coupable, quand il officie c’est un crime de plus. Etonnez-vous donc qu’un prêtre de campagne traqué de cette façon ait perdu la tête !
  16. Il faut regarder aussi, dans le numéro du 15 novembre de la Police illustrée que publie hebdomadairement la Lanterne, la Semaine comique par Cool Toc avec ce sous-titre : le Curé assassin ou la vertu récompensée. On y voit le curé assis devant une table bien servie en face d’une femme dans une attitude gaillarde, puis Dieu le père, attirant le curé à lui ; un dessin plus grand représente le curé pendu et tirant la langue ; aux pieds du mort qui traînent sur le parquet, il y a un exemplaire de la Lanterne. C’est effectivement fort comique. J’ai deux exemplaires de cette feuille, qui fait honneur à Eugène Mayer ; j’en tiens un à la disposition de Bedarrides et autres impudents qui s’émancipent souvent à parler du « pauvre Israël si bon, si tolérant. »
        Notons encore, parmi les imaginations ignobles qui caractérisent, bien une époque, la cavalcade organisée dans le bourg de Saintines, au mois de mars 1884, avec l’autorisation de M. de Selves, préfet de l’Oise. Sur des chars ornés de feuillages, des filles étaient installées. D’autres chars servaient de voitures-réclames à un roman-feuilleton de la République française. Dans une carriole fermée par un rideau qu’on tirait moyennant deux sous on avait placé un bouc et une chienne qui étaient censés représenter le malheureux prêtre et la femme que la calomnie lui attribuait comme maîtresse. Tout ce que les villages de la banlieue de Paris contiennent de gens mal famés suivait à cheval ou à pied, ivres dès le matin, hurlant des refrains qui auraient épouvanté le marquis de Sade.
  17. Archives israélites, volume 36 (numéro du 1er août 1875).
  18. Ce préfet, qui se faisait pompeusement appeler de Trémontels, s’appelait tout simplement André. Avant d’être préfet de la Corse, il avait été préfet de l’Aveyron et il paraît que dans ce poste il aurait commis de nombreux détournements à l’aide de mandats fictifs. C’est du moins ce qu’affirma le fonctionnaire qui lui succéda dans l’Aveyron, M. Démangeat, dans une lettre adressée à la Nouvelle Presse et publiée par elle le 11 novembre 1884 : « Je refusai à maintes reprises, dit M. Démangeat, et malgré de nombreuses lettres de rappel de M. Legnay, directeur des affaires départementales, qui connaissait, le dossier, de justifier des comptes injustifiables. »
        Il est vrai que dans la discussion d’une interpellation qui eut lieu à la Chambre, le 10 novembre 1884, à propos de la révocation du même M. Démangeat comme inspecteur des prisons, M. Asmodée Laroze, sous-secrétaire d’Etat à l’intérieur, fit planer des doutes sur la probité de ce dernier, qui fut réintégré dans l’administration sous le ministère Brisson.
        Waldeck-Rousseau avait déclaré solennellement à la Chambre qu’il avait mis M. de Trémontels en demeure de faire un procès devant le jury pour se laver complètement. Trémontels a craint des révélations écrasantes et l’affaire en est restée la.
  19. On n’a point l’idée, me disait M. de Multedo, conseiller général, de ce que l’opportunisme a fait de la Corse en quelques années. On y est revenu à l’état sauvage et la loi n’existe plus pour ceux qui n’appartiennent pas à la bande dominante. Le 25 janvier 1885, un ouvrier, Dominique Antoine Urbain, est frappé de cinq coups de couteau dans la région du cœur. Celui qui l’a frappé, un nommé Franchini, qui a déjà joué un rôle dans l’affaire Saint-Elme, est acquitté par le tribunal d’Ajaccio, et c’est la victime qui est condamnée aux dépens. Chacun se fait justice soi-même ; le nombre des meurtriers réfugiés dans les maquis, qui était descendu à 60 à la fin de l’Empire, est maintenant de plus de 1,200.
  20. Cet Emmanuel Arène, qui ne fait passer volontiers pour un descendant d’Arena, est le fils d’un quincaillier juif de Marseille qui vint s’établir à Ajaccio.
  21. Voir à ce sujet, en dehors du Journal officiel du 6 et du 8 juin 1884, la Question Corse, par M. Ernest Judet, et la réimpression du journal le Sampiero dont Saint-Elme était le rédacteur en chef.
  22. Des Principes du nouveau code d’instruction criminelle, par M. Guillot, juge d’instruction.
  23. Voir la mort de M. Maîtrejean, on vieux magistrat, frappé par Martin-Feuillée, pris d’une mélancolie noire et qui se suicidant au mois de février 1885.
  24. Février 1883.