La Frontière/11

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paru dans l’Excelsior (p. 85-97).

III

La tête nue, les cheveux en désordre, ses vêtements déchirés, sans col, du sang sur sa chemise, à ses mains, sur son visage, du sang partout, une blessure au cou, une autre à la lèvre, méconnaissable, atroce, mais superbe d’énergie, héroïque et triomphant, tel surgit le vieux Morestal.

Il exultait.

— Présent ! clama-t-il.

Un rire énorme roula sous sa moustache.

— Morestal ? Présent !… Morestal, pour la seconde fois prisonnier du Teuton… et, pour la seconde fois, libre.

Philippe le regardait avec stupeur, comme une apparition.

— Eh bien ! le fiston, c’est ainsi qu’on me reçoit ?

Saisissant une serviette, d’un large mouvement il essuya sa figure. Puis il attira sa femme contre lui.

— Qu’on m’embrasse, la mère ! À ton tour, Philippe… À ton tour, Marthe !… Et toi aussi, la belle Suzanne… une fois pour moi, et l’autre pour ton père… Ne pleure pas, ma fille… Il va bien, le papa… On le dorlote comme un empereur, là-bas… en attendant qu’on le relâche. Et ça ne tardera pas. Par Dieu, non ! J’espère que le gouvernement français…

Il parlait ainsi qu’un homme ivre, trop vite et d’une voix mal assurée. Sa femme voulut le faire asseoir. Il protesta.

— Me reposer ? Pas besoin, la mère. Un Morestal ne se repose pas. Mes blessures ? Des bobos ! Quoi ? Le médecin ? S’il met le pied ici, je l’expédie par la fenêtre.

— Pourtant, il faut te soigner…

— Me soigner ? Un verre de vin, si ça t’amuse… du vin de France… C’est ça, débouche une bouteille… On va trinquer… À ta santé, Weisslicht… Ah ! celle-là est drôle !… Quand je pense à la tête de Weisslicht, commissaire spécial du gouvernement impérial… Parti, le prisonnier ! Envolé, l’oiseau !

Il riait à pleine gorge, et quand il eut bu deux verres de vin, coup sur coup, il embrassa de nouveau les trois femmes, embrassa Philippe, appela Victor, Catherine, le jardinier, leur serra la main, les renvoya et se mit à marcher en proférant :

— Pas de temps à perdre, les enfants ! Sur la route de Saint-Élophe j’ai rencontré le brigadier de gendarmerie. Le Parquet est déjà au courant de l’affaire… D’ici une demi-heure, on peut venir. Je tiens à présenter un rapport. Prends une plume, Philippe.

— Ce qui est beaucoup plus urgent, objecta sa femme, c’est de ne pas te surmener ainsi. Tiens, raconte-nous la chose, plutôt, tout doucement.

Le vieux Morestal ne se refusait jamais à discourir. Il commença donc son récit, à petites phrases lentes, comme elle le voulait, racontant tous les détails de l’agression et toutes les phases du voyage vers Bœrsweilen. Mais, de nouveau surexcité, il haussa le ton, s’indigna, se mit en colère, railla.

— Ah ! des égards, ils n’en ont pas manqué ! Monsieur le commissaire spécial !… Monsieur le conseiller d’arrondissement !… Weisslicht en avait plein la bouche, de nos titres ! N’empêche qu’à une heure du matin nous étions bel et bien bouclés dans deux jolies pièces de la maison communale de Bœrsweilen… Au violon, quoi !… avec accusation probable de complicité, d’espionnage, de haute trahison, tout le diable et son train. Seulement, dans ce cas-là, messieurs, il ne faut pas pousser la déférence jusqu’à délivrer vos captifs de leurs menottes, il ne faut pas non plus que les fenêtres de vos cellules soient fermées par des barreaux trop minces, et point davantage que l’un de vos prisonniers garde son couteau de poche. Sinon, pour peu que ce prisonnier ait du cœur au ventre… et une lime à son couteau… il tentera l’aventure. Et je l’ai tentée, mordieu ! À quatre heures du matin, la vitre coupée, et quatre barreaux sciés ou descellés, le vieux Morestal se laissait choir le long d’une gouttière, et prenait la poudre d’escampette. Au revoir, mes bons amis… Il ne s’agit plus que de rentrer chez soi… Le col du Diable ? Les bois d’Albern ? La Butte-aux-Loups ? Pas si bête ! La vermine doit pulluler de ce côté… Et de fait, j’entendis battre le tambour, et sonner les trompettes d’alarme, et galoper les chevaux. On me cherchait, parbleu !… Mais comment m’eût-on cherché à dix kilomètres de là, au val de Sainte-Marie, en pleine forêt d’Arzance ? Et je trottais… Je trottais jusqu’à extinction… À huit heures, je franchissais la ligne… Ni vu ni connu ! Morestal foulait le sol de ses pères ! À dix heures, du haut de la Côte-Blanche, j’apercevais le clocher de Saint-Élophe, et je coupais droit pour revenir ici plus vite. Et me voilà ! un peu fourbu, je vous l’accorde, pas très présentable… Mais, tout de même, hein, qu’en dites-vous, du vieux Morestal ?

Il s’était levé et, sans plus se souvenir des fatigues de la nuit, il animait son discours de toute une mimique virulente qui désolait sa femme.

— Et mon pauvre père n’a pu s’échapper ? demanda Suzanne.

— Lui, on avait eu soin de le fouiller, répondit Morestal. D’ailleurs, on le surveillait de plus près que moi… de sorte que ce qu’il n’a pu faire, je l’ai fait…

Et il ajouta :

— Heureusement ! car moi, j’aurais pourri sur la paille de leurs cachots jusqu’à la fin d’un procès interminable ; tandis que lui, d’ici quarante-huit heures… Mais tout cela, c’est du bavardage. Ces messieurs du Parquet ne doivent pas être loin. Je veux que mon rapport soit prêt… Il y a certaines choses que je soupçonne… toute une manigance…

Il s’interrompit, comme heurté par une idée imprévue, et il resta longtemps immobile, la tête entre ses mains. Puis, brusquement, il frappa la table.

— Ça y est ! Je comprends tout ! Eh bien, vrai, j’y ai mis le temps !

— Quoi ? lui dit sa femme.

— Dourlowski, parbleu !

— Dourlowski ?

— Eh oui ! Dès la première minute, j’ai deviné que c’était un piège, un piège d’agents subalternes. Mais comment l’avait-on dressé ? Maintenant, je vois clair. Dourlowski est venu ici hier matin, sous un prétexte quelconque. Il a su que Jorancé et moi nous suivrions, dans la soirée, le chemin de la frontière, et, d’accord avec les policiers allemands, le passage du déserteur a été combiné pour ce moment-là ! À notre approche, un coup de sifflet, et le soldat, à qui l’on a fait croire sans doute que ce coup de sifflet est un signal de complices français, le soldat, que Dourlowski ou ses acolytes tiennent en laisse ainsi qu’un chien, le soldat est lâché. Tout le mystère est là ! Ce ne n’est pas lui, le malheureux, que l’on visait, c’était Jorancé, c’était Morestal. Comme de juste, Morestal vole au secours du fugitif. On lui met la main au collet, on s’empare de Jorancé, et nous voilà tous deux complices. Bravo, messieurs, le tour est bien joué.

Mme Morestal murmura :

— Dis donc, ça pourrait être grave…

— Pour Jorancé, dit-il, oui, parce qu’il est sous les verrous ; mais il y a un seulement… La poursuite du déserteur a eu lieu sur le territoire français. C’est également sur le territoire français que nous avons été arrêtés. La violation est flagrante. Par conséquent, rien à craindre.

— Vous croyez ? demanda Suzanne. Vous croyez que mon père…

— Rien à craindre, répéta Morestal.

Et il déclara nettement :

— Je considère Jorancé comme libre.

— Heu ! heu ! marmotta la vieille dame, les choses n’iront pas si vite…

— Encore une fois, je considère Jorancé comme libre, et pour cette bonne raison qu’il y a eu violation de frontière.

— Qui prouvera cette violation ?

— Qui ? Mais moi !… Mais Jorancé !… T’imagines-tu qu’on suspectera la parole des honnêtes gens que nous sommes ? D’ailleurs il y a d’autres preuves. On relèvera les traces de la poursuite, les traces de l’agression, celles du combat que nous avons soutenu. Et qui sait, il y a peut-être eu des témoins…

Marthe tourna les yeux sur Philippe. Il écoutait son père, le visage si pâle qu’elle en fut stupéfaite. Elle attendit quelques secondes, puis voyant qu’il gardait le silence, elle prononça :

— Il y a eu un témoin.

Morestal tressaillit.

— Que dis-tu, Marthe ?

— Philippe était là.

— Allons donc, nous avons laissé Philippe au carrefour du Grand-Chêne, en bas de la côte, n’est-ce pas, Suzanne ? Vous êtes restés ensemble.

Vivement Philippe intervint.

— Suzanne est partie presque aussitôt, moi également… mais je n’avais pas fais trois cents pas que je suis retourné.

— C’est donc pour cela que, quand je t’ai appelé, au milieu de la côte, tu n’as pas répondu ?

— Sans doute. Je suis retourné au Grand-Chêne.

— Pourquoi ?

— Pour te rejoindre… je regrettais de t’avoir laissé.

— Alors, tu étais derrière nous au moment de l’agression ?

— Oui.

— En ce cas, forcément, tu as entendu les coups de feu !… Voyons, tu devais être sur la Butte-aux-loups…

— À peu près…

— Et tu nous as vus peut-être… D’en haut !… Avec le clair de lune !…

— Ah ! non, protesta Philippe, non, je n’ai rien vu.

— Mais si tu as entendu les coups de feu, il est impossible que tu n’aies pas entendu les cris de Jorancé… Moi, ils m’avaient fichu un bâillon sur la bouche… Mais Jorancé hurlait, lui !… « Nous sommes en France ! Nous sommes sur le territoire français ! » Hein ! tu as entendu les cris de Jorancé ?

Philippe hésita devant une réponse dont il sentait confusément l’importance redoutable. Mais, en face de lui, il vit Marthe qui l’observait avec une surprise croissante, et il vit, près de Marthe, la figure convulsée de Suzanne. Il affirma :

— Oui, j’ai entendu… De loin, j’ai entendu.

Le vieux Morestal ne se tenait pas de joie. Et quand il sut en outre que Philippe avait recueilli les dernières paroles du déserteur Baufeld, il éclata :

— Tu l’as vu ? Il vivait ? Il t’a dit qu’on nous avait tendu un piège, n’est-ce pas ?

— Il a prononcé le nom de Dourlowski.

— Parfait ! Mais notre rencontre avec le soldat, la poursuite… il a dû te dire que tout cela avait eu lieu en France ?

— J’ai cru comprendre, en effet…

— Nous les tenons ! proféra Morestal, nous les tenons ! Évidemment, j’étais tranquille… Tout de même, le témoignage de Philippe, l’attestation du soldat mourant… Ah ! les brigands, il faudra bien qu’ils lâchent leur proie… Nous étions en France, mes bons amis ! Il y a eu violation de frontière !

Philippe comprit qu’il s’était trop avancé, et il objecta :

— Mon témoignage n’en est pas un au sens propre du mot… Quant au soldat, c’est à peine si j’ai distingué…

— Nous les tenons, je te dis. Le peu que tu as pu voir, le peu que tu as pu entendre, tout s’accorde avec mon témoignage à moi, c’est-à-dire avec la vérité. Nous les tenons ! Et voilà ces messieurs du Parquet qui seront de mon avis, je t’en donne mon billet ! Et ça ne traînera pas ! Demain, Jorancé sera libre.

Il lâcha la plume, qu’il avait saisie pour écrire lui-même son rapport, et se dirigea vivement vers la fenêtre, attiré par le bruit d’une automobile qui contournait la pelouse du jardin.

— Le sous-préfet, dit-il. Bigre ! Le gouvernement est déjà averti. Le juge d’instruction et le procureur !… Oh ! Oh ! on va nous mener ça rondement, je vois… Vite, la mère, qu’on les reçoive ici… Moi, je reviens, le temps de mettre un faux col, d’enfiler une jaquette…

— Père !

Sur le seuil de la porte, Morestal s’arrêta. C’était son fils qui l’interpellait.

— Qu’est-ce que tu veux, mon garçon ?

— J’ai à vous parler, déclara Philippe avec résolution.

— Tant mieux ! Mais nous remettrons cela à tantôt, hein ?

— J’ai à vous parler maintenant.

— Ah ! En ce cas, accompagne-moi. Tiens, tu me donneras un coup de main. Justement Victor n’est pas là.

Et, tout en riant, il passa dans sa chambre.

Malgré elle, Marthe fit quelques pas comme si elle se proposait d’assister à la conversation. Philippe eut un moment d’embarras. Puis il se décida brusquement.

— Non, Marthe, il est préférable que tu restes.

— Cependant…

— Non, encore une fois non. Excuse-moi. Plus tard, je te donnerai l’explication.

Et il rejoignit son père.

Dès qu’ils furent seuls, Morestal, qui songeait d’ailleurs beaucoup plus à sa déposition qu’aux paroles de Philippe, Morestal demanda distraitement :

— C’est confidentiel ?

— Oui, et très grave, déclara Philippe.

— Oh ! Oh !

— Très grave, comme vous allez le comprendre, mon père… Il s’agit d’une situation où je me trouve, une situation affreuse d’où il m’est impossible de sortir sans…

Il n’alla pas plus loin. Dans un élan instinctif, bouleversé par l’arrivée du juge d’instruction et par une vision subite des événements prochains, il avait apostrophé son père. Il voulait parler, dire les mots qui le délivreraient. Quels mots ? Il ne savait pas au juste. Mais tout, tout plutôt que de faire un faux témoignage et d’apposer sa signature au bas d’une déposition mensongère !

Il balbutia d’abord, le cerveau en déroute, et cherchant en vain une solution admissible. Comment s’arrêter sur la pente où l’entraînait un jeu de forces ennemies, de hasards, de coïncidences et de petits faits implacables ? Comment rompre le cercle qu’un destin cruel s’ingéniait à tracer autour de lui ?

Il n’y avait qu’un moyen, auquel il se heurtait tout à coup sans l’avoir aperçu : la vérité immédiate, la révélation brutale de sa conduite.

Il frissonna de dégoût. Accuser Suzanne ! Était-ce cela, l’idée obscure qui l’animait à son insu ? Pour se sauver, avait-il pensé à la perdre ? Il eut alors la conscience exacte de sa détresse, car il aurait préféré mille fois mourir plutôt que de déshonorer la jeune fille, fût-ce aux seuls yeux de son père.

Morestal, dont la toilette était achevée, plaisanta.

— C’est tout ce que tu avais à me confier ?

— Oui… je me suis trompé… répliqua Philippe… j’avais cru…

Il s’était appuyé au balcon de la fenêtre et regardait vaguement le grand parc anglais que forment les bouquets d’arbres et les prairies onduleuses des Vosges. D’autres pensées maintenant l’obsédaient, qui se mêlaient à son propre tourment. Il revint vers le vieux Morestal.

— Vous êtes bien sûr que l’arrestation a été opérée sur le territoire français ?

— Ah ! ça, tu es fou ?

— Il se peut que, sans le voir, vous ayez traversé la ligne…

— Oui… en effet… c’est même ce qui s’est produit. Mais au moment de la première agression, comme au moment de l’arrestation, nous étions en France. Là-dessus, pas de doute.

— Songez donc, mon père, s’il y avait le moindre doute !…

— Eh bien, quoi ? Que veux-tu dire ?

— Je veux dire que cet incident aura des suites. L’affaire fera du bruit.

— Que m’importe ! La vérité d’abord, n’est-ce pas ? Dès l’instant où nous avons raison, nous devons faire en sorte que notre droit soit reconnu et que Jorancé soit relâché.

Morestal se planta devant son fils :

— Tu es de mon avis, je suppose ?

— Non.

— Comment non ?

— Écoutez, mon père, les circonstances me paraissent très sérieuses. L’enquête du juge d’instruction est d’une importance considérable. Elle servira de base à d’autres enquêtes. Il me semble que nous devons réfléchir et déposer avec réserve, avec crainte… Il faut agir prudemment.

— Il faut agir en bon Français qui a raison, s’écria Morestal, et qui, lorsqu’il a raison, ne craint rien au monde.

— Même la guerre ?

— La guerre ! Qu’est-ce que tu me chantes ? La guerre ! Mais il ne peut pas y avoir la guerre pour un incident de ce genre ! De la façon dont les choses se présentent, l’Allemagne cédera.

— Tu crois ? dit Philippe, que cette affirmation semblait soulager.

— Certes ! mais à une condition, c’est que nous établissions fortement notre droit. Il y a eu violation de frontière. Cela est indiscutable. Prouvons-le, et toute chance de conflit est écartée.

— Mais, si nous ne parvenons pas à le prouver ? dit Philippe.

— Ah ! en ce cas, tant pis !… Il est évident que l’on discutera. Mais, sois tranquille, mon garçon, les preuves existent, et nous pouvons y aller carrément, en toute sécurité… Viens, on nous attend…

Il mit la main sur la poignée de la serrure.

— Père ?

— Ah ! ça, qu’est-ce que tu as donc aujourd’hui ? Tu ne viens pas ?

— Non, pas encore, articula Philippe, qui voyait une issue et qui tentait un dernier effort pour s’échapper ; non, tout à l’heure… Il faut absolument que je vous dise… Nous partons d’un point de vue différent… J’ai des idées plutôt différentes des vôtres… et puisque l’occasion s’offre…

— Impossible, mon garçon ! nous sommes attendus…

— Il le faut, s’écria Philippe en lui barrant le passage… Je refuse de prendre à la légère une responsabilité qui n’est pas d’accord avec mes opinions actuelles, et c’est pourquoi une explication est devenue indispensable entre nous.

Morestal le contempla d’un air stupéfait.

— Tes opinions actuelles ! Des idées différentes des miennes ! Qu’est-ce que c’est que toutes ces histoires ?

Plus encore que la veille, Philippe sentit la violence du conflit qu’un aveu déchaînerait. Mais, cette fois, sa résolution était prise. Trop de motifs le contraignaient à une rupture qu’il jugeait nécessaire. L’esprit tendu, tout son être palpitant de volonté, il allait prononcer les mots irrévocables, quand Marthe entra vivement.

— Ne retiens pas ton père, Philippe, le juge d’instruction le réclame.

— Ah ! fit Morestal, je ne suis pas fâché que tu me délivres, ma bonne Marthe. Il a un grain, ton époux. Voilà dix minutes qu’il débite un tas de balivernes. Tu as besoin de repos, mon garçon.

Philippe esquissa un geste. Marthe lui dit à voix basse :

— Tais-toi.

Et d’un ton si impérieux qu’il fut déconcerté.

Avant de sortir, Morestal s’approcha de la fenêtre. Au loin, des notes de clairon résonnaient, et il se pencha pour mieux les entendre.

Aussitôt Marthe dit à Philippe :

— Je suis entrée au hasard. J’étais sûre que tu cherchais une explication avec ton père.

— Oui, il le faut.

— Sur tes idées, n’est-ce pas ?

— Oui, il le faut.

— Ton père est malade… le cœur… une colère trop forte pourrait lui être funeste… surtout après cette nuit. Pas un mot, Philippe.

À ce moment, Morestal refermait la fenêtre. Il passa devant eux, puis, se retournant et mettant la main sur l’épaule de son fils, il murmura avec une ardeur contenue :

— Tu entends, là-bas, le clairon ennemi !… Ah ! Philippe, je ne désire certes pas que cela devienne un chant de guerre… Mais tout de même… tout de même, si cela était !…

À une heure de l’après-midi, le mardi deux septembre, Philippe, assis en face de son père, sous le regard pensif de Marthe, sous le regard anxieux de Suzanne, Philippe, après avoir, d’une façon très précise, raconté son entretien avec le soldat mourant, déclarait qu’il avait entendu de loin les protestations du commissaire spécial Jorancé.

La déclaration faite, il la signa.